Intervention de Philippe Kaltenbach

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le délit de harcèlement sexuel a été introduit dans notre droit par deux lois adoptées en 1992.

Afin d’apporter une meilleure protection aux victimes, la définition de ce délit a fait l’objet de plusieurs extensions successives. L’extension introduite par la loi du 17 janvier 2002 a conduit à la suppression des principaux éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel. Dès lors, fragilisée, la définition du harcèlement sexuel était à la merci d’une censure du Conseil constitutionnel.

Cette censure est malheureusement intervenue le 4 mai dernier, au motif que la rédaction de l’article 222-33 du code pénal était imprécise. Cette abrogation a conduit à l’abandon de toutes les procédures qui n’étaient pas définitivement jugées à cette date.

Ce véritable déni de justice n’ayant pas manqué de susciter un vif émoi au sein de l’opinion publique, il était primordial d’apporter une réponse rapide à cette censure.

La Haute Assemblée a su une nouvelle fois démontrer sa capacité d’initiative. Plusieurs parlementaires ont souhaité lancer le débat sans tarder. Après avoir consulté plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes, j’ai moi-même déposé, le 11 mai dernier, une proposition de loi tendant à qualifier le délit de harcèlement sexuel, en m’appuyant fortement sur la directive européenne. Au total, ce sont sept propositions de loi qui ont été déposées sur le bureau du Sénat.

Contrairement à ce qu’a affirmé à l’instant Mme Jouanno, Mme la garde des sceaux et Mme la ministre des droits des femmes ont rapidement témoigné un grand intérêt pour les travaux du Sénat, ce dont je les remercie.

De concert, comme l’a souhaité M. le Premier ministre, le Gouvernement et le Sénat se sont employés à élaborer une réponse adaptée ; je me félicite de cette étroite collaboration. Il ne s’agit pas de tirer la couverture à soi ou d’obtenir je ne sais quel effet d’affichage : l’objectif est d’être efficaces, en travaillant main dans la main. C’est dans cet esprit que débute le quinquennat de François Hollande, le présent projet de loi illustrant la volonté commune du Gouvernement et de la majorité parlementaire d’œuvrer ainsi.

Au cours des cinq dernières années, le Parlement avait trop souvent été ignoré. Son rôle a été négligé, en dépit d’une réforme constitutionnelle censée le renforcer.

Sur ce dossier, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif font de nouveau montre de leur complémentarité et du respect mutuel qu’ils doivent se témoigner.

Je suis très heureux de constater que le projet de loi présenté aujourd'hui par Mme Taubira, au nom du Gouvernement, est le fruit de ce travail commun. Moins de soixante-dix jours après la décision du Conseil constitutionnel, ce texte vient combler un vide juridique inacceptable.

À cet égard, je tiens à saluer la rapidité et la rigueur avec lesquelles le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, la présidente de la commission des affaires sociales, Annie David, et la présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Brigitte Gonthier-Maurin, ont mis sur pied le groupe de travail sur le harcèlement sexuel. Une cinquantaine de personnes ont été auditionnées. Leurs témoignages et leur expertise ont permis de mettre en exergue les écueils que nous devions éviter.

En effet, il fallait tout à la fois fournir une définition du harcèlement sexuel assez précise pour ne pas contrevenir aux exigences du principe de légalité des délits et des peines et offrir aux victimes une protection suffisamment large pour prendre en compte toute la réalité actuelle du phénomène du harcèlement sexuel. Ce nouvel arsenal législatif doit permettre à la justice de lutter plus efficacement contre ces agissements.

Si nous avons su nous mobiliser sur toutes les travées pour offrir une meilleure protection aux victimes, je déplore la situation difficile dans laquelle se trouvent, du fait de la non-rétroactivité de la loi, les personnes qui ont vu annuler le 4 mai dernier les procédures qu’elles avaient engagées.

À cet égard, je tiens à remercier Mme la garde des sceaux d’avoir demandé aux parquets, par le biais d’une circulaire, de requalifier les faits ayant donné lieu à ces procédures en violences volontaires, en harcèlement moral ou en agression sexuelle. Toutefois, nous savons que, malheureusement, cette circulaire ne répondra pas à toutes les situations difficiles créées par la décision du Conseil constitutionnel.

Ce vide juridique soudain, qui a laissé beaucoup de victimes dépourvues face à leurs agresseurs présumés, n’a pas manqué de surprendre nos concitoyens. La décision du Conseil constitutionnel a été critiquée, en particulier à cette tribune par notre collègue Muguette Dini. On peut estimer que le Conseil constitutionnel aurait dû laisser un délai avant l’abrogation de la loi, mais les avis des plus éminents juristes divergent sur ce point.

En tout état de cause, il serait bon que le législateur se remette aussi en question : comment a-t-il pu laisser planer durant dix ans un tel risque de censure sur la définition pénale du harcèlement sexuel, sans intervenir ? Pourquoi un tel attentisme jusqu’à l’issue prévisible, à savoir l’abrogation de la loi ?

Sans vouloir entrer dans une polémique politicienne, je note que ce n’était pas l’actuelle majorité qui était aux affaires entre 2002 et 2012, ni au Gouvernement, ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat. Une situation profondément scandaleuse aurait pu être évitée si le précédent gouvernement avait saisi l’occasion qui lui avait été donnée en 2010 de modifier la définition du harcèlement sexuel, rendue imprécise par l’extension introduite par la loi de 2002.

