Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 5 juillet 2012 à 15h00
Débat sur les résultats du conseil européen des 28 et 29 juin 2012

Bernard Cazeneuve, ministre délégué :

Oui, le propos de M. Gattolin était extrêmement puissant et je reviendrai d’ailleurs sur un certain nombre des propositions qu’il a pu avancer.

Les uns et les autres ont bien insisté sur la cohérence existant entre les propos tenus et les résultats du sommet européen de la semaine dernière.

Qu’avions-nous dit ? Qu’il n’était pas nécessaire d’opposer la discipline budgétaire et la croissance, que, sans croissance, il n’y aurait pas de rétablissement des comptes publics et que nous devions faire du redressement de notre pays, de la limitation de ses dettes et du rétablissement de ses déficits un objectif absolu. Les dettes et les déficits minent la croissance en créant sur les marchés financiers, monétaires, des tensions sur les taux d’intérêt, ce qui interdit aux investisseurs privés de réaliser leurs projets et aux collectivités locales de se financer dans des conditions qui leur permettent d’atteindre leurs objectifs. Il n’est pas de peuple souffrant aujourd’hui de l’austérité ni de gouvernement imposant cette souffrance à son peuple qui n’aient conscience de la nécessité absolue de desserrer la contrainte pesant sur les taux d’intérêt.

Si nous n’opposons pas la discipline budgétaire à la croissance, c’est parce que nous avons clairement à l’esprit que tout ce qui va dans le sens de l’accroissement des dettes et des déficits fait peser sur les taux des contraintes qui provoquent leur hausse et rendent difficiles la rencontre entre nos pays et la croissance.

Par ailleurs, nous voulons de la croissance parce qu’elle est indispensable pour disposer de rentrées fiscales permettant de réduire, dans des conditions acceptables, les déficits et les dettes. Si nous demandons aux peuples, qui ne sont en rien comptables des déficits et de l’endettement créés par les effets d’une finance démente, de payer seuls la facture du rétablissement des comptes publics, nous aurons alors l’austérité et la désespérance.

Nous verrons la crise politique s’ajouter à la crise financière et économique, car les peuples d’Europe, qui se verront condamnés à l’austérité à perte de vue, n’accepteront pas une telle situation. Ils s’éloigneront de l’ambition que porte l’Europe depuis le projet de ses pères fondateurs. Telle est ma réponse au vibrant discours de M. Pierre Bernard-Reymond sur l’Europe et l’ambition fédéraliste qu’elle peut porter.

Nous avons donc toujours considéré que le rétablissement des comptes publics et la croissance étaient deux sujets indéfectiblement liés l’un à l’autre. Et nous voulons à la fois l’un et l’autre !

Nous avons également dépassé un deuxième clivage, qui faisait l’objet de nos débats, dès lors que la croissance était considérée comme nécessaire. Cette opposition séparait ceux qui étaient favorables à l’approfondissement du marché intérieur et ceux qui voulaient la croissance par l’investissement. Les uns pensaient que nous pouvions surmonter la crise par des investissements structurants dans les grands projets industriels de demain, tandis que les autres estimaient qu’il fallait essentiellement améliorer la compétitivité des entreprises par des mesures de libéralisation du marché du travail ou des efforts de déréglementation. Pour notre part, nous voulons à la fois la compétitivité et des investissements d’avenir, pour permettre à l’Europe de s’engager dans le développement durable.

Pour ce qui concerne la compétitivité, nous proposons – le Premier ministre s’en est fait l’écho dans sa déclaration de politique générale – de créer une banque publique d’investissement, de réformer la fiscalité des entreprises, ce qui permettra aux PME-PMI de se voir appliquer un impôt sur les sociétés beaucoup moins contraignant que celui qui s’imposait à elles jusqu’à présent. En revanche, les grands groupes, qui ont beaucoup spéculé grâce aux bénéfices qu’ils avaient accumulés, se verront appliquer une fiscalité qui les conduira à participer à l’effort de redressement que nous appelons de nos vœux. Nous œuvrons en faveur de la compétitivité.

Le Président de la République propose – le Premier ministre l’a réaffirmé devant votre assemblée – de mettre en place un contrat de génération afin de maintenir dans l’emploi les seniors et les plus jeunes, au titre d’un contrat qui les lie. Nous faisons de la formation professionnelle un objectif absolu, parce que nous considérons que les ressources humaines sont un facteur de compétitivité dans l’entreprise. Il n’y a aucune raison de ne pas favoriser l’accès à l’emploi des jeunes et des aînés. En créant les conditions de leur formation, nous sommes dans la recherche de compétitivité.

