Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a parfois des hasards de calendrier heureux et nous en avons aujourd’hui un exemple : notre Parlement est de retour en session depuis quelques jours à peine et, déjà, l’Europe se retrouve au cœur de nos débats. J’y vois une sorte de présage pour les cinq années à venir : le quinquennat qui débute en France ne réussira que si nous parvenons à réinvestir pleinement le projet européen.
Ce réinvestissement ne pourra avoir lieu que si, au sein de nos assemblées mais aussi dans la société, nous réfléchissons enfin à cette question dans un esprit ouvert, serein, empreint d’honnêteté politique et intellectuelle. Car, reconnaissons-le, si, au cours de l’intense séquence électorale que le pays a connue ces derniers mois, la crise de l’euro a constitué une toile de fond permanente, on ne peut guère dire que, pendant cette période, le débat sur l’Europe proprement dite ait brillé par sa richesse et son intensité.
Le Conseil européen qui vient de se dérouler a-t-il permis de donner un nouvel élan à cette entreprise ? En tout cas, on peut dire qu’on aura rarement vu une réunion de ce type déboucher sur autant de décisions importantes obtenues dans d’aussi rapides délais.
Je ne reviendrai que brièvement sur le contenu de l’accord lui-même, dont les orateurs précédents ont largement parlé : 120 milliards d’euros alloués à la relance de l’activité économique, une évolution des mécanismes de stabilité vers un découplage des crises bancaires et des dettes souveraines, l’instauration prochaine d’une taxe sur les transactions financières dans un nombre significatif de pays de l’Union européenne ; ce sont là des avancées indéniables que nous saluons.
Mais, à mes yeux, ce qu’il y a de plus important dans l’accord trouvé relève sans doute moins du fond que de la forme et de l’embryon de méthode employée. En effet, nous avons assisté à une rupture avec la pratique devenue dominante ces dernières années : la gestion des grandes décisions par un duopole imparfait composé de la France et de l’Allemagne, qui tenaient largement à l’écart leurs autres partenaires.
Aujourd’hui, une dynamique nouvelle semble se mettre en place : certains États qui peinaient à se faire entendre réussissent enfin à se remobiliser vis-à-vis du projet européen. À cet égard, le rôle majeur joué par les dirigeants italiens et espagnols aux côtés de la France et de l’Allemagne aura été déterminant, nous rappelant qu’on ne peut ni construire l’Union européenne ni même sauver la zone euro en mettant de côté toute une partie de leurs membres. C’est dans cette cohésion pluripartite que réside la bonne solution face à la défiance des marchés dont les jeux spéculatifs se portent opportunément d’un État en difficulté vers un autre.
Face à cette configuration nouvelle, le gouvernement allemand a su heureusement faire évoluer sa position.
Espérons que nous sommes à l’aube d’un nouveau cours européen, fondé sur une nouvelle méthode de travail communautaire, et qu’il ne s’est pas seulement agi d’une belle exception, fruit d’une conjonction de circonstances particulières.
Cela étant, il reste encore beaucoup à faire et de nombreuses interrogations subsistent. Par manque de temps, j’en soulèverai seulement quelques-unes.
Je veux évoquer d’abord l’augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement, qui est à mes yeux la mesure la plus important du plan de relance envisagé. La BEI, grâce aux effets de levier, devrait pouvoir mobiliser jusqu’à 60 milliards d’euros de prêts en plus de ceux qu’elle octroie déjà.
Reste que l’incertitude demeure sur les types de projets qui pourront être financés par ce biais. Messieurs les ministres, quels sont, selon vous, les secteurs qui devraient en bénéficier en priorité – sachant que, bien entendu, cette question fera l’objet d’une négociation avec nos partenaires ?
De la même façon, concernant le Mécanisme européen de stabilité et les mécanismes de l’union bancaire, on a peine à comprendre quelle sera exactement la part réclamée aux banques privées dans les nouveaux mécanismes de renflouement. Envisagez-vous de plaider en faveur d’un fonds de résolution bancaire et d’un système de garantie des dépôts des particuliers qui soient abondés par les établissements privés ?
