Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en écoutant le Premier ministre nous exposer les conclusions du dernier Conseil des chefs d’État et de Gouvernement européens, j’avoue avoir éprouvé des sentiments quelque peu mitigés.
Je comprends tout à fait que le Premier ministre insiste sur l’importance des décisions qui ont été prises lors de ce sommet et qu’il souligne le rôle décisif du Président de la République pour aboutir à ces résultats. Mais je ne partage pas la même satisfaction et l’optimisme dont il a fait preuve en nous présentant ces résultats comme étant un tournant très positif de la construction européenne, qui se donnerait enfin les moyens de lutter contre la crise et d’ouvrir la voie à une intégration comprenant plus de solidarité entre les États membres.
De la même façon, l’adjonction d’un pacte de croissance au néfaste traité budgétaire a été présentée comme étant l’un des instruments pouvant favoriser le redressement et la relance économique dans notre pays. Pour ma part, je n’ai pas la même lecture de ce qui s’est passé.
Une nouvelle fois, dans les semaines qui l’ont précédée, la réunion du Conseil a été mise en scène et dramatisée dans tous les pays, y compris dans le nôtre.
Après les dix-huit qui l’ont précédé, ce Conseil devait être un sommet crucial pour sauver l’Europe et l’occasion, d’une part, de trouver les moyens permettant à cette dernière de sortir de la plus grave crise financière et économique de son histoire et, d’autre part, de repenser en profondeur son fonctionnement mis à mal par les attaques spéculatives des marchés contre sa monnaie et contre les économies de ses pays.
Bien sûr, cette façon de procéder permet de valoriser certains résultats auprès des opinions publiques, mais elle constitue aussi une méthode dangereuse qui peut servir à masquer des aspects importants de la réalité.
En effet, je ne pense pas que le Président de la République ait vraiment atteint les objectifs qu’il s’était fixés et qu’il avait annoncés quelques mois plus tôt.
Il s’agissait alors de renégocier – le mot a été prononcé – le traité de discipline budgétaire signé par son prédécesseur et la Chancelière allemande, et de le compléter par des mesures sur la croissance. Or tel n’a pas été le cas.
Je sais bien que les sommets européens ne se déroulent jamais comme on s’y attendait, et celui qui vient de se tenir n’a pas échappé à la règle ; les péripéties y ont été nombreuses.
Certes, avec l’adoption du pacte de croissance, le Président de la République a peut-être obtenu une victoire politique et symbolique en faisant partiellement partager ses conceptions par l’ensemble des États membres. Mais, en acceptant en échange que le pacte budgétaire signé par son prédécesseur sorte intact de ce sommet, il a aussi largement renoncé à faire valoir certains de ses engagements de campagne.
Il est en effet paradoxal d’avoir battu la droite, et Nicolas Sarkozy, et d’être obligé de gouverner maintenant avec toutes les contraintes qu’implique sur nos finances publiques et sur l’économie du pays le traité que le précédent Président de la République a signé. On peut ainsi considérer que la réorientation de l’Europe promise par François Hollande ne s’est pas traduite en actes, en tout cas pour le moment.
En réalité, sous prétexte de l’accord des autres États membres sur un pacte de croissance, que, soit dit en passant, rien n’oblige à appliquer puisqu’il n’est qu’une annexe à des conclusions n’ayant pas la même forme juridique que le traité proprement dit, rien n’a été renégocié du traité budgétaire lui-même.
Le traité budgétaire et le pacte de croissance qui lui est adjoint permettront encore d’appliquer partout des politiques d’austérité conjuguées à de trop faibles compensations en matière de développement économique.
Certes, je ne sous-estime pas les 120 milliards d’euros consacrés à de nouveaux investissements. Ils joueront certainement un rôle bénéfique dans la relance économique, mais, comme cela a déjà été dit, il faut les replacer à leur juste valeur, soit 1 % du PIB de l’Union européenne !
En outre, il faut aussi savoir que le pacte reprend en grande partie des propositions que la Commission européenne avait jusque-là du mal à imposer, et qu’il repose pour l’essentiel sur l’utilisation de fonds existants.
Pour autant, les effets de ce train de mesures, dont l’augmentation des capacités de prêt de la Banque européenne d’investissement, demeurent incertains.
Dès vendredi dernier, quelques analystes jugeaient déjà les mesures du pacte de croissance très insuffisantes au regard des besoins économiques et sociaux. Surtout, ces mesures ne contrebalanceront pas les graves effets des politiques d’austérité menées par tous les gouvernements européens ; ce sont des mesures d’accompagnement, un pansement pour atténuer les ravages de ces politiques.
En revanche, les concessions consenties à Mme Merkel s’accompagnent de dures contreparties : non seulement, la Chancelière ne cède rien dans son refus de modifier le rôle de la Banque centrale européenne, mais elle a de surcroît obtenu un accroissement de ses pouvoirs dans la supervision du secteur bancaire.
Au-delà de quelques mesures en faveur d’une certaine croissance, ce sommet a donc bien été une étape décisive dans l’approfondissement de l’union monétaire et budgétaire qui commence par se dessiner autour de l’union bancaire.
