Quelles actions convient-il de mener ? La première, selon nous, est de réduire l'interaction entre le débat démocratique et les notations. L'Agence France Trésor souligne « la faible valeur ajoutée des commentaires de Standard and Poor's ». Les facteurs institutionnels, fondamentalement politiques, représentent un tiers de la note. L'analyse est beaucoup plus subjective que celle des autres indicateurs financiers ou économiques. En ce sens, la notation des agences peut être relativisée. Relayée pourtant dans le débat politique, elle a un pouvoir perturbateur sur la vie des États. L'obligation juridique qu'ont les agences de motiver leurs décisions les conduit à émettre une opinion sur les politiques économiques et budgétaires des États, l'écart entre justification de la note et préconisations d'ordre politique étant ténu.
Au regard des interactions possibles entre les mouvements de notation de dettes souveraines et les échéances démocratiques des États, il est nécessaire que le calendrier de publication des notations soit fixé à l'avance par les agences, de façon transparente, de manière à éviter une communication « à chaud », au plus mauvais moment.
Notre deuxième série de préconisations porte sur la méthodologie. La question de la méthodologie a été longtemps éludée tant par les législateurs que par les superviseurs. Elle n'a finalement été posée que très récemment
Les publications des trois principales agences de notation sont devenues abondantes. L'objectif de la Commission européenne d'explications claires et compréhensibles est néanmoins loin d'être acquis. Pour 58 % des investisseurs, la transparence des méthodes est un critère qui qualifie mal les agences de notation. Les documents publiés sont jugés trop complexes pour être exploitables par une majorité, près de 56 %, d'entre eux.
Le sens de l'histoire va vers un label de l'Autorité européenne des marchés financiers sur les méthodes des agences, discutées dans le cadre d'un forum. 400 modèles d'évaluation interne des risques développés par les banques ont été validés par les autorités bancaires nationales et européennes. On voit mal comment l'évaluation externe du risque effectué par les agences pourrait durablement échapper à une exigence de contrôle des méthodes.
La gestion des ressources humaines reste une zone d'ombre faute de contrôle suffisant, au moment de l'enregistrement des agences, par l'Autorité européenne des marchés financiers. Ce fut un coup pour rien. L'examen du nombre de dossiers par analyste, des qualifications, de la formation continue, de l'ancienneté des analystes n'a pas constitué une priorité au moment de l'enregistrement de Standard and Poor's, Moody's et Fitch en Europe.
Les données confidentielles produites par les agences ne permettent pas de mesurer de manière satisfaisante la charge de travail des analystes, faute de définition de ce qui constitue un « dossier d'enregistrement ». Il faut une définition rigoureuse, harmonisée et contrôlée par l'Autorité européenne des marchés financiers.
La politique de formation continue des agences est à leur entière discrétion, sans garantie réelle. Chez Fitch, selon un document de 2009, seulement 14 % des analystes disposaient de la certification externe de « Chartered Financial Analyst ». Une certification professionnelle assurée par un organisme indépendant et reconnu par les autorités européennes devrait être prévue par le règlement européen.
62 % des analystes affectés à la notation des entreprises avaient moins de cinq années d'ancienneté en 2009-2010. Ce chiffre s'élève à 71 % pour Fitch. Pour la dette souveraine, 78 % des analystes de Moody's avaient moins de cinq ans d'ancienneté, dont 30 % moins de deux ans d'ancienneté. En ce qui concerne la notation des produits structurés, le pourcentage d'analystes ayant moins de cinq ans d'ancienneté s'élève à 70 % en moyenne. Au sein de Fitch, 81 % des analystes de produits structurés ont moins de cinq années d'ancienneté.
Nous estimons également qu'il faut assainir la relation entre émetteurs et agences de notation : entreprises et collectivités sont aujourd'hui en situation de faiblesse par rapport à la position dominante des agences.
Les entreprises françaises dénoncent des distorsions de notation par rapport à leurs concurrentes, notamment américaines, avec un biais favorable, en particulier, aux normes comptables US GAAP. EADS a dû faire appel à un conseil en notation pour rétablir sa note injustement fixée à BBB+ alors que Boeing bénéficiait d'un A +.
Début 2012, douze des plus grandes entreprises allemandes ont adressé un courrier à Standard and Poor's soulignant un doublement des tarifs par rapport aux années précédentes. Pour assainir la relation entre émetteurs et agences, il faut une transparence des frais payés et autoriser un « droit de réponse » des émetteurs sur leur note.
Les conflits d'intérêts liés à la collusion entre banques et agences en matière de produits structurés sont désormais mieux surveillés. C'est cependant le modèle lui-même qu'il faut changer. On doit passer dans ce domaine à un modèle investisseur-payeur.
Nous considérons qu'une plus grande responsabilité civile serait de nature à accroître la qualité des notations. Les procès en responsabilité intentés aux agences de notation - une dizaine recensée à l'heure actuelle - n'ont, au moins pour l'instant, pas abouti à des condamnations substantielles. Dans l'affaire Parmalat, Standard and Poor's a été condamné à rembourser ses honoraires, soit seulement 784 000 euros.
Pendant ce temps, Moody's impose aux émetteurs français de recourir à des contrats de droit anglais dans une tentative de « délocalisation par le droit », ce qui constitue une incitation à une harmonisation européenne dans ce domaine. Quand un investisseur présente des éléments laissant présumer qu'une agence a commis une faute, il doit revenir à l'agence d'apporter la preuve contraire. Comme celui des clauses exonératoires, le principe des clauses limitant le montant des dommages et intérêts doit être interdit.
Ceci suppose que les agences de notation puissent faire face à d'éventuels contentieux. Un capital règlementaire minimal devrait être fixé par les autorités européennes, avec la souscription d'une assurance « responsabilité civile professionnelle » obligatoire.
La responsabilité civile n'exclut pas la responsabilité administrative, c'est-à-dire une procédure d'enregistrement et un contrôle sous la responsabilité de l'Autorité européenne des marchés financiers.
Par rapport au vide constaté jusqu'en 2011, l'enregistrement est un progrès. Des améliorations ont pu être demandées aux trois grandes agences. Mais l'autorité européenne s'est montrée peu exigeante. Elle a enregistré pas moins de dix-sept agences, dont une agence bulgare qui fait peu d'ombre à Standard and Poor's ! De petites structures, dont la crédibilité est faible, voire inexistante, ont été autorisées à proposer leurs services. Cependant, la Banque centrale européenne, par exemple, refuse d'y recourir pour évaluer les actifs que les banques de la zone euro lui apportent en garantie.
L'Autorité européenne devra user de ses pouvoirs de contrôle mais les procédures restent lentes - dans le cas de l'erreur de Standard and Poor's vis-à-vis de la France, une éventuelle sanction n'interviendra pas avant un délai de près de deux ans - et les sanctions faiblement dissuasives