Le dépassement de ce clivage nous conduit, avec pragmatisme, à vouloir à la fois des investissements d’avenir et le renforcement de la compétitivité. Il est absurde d’opposer ces deux notions.

Enfin, un troisième clivage a été dépassé : je veux parler de l’opposition, qui n’a d’ailleurs pas lieu d’être, entre les solutions immédiates à la crise et l’intégration politique, qui recouvre d’ailleurs un autre débat, entre un plus grand fédéralisme ou de meilleures solutions économiques et sociales, sans intégration. C’est la raison pour laquelle je veux rassurer MM. Philippe Marini et Pierre Bernard-Reymond, ainsi que Mme Catherine Morin-Desailly, sur un point : le couple franco-allemand n’est en aucun cas sorti affaibli de la séquence qui vient de s’achever, bien au contraire.

Lorsque nous discutons avec nos amis allemands des modalités de sortie de crise, ils défendent le point de vue selon lequel la stabilisation, à terme, de l’Europe, le renforcement de l’union politique et la plus grande efficacité des instruments dont nous disposons pour faire face à la crise supposent une plus grande unité politique. Selon eux, nous n’y arriverons que si nous franchissons un pas, que certains ont appelé le saut fédéral ou le saut politique. Nous leur répondons que nous voulons davantage de solidarité, parce que, si nous ne renforçons pas les moyens d’intervention économiques, monétaires et financiers, pour rendre l’Europe plus forte et contenir les marchés, nous ne pourrons pas rendre acceptable le saut politique qu’ils appellent de leurs vœux.

Imaginez ce qu’aurait été la réaction des marchés si nous étions sortis du sommet en proposant une convention et un référendum, sans avoir trouvé la moindre solution immédiate pour leur permettre de résister à l’augmentation continue des taux !

Donc, nous avons voulu avancer sur les deux fronts : une plus grande solidarité, avec des instruments nouveaux qui permettent de faire face à la crise et, en même temps, une meilleure intégration, que le Président de la République a qualifiée de « solidaire ». À chaque pas supplémentaire vers une solidarité destinée à faire face à la crise, nous acceptons une nouvelle étape vers l’intégration, ce qui signifie incontestablement des souverainetés partagées et des dispositifs de transfert à l’Union européenne d’un certain nombre de prérogatives, le tout s’effectuant de façon pragmatique, étape par étape, car le corollaire de l’évolution de nos dispositifs d’intégration politique est le renforcement des outils de solidarité financière au sein de l’Union.

Je voudrais illustrer tout cela par l’évocation des avancées concrètes que nous avons obtenues, ce qui me permettra de répondre à la fois aux orateurs de la majorité, qui souhaitent aller plus loin dans la solidarité et l’efficacité des outils dont nous nous sommes dotés, et aux orateurs de l’opposition, dont un certain nombre estime que nous n’avons obtenu que ce qui était déjà prévu.

D’abord, des mesures extrêmement concrètes, tangibles et efficaces ont été obtenues en faveur de la croissance. Monsieur Billout, vous souhaitez voir l’Europe vaincre l’austérité pour s’engager dans de vraies stratégies de croissance. Votre interpellation, que j’ai bien entendue, me paraît tout à fait légitime. Ce que je trouve plus injuste, en revanche, c’est l’interprétation que vous faites des résultats obtenus. Sans essayer de vous convaincre, je voudrais tout de même vous rassurer sur ce point.

Pour ce qui concerne la croissance, on parle d’un pacte de 120 milliards d’euros, mais il s’agit en fait d’une somme bien plus importante. Nous avons obtenu la recapitalisation à hauteur de 10 milliards d’euros de la Banque européenne d’investissement. M. Bizet disait tout à l’heure qu’une telle mesure était déjà acquise. Elle l’était si bien qu’à l’occasion du conseil Affaires générales de la semaine dernière – nous étions vingt-sept autour de la table – un grand nombre de pays, qui ne constituaient pas la minorité, ont indiqué qu’ils attendaient de voir concrètement les conditions dans lesquelles cette recapitalisation pouvait se faire ! Ils éprouvaient un certain scepticisme quant à l’opportunité de s’engager dans cette voie, considérant que de nombreux efforts avaient déjà été faits en faveur de la croissance et que, si nous devions en faire de supplémentaires, il fallait agir dans le sens de la dérégulation et de l’approfondissement du marché intérieur. Il est donc faux de dire que la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement était acquise ; elle ne l’était pas ! Elle permettra de déclencher 60 milliards d’euros de prêts.

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