Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons tous été étonnés, et même choqués, par la décision du Conseil constitutionnel, non tant d’ailleurs par l’abrogation de la loi que par le choix délibéré de ne pas accorder de délai pour rebâtir rapidement un nouveau texte.

Les juristes ont justifié cette décision par la nature pénale de la loi. Pour autant, derrière le caractère quelque peu contraignant des règles de droit, il y a des victimes, des femmes, parfois des hommes, et des victimes qui n’ont plus de recours, des victimes qui ont pris de gros risques, des victimes qui, au final, se retrouveront bafouées dans leur dignité et obligées d’assumer le coût d’une procédure avortée.

Je ne peux aussi m’empêcher de penser que cette décision témoigne du peu de considération accordée à la question du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes en général. Les chiffres ont été rappelés, et ils sont tristement éloquents. D’après l’enquête européenne, 40 % des femmes environ s’estimaient, à un moment ou à un autre, victimes de harcèlement sexuel. Or, aujourd’hui, seules 1 000 procédures environ sont engagées chaque année, dont 80 aboutissent à une condamnation – des chiffres beaucoup plus précis ont été communiqués tout à l’heure.

Nous connaissons les raisons de cette situation.

Premièrement, il était très difficile pour la victime d’apporter la preuve du harcèlement sexuel, notamment parce qu’il lui fallait prouver l’intention de l’auteur d’obtenir une relation de nature sexuelle.

Deuxièmement, il est extrêmement difficile de franchir le pas, comme nous l’avons souligné d’ailleurs dans tous nos débats sur la question générale des violences faites aux femmes. Le harcèlement aboutit en effet à ce que la victime elle-même porte le poids d’une certaine culpabilité. Franchir le pas, prendre le risque de perdre son travail ou d’être mise de côté, c’est extrêmement difficile.

Troisièmement, nous nous trompons parfois d’approche à force d’assimiler le harcèlement sexuel à une version un peu dégradée de l’agression sexuelle. Certes, dans le harcèlement sexuel, conformément à la directive européenne, il faut qu’il y ait un acte à connotation sexuelle comme moteur, comme source du harcèlement. Toutefois, le but de l’auteur généralement est non pas d’obtenir une relation de nature sexuelle, quelle qu’elle soit, mais de détruire la personne, de l’humilier jusqu’à aboutir à sa destruction psychologique.

Le harcèlement sexuel n’est donc pas une version dégradée de l’agression sexuelle ; c’est proprement et simplement une atteinte à la dignité, et même une tentative de destruction de la personne humaine. Si nous partons de ce principe, nous pouvons effectivement réécrire le texte.

Face à cette violence silencieuse, je veux vraiment dire que les sénatrices et les sénateurs, tous bords confondus, ont eu le souci de la dignité politique.

Je veux remercier le président du groupe de travail, Jean-Pierre Sueur, ainsi que Mme Demontès, Mme Gonthier-Maurin, M. Anziani et tous les sénateurs qui ont eu à cœur de prendre à bras-le-corps ce sujet. Sept propositions de loi ont été déposées, et il n’existe pas de divergences de fond entre les différents groupes politiques. Il peut certes y avoir des clivages, mais ils transcendent les groupes et concernent des points particuliers du texte.

Nous avons tous refusé de politiser ce débat. Nous avons tous refusé de récupérer ce texte à notre profit et de faire de la communication à l’occasion de sa discussion.

Permettez-moi toutefois de regretter, une nouvelle fois, la méthode choisie par le Gouvernement – vous n’êtes pas directement en cause, madame la ministre, car vous n’étiez pas nécessairement favorable à cette voie. Il aurait en effet été nettement préférable de s’appuyer sur le travail sénatorial très profond, très précis et consensuel qui avait été mené, et de reprendre la proposition de loi à laquelle avait abouti le groupe de travail.

Vous ne pouviez pas arguer de l’urgence, car, si vous aviez repris le texte de la proposition de loi, nous n’aurions pas eu à réécrire le projet de loi et à examiner aujourd’hui une soixantaine d’amendements.

