Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 juillet 2012 : 1ère réunion
Certification des comptes 2011 de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Le 26 juin dernier, la Cour des comptes a adopté son rapport sur la certification des comptes 2011 du régime général de la sécurité sociale. Comme le prévoit la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ce rapport vous a été remis avant la fin du mois de juin.

Avant de vous présenter les positions de la Cour, vous me permettrez quelques remarques sur le sens de cet exercice de certification. La certification est une opinion écrite et motivée, que formule par expression de son jugement professionnel, un organisme indépendant sur les comptes d'une entité. L'expression de cette opinion est l'aboutissement d'une démarche d'audit visant à obtenir une assurance raisonnable - par nature, cette assurance ne peut avoir un caractère absolu - que les comptes sont réguliers et sincères et qu'ils donnent une image fidèle du résultat, du patrimoine et de la situation financière.

Par ses travaux de certification, la Cour atteste ainsi de la fiabilité, de la sincérité et de la conformité aux règles et principes comptables des états financiers et par là-même notamment de l'exactitude du déficit du régime général et de chacune des branches qui le composent. Cet exercice constitue un levier majeur pour sensibiliser les branches du régime général et leurs autorités de tutelle à la nécessité d'améliorer la fiabilité des comptes, en les amenant à renforcer la maîtrise des risques de portée financière qui affectent les opérations comptabilisées et à appliquer exactement les principes et les règles comptables.

Une maîtrise accrue des risques de portée financière est nécessaire afin de sécuriser les recettes et les dépenses du principal régime de sécurité sociale, en contribuant ainsi à l'effort de redressement des finances sociales engagé par les pouvoirs publics et d'améliorer le service rendu aux assurés sociaux.

Les comptes des autres régimes de sécurité sociale sont quant à eux audités par des commissaires aux comptes. Dans l'élaboration de ses positions, la Cour prend en compte les opinions des commissaires aux comptes des régimes qui gèrent des opérations pour le compte du régime général. Parallèlement, les commissaires aux comptes sont naturellement attentifs pour l'expression de leur propre opinion aux travaux de la Cour.

A cet égard, les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, complétées par un décret et un arrêté du 21 juin 2011, ont permis de fixer le cadre général des communications d'éléments d'information et d'analyse entre la Cour et les commissaires aux comptes de régimes de sécurité sociale et, aussi, d'organismes tiers. Ces dispositions ont d'ores et déjà joué lors de cette campagne de certification vis-à-vis des commissaires aux comptes de l'Unedic et de l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (AGS). En effet, dans le cadre du transfert aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), au 1er janvier 2011, du recouvrement des contributions d'assurance chômage et des cotisations d'assurance des créances des salariés, des éléments d'appréciation nécessaires à l'exercice de leur mission de certification leur ont été transmis par la Cour.

Le régime général de sécurité sociale réalise chaque année des centaines de millions d'opérations, pour environ 343 milliards d'euros de produits et 360 milliards d'euros de charges. Compte tenu du recouvrement par les Urssaf de cotisations et de contributions sociales pour le compte de tiers au régime général et d'opérations retracées uniquement au bilan des organismes du régime général, le périmètre d'audit de la Cour est encore plus large : il recouvre 460 milliards d'euros de produits et 390 milliards d'euros de charges, soit respectivement 23 % et 19,6 % de la richesse nationale.

Avec de tels volumes, la certification n'est pas seulement une affaire de vérification de la justification de postes comptables par l'existence de pièces. La certification consiste aussi à apprécier si les systèmes d'information et les dispositifs de contrôle interne, de par leur conception et leur mise en oeuvre, permettent ou non de maîtriser les risques d'anomalies ayant une incidence sur les comptes.

Les procédures et instruments du contrôle interne des caisses de sécurité sociale sont donc systématiquement analysés et évalués à l'aune de leur capacité à couvrir les zones de risques identifiées par la Cour. Progressivement, en raison des travaux d'audit qu'elle a conduits depuis désormais six ans, les organismes de sécurité sociale ont pris conscience de la nécessité de mieux maîtriser les risques financiers liés à leur activité et d'améliorer la qualité de leurs comptes. La Cour, qui mesure la lourdeur des chantiers engagés, souvent liés à la refonte des systèmes d'information, accompagne ces efforts en suivant, chaque année, les résultats des actions entreprises en vue de sécuriser les processus de gestion et les comptes des institutions chargées de collecter les ressources, de verser les prestations et de gérer les intérêts financiers de la sécurité sociale.