Je pense ici à la proposition de loi de 2009 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, dont l’article 19 prévoyait que « tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant constitue un agissement de harcèlement sexuel ».

Cet article avait été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, mais, lors de l’examen du texte en commission au Sénat, le rapporteur, membre du groupe UMP, avait déposé un amendement visant à supprimer cette nouvelle proposition de définition du harcèlement sexuel, amendement d’ailleurs fortement soutenu par Mme Morano, alors secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité, et adopté par la Haute Assemblée le 24 juin 2010.

Sans cette lourde erreur d’appréciation, la censure du Conseil constitutionnel ne serait certainement pas intervenue, et nous n’en serions pas à débattre du présent projet de loi dans l’urgence.

Aujourd'hui, nous étudions une nouvelle définition du harcèlement sexuel, qui doit permettre d’offrir une meilleure protection aux victimes et, plus largement, de modifier l’approche par notre société, dans son ensemble, de ce délit.

En effet, ce qui touche aussi les victimes, c’est sûrement le manque de prise en compte et de reconnaissance de leurs souffrances. Il faut donc faire évoluer les mentalités.

Cela a été rappelé par de nombreux orateurs, chaque année, environ quatre-vingts affaires de harcèlement sexuel donnent lieu à une condamnation. Même si l’extrême faiblesse de ce chiffre s’explique par l’ancienne définition pénale de ce délit, qui a pu conduire le juge à en faire un simple levier pour déqualifier certaines violences sexuelles, on constate que la réalité du phénomène du harcèlement sexuel est très sous-évaluée en France.

L’enquête réalisée en 2000 sur les violences faites aux femmes, allant au-delà de la stricte définition pénale du harcèlement sexuel, a révélé que ce phénomène avait une ampleur bien plus significative que ce que pouvait laisser supposer le nombre de condamnations prononcées annuellement.

Au demeurant, je profite de cette occasion pour demander une actualisation de cette enquête. Il me semble indispensable de créer un observatoire national des violences faites aux femmes.

Longtemps, la notion de harcèlement sexuel n’a pas été prise au sérieux. Elle continue parfois, malheureusement, à être un objet de moquerie : pour certains, le harcèlement sexuel ne serait en fait qu’une forme de séduction appuyée, voire d’humour déplacé. Ce sujet a parfois été abordé avec une grande légèreté, hélas ! qui a conduit à une banalisation des faits.

Toujours selon l’enquête précitée, 2 % des femmes ont déclaré avoir subi un harcèlement sexuel au cours des douze derniers mois, ce qui représente plus de 200 000 femmes. Ce chiffre témoigne de l’ampleur du phénomène.

Cette enquête nous a aussi permis de constater que le harcèlement sexuel était encore moins rapporté par les femmes que les autres formes d’agression sexuelle, ce qui rend très difficile d’appréhender son étendue. Ce silence est notamment dû au fait que la société n’a pas encore abordé avec le sérieux qui s’impose ce phénomène, pourtant source de profonds traumatismes.

En élaborant ce nouveau projet de loi et en menant un travail approfondi qui a permis à tous les acteurs concernés de s’exprimer, le Gouvernement et le Sénat ont voulu démontrer que la France entend prendre pleinement conscience de l’étendue du harcèlement sexuel et des conséquences de celui-ci pour les victimes.

En matière de prévention, il faut, cela a été dit, miser sur l’éducation, mais également mettre l’accent sur le rôle que peut jouer la médecine du travail. Ce point est souligné dans l’excellent rapport de Mme Gonthier-Maurin.

En effet, il est important que les souffrances psychologiques au travail puissent désormais être mieux détectées et prises en compte. Pendant longtemps, la médecine du travail s’est essentiellement intéressée aux seules affections physiques liées à l’exercice d’une profession. Cependant, on voit aujourd’hui les ravages que causent les souffrances psychiques provoquées par le harcèlement moral ou sexuel au travail. C’est pourquoi il est essentiel d’envisager de davantage sensibiliser les médecins du travail au fléau du harcèlement sexuel.

Avec ce nouvel arsenal législatif, c’est la société dans son ensemble qui doit maintenant se mobiliser. J’espère que nos travaux auront permis d’attirer l’attention des Français sur un phénomène qui mérite toute notre vigilance. Une telle prise de conscience serait sans doute le seul effet bénéfique découlant de la décision du Conseil constitutionnel.

Le projet de loi qui est soumis aujourd’hui à notre assemblée est un texte complet, qui répond aux attentes des victimes. Il était nécessaire d’aller vite pour établir une nouvelle définition du harcèlement sexuel. Il fallait traiter la question de l’acte unique et alourdir les peines. Toutes ces dimensions ont bien été prises en compte dans le texte du Gouvernement, que le groupe socialiste votera avec enthousiasme.

En ce qui concerne les amendements étudiés ce matin en commission des lois, je rappelle que le groupe socialiste est favorable au maintien du terme « environnement », préférable au mot « situation », ainsi qu’à l’intégration de la notion de chantage sexuel, assimilé à du harcèlement, et de l’idée de vulnérabilité due à la situation économique et sociale des victimes.

Enfin, il faut bien sûr prendre en compte l’orientation sexuelle des victimes en tant que circonstance aggravante, comme c’est le cas pour le viol ou l’agression sexuelle. Concernant les transsexuels, M. le rapporteur l’a expliqué ce matin en commission, cela permettra de leur assurer une protection renforcée.

En conclusion, c’est avec fierté que le groupe socialiste votera ce texte. §

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