Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la France se trouve aujourd’hui dans une situation très difficile, dont sa désindustrialisation, continue depuis près de trois décennies, l’érosion de sa compétitivité et, enfin, un chômage frappant 10 % de sa population active sont les symptômes les plus significatifs. C’est pourquoi, comme les autres parlementaires du mouvement républicain et citoyen, je soutiens l’effort nécessaire auquel appelle le Gouvernement pour réorienter l’Europe et redresser l’appareil productif. À titre personnel, j’apprécie la détermination du Premier ministre : un discours de vérité peut seul, aujourd’hui, créer la confiance avec le pays.
La situation dégradée de l’économie française résulte principalement – il faut tout de même bien le dire ! – de choix de dérégulation effectués il y a plus de vingt ans dans le cadre de l’Acte unique.
Je n’ai pas besoin de rappeler le choix qui a été le mien en 1992 quant à la création d’une monnaie unique. Nous voyons aujourd’hui les effets négatifs d’un transfert de la souveraineté monétaire de dix-sept pays très différents par leurs structures à une Banque centrale aux statuts copiés sur ceux de la Bundesbank allemande.
C’est tout ce passif qu’il nous faut aujourd’hui remonter ensemble par un effort de dialogue et par la réunion de toutes les bonnes volontés : comment regagner les quinze à vingt points de compétitivité perdus par rapport à l’Allemagne depuis la création de la monnaie unique ? La dévaluation aujourd’hui n’est plus possible. Il faut donc retrouver des marges de manœuvre. Cela ne sera pas possible par une sorte de déflation interne. Il faudra donc faire évoluer profondément les règles de la monnaie unique. C’est ce que le Président de la République a commencé à faire lors du sommet européen des 28 et 29 juin derniers.
François Hollande a su trouver, sur le thème de la croissance notamment, des convergences non seulement avec le Président Obama, mais aussi, en Europe, avec nos partenaires : l’Italie de M. Monti et l’Espagne de M. Rajoy en particulier, sans oublier l’Allemagne avec le gouvernement de laquelle des compromis dynamiques ont été passés.
Au lieu de mettre systématiquement ses pas dans ceux de Mme Merkel, François Hollande, à la différence de son prédécesseur, a cherché à nouer un dialogue constructif avec l’ensemble de nos partenaires. Ce premier sommet a été un succès du point de vue de l’opinion publique, et il a été salué comme tel par les marchés financiers. La France, non seulement n’a pas été isolée, comme le prévoyaient des oiseaux de mauvais augure, mais il est apparu qu’il était possible d’amener Mme Merkel à faire des concessions dont l’ampleur reste, certes, encore à vérifier. De ce sommet, François Hollande est sorti à son avantage.
Je passerai rapidement sur le plan de croissance qui résultera de l’augmentation des prêts de la BEI – 60 milliards d’euros –, du redéploiement des fonds structurels – 55 milliards d’euros – et d’une innovation, les « project bonds », pour un montant encore limité de 4 à 5 milliards d’euros. Mais il faut bien commencer !
À supposer que ces moyens nouveaux puissent être rapidement mis en œuvre, leur montant égal à 1 % du PIB européen ne pourra cependant pas contrebalancer l’effort de restriction réclamé au nom du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance négocié par M. Sarkozy, ni la récession déjà amorcée, comme vient de le rappeler M. Marc. Il est donc indispensable que d’autres moyens soient mis en œuvre : relance salariale dans tous les pays dont la compétitivité le permet ; relance monétaire à travers des prêts de la BCE, mieux ciblés pour financer l’économie réelle. Par ailleurs, l’abaissement du taux d’intérêt directeur de la BCE à moins de 1 % devrait intervenir incessamment. Ce sera un signe positif. Le robinet monétaire doit couler si le robinet budgétaire est fermé : c’est l’évidence.
