Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Ensuite, si le sens commun, guidé par la définition usuelle du verbe « harceler », conduit à considérer qu’un acte unique ne peut constituer un harcèlement, à l’évidence – sur ce point, les associations ont joué un rôle éclairant – un acte d’un certain degré de gravité relève bien du harcèlement sexuel, l’impact, tant physique que psychologique, d’un acte unique sur la victime pouvant se prolonger dans le temps.

On songe, par exemple, à une menace de représailles, si la victime ne cède pas à la sollicitation sexuelle qui lui a été adressée : ne s’épuisant pas dans le laps de temps où elle s’est exprimée, elle présente en fait un caractère permanent, faisant peser sur son destinataire une pression continue.

D’ailleurs, lors des débats parlementaires qui avaient précédé le vote de la loi du 2 novembre 1992, il avait été souligné que la jurisprudence « devrait saisir que le terme de “harcèlement sexuel” a un effet d’affiche mais que le texte permet que le délit soit constitué même en cas d’acte unique ».

Le ministre de l’époque avait ajouté : « La position du Gouvernement est claire : tel qu’il est défini, le harcèlement sexuel [...] peut se traduire par plusieurs actes, mais éventuellement par un seul acte d’une particulière gravité ». Cette déclaration faisait alors écho aux exigences de la Commission européenne qui précisait, dans l’une de ses recommandations, « qu’un seul incident de harcèlement peut constituer à lui seul le harcèlement sexuel, s’il est suffisamment grave. »

Toutefois, si, lors des débats de 1992, il avait été admis qu’un seul acte grave pouvait constituer un harcèlement, la jurisprudence n’était pas aussi claire quant à l’exigence de répétition. Ainsi, certaines décisions rejettent explicitement l’idée qu’un acte isolé puisse, à lui seul, caractériser un harcèlement sexuel au sens de l’article 222-33. Nombre de décisions d’appel font référence à la pluralité des actes accomplis ou à leur caractère habituel. Il nous a donc semblé utile de préciser l’obligation de réprimer un acte unique grave.

Concernant maintenant l’élément moral de l’infraction, il nous a semblé nécessaire, en premier lieu, de distinguer harcèlement sexuel et discrimination.

Pourquoi ? Dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis, les actes de « harcèlement sexuel » ont toujours été appréhendés sous l’angle de la « discrimination sexuelle ». Cette approche du harcèlement comme forme de discrimination fondée sur le sexe, a eu des échos en Europe et s’est traduite dans le texte de la directive.

Au fondement de la logique communautaire figure une idée forte : le harcèlement sexuel fait obstacle à la bonne intégration des femmes sur le marché du travail, et le combat contre ce phénomène participe donc de la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Or il ne s’agit pas simplement de cela !

L’approche adoptée par le législateur français pour établir la définition proposée aujourd’hui diffère par rapport aux précédentes. En effet, après hésitation, ce dernier a abandonné le projet de consacrer le « harcèlement » comme une simple « variété de discrimination » – passez-moi l’expression – en soutenant l’idée selon laquelle une personne peut être harcelée non seulement en raison de son sexe, mais aussi en raison de son aspect physique, de ses qualités morales ou intellectuelles, etc.

De plus, envisager le « harcèlement sexuel » sous l’angle de la discrimination aboutit à une impasse quand le harceleur s’attaque aussi bien à la gent masculine qu’à la gent féminine. Il faut donc dépasser le rapprochement opéré entre le « harcèlement sexuel » et « l’égalité entre les hommes et les femmes », même si ce sont les femmes qui restent les plus exposées.

Reste que, si le droit français ne semble pas placer sur le même plan les notions de harcèlement sexuel et de discrimination, il n’en institue pas moins le harcèlement sexuel comme motif de discrimination. L’intégration de la notion de harcèlement sexuel dans le code du travail s’est en effet accompagnée de la création d’un nouveau motif discriminatoire dès 1992. L’actuel projet de loi prévoit, quant à lui, par son article 2, d’intégrer ce motif discriminatoire dans le code pénal.

Pour éviter toute confusion, il faut encore distinguer clairement « harcèlement sexuel » et « harcèlement sexiste », ce dernier terme qualifiant des agissements sous-tendus par la mentalité éminemment sexiste de son ou de ses auteurs.

