Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Najat Vallaud-Belkacem, ministre :

... et l’esprit de responsabilité qui a animé les sénateurs de tous les groupes.

C’est ce travail global, auquel le Gouvernement s’est associé au travers du projet de loi, qu’il nous appartient désormais de faire fructifier ensemble, en rétablissant le délit de harcèlement sexuel censuré, mais aussi en proposant des avancées pour répondre à l’attente des femmes.

Vous l’avez écrit dans votre rapport, monsieur le rapporteur : « Le harcèlement sexuel est un fléau demeuré longtemps ignoré du code pénal, puis méconnu dans la diversité de ses expressions. »

De quoi parle-t-on au juste ?

Il existe, comme souvent en matière de violences faites aux femmes, peu d’études pour nous révéler l’ampleur de ces délits et crimes. C’est un point sur lequel nous discuterons au cours de nos débats puisque, comme vous, je reconnais qu’il nous manque une instance capable de fédérer les enquêtes et d’en faire l’analyse, pour guider les pouvoirs publics.

En l’absence d’une telle instance, il faut remonter à la grande enquête nationale sur les violences faites aux femmes réalisée en 2000 pour avoir quelques éléments au plan national, complétés par l’étude menée par la Commission européenne en 1999.

D’autres enquêtes, que Christiane Taubira a évoquées, ont été conduites en 2007 en Seine-Saint-Denis. Le rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes les mentionne également.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les violences faites aux femmes sont une réalité importante de notre société, que l’on ne peut ignorer.

Si l’on passe sur les 45 % de femmes qui déclarent avoir entendu des blagues sexistes ou sexuelles au travail – de façon répétitive pour la moitié d’entre elles –, 13 % des femmes salariées déclarent avoir côtoyé des personnes ayant eu une attitude insistante, gênante et des gestes déplacés. Elles sont 9 % à déclarer avoir reçu des avances sexuelles non désirées au cours de l’année.

Une autre donnée intéressante que vous avez portée à notre connaissance, madame la présidente Gonthier-Maurin, révèle que le harcèlement sexuel, en plus d’être une souffrance personnelle, est un fardeau collectif. Une étude conduite en Israël et que vous citez dans votre rapport évalue à quelque 250 millions d’euros le coût annuel du harcèlement sexuel dans ce pays, délit qui provoque démissions, mutations et ruptures de carrière pour les femmes.

Pourtant, face à cette réalité, la réponse pénale apparaît en décalage. Il a été rappelé que, depuis 2005, 1 000 procédures nouvelles sont enregistrées chaque année pour cette infraction. Plus de la moitié de ces procédures ont fait l’objet d’un classement sans suite, au motif que l’infraction n’était pas constituée. La très grande majorité des peines d’emprisonnement prononcées sont assorties d’un sursis total. Quant aux peines d’amendes, elles sont d’un montant moyen d’environ 1 000 euros…

On le voit : la procédure est exigeante et demande aux victimes un investissement personnel très fort, comme l’ont souligné toutes les associations que vous avez auditionnées.

Cette procédure est aussi ingrate pour les victimes. En effet, les délais d’instruction sont longs et les preuves difficiles à apporter. En outre, le délit, dans la définition qu’en donnait la loi du 17 janvier 2002, ne punissait que les agissements sollicitant une contrepartie de faveurs sexuelles.

Dans ces conditions, même si le délit de harcèlement sexuel n’avait pas été abrogé par le Conseil constitutionnel le 4 mai dernier, nous aurions sans doute dû ouvrir le débat d’aujourd’hui.

En effet, la question du harcèlement sexuel est grave : sans signaux visibles qu’il est considéré comme intolérable, on ne construit pas une société de justice, de respect et d’égalité entre les femmes et les hommes.

Le contexte dans lequel nous finissons par avoir ce débat est très particulier. Il nous conduit à agir dans l’urgence pour ne pas laisser des situations d’impunité s’installer trop longtemps et parce que la protection de la loi est un droit fondamental que le Président de la République et le Premier ministre nous ont demandé de rétablir.

Qu’il faille agir dans l’urgence, nous en sommes toutes et tous convaincus, au Gouvernement comme dans votre assemblée.

Mais Mme la garde des sceaux et moi-même avons aussi été soucieuses de garantir la pérennité de ce nouveau droit. Nous avons voulu nous assurer que la loi serait efficace, qu’elle serait appliquée et qu’une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité ne viendrait pas, dans quelques mois, mettre à bas cette loi aussi, désespérant une nouvelle fois les victimes et les faisant douter de l’action publique et de notre engagement à tous.

C’est parce que nous souhaitions agir en urgence que le Premier ministre a mis en œuvre la procédure accélérée. Je veux remercier le président Sueur qui, lors de notre audition, nous a confirmé qu’il ne voyait pas là une mauvaise manière faite au Sénat.

Nous sommes attachées, comme lui et comme vous, au temps du travail parlementaire et de l’expertise. Mais, ce temps de l’expertise, vous l’avez pris depuis le 4 mai dernier.

C’est parce que nous souhaitions combiner urgence et sécurité juridique que nous avons également consulté le Conseil d’État, pour conforter notre analyse sur certaines questions sensibles : la réitération, la notion d’environnement, l’échelle des peines et les articulations à construire entre le code pénal et le code du travail.

Urgence et sécurité juridique, donc, mais aussi concertation. C’est une exigence à laquelle je suis très attachée. Christiane Taubira et moi-même avons eu le souci de construire ce projet de loi en écoutant les associations, de manière partagée avec les partenaires sociaux.

Dès notre prise de fonction, nous avons travaillé avec les associations. Nous avons continué de le faire durant l’ensemble de la préparation du projet de loi.

Bien entendu, je n’ignore pas que certaines associations s’estiment encore insatisfaites, doutent de certaines notions ou revendiquent des aménagements plus lourds, par exemple sur les peines.

Le travail de la commission des lois a déjà permis de répondre à certaines de ces attentes et de ces interrogations, mais il nous faudra aller plus loin dans le travail d’explication du projet de loi, pour lever les craintes.

Reste que la loi parfaite n’existe sans doute pas. Celle que nous cherchons à construire, avec la contribution des parlementaires, nous la voulons claire, globale et efficace.

Cette loi devra ensuite être appliquée – c’est bien là l’essentiel. C’est pour cela qu’il y aura une circulaire pénale, comme Mme la garde des sceaux l’a dit tout à l’heure.

Cette loi sera un signal pour les femmes victimes, mais aussi pour les auteurs de harcèlement. C’est le sens de la campagne de communication que nous mènerons, à l’automne, en accompagnement de la loi.

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