Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je laisserai à mon collègue Christian Bourquin le soin d’évoquer spécifiquement la question du droit des femmes que soulève le texte qui nous est aujourd’hui soumis.

Je me bornerai, pour ma part, à évoquer plus particulièrement son article 1er, sous l’angle juridique.

En apparence, le harcèlement sexuel ne concerne quantitativement que peu de cas, cela a été dit, avec 70 à 85 condamnations annuelles au cours de ces dernières années. Pourtant, ces statistiques cachent mal le nombre important de drames clandestins qui échappent aux tribunaux, lorsque les victimes n’osent pas déposer plainte par peur des conséquences qu’elles auraient à subir.

S’il appartient au Parlement, en tant que garant de l’intérêt général, de répondre à la souffrance de nos concitoyens, il lui appartient tout autant d’agir de façon responsable, c’est-à-dire en produisant une règle de droit juste, précise, lisible et applicable.

Sur ce point, la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier déclarant non conforme à la Constitution l’article 222–33 du code pénal n’a donc pas pu nous surprendre : les éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel posés depuis 2002 n’étaient, de toute évidence, pas suffisamment clairs et ouvraient la voie à un risque d’arbitraire.

Or le principe de légalité des délits et des peines commande, en droit pénal, la règle intangible selon laquelle toute infraction doit être clairement définie, son interprétation étant stricte.

Il était, par conséquent, peu concevable que le harcèlement sexuel ne fût défini que par sa seule finalité, l’obtention de faveurs sexuelles.

On peut sans doute regretter que le Conseil constitutionnel n’ait pas modulé dans le temps les effets de sa décision, comme il l’avait fait pour la garde à vue. Mais c’est dans le cadre qu’il a strictement tracé que nous devons opérer aujourd’hui pour réparer une malfaçon législative que, dès 2002, la doctrine dénonçait.

Je tiens à saluer la promptitude avec laquelle le Sénat a réagi, et, plus particulièrement, la commission des lois, son président, Jean-Pierre Sueur, la commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes. Il faut encore souligner les sept propositions de loi déposées sur le même sujet.

Le travail mené depuis lors est à l’honneur de notre Haute Assemblée, compte tenu de l’urgence qu’il y avait à combler le vide juridique ainsi créé.

Je sais aussi, madame la garde des sceaux, que la Chancellerie a donné instruction aux parquets de requalifier les actes poursuivis lorsque cela était possible. Mais, dans le cas contraire, la nullité des poursuites s’impose, hélas, ce qu’illustre, par exemple, la décision de classement sans suite d’une affaire de harcèlement concernant la RATP, prononcée par le parquet de Paris le 29 juin dernier.

Le projet de loi dont nous sommes saisis remet en quelque sorte les choses dans l’ordre dont elles n’auraient jamais dû dévier en 2002.

Néanmoins, autant le dire d’emblée, madame la garde des sceaux, la rédaction initiale de ce texte ne nous convenait pas du tout. Quand bien même vous n’avez pas repris le verbatim de la définition posée par la directive du 23 septembre 2002, il nous semblait incohérent et, pour tout dire, inopérant, d’introduire une hiérarchie entre les faits de harcèlement dit « simple » et ceux qui relèvent du harcèlement aggravé, encore appelé « chantage sexuel ».

À notre sens, la répétition d’actes « moins graves » peut tout autant, si ce n’est davantage, conduire à créer un « environnement intimidant, hostile ou offensant » que la commission d’un acte unique.

Il doit revenir, dans tous les cas, au juge d’apprécier la gravité des faits et, surtout, de les replacer dans leur contexte particulier. Il est heureux que la commission des lois ait préféré mettre fin à cette distinction hasardeuse.

Toutefois, si l’on poursuit la réflexion, on peut encore s’interroger sur le fait de savoir s’il n’aurait pas été plus judicieux de créer un délit spécifique et autonome de chantage sexuel.

Je comprends les raisons qui ont poussé la commission à opter pour cette rédaction, à savoir couvrir, dans la mesure du possible, les multiples hypothèses dans lesquelles une personne peut exercer une contrainte ou une pression pour obtenir des relations sexuelles, mais cette rédaction paraît encore poser quelques problèmes.

Tout d’abord, la notion même de « délit assimilé » nous paraît quelque peu hétérodoxe au regard des principes du code pénal.

Ensuite, le harcèlement se définissant par une répétition d’actes, on peut se demander s’il est vraiment utile de réduire ce harcèlement aggravé à un acte unique, si grave soit-il.

Enfin, demeure le problème de la preuve de l’intention d’obtenir une relation sexuelle, que celle-ci soit réelle ou simplement apparente.

Il faut s’interroger pour savoir, madame le garde des sceaux, s’il n’existe pas un risque que ce nouveau délit n’entraîne la déqualification des tentatives d’agression sexuelle, punies plus sévèrement. Toutefois, je note que le rapporteur, Alain Anziani, a déjà, avec brio, tenté d’apporter une réponse à cette question qui demeure malgré tout légitime.

Je vous rappelle en effet que l’article 222–22 du code pénal définit l’agression sexuelle comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». L’article 1er du projet de loi évoque quant à lui des « menaces » ou des « contraintes ».

Dans la mesure où les éléments constitutifs de ces deux infractions sont très proches, n’est-il pas à craindre un glissement malheureux vers l’infraction la moins punie, en raison d’une certaine confusion ?

Toujours s’agissant de l’article 1er, je regrette également que les sanctions prévues ne correspondent pas nécessairement à la hiérarchie des peines que pose le code pénal.

Cependant, la définition des circonstances aggravantes du harcèlement constitue tout de même une avancée majeure.

L’alourdissement des peines à raison de l’abus d’autorité, de la minorité ou de la vulnérabilité de la victime ou encore de la commission de l’infraction en groupe se justifie pleinement et s’inscrit en cohérence avec l’objectif de mettre fin à l’impunité qui fonde ce texte.

J’attire au surplus votre attention sur le fait que la question du harcèlement moral, défini à l’article 222–33–2 du code pénal, pourrait bientôt occuper l’actualité. La Cour de cassation devra en effet se prononcer prochainement sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité dont les arguments sont assez proches de ceux qui ont été soulevés s’agissant du harcèlement sexuel.

Pour conclure, je vous indique, madame le garde des sceaux, que le groupe RDSE s’associera bien entendu à ce texte et le votera.

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