L’expression « harcèlement sexiste » est employée pour désigner des agissements dont la caractéristique est de porter atteinte à la dignité de la victime et qui trouvent leur raison dans le sexe de cette dernière. C’est donc ici le genre plutôt que la sexualité qui constitue l’objet du harcèlement. Dans cette hypothèse, on peut avancer que le harcèlement sexiste n’est qu’une forme de harcèlement moral. Et l’on se trouve même en présence de ce que l’on peut qualifier de « harcèlement moral discriminatoire ».

Cette approche a pour inconvénient de contribuer à effacer, à gommer le « caractère sexué » des agissements condamnés. Il pourrait donc être intéressant d’envisager, à l’avenir, la création d’un article spécifique pour ce type de harcèlement, malheureusement toujours très répandu.

Concernant l’élément moral, la loi française, à la différence du droit communautaire, fixait un but précis, à savoir « l’obtention de faveurs sexuelles ».

Cette approche a conduit à ne pas qualifier de « harcèlement sexuel » des actes ou des pratiques à connotation sexuelle qui instaurent ou créent un climat de travail malsain ou attentatoire à la dignité de la personne, des agissements qui, bien qu’ils puissent mettre mal à l’aise, ne sont pas sous-tendus par une intention sexuelle. Pourtant, la finalité apparaît, pour celles ou ceux qui ont subi un acte ou une pratique de cette nature comme une tentative de mainmise, de subordination, d’humiliation, d’exclusion. Il est donc, à notre sens, absolument nécessaire de réprimer « les harcèlements d’ambiance » ou, ce qui fait débat, « d’environnement hostile », ce que nous avons retenu en supprimant toute référence à l’obtention de faveurs sexuelles.

Le débat en séance public permettra, je l’espère, d’améliorer encore le texte proposé par la commission des lois, car plusieurs points posent encore problème.

D’abord, la question essentielle de « l’acte unique » de harcèlement.

Le projet assimile au « harcèlement sexuel », même en l’absence de répétition, « le fait d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave » à l’égard d’une personne, « dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle ».

Cette définition appelle plusieurs remarques.

Elle est très proche de la définition de l’agression sexuelle visée à l’article 222-22 du code pénal aux termes de laquelle « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Le risque existe donc de voir les agressions sexuelles requalifiées en harcèlement.

Ce risque de requalification était déjà inhérent à la précédente version de l’article 222-33 ; il continuera d’exister et pourra même être aggravé. Il faut donc l’éviter.

La notion de « chantage sexuel » est au cœur de cette définition de l’acte unique « grave » de harcèlement. À cet égard, je souhaite attirer votre attention sur une réelle difficulté de cohérence pénale.

En effet, en droit, « le chantage », tel que visé à l’article 312-10 du code pénal, relève d’une infraction contre les biens. Il est par ailleurs puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Or il serait créé un délit de « chantage sexuel », relevant des atteintes aux personnes et non plus des atteintes aux biens, qui ne serait puni, lui, que de deux ans, voire trois ans d’emprisonnement.

Cette question, vous le voyez, pose vraiment problème et doit faire l’objet d’un débat approfondi. C’est le sens des amendements que nous avons déposés sur cette définition.

Enfin, j’en viens aux derniers points de divergence sur les circonstances aggravantes, qui feront aussi l’objet de débats.

Le premier point de divergence porte sur la question de la vulnérabilité. Nous défendons l’introduction de la notion de « vulnérabilité économique ou sociale », mais nous ne resterons pas sourds aux éventuelles propositions qui pourront être formulées au cours des débats, notamment par le Gouvernement.

Le second a trait à la question de la minorité. Nous prônons de ne pas la limiter à la majorité sexuelle. Sur ce sujet, le critère pertinent doit être seulement celui de la vulnérabilité d’un mineur face à un adulte harceleur. De plus, comme ce texte vise à déconnecter le harcèlement de la recherche d’une relation sexuelle, le critère de majorité sexuelle nous semble tout à fait inopportun.

Si notre priorité est et reste l’adoption d’un texte, celui-ci doit être – Brigitte Gonthier-Maurin l’a dit tout à l’heure – le plus juste et le plus efficace possible, conforme aux réalités subies au quotidien par les victimes. C’est le sens des amendements que nous avons déposés bien évidemment avec l’objectif d’y parvenir.

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