Autre illustration du caractère précipité de cette réforme : le texte n’a donné lieu à aucune concertation avec les acteurs du logement, tant les associations d’élus que les agents économiques.
Il s’agit ensuite d’un texte inefficace, car la loi du 20 mars 2012 vise notamment – vous le savez tous – à créer un dispositif de majoration automatique de 30 % des droits à construire applicable sur l’ensemble du territoire national, sauf délibération contraire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent.
Or ce dispositif est redondant avec d’autres qui ont été très peu utilisés jusqu’à présent : un dispositif issu de la loi Boutin permettant aux communes couvertes par un plan local d’urbanisme ou un plan d’occupation des sols de majorer les droits à construire de 20 %, auquel seulement une trentaine de communes ont eu recours selon une enquête menée auprès de soixante et onze départements ; deux dispositifs ciblés sur les logements sociaux et les bâtiments à haute performance énergétique, autorisant une majoration des règles de densité pouvant aller jusqu’à 50 % et 30 % respectivement. Selon l’enquête précitée, ces deux derniers dispositifs ont été utilisés par environ cent cinquante communes seulement.
Pourquoi les collectivités territoriales utiliseraient-elles une mesure très proche de dispositifs auxquels elles n’ont très majoritairement pas encore souhaité avoir recours ? Je dis « pas encore » parce que je pense qu’il faudra se pencher sur la question de la consommation de l’espace ou de l’optimisation de celle-ci ; je n’aime pas beaucoup le terme « densification » !
Par ailleurs, de multiples facteurs juridiques, techniques et économiques entravent l’efficacité du dispositif.
Sur le plan juridique, la majoration des droits à construire n’exempte pas du respect d’autres règles d’urbanisme, telles que les règles du prospect. En outre, l’utilisation des nouveaux droits suppose, dans certains cas, de trouver des accords pour redéfinir des conventions privées. C’est le cas, en particulier, pour les copropriétés : la surélévation ou la construction de bâtiments afin de créer de nouveaux locaux à usage privatif ne peut être réalisée, sauf exception, que si la décision est prise à l’unanimité des copropriétaires.
Sur le plan technique, la modification du bâti est parfois très difficile, voire impossible. Il en est ainsi de la surélévation d’un bâtiment, opération impossible si les fondations ne sont pas adaptées.
Sur le plan économique, dans un contexte de crise, la taille des projets de construction est en diminution, hélas ! Nos concitoyens réduisent leurs ambitions et les COS sont loin d’être saturés.
Le texte entraîne aussi des effets pervers, tels qu’un effet de rétention de la part de certains propriétaires, constaté par les professionnels dès la discussion parlementaire de février dernier, ou un effet inflationniste, puisque les prix du foncier seront tirés vers le haut une fois la majoration des droits à construire entrée en vigueur.
Enfin, la loi du 20 mars 2012 a des conséquences très lourdes pour les collectivités territoriales.
Je rappellerai tout d’abord quelle volonté a, malheureusement, présidé à l’annonce de cette mesure : celle de mettre en accusation les collectivités territoriales, jugées responsables de la crise du logement, alors que ce sont sans doute elles qui investissent le plus, directement ou indirectement, via leurs offices. Cela transparaissait clairement dans le discours sur le logement prononcé le 2 février dernier, à Longjumeau, par l’ancien Président de la République.
La non-utilisation des dispositifs de majoration des droits à construire par les collectivités territoriales n’est pourtant aucunement due à une indifférence à l’égard de la crise du logement. Les collectivités territoriales sont d’ailleurs en première ligne face à cette crise. Cette non-utilisation s’explique – nous le savons tous, quelles que soient nos orientations politiques – par le fait qu’il serait absurde, pour une commune ayant mis plusieurs années à élaborer des documents d’urbanisme, à définir des règles de constructibilité adaptées à son projet de territoire, de s’empresser ensuite de déroger à ces règles.
