Intervention de Vincent Peillon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Vincent Peillon ministre de l'éducation nationale et de Mme George Pau-langevin ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale chargée de la réussite éducative

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

Comme vous le savez, l'éducation nationale est une priorité du Président de la République et du Gouvernement tant sur le plan budgétaire que sur le plan politique, au sens le plus noble du terme. L'analyse du Président de la République, que nous avons défendue durant les récentes campagnes électorales, part du constat du pessimisme de nos concitoyens quant à notre devenir collectif ; la France souffrirait davantage que d'autres pays européens d'une crise de l'avenir. Cela explique l'acuité des interrogations sur l'identité nationale française depuis le début du XXIe siècle, certains ayant été amenés à ne définir cette identité que dans le rapport à l'étranger, voire à l'immigration, rompant avec la tradition selon laquelle dans l'ensemble, depuis la Révolution française, notre identité est républicaine. De Condorcet au Conseil national de la résistance, cette identité nationale s'est en effet construite par l'école de la République autour des valeurs du libre examen, du jugement, de la connaissance et du savoir de l'école gratuite, obligatoire et laïque, qui rassemblent les Français, ce qui avait été malheureusement quelque peu perdu de vue.

La crise de l'avenir et celle de l'identité républicaine se croisent et renvoient toutes deux à la question de l'école, à la fois ciment national et porteuse de la France de demain. C'est ce qui a justifié que la jeunesse, l'école, l'éducation et l'instruction figurent, au-delà de la seule question de moyens, au coeur des priorités du Président de la République et du Gouvernement.

Notre action est destinée à rassembler les Français et les nombreux acteurs du monde éducatif. Nous sommes actuellement en période de concertation, en vue de l'élaboration d'un projet de loi d'orientation et de programmation appelé à être déposé à l'automne. Puis à plus long terme, il faudra s'assurer que la loi est bien appliquée, ce qui n'est hélas pas toujours le cas.

Notre analyse des difficultés du système éducatif est finalement assez simple, même si le terme de système est sans doute assez inapproprié pour qualifier notre école. Ce diagnostic, partagé par des personnalités très diverses, accorde la priorité à l'école primaire, réaffirmée par le Président de la République. Les classements nationaux et internationaux soulignent que nombre d'élèves entrant au collège rencontrent de grandes difficultés : les estimations vont de 15 % - c'est déjà beaucoup trop - à 40 %. Les processus de réparation étant coûteux, inefficaces et souvent discriminants pour ces élèves, il est évidemment préférable que les premiers apprentissages s'effectuent dans les meilleures conditions possibles, ce qui justifie qu'un accent particulier soit mis sur l'enseignement primaire.

Le taux d'encadrement des écoles élémentaires dans notre pays est le plus bas de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Si ce retard doit être rattrapé avec les moyens nécessaires, il ne pourra l'être véritablement qu'en satisfaisant une double ambition. Il s'agit à la fois d'une ambition pédagogique - exprimée par le principe : plus de maîtres que de classes - et d'une ambition de réforme en profondeur sur laquelle nous reviendrons dans les prochains mois. En substance, il s'agit de « primariser » un peu le système éducatif français, alors que notre souci de l'excellence conduit, dès la maternelle, à ne considérer chacun des niveaux que comme l'antichambre du suivant.

Le centre de l'action de ce ministère doit être la relation pédagogique si précieuse et si difficile entre le professeur et son élève. Nous avons l'ambition de mener une révolution copernicienne par rapport à un élitisme républicain qui a en réalité mené à la faillite des élites et à très peu de républicanisme. Aujourd'hui, nous ne contentons pas de reproduire les inégalités, nous les accroissons. Pour l'école maternelle, le Président de la République a insisté sur la nécessité de pouvoir davantage accueillir des enfants de moins de trois ans, après plusieurs années de régressions sur ce sujet. Je viens de faire publier un rapport de l'inspection générale sur ce sujet, et il y aura durant la concertation un groupe dédié à cette question. L'école maternelle est bel et bien un temps particulier, et non une simple école pré-primaire.

La priorité au primaire, qui se traduira dans les moyens alloués par la loi de programmation, recueille un consensus politique et aussi syndical puisque, pour la première fois encore, même les professeurs du secondaire reconnaissent la nécessité de mettre l'accent sur cette priorité.

Notre seconde orientation est évidente, à mon sens consensuelle mais complexe à mettre à oeuvre : il s'agit de la création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation. Notre pays jouit d'une grande tradition de formation des maîtres qui a contribué à façonner notre école. Elle a bénéficié de personnels d'une grande qualité - conseillers pédagogiques, maîtres formateurs dans les écoles normales - en particulier dans le primaire. Elle a de plus permis la promotion républicaine de classes entières de populations à qui était enseigné un métier difficile.

En effet, enseigner dans un CP est aussi difficile que dans la plus grande des universités, et il faut accorder à ceux à qui nous confions cette tâche tout l'accompagnement et le respect nécessaires. Pourtant, la formation des maîtres et des professeurs a été profondément abîmée ces dernières années, et se révèle aujourd'hui disparate en fonction des académies. Parfois, certains professeurs arrivent avec des services d'enseignement complets sans avoir jamais été stagiaires, ni même avoir reçu de formation initiale ou en alternance ! Il est terrible de constater que de ce fait, notre pays n'arrive plus à recruter ses enseignants.