Enfin, j’en viens à la taxe sur les transactions financières, qui, je le rappelle tout de même, est une idée que les écologistes européens défendent depuis le début des années 2000.
Je suis satisfait que cette taxe voie le jour à un échelon non pas national mais multinational. Toutefois, je m’interroge sur la destination budgétaire et l’usage des fonds qu’elle permettra de dégager. Sera-t-elle destinée aux budgets propres des États membres ou – dans le cas, naturellement, où elle ne pourrait être instaurée dans l’ensemble des pays européens – affectée au financement de la contribution nationale au budget européen des États qui la créeront ? Permettre à l’Union européenne d’augmenter ses ressources propres est bien sûr, à mon sens, la piste la plus intéressante et la vocation de cette nouvelle fiscalité.
Au-delà, la question des ressources propres de l’Union européenne est plus que jamais primordiale. Pour relancer l’Europe sur le plan tant économique que politique, la question du budget de l’Union et de ses ressources propres ainsi que celle des institutions qui permettront de contrôler démocratiquement son fonctionnement doivent désormais être mises au cœur de nos discussions.
La crise traversée par la zone euro ne tient pas seulement à la situation économique et financière mondiale, ni aux problèmes de compétitivité de nos économies, bien que je ne les nie pas, ni à la question des dettes souveraines. Les dysfonctionnements actuels de la zone euro viennent, en premier lieu, de ce que nous nous sommes dotés il y a vingt ans d’une monnaie unique sans l’accompagner de la gouvernance qu’elle supposait.
Nous prenons conscience aujourd’hui seulement de la nécessité d’une gouvernance économique de l’Union et de la zone euro. Assez improprement qualifiée de « fédéralisme économique », cette réalité s’impose désormais à nous, que nous le voulions ou non. Néanmoins, une évolution qui est devenue impérative et légitime d’un point de vue économique ne peut se poursuivre sans une légitimité politique et démocratique.
Il faut aujourd’hui, sans tabou ni phobie, avoir le courage de poser enfin la question du fédéralisme politique en Europe. Seul ce dernier pourra offrir une authentique légitimité démocratique aux instruments de gouvernance économique supranationaux que nous avons institués ou que nous instituerons.
Sans mettre en cause les compétences de MM. Van Rompuy, Juncker et Barroso, nous ne pouvons admettre que les centres majeurs de décision qu’ils représentent, ainsi que les instances en cours de construction, restent privés d’un lien direct ou indirect avec le suffrage universel, à l’échelon européen.
Depuis sa naissance, l’Union européenne n’a cessé de se construire par crises, à-coups et ajouts. Au-delà de la légitimité de ses instances, cet édifice juridiquement baroque n’est guère lisible pour nos concitoyens, et ce problème se posera encore davantage si nous continuons d’opérer de la sorte.
L’accord trouvé lors du Conseil européen des 28 et 29 juin derniers a l’avantage d’éclaircir l’horizon économique et financier de l’Europe pour quelques mois. Je l’accorde à M. Chevènement : les fonds accordés aujourd’hui au MES ou au FESF ne permettraient pas de faire face à une crise supplémentaire, au-delà de celles qui touchent l’Espagne et l’Italie. Nous avons fait un pas important, des décisions importantes ont été prises, mais de graves problèmes demeurent.
En tout état de cause, plutôt que de rafistoler le mur et de colmater la fuite après l’inondation, nous avons pris de l’avance sur les prochains sinistres. Il s’agit maintenant de s’intéresser à l’architecture du mur et à la solidité des canalisations qui le traversent. La construction de l’Union européenne a entraîné la mise en place d’une architecture complexe et baroque, dont la cohérence globale n’est pas évidente. Les nouvelles extensions qui sont apportées aujourd’hui à cette architecture posent problème. Il serait dangereux que la solution trouvée à court terme à la crise de l’euro ne finisse par susciter une véritable crise démocratique et politique de l’Europe.