Parallèlement à ces difficultés liées aux cotisations et aux transferts, la branche a, contrairement à sa vocation assurantielle, accumulé depuis 2009 un niveau de dette sans précédent.
La dégradation subite de la conjoncture économique en 2009 et 2010 a exacerbé une tendance lourde d'accumulation des déficits de la branche sur les dix dernières années. En 2009, pour la première fois depuis 1945, la masse salariale s'est contractée de 1,2 %, amenant un effondrement des cotisations. En 2010, malgré une augmentation de la masse salariale de 1,9 %, les effets combinés de l'augmentation des dépenses de la branche et du solde de l'année précédente ont conduit à un déficit encore supérieur. Cette situation est conforme à celle des autres branches dont les ressources sont assises sur la masse salariale. Cependant, contrairement aux autres risques couverts par la sécurité sociale, aucune décision n'a à ce jour été prise afin de résorber la dette cumulée, dont l'évaluation même reste, à notre surprise, quelque peu difficile.
La logique assurantielle de la branche AT-MP suppose que les cotisations des entreprises soient ajustées à ses dépenses. Ce mécanisme a bien joué sur les quarante dernières années, puisque la baisse du nombre d'accidents du travail a permis la constitution d'excédents et la réduction du taux de cotisation de près de deux points entre 1970 et 2005.
Cependant, ainsi que l'indique le rapport de gestion de la branche, la succession des déficits depuis 2002 (à l'exception de 2008) a conduit à une érosion continue des fonds propres. Depuis 2007, la branche connaît un besoin de financement qui n'a cessé de croître.
Face à cette situation, le montant des cotisations AT-MP a augmenté de 0,1 point en 2011 pour s'établir en moyenne à 2,385 % de la masse salariale. Cette augmentation était jugée nécessaire pour permettre à la branche de faire face à son niveau de dépenses annuel, dans une perspective de retour à l'équilibre qui s'est avérée trop optimiste. Elle a été justifiée notamment par le transfert nouveau imposé à la branche en faveur de la Cnav au titre des départs anticipés à la retraite liés à la pénibilité. Ainsi, le taux de cotisation actuel est à peine suffisant pour faire face aux dépenses courantes de la branche et ne peut permettre de réduire le déficit cumulé depuis 2007.
On ne peut que regretter que la question de la dette de la branche ait été occultée par les modalités du vote de son budget dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le solde cumulé de la branche apparaît dans les documents transmis au Parlement par la commission des comptes de la sécurité sociale, par la branche, ainsi que dans l'annexe 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il ne fait cependant l'objet d'aucun débat, ni d'aucun vote au cours de l'examen par le Parlement.
Le choix d'un vote sur le seul solde budgétaire de l'année à venir peut donc être source d'un décalage entre la situation telle qu'elle est perçue par la représentation nationale et la situation réelle de la branche. Le vote du budget de la sécurité sociale apparaît sur ce point moins transparent que celui des budgets des collectivités locales. Nous souhaitons donc qu'un débat sur la dette et son financement soit organisé chaque année.
Le montant cumulé des déficits de la branche s'élève au 31 décembre 2011 à 1,7 milliard d'euros dans les comptes tels que présentés par la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS). Lors de son audition par vos rapporteurs, l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a pour sa part indiqué que le besoin de financement de la branche à la même date est de 2,2 milliards.
La différence de 500 millions d'euros entre les deux sources est due, d'après les informations dont disposent vos rapporteurs, aux provisions et produits comptabilisés d'avance, qui sont imputés sur le compte de la branche à l'Acoss. L'écart entre le solde constaté par la commission des comptes de la sécurité sociale depuis 2002 et le solde comptable de l'Acoss a connu des variations importantes allant jusqu'à plus d'1 milliard d'euros en 2008. Il tend depuis cette date à se réduire, mais l'importance des sommes en cause a conduit vos rapporteurs à demander à l'Acoss une analyse détaillée des différences entre le solde tel qu'il résulte des votes annuels du Parlement et le besoin de financement constaté par l'Agence.
Une fois établi le besoin de financement réel de la branche, la question demeure posée des moyens de la résorber, l'Acoss n'ayant pas vocation à assumer durablement cette charge. Les taux d'intérêt particulièrement bas dont elle bénéficie se traduisent néanmoins par des coûts financiers annuels de l'ordre de 19 millions d'euros pour couvrir les besoins de la branche. En toute logique, ceux-ci devraient d'ailleurs être imputés à la branche elle-même.
Sans vouloir trancher à ce stade une question qui relève de la négociation entre partenaires sociaux et des choix du Gouvernement, vos rapporteurs souhaitent présenter les scénarios possibles pour la prise en charge rapide de la dette et rappeler que la solution retenue ne doit pas conduire à une dénaturation de la branche.
Trois modalités de prise en charge de la dette de la branche sont envisageables. Chacune présente des avantages et des inconvénients. Nous avons délibérément écarté une quatrième solution qui serait le maintien du statu quo. La charge du financement de la dette de la branche par l'Acoss est d'environ 19 millions d'euros par an. Cette somme vient alourdir le déficit et il paraît impossible de le laisser s'aggraver indéfiniment.
