Intervention de Alain Gournac

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain GournacAlain Gournac :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le harcèlement sexuel est une véritable plaie – je reprends ce mot à mon compte –, sur laquelle la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes s’est longuement penchée et dont elle a précisé les contours à partir des études disponibles et des nombreuses auditions qu’elle a organisées.

Nous sommes tous mobilisés par la nécessité d’agir rapidement à la suite de la décision prise par le Conseil constitutionnel le 4 mai dernier. Se prononçant dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, celui-ci a en effet abrogé l’article 222-33 du code pénal, relatif au harcèlement sexuel. Il était hors de question de laisser plus longtemps les victimes sans recours devant le juge pénal.

Avant toute autre chose, je souhaite dire combien nous entendons la colère et mesurons le désarroi des victimes, qui, à la suite de cette décision du Conseil constitutionnel, se sont trouvées dessaisies, pour nombre d’entre elles, de leurs poursuites. J’ai encore en mémoire le témoignage, entendu à la radio, d’une femme en pleurs à la sortie du tribunal qui l’avait en quelque sorte congédiée…

La Chancellerie a certes recommandé aux parquets, lorsque les affaires en étaient au stade des poursuites, d’examiner si les faits initialement qualifiés de harcèlement sexuel pouvaient être poursuivis sous d’autres qualifications. Lorsque la juridiction correctionnelle était malheureusement déjà saisie et les poursuites engagées sur le fondement de l’article 222-33 du code pénal, la Chancellerie recommandait aux parquets de requérir la nullité de la qualification juridique retenue, la poursuite étant désormais dépourvue de base légale.

Nous avons tous notre part de responsabilité dans cette situation, même si, à l’époque de l’élaboration de la loi désormais abrogée, les deux assemblées parlementaires avaient, en toute bonne foi, cru bien faire.

Compte tenu de l’émotion suscitée, il n’est pas cependant inutile de souligner que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a rappelé, au cours de son audition devant le groupe de travail, que « même si les faits sont poursuivis sous la seule qualification de harcèlement sexuel, le juge pénal, saisi in rem, n’est jamais lié par la qualification retenue par le ministère public. Il a seulement l’obligation de respecter le principe du contradictoire : toutes les parties doivent être en mesure de livrer leurs observations sur la nouvelle qualification. Des faits de harcèlement sexuel peuvent ainsi être requalifiés en tant que violences volontaires, notamment psychologiques. »

Si la décision du Conseil constitutionnel était lourde de conséquences, elle n’entraînait pas pour autant une annulation juridique pour toutes les poursuites en cours. Il n’en reste pas moins que, en visant l’insuffisance de la définition des éléments constitutifs de l’infraction de l’article en cause, le Conseil constitutionnel a pointé du doigt un manque de vigilance du Parlement et du gouvernement en place à l’époque.

La notion de harcèlement sexuel est assez récente en droit français. Elle a été introduite par deux lois votées en 1992 et a fait l’objet de plusieurs modifications tendant à son extension, afin de mieux protéger les victimes de ces agissements intolérables.

Le harcèlement sexuel fut défini à l’article 222-33 du nouveau code pénal comme « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ». Ce délit était puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Ce volet pénal a été complété la même année par un volet social introduit dans le code du travail et dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. La définition retenue du harcèlement sexuel était voisine de celle figurant dans le code pénal.

En 1992, le harcèlement sexuel comportait trois éléments constitutifs.

Il s’agissait, premièrement, d’éléments matériels, autrement dit d’actes fautifs : ordres, menaces, contraintes, voire pressions de toute nature.

Il s’agissait, deuxièmement, d’un abus d’autorité : pour être constitué, le harcèlement sexuel devait émaner d’une personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions. Ce point est très important, nous allons y revenir.

Il s’agissait, troisièmement, d’un élément intentionnel : l’obtention de faveurs de nature sexuelle.