Ce faisant, les constats de la Cour apportent une contribution déterminante à la maîtrise des finances sociales et à la qualité de service rendu aux assurés et aux cotisants : payer à bon escient les prestations sociales, mettre en recouvrement les cotisations et contributions sociales auprès de leurs redevables et en répartir correctement les produits et encaissements entre leurs attributaires. Dans son office de certificateur, la Cour se situe ainsi dans une démarche d'accompagnement des 341 organismes du régime général et de leurs têtes de réseau.

Elle a constaté des progrès souvent notables dans plusieurs domaines. Pour prendre un exemple concret, c'est en raison des constats de la Cour dans le cadre de sa mission de certification que la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) a renforcé ses contrôles sur les opérations gérées par les mutuelles pour le compte du régime général. Autre exemple marquant, la Cnamts, la Cnaf et la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnavts) ont mis en place des dispositifs de suivi de la fréquence et de l'incidence financière des erreurs relatives à l'attribution et au calcul des prestations. En effet, maîtriser le risque d'erreurs dans les comptes, n'est pas uniquement, voire principalement, l'affaire des agents comptables mais aussi celle des directeurs d'organismes de sécurité sociale et des services qui liquident les prestations.

Cependant, tout en prenant acte de l'importance des réorganisations en cours au sein des différents réseaux - à titre d'exemple, les caisses d'allocations familiales ont été regroupées en 2011 et sont passées de 123 à 102 - ce qui a concentré très fortement les efforts des équipes de direction, la Cour a observé en 2011 un ralentissement de la démarche continue et progressive d'amélioration de la qualité des comptes du régime général. L'évolution de certaines de ses positions reflète ce constat.

J'en viens maintenant en effet aux neuf opinions de la Cour, relatives aux comptes des cinq branches - maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, retraite, recouvrement - et des quatre caisses nationales auditées - Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), Cnaf, Cnamts et Cnavts.

L'exercice 2011 constituait le dernier exercice du second cycle triennal de certification 2009-2011. A ce titre, la Cour a couvert plus en profondeur un périmètre lui-même plus étendu de points d'audit intéressant le contrôle interne et les comptes. L'intensification des travaux de la Cour, conjuguée au ralentissement de la démarche d'amélioration de certains organismes, a entraîné une augmentation du nombre de réserves ou d'éléments motivant un refus de certification en 2011 - 42 contre 39 en 2010.

De fait, la Cour a fait évoluer sa position sur l'un des ensembles d'états financiers qu'elle audite. En effet, elle a refusé de certifier les états financiers de la branche famille et de la Cnaf, qui avaient fait l'objet d'une certification avec réserves sur l'exercice 2010. Par ailleurs, comme en 2010, la Cour a refusé de certifier les comptes de la branche des accidents du travail - maladies professionnelles. Elle certifie avec réserves les états financiers de l'activité de recouvrement et de l'Acoss, ceux de la branche maladie et de la Cnamts et ceux de la branche vieillesse et de la Cnavts.

J'évoquerai d'abord les deux branches dont les comptes ont fait l'objet d'un refus de certification : la branche famille et la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

La Cour avait certifié avec des réserves les comptes de la branche famille pour l'exercice 2010. L'augmentation du montant des erreurs de portée financière qui affectent les prestations versées et comptabilisées par la branche a conduit la Cour à estimer ne pas être en mesure de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf pour l'exercice 2011.

En effet, selon les mesures disponibles établies par la Cnaf à partir de contrôles portant sur des échantillons de prestations, le montant agrégé des erreurs de portée financière est estimé à 1,6 milliard d'euros en 2011, contre 1,2 milliard d'euros en 2010. Les erreurs recouvrent principalement des trop-perçus par les allocataires et concernent notamment le revenu de solidarité active (RSA) et les aides au logement.

L'augmentation du montant des erreurs de portée financière souligne l'inadaptation du dispositif de contrôle interne de la branche, caractérisé notamment par des insuffisances de conception et des faiblesses du pilotage par la Cnaf. En particulier, la Cnaf ne fixe pas aux organismes de son réseau des objectifs de montants d'erreurs à ne pas dépasser, mais des objectifs de nombre de contrôles à réaliser. En outre, les Caf bénéficient d'une autonomie excessive dans la réalisation effective des contrôles prescrits par la Cnaf. La Cour a également relevé des faiblesses dans le domaine des systèmes d'information : incomplétude des tests en environnement de production préalablement au déploiement de nouvelles versions applicatives et insuffisances du dispositif de suivi des incidents informatiques.