Il faut souligner enfin que l’euro reste une monnaie surévaluée qui pénalise nos exportations. Tout devrait donc être fait pour amener l’euro à retrouver un cours au moins égal à son cours de lancement qui était, je vous le rappelle, de 1, 16 dollar, afin de relancer la compétitivité des économies européennes.
Le sommet européen des 28 et 29 juin a également abouti à deux mesures importantes : la recapitalisation directe des banques, notamment espagnoles, par le Mécanisme européen de stabilité, dès lors qu’une supervision bancaire à l’échelle de la BCE aura été instituée ; le rachat direct par le MES de titres de la dette publique sur le marché secondaire, pour alléger, autant que faire se peut, la pression de taux d’intérêt exorbitants, comme ceux exigés de l’Italie par les marchés financiers.
D’autres résultats ont été obtenus. Il en va ainsi de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières pour les États qui le décideront : au moins neuf dans le cadre d’une coopération renforcée. Reste à fixer la destination du produit de cette taxe. Il me semble que celui-ci pourrait utilement abonder les ressources du MES.
Monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, je tiens à insister sur le fait suivant : les ressources du MES – 700 à 800 milliards d’euros en théorie, si l’on ajoute le solde disponible du FESF – ne sont pas suffisantes, eu égard aux besoins prévisibles des États sous tension et des banques les plus fragiles. Il est intenable pour l’Italie ou l’Espagne de devoir continuer à emprunter à dix ans à 6 %.
Il est regrettable que le MES n’ait pas été adossé aux ressources en principe illimitées de la Banque centrale européenne, comme l’a également déploré M. Marc, à juste titre. Seul un tel adossement, grâce à l’octroi au MES d’une licence bancaire, permettrait de décourager la spéculation.
Il faut rendre le MES « bancarisable ». Cette expression, si elle n’est pas très jolie, dit bien ce qu’elle veut dire ! Ne l’oublions pas, ses ressources viennent des États et d’émissions que ceux-ci seront amenés à garantir, comme le rappelait il y a quelques mois Mme Bricq, alors rapporteure générale de la commission des finances du Sénat. Cela signifie que le contribuable français garantira pour un montant de 142 milliards d’euros les prêts ou les interventions que le MES sera amené à effectuer, si on fait le total du capital appelé et du capital appelable.
Je ne pense pas que l’on puisse indéfiniment alourdir pour des montants aussi considérables la dette de la France. Les Français sont prêts à répondre à l’appel que le Premier ministre a lancé, non pas pour remplir un tonneau des Danaïdes, mais pour permettre le redressement productif du pays. L’Allemagne s’est engagée, rappelons-le, à hauteur de 190 milliards d’euros. Elle devrait accepter, comme M. Marc l’a suggéré, et je joins ma voix à la sienne, que la Banque centrale européenne garantisse la stabilité financière du système monétaire et pas seulement la valeur de la monnaie, en recourant au besoin à la création monétaire. Ce « saut qualitatif » se produira inévitablement, selon moi, à l’occasion d’une crise de plus grande ampleur.
Il semble que les conditionnalités des futures interventions du MES doivent encore être précisées. Je souhaiterais que le Gouvernement nous éclaire sur le mémorandum d’accord qui doit être signé. En effet, la France est à la fois un pays du nord et un pays du sud de l’Europe. En tant que pays du Sud, elle est susceptible d’être aidée par le MES ; en tant que pays du Nord, elle sera amenée à contribuer.
La mise en place d’une supervision bancaire sous l’égide de la BCE portera inévitablement atteinte aux prérogatives de la Banque de France. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le projet d’union bancaire ?
J’en viens, pour finir, au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé le 20 mars dernier. Ce traité donne à la Commission de Bruxelles des pouvoirs de décision en matière budgétaire. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet à cette tribune. Le transfert des pouvoirs budgétaires aux institutions de Bruxelles pose la question du rôle du Parlement dont je vous rappelle, mes chers collègues, que la raison d’être historique s’enracine dans le contrôle de l’impôt.
