Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 juillet 2012 : 1ère réunion
Réforme de la carte judiciaire — Examen du rapport d'information

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat, co-rapporteure :

L'effet de la réforme de la carte judiciaire sur le fonctionnement de la justice porte la marque des défauts de conception initiaux.

Il convient de noter que certaines juridictions qui présentaient des chiffres d'activité parfois nettement supérieurs aux minima requis ont été supprimées au profit d'autres juridictions, afin de favoriser la concentration des moyens ou d'approcher l'objectif d'un TGI par département, ce qui a été vigoureusement dénoncé par ceux qui avaient à souffrir de cette suppression, par exemple Guingamp et Rochefort.

Il y a eu une diminution des postes par rapport à ce que la juridiction absorbante aurait dû recevoir des juridictions supprimées ; la réforme a abouti à une réduction des effectifs, entre 2008 et 2012, de 80 postes de magistrats et de 428 postes de fonctionnaires.

Cette évolution, qui est une contribution à la révision générale des politiques publiques (RGPP), a eu des conséquences préjudiciables pour les juridictions qui n'avaient pas de moyens suffisants et étaient aussi affectées par d'autres réformes. En touchant principalement les tribunaux d'instance, la réforme a porté sur les juridictions les plus proches des gens, aux deux sens du terme : proximité géographique ; proximité juridique, les TI traitant des contentieux du quotidien et du voisinage, ceux de plus faible montant et ceux de la précarité. Le regroupement a particulièrement nui à ce contentieux. On sent aussi le défaut de prise en compte des spécificités territoriales ou de la difficulté de circulation des populations concernées, difficulté de déplacement parce que tout le monde n'a pas de voiture ou que les transports en commun sont dégradés. L'expression de « désert judiciaire » a été employée à de nombreuses reprises au cours des auditions, pour décrire les situations où, sur plus de 100 kilomètres, un territoire qui n'est pourtant pas dépourvu de population est privé de toute implantation judiciaire.

Il existe clairement un effet « carte judiciaire » sur les délais de traitement des dossiers soumis aux juridictions civiles. Il est encore trop tôt pour savoir si cette dégradation des délais de traitement judiciaire a vocation à marquer durablement les juridictions ou si elle sera prochainement effacée, maintenant que la réforme est totalement entrée en vigueur.

Nous avons aussi cherché à évaluer l'impact de la nouvelle carte judiciaire sur l'accès à la justice, parce que cette question détermine le succès ou l'échec de cette réforme : l'éloignement des juridictions a parfois conduit certains justiciables à renoncer à saisir le juge.

Dans les TGI regroupés, on a parfois constaté une diminution du nombre d'affaires qui signale les difficultés rencontrées par les justiciables pour accéder à la justice, voire leur découragement à saisir leur juge.

De nombreux élus ont enfin regretté que la suppression d'un lieu de justice s'ajoute à la lutte déjà longue des services publics ou des administrations (commissariats, hôpitaux, filiales de la banque de France, casernes...) qui ont quitté le territoire.

Quelles pistes pour l'avenir ?

La réforme de la carte judiciaire a durablement et fortement éprouvé les justiciables, les personnels judiciaires et les territoires. Comme nous l'ont dit les magistrats rencontrés, aujourd'hui, plus que d'une nouvelle réforme, l'institution judiciaire a avant tout besoin d'une « pause ».

Le Parlement doit pouvoir débattre de toute réforme future de la carte judiciaire, pour décider des principes qui devront la fonder et des objectifs qui lui seront fixés. D'ailleurs, se détournant du chemin du Parlement, la réforme s'est privée de la possibilité d'étendre son champ. Une réforme plus ambitieuse de l'organisation judiciaire aurait sans doute permis de parer aux défauts majeurs de conceptions du projet initial.

Deuxièmement, des amendements peuvent être apportés à la nouvelle carte judiciaire, pour remédier à des dysfonctionnements avérés. Les solutions que nous préconisons correspondent d'ailleurs aux principales mesures d'accompagnement parfois annoncées pour équilibrer une suppression difficile, mais qui, comme on l'a vu, n'ont pas été suffisamment suivies d'effets. Il en est ainsi des audiences foraines, souvent promises, rarement tenues. La question de la réimplantation du tribunal peut se poser ou, sous une forme plus légère, celle de la création d'une chambre détachée.