Quelques années plus tard, en 1998, la loi relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a retouché à la marge la définition du harcèlement sexuel donnée par l’article 222-33 du code pénal, pour la rapprocher de celle du code du travail. Le harceleur était défini non plus comme une personne « usant d’ordres, de menaces ou de contraintes », mais comme une personne « donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves ». C’était se faire un peu plus précis dans la description de ses agissements.

Jusque-là, tout allait bien. C’est avec la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, que, voulant bien faire, nous avons manqué de vigilance. Sachons reconnaître nos erreurs, surtout quand il s’agit de qualifier des actes fautifs.

Nous avons, à l’Assemblée nationale et au Sénat, mal mesuré qu’en élargissant le champ de la notion de harcèlement sexuel, nous finissions par vider celle-ci de sa substance.

Sur une initiative parlementaire du groupe communiste, cette loi de modernisation sociale a introduit en droit français l’interdiction du « harcèlement moral ».

La première définition proposée s’inspirait de la définition en vigueur du harcèlement sexuel, pour lequel l’abus d’autorité était un élément constitutif du délit.

Ayant considéré, lors des étapes ultérieures de la discussion parlementaire, que des actions de harcèlement moral pouvaient également intervenir en dehors de toute subordination hiérarchique, le Parlement a supprimé cet élément constitutif.

Par contrecoup, la loi de modernisation sociale a également élargi la définition du harcèlement sexuel en procédant à la suppression de deux de ses trois composantes : l’abus d’autorité, le harcèlement sexuel pouvant dorénavant être constitué en dehors de toute relation hiérarchique ; les éléments matériels, à savoir les actes fautifs propres au registre de l’abus d’autorité, tels que ordres, pressions, menaces, contraintes, pressions graves.

Cet élargissement s’est opéré en deux temps.

L’Assemblée nationale a tout d’abord adopté, en deuxième lecture, un amendement du Gouvernement tendant à supprimer, dans le code du travail, la référence à l’abus d’autorité et aux actes fautifs.

Puis le Sénat, par souci de cohérence et avec l’avis favorable du Gouvernement, a également supprimé, dans l’article 222-33 du code pénal, sur l’initiative de sa commission des affaires sociales, les références à l’abus d’autorité et aux actes fautifs.

Je rappelle quels étaient les trois éléments constitutifs du harcèlement sexuel prévus par la loi de 1992 : les éléments matériels, l’abus d’autorité et l’élément intentionnel, à savoir l’obtention de faveurs de nature sexuelle.

En passant du code du travail au code pénal, en étendant la notion de harcèlement moral à des agissements commis en dehors de tout rapport hiérarchique, en voulant, en quelque sorte, calquer le champ du harcèlement sexuel sur celui du harcèlement moral, nous avons fini par ne définir le harcèlement sexuel que par le troisième de ces éléments constitutifs, c’est-à-dire l’intention.

En 2002, l’article 222-33 se trouvait ainsi rédigé : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Le harcèlement sexuel n’était plus défini que par sa finalité : l’obtention de « faveurs de nature sexuelle ». Le législateur, soucieux d’apporter une protection plus étendue aux victimes de harcèlement sexuel, avait cru bien faire. En élargissant le champ de la notion, il en limitait la compréhension. On assista alors à un doublement du nombre de condamnations prononcées chaque année et, dix ans après, à l’abrogation du dispositif par le Conseil constitutionnel.

La commission des lois, celle des affaires sociales, la Délégation aux droits des femmes, notre groupe de travail et les auteurs des différentes propositions de loi ont accompli un travail tout à fait remarquable, que je tiens à saluer. Dès que nous avons appris la censure du Conseil constitutionnel, nous avons réagi pour réparer une faute aujourd’hui vieille de dix ans.

Comme le rapporteur a bien voulu le dire, voilà quelques années que je consacre une partie de mon action à la défense des femmes. C’est donc avec bonheur que je voterai ce texte. §

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