Enfin, reconnaissons avec modestie que, si la taxe sur les transactions financières a bien été adoptée par nos partenaires européens, en tout cas par une partie d’entre eux, ses contours et le délai de sa mise en œuvre restent encore très imprécis. Il est donc sans doute encore un peu tôt pour se satisfaire de son adoption.
Je suis dès lors très sceptique sur la portée réelle de ce volet sur la croissance. Ayons bien conscience en effet que le pacte budgétaire n’a pas été modifié en tant que tel : il est intact et reste aussi nocif. En imposant l’austérité, ses dispositions empêchent la croissance. Il y a là une contradiction à laquelle vous ne pouvez échapper.
Ce carcan de l’austérité est confirmé, et rien n’a changé sur les points essentiels, la mutualisation de la dette aussi bien que le rôle de la BCE.
L’union bancaire ne changera pas non plus les critères de crédits aux entreprises. Les investissements de l’État et des collectivités locales seront toujours assujettis au dogme de la réduction des dépenses publiques. La politique budgétaire sera, comme auparavant, soumise à un contrôle accru de Bruxelles, au mépris de la démocratie parlementaire et de la souveraineté populaire.
La traduction des contraintes contenues dans le traité budgétaire que le Président de la République a accepté de faire ratifier n’a d’ailleurs pas tardé : dès hier, le Premier ministre a présenté devant le conseil des ministres une orientation qu’il faut bien qualifier de « tour de vis budgétaire ».
Au total, je crois que, en arrière-plan, ce sont plutôt les marchés financiers et les banques qui sont sortis vainqueurs de ce sommet. Ce sont eux, activement soutenus par la Banque centrale, qui continueront à imposer leur loi aux gouvernements d’Europe.
Je déplore vraiment que le Président de la République n’ait pas évoqué cette question lors du Conseil européen.
Tenter de présenter comme une avancée le fait qu’Angela Merkel et d’autres dirigeants européens se soient ralliés au financement de la croissance et de grands projets européens par les project bonds me semble en effet excessif. Le volume de ces emprunts ne compensera qu’à la marge l’asphyxie de l’économie réelle que porte en lui le pacte budgétaire. Surtout, c’est ne pas voir que ce sont les marchés financiers qui fixent les conditions auxquelles peuvent être souscrits ces emprunts.
Nous touchons là la contradiction profonde entre la satisfaction donnée aux marchés et l’appel qui leur est fait pour compenser les effets de la crise dont ils portent la responsabilité.
Au cours de ces sommets, plutôt que de se satisfaire de sauvetages temporaires de l’euro et de mesures pour atténuer les effets négatifs des politiques d’austérité, le Président de la République devrait désormais s’employer à convaincre nos partenaires de la nécessité d’emprunter une autre voie pour surmonter durablement la crise, car cette contradiction ne sera pas résolue sans la volonté de changer le rôle de la Banque centrale pour s’opposer aux attaques spéculatives des marchés contre certaines économies de l’Union européenne.
Pourquoi parler de gouvernance économique européenne avec une banque centrale européenne toujours plus indépendante ? Il faut retourner la puissance de la BCE contre les marchés. Il faut qu’elle puisse racheter massivement les dettes des États membres et les financer à des taux faibles.
Elle pourrait ainsi racheter des titres publics déjà en circulation pour empêcher les spéculateurs de jouer à la baisse sur les cours de ces titres. Elle l’a déjà fait l’année dernière, de manière exceptionnelle il est vrai, mais elle pourrait le faire à nouveau.
Elle devrait également racheter des titres publics dès leur émission par les États. Il faudrait pour cela aussi changer les critères d’emploi de ces titres et ne financer désormais que des dépenses qui soutiennent des politiques publiques contribuant à un nouveau mode de développement économique, social et environnemental. En fait, tout le contraire du pacte budgétaire et de la règle d’or qu’il veut imposer aux finances publiques !
Enfin, sur le fond, un aspect du sommet, peu visible et peu compréhensible par les opinions publiques, a été la mise en place d’un engrenage vers l’Union fédérale.
Pour sauver une certaine conception de l’euro et, il faut le dire, céder aux exigences des marchés, tous les dirigeants européens ont accepté cette nouvelle étape de l’intégration européenne, qui implique toujours plus de transferts de compétences et toujours moins de souveraineté nationale.
Très concrètement, c’est la « feuille de route » dont a été chargé le président Van Rompuy qui doit compléter les mécanismes d’austérité existants en accordant un plus grand poids aux institutions communautaires en matière de régulation bancaire, d’émission de dette, de surveillance de l’élaboration des budgets nationaux, de convergence des politiques économiques et de réformes structurelles.
Le Président de la République s’est satisfait de quelques compensations à la dureté du pacte budgétaire pour accepter de le faire rapidement ratifier par la voie parlementaire.
Nous pensons pour notre part que, devant l’importance de questions qui auront des répercussions considérables sur la vie quotidienne de nos concitoyens, les décisions prises lors de ce sommet doivent faire l’objet d’un débat public national ; elles dépassent le seul débat au Parlement et c’est la raison pour laquelle nous demandons qu’elles soient soumises à nos concitoyens par référendum.
Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations sur les résultats de ce Conseil européen dont les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen souhaitaient vous faire part.