Nous n'avons pas voulu donner d'indications précises sur ce point car nous n'avons pas visité tous les tribunaux et, surtout, nous ne voulons pas répéter les inconvénients que nous dénoncions d'une réforme imposée par le « haut ».

Nous posons la question de la carte des cours d'appel car ce sont les seules juridictions que la réforme n'a pas touchées. Or, de toutes les juridictions, les cours d'appel sont celles qui posent le moins la question de la proximité. En outre, elle présente des incongruités et des insuffisances : le ressort de certaines cours d'appel, comme celle de Paris, qui s'étend jusqu'à Auxerre, devrait être revu, et d'autres cours pourraient être créées, pour décharger certaines de leur contentieux. C'est pourquoi, il nous semble pertinent qu'une réflexion soit engagée sur cette réforme jusqu'à présent écartée.

Autre voie : une réflexion d'ensemble sur la proximité judiciaire dont le justiciable a besoin et sur l'organisation judiciaire qui en découle. Au cours des auditions, une piste de réflexion a paru recueillir un accord quasi-unanime : celle d'une simplification et d'une clarification de l'organisation des juridictions de première instance qui permette d'adapter la présence judiciaire aux besoins du justiciable et de garantir ainsi son accès à la justice. La solution qui paraît recevoir le plus de soutien est celle du tribunal de première instance, qui présenterait un triple avantage :

- elle permettrait d'adapter les réponses judiciaires aux besoins de la population et d'assurer une présence judiciaire effective ;

- elle garantirait la lisibilité pour le justiciable de l'organisation judiciaire, et simplifierait la saisine des juridictions, puisque toutes les demandes pourraient être formées auprès du greffe territorialement compétent le plus proche de l'intéressé ;

- enfin, opérant une mutualisation complète des effectifs au sein de la même juridiction, elle assurerait aux chefs de juridiction une plus grande facilité de gestion, pour adapter exactement les moyens disponibles aux flux contentieux.

Cependant, elle soulève aussi un certain nombre de questions :

- elle conduit tout d'abord à la disparition de la justice d'instance. Fortement attachée à l'autonomie et à la spécificité de cette justice de la proximité, l'association nationale des juges d'instance s'est, pour cette raison, prononcé contre ce dispositif ;

- elle ne résout pas le problème de la répartition des contentieux entre le service spécialisé de l'instance et celui des autres services du TPI. Quel sera le périmètre de ce contentieux de la proximité ? Inclura-t-il une part du contentieux de la famille, alors que celui-ci représente actuellement plus de la moitié du contentieux civil des TGI ?

- enfin, elle pose un problème vis-à-vis de la règle constitutionnelle de l'inamovibilité des magistrats du siège, puisqu'elle permettrait au chef de juridiction de décider discrétionnairement de l'affectation de tout magistrat au sein de son tribunal. Actuellement, un président de TGI ne peut décider d'affecter pour la totalité de son service un juge d'instance ailleurs que dans le tribunal d'instance où il a été nommé.

Ces objections sont sérieuses et appellent, selon nous, une réflexion complémentaire sur cette solution du tribunal de première instance.

En conclusion, la réforme de la carte judiciaire laisse le sentiment d'une occasion manquée.

Dès sa conception, elle a été fragilisée par la méthode retenue, sa précipitation et l'impression qu'elle a laissée que tout avait été décidé à l'avance. Par défaut de perspective, elle a été conduite à l'envers : la réflexion sur les implantations judiciaires a précédé celle sur les missions de la justice et l'organisation judiciaire. Promue pour garantir la qualité de la justice, la spécialisation des magistrats, et l'amélioration du fonctionnement des juridictions, elle n'a finalement que partiellement atteint ses objectifs. Le chantier de la carte judiciaire reste ouvert mais il faut une stabilité et porter remède à quelques endroits qui méritent une attention.

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