Un tel transfert ne doit pas signifier l’acheminement vers ce que Jürgen Habermas mais aussi, chez nous, Hubert Védrine ont appelé une « Europe postdémocratique » : une Europe où des technocrates, européens ou non, se substitueraient aux élus du peuple. C’est tout le problème de la légitimité démocratique qui se pose dans une Europe où, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la démocratie s’exprime essentiellement dans le cadre national.
Certains évoquent, sans y avoir sérieusement réfléchi, un grand saut fédéral. J’ai toujours dit que ce grand saut serait un saut dans le vide. D’ailleurs, un économiste, M. Bruno Amable, vient de rappeler que ce serait un saut mortel pour la protection sociale. En effet, la solidarité en Europe reste nationale à 97, 5 %. Souvenez-vous, mes chers collègues, que le budget européen représente 1 % du PIB, alors que le niveau des prélèvements obligatoires atteint 40 % en moyenne – 46 % en France.
On ne peut pas aller vers une harmonisation totale des transferts à l’échelon européen. Ce serait ouvrir la voie à des résistances nationales parfaitement justifiées, car, comme le rappelle M. Amable, chaque système, historiquement constitué à l’échelon national, comporte des niveaux de protection et des spécificités irréductibles. Je suis sûr que, si vous voulez bien y réfléchir, je n’aurai pas besoin de vous convaincre.
Si donc l’uniformisation est une impasse, l’intégration solidaire comporte, elle, des limites inévitables.
On ne peut pas davantage appeler fédéral un système de régulation budgétaire essentiellement coercitif.
Plus pratique est le projet d’un fonds de rédemption pour une fraction de la dette publique pouvant aller jusqu’à 60 % du PIB de chaque pays.
François Hollande a proposé un système d’eurobonds. Mais ce projet inspire à l’Allemagne des réticences que l’on peut comprendre et dont, d’ailleurs, on a bien été obligé de prendre acte : l’Allemagne n’est pas prête à donner aux pays les moins compétitifs et les plus endettés une carte de crédit qui s’imputerait sur son propre compte.
Un tel système de mutualisation limitée, appelé fonds de rédemption, impliquerait évidemment s’il voyait le jour, comme je le souhaite, des contrôles et des garanties – bref, des disciplines. Le problème de la légitimité démocratique se poserait alors de nouveau.
Pour conclure, je veux souligner que le vrai problème entre les pays de la zone euro est la différence de leurs niveaux de compétitivité et l’ampleur des déséquilibres commerciaux entre eux.
Mes chers collègues, comment résoudre ce casse-tête ? J’ai proposé qu’on étudie sérieusement, pour l’avenir à moyen terme, le modèle d’une monnaie commune plutôt qu’unique.
Il n’est pas interdit de rechercher des solutions innovantes aux crises de la zone euro, qui ne sont malheureusement pas derrière nous.
De sommet de la dernière chance en sommet de la dernière chance, les dirigeants de la zone euro ont su reculer les échéances. Mais rien ne peut dispenser d’une réflexion d’ensemble sur l’avenir à long terme de la zone euro.
Le Parlement doit être mieux informé des projets de la Commission européenne, qu’il s’agisse du document dit des quatre présidents, de la supervision bancaire, d’un futur système de garantie des dépôts des épargnants ou du projet européen de résolution des crises bancaires. Pour le moment, c’est la Commission européenne qui veut s’ingérer dans la procédure budgétaire. Il serait temps que, à l’inverse, les parlements soient saisis des projets de la Commission européenne !
Il est trop tôt, messieurs les ministres, pour apprécier complètement la portée des avancées réalisées lors du sommet européen des 28 et 29 juin. Mettons à profit les mois d’été pour évaluer plus justement les progrès à réaliser en Europe en matière de solidarité et de démocratie.
L’Europe européenne que nous voulons se fera à partir des réalités, qui sont d’abord nationales. Nous faisons confiance à M. le Président de la République, élu par la nation, pour ouvrir un chemin conforme à la maxime de Jaurès : « Aller à l’idéal et comprendre le réel ».