Intervention de Virginie Klès

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur le vide juridique qu’a brutalement créé la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier. Nous sommes tous convaincus de la nécessité de combler rapidement et efficacement ce vide.

Le harcèlement sexuel fait aujourd’hui l’objet d’environ mille dépôts de plainte et quatre-vingts condamnations par an, mais les faits condamnés relèvent souvent de l’agression sexuelle plutôt que du harcèlement. Cela étant, nous sommes tous ici persuadés que ces chiffres sont loin de rendre compte de l’importance réelle du phénomène.

Plus du quart des personnes mariées et environ un tiers de celles qui vivent en couple se sont rencontrées sur leur lieu de travail. Ce pourcentage peut même aller jusqu’à près de 80 % pour certaines professions, notamment celle d’ingénieur.

Tous ces éléments montrent bien la complexité des situations et la nécessité d’élaborer rapidement un tel texte, qui doit absolument permettre d’établir une distinction très nette entre les comportements sociaux valorisants et enrichissants et ceux qui sont clairement inacceptables.

Chaque mot du présent projet de loi revêt donc une extrême importance, mais il était néanmoins nécessaire d’aller vite. Chaque terme doit être soigneusement pesé, de façon que le droit soit efficace. En la matière, il convenait en premier lieu de définir très précisément ce qui est susceptible de relever du harcèlement sexuel.

Madame la garde des sceaux, vous m’avez fait l’honneur de citer ma description du harcèlement, sexuel ou moral, que j’ai comparé au supplice de la goutte d’eau. Il s’agit d’un délit à part entière, et je partage sur ce point l’analyse de ma collègue Chantal Jouanno, qui affirmait tout à l’heure que le harcèlement sexuel n’est pas un « sous-délit » ou la déqualification d’une agression sexuelle.

Le supplice de la goutte d’eau, en l’occurrence, c’est le supplice infligé par chaque mot, par chaque phrase intentionnellement délivrés par le harceleur pour frapper, pour blesser, pour humilier celui ou celle à qui il s’adresse, en accompagnant souvent ses paroles de gestes et d’attitudes visant au même objectif et aggravant encore la situation.

Ces mots, ces phrases, ces gestes, ces attitudes caractérisent le harceleur, certes, mais avant tout un comportement : le harceleur considère autrui non pas comme une personne, mais comme un objet dénué de tout droit, destiné à son seul usage, à son seul désir d’emprise, de possession, parfois ultime.

C’est ce comportement qu’il importe, aujourd’hui, de redéfinir pour pouvoir lutter contre un phénomène extrêmement violent, le harcèlement consistant en actes de violence psychologique, pouvant aller jusqu’à la violence physique et sexuelle.

Je me félicite – cette fois, je suis en désaccord avec ma collègue Chantal Jouanno – de l’assimilation au harcèlement sexuel de faits que nous qualifions, dans la vie courante, de « chantage sexuel ». En effet, l’auteur d’un chantage sexuel manifeste le même type de comportement que le harceleur au quotidien : lui aussi considère l’autre comme un objet dont il peut faire usage. Un harceleur, même s’il n’a commis qu’un acte unique contre une victime donnée, réitérera son comportement avec d’autres dans des circonstances identiques.

La victime d’un chantage sexuel subira exactement les mêmes pressions et les mêmes dommages dans sa vie quotidienne, qu’elle ait cédé ou non. Elle sera en plus sous la menace du chantage, au strict sens pénal du terme, celle de se voir établir une réputation de femme facile, par exemple. Sa situation, au travail et ailleurs, sera forcément fragilisée par les agissements de son harceleur, que celui-ci pourra toujours réitérer.

Le comportement de l’auteur d’un chantage sexuel est du même type que celui d’un harceleur au quotidien. Pour sa victime, les conséquences sont les mêmes.

Dans les deux cas, des personnes souvent heureuses de vivre, entretenant des relations sociales riches, finissent petit à petit, sous l’effet du harcèlement sexuel, par avoir du mal à simplement trouver les mots pour exprimer à quel point elles sont poursuivies, traquées, humiliées, comment le malaise a progressivement envahi leur vie au quotidien pour se transformer en mal-être, en anxiété, en angoisse parfois, jusqu’à les amener à s’isoler, à se replier complètement sur elles-mêmes, ayant perdu toute confiance en elles et en les autres. Il est extrêmement important d’avoir ces réalités à l’esprit, d’autant que de telles situations de détresse peuvent conduire à commettre un geste définitif. Voilà contre quoi nous devons aujourd’hui nous redonner les moyens de lutter.

S’est aussi posée la question de la preuve, ardemment débattue. J’ai même entendu évoquer l’hypothèse d’une inversion de la charge de la preuve en matière de harcèlement sexuel.

D’une façon générale, je me suis demandée pourquoi un tel délit suscitait autant de discussions sur le choix des termes.

En fait, dès qu’il y a dépôt de plainte pour harcèlement sexuel, il y a forcément un auteur et une victime, même quand la plainte n’est pas fondée, ce qui peut arriver.

Si la plainte est fondée, les choses sont très claires pour tout le monde : la victime est la personne – la plupart du temps une femme – qui a déposé plainte, l’auteur des faits est la personne visée par la plainte.

Si la plainte n’est pas fondée, il y a aussi une victime, une personne dont la vie familiale, professionnelle, privée peut être bouleversée : il s’agit cette fois de l’auteur présumé des faits.

Dans les deux cas, l’auteur des faits et la victime se connaissent, ont des relations sociales quotidiennes, au travail ou ailleurs. Dans l’hypothèse où la plainte n’est pas traitée, l’est avec retard ou fait l’objet d’un classement sans suite, on laisse face à face l’auteur et la victime, quels qu’ils soient, liés par les mêmes relations qu’auparavant. Autrement dit, on laisse perdurer la situation, qu’il s’agisse de harcèlement ou de dénonciation calomnieuse, laquelle peut très bien s’apparenter à du harcèlement moral. Cela est totalement inacceptable pour la victime, quelle qu’elle soit.

Voilà ce qui fait toute la complexité et toute la particularité du débat que nous avons aujourd’hui : auteur des faits et victime se connaissent et restent unis par les mêmes relations qu’avant le dépôt de la plainte pendant le temps de l’enquête.

Pour autant, cette situation particulière justifie-t-elle d’ouvrir une brèche dans le principe de la présomption d’innocence prévu par notre droit ? Je ne le crois pas.

Madame la garde des sceaux, madame la ministre, vous nous avez montré la détermination du Gouvernement à lutter contre ce fléau. J’ai confiance en l’efficacité des actes que pourra poser le Gouvernement, en adressant des circulaires aux parquets, aux tribunaux de prud’hommes, aux tribunaux administratifs, en affichant des priorités, en donnant des instructions pour que jamais une plainte pour harcèlement sexuel ou pour harcèlement moral ne soit classée sans qu’une enquête rapide et approfondie ait été menée pour déterminer précisément qui est la victime et qui est l’auteur des faits. On ne doit pas laisser les choses en l’état.

Le Gouvernement doit aussi, sans doute, développer des moyens de formation interinstitutionnelle. Le comportement du harceleur étant parfois pathologique, n’ayons pas peur d’intégrer dans des groupes pluridisciplinaires des psychiatres ou des psychologues qui sauront aider les enquêteurs et les magistrats à identifier ce type de comportement, à mieux faire la part des choses et à déterminer plus rapidement qui est la victime.

Pour toutes ces raisons, et parce que je crois que le texte fait vraiment consensus, hormis sur quelques points pouvant sans doute être réglés par d’autres voies, je voterai bien évidemment ce texte.

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