Vous ne pouviez pas non plus arguer de la concertation, puisque celle-ci avait déjà eu lieu au sein du Sénat.

J’ai été membre d’un gouvernement avant vous, et je sais le souci d’affichage qui peut parfois motiver certaines décisions, mais, dans cet hémicycle, sur toutes les travées, nous ne souhaitons pas que ce débat soit politisé, car le harcèlement ne relève pas d’un jeu politique.

Le résultat est un texte qui, sur certains points, se situe en retrait par rapport à celui qui a été discuté au sein du groupe de travail. Je pense notamment à un point tout particulier, qui sera largement débattu dans cet hémicycle : l’exigence, dans l’article 1er, d’un acte répété. Elle ne correspond pas à la directive européenne, qui ne fait pas de distinction entre acte répété ou acte unique. D’ailleurs, les Espagnols ont, dans leur loi pénale, repris la définition européenne.

Certains se sont émus – sans exprimer leur préoccupation de manière officielle – que l’on puisse condamner à une peine de prison une personne ayant mis la main aux fesses. Combien de fois avons-nous entendu de tels propos, qui nous ont parfois fait bondir ! C’est une question de bon sens : combien de femmes seraient prêtes à engager une procédure coûteuse et à risquer de perdre leur travail pour une main aux fesses ? Combien de juges seraient disposés à condamner à la prison l’auteur d’un tel acte ?

Prenons également garde, avec le II du texte présenté par l’article 1er pour l’article 222-33 du code pénal, que je juge extrêmement dangereux, à ne pas tomber dans une autre dérive. En effet, ce paragraphe assimile un acte unique accompagné d’ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d’obtenir une relation de nature sexuelle à un harcèlement sexuel, alors qu’un tel acte est extrêmement proche d’une agression sexuelle. Le risque est fort de voir des agressions sexuelles requalifiées en harcèlements sexuels, d’autant qu’il faudra prouver l’intention de l’auteur. Or c’est précisément ce qui posait problème dans la précédente loi. Des agressions sexuelles pourraient ainsi rester impunies.

Madame la garde des sceaux, vous avez indiqué que vous aviez vous aussi des doutes quant à la pertinence de la rédaction de ce projet de loi. Si le harcèlement est l’expression d’une régression du corps social, le droit est en soi une expression de la culture. À cet égard, il nous appartient de faire sauter certains verrous culturels.

Ces deux points essentiels ayant été soulignés, je proposerai trois améliorations, qui ont d’ailleurs déjà été présentées par plusieurs de mes collègues.

Tout d’abord, il convient de prendre en compte la vulnérabilité économique des victimes en tant que circonstance aggravante. Je pense ici tout particulièrement aux femmes qui élèvent seules leurs enfants, sachant qu’un tiers des familles monoparentales sont pauvres. Ces femmes, plus encore que d’autres, doivent être protégées.

Ensuite, je suis réservée sur l’inscription parmi les circonstances aggravantes de la minorité de 15 ans, âge de la majorité sexuelle, parce que je ne veux pas de continuum entre agression sexuelle et harcèlement sexuel : tout ce qui permettrait de les assimiler est à mes yeux dangereux.

Enfin, cela a été évoqué tout à l'heure, il faut ouvrir le débat sur les transsexuels. Ces personnes doivent être visées dans les cas de discrimination. Je présenterai un amendement en ce sens.

Vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, je suis choquée par la méthode et je ne vous concèderai rien sur le sujet. D’ailleurs, je ne doute pas que certains collègues, siégeant sur d’autres travées, le soient aussi, mais ils sont tenus par un devoir de solidarité avec le Gouvernement, situation que nous avons nous aussi connue par le passé…

Notre groupe a fait le choix d’une opposition « constructive » sur ce texte. Il est hors de question pour nous d’ouvrir un front sur un tel sujet, aussi voterons-nous le projet de loi. Nous aurons l’occasion, dans les jours qui viennent, d’avoir des débats beaucoup plus politiques !

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