La première possibilité est celle envisagée par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, le transfert de la dette à la Cades.
Ceci aboutirait à socialiser la dette de la branche puisque la Cades devrait financer la dette par une recette nouvelle. Ainsi, ce serait l'ensemble de la population qui serait appelé à supporter les coûts incombant aux entreprises. Cette situation ne serait pas conforme aux principes fondateurs de la branche et le Sénat s'y est opposé avec succès en 2011.
L'opportunité d'un nouveau transfert de dette à la Cades pour la seule branche AT-MP serait par ailleurs discutable en elle même.
La solution la plus conforme à la logique assurantielle de la branche est l'augmentation des cotisations payées par les entreprises. Une augmentation moyenne de 0,4 point permettrait de résorber en une année la dette cumulée. Ceci suppose que l'activité des entreprises ne connaisse pas de déformation importante et que le poids financier du contentieux s'allège.
Ceci constituerait un choc financier important pour les entreprises, même à supposer que les cotisations AT-MP soient baissées de 0,4 point l'année suivante. Les effets réels d'une augmentation soudaine et limitée dans le temps des cotisations sur les acteurs ne peuvent être pleinement anticipés et il est à craindre que certains ne cherchent à profiter d'éventuels effets d'aubaine.
Une augmentation progressive du montant des cotisations suivie de leur baisse une fois la dette apurée pourrait paraître plus envisageable.
Une solution médiane entre financement par les entreprises et socialisation pourrait également être imaginée. Lors de son audition par vos rapporteurs, l'Acoss a indiqué qu'il est possible de distinguer dans les déficits de 2009 et 2010, qui constituent l'essentiel du montant de la dette, une part conjoncturelle et une part structurelle.
La part structurelle est celle liée aux dépenses de la branche et il est logique qu'elle soit financée selon les règles établies en 1945.
La part conjoncturelle résulte de la brusque dégradation de la conjoncture économique dont les entreprises ne sont pas responsables. Un financement par d'autres prélèvements sociaux pourrait donc être envisagé. Il s'agirait donc d'un transfert partiel de la dette de la branche à la Cades.
Les entreprises devraient donc faire face à une augmentation de leurs cotisations mais celle-ci serait plus modérée. Les Français dans leur ensemble supporteraient pour leur part les conséquences de l'effondrement de la masse salariale en 2009.
Cette solution a le mérite de prendre en compte les réalités économiques passées et la situation actuelle des entreprises qui font face à des charges financières importantes. Elle pose néanmoins un problème de principe identique à celui du transfert total de la dette à la Cades. Il s'agit en effet d'une rupture avec la logique assurantielle. Les améliorations de la conjoncture économique ne sont pas plus imputables aux entreprises que les crises et elles ne donnent pas lieu à une contribution de la branche à la Cades. Par ailleurs faire appel à une part de socialisation de la dette pourrait être s'engager dans un système complexe et durable car il aurait vocation à durer tant que durera la crise économique.
Quelle que soit la solution retenue pour financer la dette, il importe que deux principes soient respectés sous peine de dénaturer la branche et de mettre en cause sa pérennité.
Lors de nos auditions, nous avons pu constater que la volonté de mettre en place des mesures de prévention efficaces et une indemnisation juste des victimes anime tous les membres de la CAT-MP. Elle est de ce fait l'un des lieux privilégiés du dialogue social dans notre pays. Toucher à l'équilibre du système mis en place en 1898 et en 1945, c'est risquer de remettre en cause ce dialogue social, ce qui se ferait nécessairement au détriment des entreprises et des salariés.
L'idée ancienne mais périodiquement renouvelée de remplacer le financement de la branche par les entreprises par un financement reposant en partie sur la solidarité nationale afin de garantir aux victimes une indemnisation intégrale de leurs préjudices doit donc être considérée avec prudence.
Les conclusions de la commission présidée par Rolande Ruellan sur l'indemnisation des victimes auront donc une importance particulière pour l'avenir de la branche.
En dehors de la période actuelle d'accumulation de dette, le système de financement de la branche AT-MP apparaît comme relativement dynamique. Nous estimons largement infondées les critiques adressées au principe des transferts actuellement à la charge de la branche, mais nous partageons néanmoins l'inquiétude exprimée par plusieurs partenaires sociaux. En effet, les besoins de financement de l'assurance maladie et de la branche vieillesse ne doivent pas devenir en eux-mêmes des causes de transfert de charges vers la branche AT-MP. Celle-ci a vocation à rester responsable des seuls dommages subis par les victimes du travail relevant du régime général de sécurité sociale.
J'ajoute que le choix fait il y a deux ans de cesser d'imputer aux entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante un part supérieure de participation aux fonds est particulièrement regrettable. Des considérations économiques ont primé sur les exigences de justice en la matière.