Comme l’indiquait notre ancien collègue Dominique Braye dans son rapport sur le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, qui comprenait initialement le même dispositif de majoration automatique des droits à construire, il est « paradoxal d’inciter les communes à se doter de documents d’urbanisme pour déterminer les meilleures règles d’aménagement du tissu urbain, ce qui implique de réaliser des études dont le coût n’est pas négligeable, et de prévoir ensuite des dispositions s’imposant à tous les maires quelles que soient les spécificités de leurs territoires et modifiant en profondeur l’équilibre des documents qu’ils ont élaborés ».
La loi du 20 mars 2012 impose en outre une nouvelle charge aux collectivités territoriales, notamment aux plus petites d’entre elles. Il leur revient, en effet, de prendre en charge la réalisation de la note d’information, la mise à disposition de cette note, la réalisation de la synthèse des observations du public… y compris pour les communes qui souhaitent, in fine, ne pas appliquer la majoration !
La loi du 20 mars 2012 est enfin source d’insécurité juridique. Par exemple, il est délicat de déterminer le degré de précision attendu pour la note d’information. L’Assemblée des communautés de France, que j’ai entendue, souligne ainsi que de très nombreuses collectivités s’interrogent sur la consistance à donner à cette note.
D’autres questions se posent également en termes de cohérence interne des PLU. Je ne peux que rappeler une disposition aberrante de la loi du 20 mars 2012 : en prévoyant qu’une commune membre d’un EPCI compétent en matière de PLU pourra écarter, pour son territoire, l’application de la majoration des droits à construire décidée par l’EPCI, ce texte remet complètement en cause la cohérence des PLU intercommunaux.
Vous comprendrez donc aisément, madame la ministre, mes chers collègues, que la commission des affaires économiques soit restée fidèle à la position qui avait été la sienne au cours des débats de mars dernier et ait approuvé à une large majorité, à l’instar des associations d’élus locaux, telles l’ADCF ou la mission urbanisme de l’Association des maires de France, dont la vice-présidence est d’ailleurs assurée par notre collègue Pierre Jarlier, l’abrogation de la loi du 20 mars 2012.
Sur mon initiative, la commission a choisi, à l’unanimité, de compléter la proposition de loi par un second article qui tend à prévoir des dispositions transitoires pour les communes – il en existe quelques-unes – ayant engagé la procédure de consultation du public et décidé l’application de la majoration automatique des droits à construire sur leur territoire. Cet article vise à préciser, par souci de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, que cette majoration continuera de s’appliquer dans ces communes jusqu’au terme fixé par la loi du 20 mars 2012, c’est-à-dire jusqu’au 1er janvier 2016.
Ainsi, à la date de promulgation de la présente loi, plusieurs cas de figure pourront se présenter.
En premier lieu, les collectivités n’ayant entamé aucune démarche de consultation du public n’auront plus aucune démarche à entreprendre.
En deuxième lieu, les procédures lancées par certaines communes ou certains EPCI cesseront, mais ces derniers pourront, s’ils souhaitent adopter une majoration des droits à construire, recourir au dispositif facultatif de majoration issu de la loi Boutin.
En troisième lieu, la majoration automatique continuera de s’appliquer jusqu’au 1er janvier 2016 dans les communes l’ayant adoptée avant la promulgation de la présente loi.
Aux yeux de la commission, l’abrogation de la loi du 20 mars dernier ne traduit en aucun cas une opposition à la densification, ou plutôt à l’optimisation de l’utilisation des surfaces. Il convient d’ailleurs, madame la ministre, que le Gouvernement prenne des initiatives en la matière, au moment où les collectivités ou leurs EPCI élaborent leurs schémas de cohérence territoriale et les PLU communautaires. Après quatre modifications législatives en trois ans, il est notamment indispensable que les trois dispositifs de majoration des droits à construire, qui perdureront une fois la présente loi promulguée, soient remis à plat. À cet égard, je vous invite, madame la ministre, à consulter le tableau figurant à la page 18 de mon rapport. §Il présente une sorte de synthèse des différentes règles du code de l’urbanisme. Son élaboration a représenté un travail de bénédictin !