Au titre des autres constats de la Cour sur cette branche, je soulignerai l'imputation directe aux capitaux propres de provisions pour risques et charges relatives aux subventions d'investissement en action sociale, alors qu'en application des règles comptables en vigueur, les charges relatives à ces provisions - 540 millions d'euros au total - auraient dû être comptabilisées dans le résultat de l'exercice - arrêté à - 2,6 milliards d'euros pour 2011. Par ailleurs, les estimations comptables relatives aux provisions pour dépréciation de créances et aux charges à payer de prestations manquent de fiabilité. Enfin, les annexes aux comptes combinés de la branche famille et aux comptes annuels de la Cnaf comportent des erreurs, des omissions et des imprécisions.

J'en viens maintenant aux comptes combinés de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). En 2010, la Cour avait refusé de certifier les comptes de la branche en raison principalement des insuffisances cumulatives du contrôle interne relatif aux cotisations dans la branche AT-MP et dans l'activité de recouvrement. Au titre de 2011, la Cour dispose donc toujours d'une assurance insuffisante sur l'exhaustivité et l'exactitude des cotisations sociales, autrement dit de la quasi-totalité des produits de la branche, dans la mesure où les effets des plans d'action engagés par la Cnamts et par l'Acoss en 2011 sont attendus en 2012.

En outre, et c'est d'ailleurs un motif de refus de certification encore plus important, la Cour a relevé un défaut de provisionnement des conséquences financières très lourdes sur les produits de cotisations des contestations engagées par les employeurs de salariés qui sont pendants à la clôture de l'exercice.

Ces contentieux portent sur l'origine professionnelle de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle ou le taux de l'incapacité permanente. Ils visent des motifs de fond ou de procédure. En cas de succès pour le requérant, les taux de cotisation sont diminués de manière rétroactive. Il s'ensuit des remboursements de cotisations auparavant réglées par les employeurs. En application des principes comptables généraux, ces remboursements, qui portent sur plusieurs centaines de millions d'euros, auraient dû être provisionnés.

La Cour a par ailleurs relevé des faiblesses du contrôle interne en matière d'indemnités journalières et de prestations en nature et un manque de fiabilité des provisions pour dépréciation de créances sur les recours contre tiers et les prestations.

J'évoquerai maintenant les branches et caisses nationales dont les états financiers avaient été certifiés, avec des réserves, l'an dernier et pour lesquelles la Cour a reconduit une opinion de certification avec réserves.

Cette branche a connu en 2011 un fait marquant d'envergure : la généralisation du transfert du recouvrement des contributions d'assurance chômage et des cotisations d'assurance des créances des salariés en application de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi. Les Urssaf ont ainsi mis en recouvrement 26,1 milliards d'euros de contributions d'assurance chômage et 1,3 milliard d'euros de cotisations d'assurance des créances des salariés. Au terme des diligences qu'elle a effectuées, la Cour estime disposer d'une assurance raisonnable sur la maîtrise de cette opération de transfert et l'exactitude des produits et des encaissements attribués à l'Unedic et à l'AGS au regard des opérations traitées par les Urssaf.

L'audit des comptes 2011 a fait apparaître certains progrès, notamment le déploiement d'une cartographie des risques dans les organismes les plus importants du réseau et des consignes données aux Urssaf sur le paramétrage de contrôles automatisés.

En outre, des composantes de réserves exprimées sur les comptes 2010 ont pu être levées.

Des difficultés importantes subsistent toutefois :

- des faiblesses du contrôle interne relatif à plusieurs processus de gestion des cotisations et contributions sociales auto-liquidées par les employeurs de salariés ou par d'autres cotisants - cas de la contribution sociale généralisée (CSG) précomptée sur les revenus de remplacement ;

- des insuffisances toujours marquées de la maîtrise des risques ayant une incidence sur les comptes pour deux catégories de flux minoritaires dans l'ensemble des états financiers de l'activité de recouvrement : les cotisations d'accidents du travail - maladies professionnelles - AT-MP - et les cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants, tout particulièrement ceux relevant du dispositif de l'interlocuteur social unique (Isu) partagé avec le régime social des indépendants (RSI) ;

- des problèmes comptables : une méthodologie inadaptée d'évaluation des provisions pour dépréciation de créances sur les cotisants ; un traitement comptable des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants et des impôts et taxes recouvrés par l'Etat qui continue à relever d'une logique de caisse et n'est donc pas conforme au principe législatif de la tenue des comptes des organismes de sécurité sociale en droits constatés.

La Cour a pu lever sa réserve relative à la conformité des règlements aux établissements hospitaliers aux activités de soins déclarées par ces derniers.

En revanche, la Cour a relevé la présence d'erreurs ayant une portée financière significative dans les charges de prestations en nature - exécutées en ville et en établissement - et d'indemnités journalières. En raison d'un encadrement insuffisant des contrôles sur des échantillons de prestations qui servent à les déterminer, les mesures de l'incidence financière des erreurs qu'établit la Cnamts manquent de fiabilité et les montants d'erreurs de liquidation qu'elles permettent d'évaluer - 300 millions d'euros pour les prestations en nature et 80 millions d'euros pour les indemnités journalières - sont sous-évalués.

S'agissant des prestations en nature, le rapprochement globalement limité des paiements avec les pièces justificatives - feuilles de soins, ordonnances et accords préalables - prive une part importante des enregistrements comptables d'une justification appropriée. En outre, les caisses d'assurance maladie ne disposent d'aucun outil permettant de prévenir le remboursement de dépenses de santé pour lesquelles l'accord préalable a été refusé ou a été soumis à certaines conditions.

Par ailleurs, les dispositifs de contrôle interne d'une partie des mutuelles gérant des prestations maladie relevant de la couverture de base, par délégation du régime général, demeurent perfectibles.

Enfin, la Cour a constaté un manque de fiabilité des provisions pour dépréciation de créances sur les recours contre tiers, les prestations et les participations et franchises restant à la charge des assurés sociaux.

Comme pour l'exercice 2010, la Cour certifie avec réserves les comptes de la branche vieillesse.

Dans le cadre de ses travaux, la Cour a cependant constaté que la Cnavts évoluait trop lentement au regard de constats qu'elle a, pour la plupart d'entre eux, établis de longue date. Ainsi, les données de carrière prises en compte dans le calcul des pensions, notamment celles adressées par des organismes sociaux - périodes assimilées à des périodes d'assurance vieillesse et assurance vieillesse des parents au foyer - comportent toujours des erreurs et des incertitudes. Une partie des pensions de retraite attribuées ne font pas l'objet d'une révision, généralement au détriment des assurés, alors qu'elles le devraient.

La Cour a par ailleurs constaté que des erreurs, en faveur ou en défaveur des assurés, continuaient à affecter, dans une mesure significative, les pensions de retraite liquidées, mises en paiement et comptabilisées.

La France est l'un des rares Etats de la zone euro qui se soit engagé depuis 2006 dans une démarche de certification des comptes de ses administrations publiques. Cette démarche inclut les comptes des administrations de sécurité sociale, lesquels sont établis selon des principes voisins, voire souvent identiques, à ceux applicables aux entreprises. Le fait que la Cour, auditeur externe indépendant, puisse s'assurer de la régularité, de la sincérité et de l'image fidèle donnée par les comptes du principal régime de sécurité sociale constitue un atout pour les finances publiques de la France, tout particulièrement dans la situation économique et financière actuelle.

En auditant, au fil des ans, les comptes du régime général de sécurité sociale, la Cour a conscience, à une époque où la confiance de nos concitoyens et des acteurs financiers est plus que jamais essentielle, de sa responsabilité de certificateur.

Dans le cadre de la campagne de certification des comptes de l'exercice 2012, la Cour portera ainsi un regard attentif à la concrétisation des engagements pris par les organismes nationaux du régime général et leurs autorités de tutelle, afin de renforcer la maîtrise des risques financiers qui affectent les opérations comptabilisées et d'assurer la transparence des comptes par une application conforme des normes comptables.

Compte tenu de la nature des constats, il est manifeste en effet qu'elle ne pourra certifier sans réserve à une échéance raisonnable les comptes des branches du régime général que si les dirigeants des organismes nationaux et leurs autorités de tutelle mettent en place ou accélèrent les plans d'action nécessaires à la réalisation de cet objectif partagé.

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