Mais qu'il n'y ait pas de malentendu : nous ne considérons pas qu'il faille revenir à l'état ex ante et que les instituts universitaires de formations des maîtres (IUFM) tels qu'ils avaient été mis en place en 1990 étaient satisfaisants. Les écoles supérieures du professorat et de l'éducation que nous projetons de créer ont vocation à créer les écoles de demain, au travers du rétablissement de l'année de stage, des formations en alternance et de la valorisation de personnels compétents dans l'acte d'enseigner, parallèlement à leurs savoirs universitaires. Le tissu de maîtres formateurs pour l'école primaire est toujours présent, bien qu'il ait été abîmé ces dernières années. Nous devons le constituer pour le secondaire et, après des discussions avec les syndicats du supérieur, j'ai même souhaité que, pour figurer sur les listes d'aptitude, les professeurs d'université passent aussi par ces écoles afin d'y partager un moment commun avec les autres professeurs.

Dans le fond, le système reproduit partout les mêmes ignorances des uns envers les autres. Certains de ceux qui considèrent qu'ils ne sont là que pour chercher nourrissent un certain mépris envers ceux qui se destinent à enseigner en école maternelle ou primaire. De la même façon, ce ne sont pas toujours les meilleurs qui, par le passé, ont été choisis pour enseigner aux professeurs. Il nous faut donc mélanger les cultures pour que les uns et les autres apprennent à se connaître et à se respecter. Enseigner est un métier, que ce soit à l'école maternelle, primaire, dans le secondaire et même à l'université. Il y a eu un moment heureux de la République où l'on croisait des professeurs du Collège de France dans les conférences des institutrices et des instituteurs, et où les programmes étaient élaborés en commun, ce qui n'est plus le cas malheureusement.

En outre, les expériences étrangères, comme celle de la Finlande souvent citée, démontrent que la réussite est au rendez-vous non seulement lorsqu'il y a plus de maîtres que de classes, mais aussi lorsque les carrières d'enseignants se caractérisent par une diversité des parcours et la possibilité de se consacrer à des travaux de réflexion et de recherche sur leur propre métier. Nous allons être rapidement amenés à élaborer les maquettes de ces écoles supérieures du professorat et de l'éducation pour une ouverture dès 2013. La logique de division des deux ministères qui a prévalu sous la droite, et qui a conduit aux difficultés que nous connaissons, doit être surmontée malgré le maintien de cette division dans l'actuel Gouvernement. Pour éviter les tiraillements, notre ministère travaille ainsi très étroitement avec le ministère de l'enseignement supérieur. Bien sûr, remettre en place une formation initiale digne de ce nom pour l'ensemble des professeurs est extrêmement coûteux, surtout lorsqu'on prévoit d'en recruter davantage, puisque si nous renouvelons les départs à la retraite nous aurons 35 à 40 000 professeurs à former chaque année.

Notre préoccupation porte aussi sur la façon d'amener aujourd'hui des étudiants à exercer le métier d'enseignant. Outre la pénurie de candidats, nous assistons à des évolutions sociologiques inquiétantes du fait de la mastérisation qui conduit à recruter des professeurs qui ont dû payer leurs études pendant cinq années pleines, alors que la condition étudiante se paupérise terriblement et qu'il y a une corrélation étroite entre les étudiants obligés de travailler pour payer leurs études et l'échec. Ce recrutement fait que les nouveaux professeurs, ne ressemblant pas beaucoup à leurs élèves, sont vite découragés et ne permettent pas la poursuite de cette promesse républicaine qui avait permis à des gens de milieux modestes d'entrer dans cette vocation, de jouer un rôle dans la cité, et de se construire eux-mêmes des destins différents. C'est en effet un bon exemple pour les élèves quand l'enseignant vient des mêmes quartiers. Nous cherchons donc à instituer des pré-recrutements, notamment par ces fameux emplois d'avenir, dont l'éducation nationale souhaite obtenir un certain nombre - le chiffre de 30 000 ayant été affiché pendant la campagne - pour permettre à des étudiants à partir de L3 de se destiner à ce métier.

La troisième grande orientation, de nature moins législative, concerne les rythmes scolaires. Après les rapports parlementaires, la consultation organisée par mon prédécesseur, la position de scientifiques ou de l'académie de médecine, personne ne peut plus se satisfaire que l'école de France offre aux enfants 140 jours de classe par an. C'est une violence considérable faite aux nouvelles générations, car tous ceux qui enseignent savent qu'il faut du temps pour apprendre et assimiler. Plus on est d'un milieu modeste, plus c'est à l'école que l'on trouve les éléments de ce savoir. Cela était déjà admis depuis des années, mais on a fait le contraire. Il faut désormais opérer une reconquête du temps scolaire. Nous n'avons pas assez de journées de classe et celles-ci sont trop chargées. L'intérêt des élèves étant en cause, il faut que nous soyons capables de surmonter un certain nombre d'intérêts particuliers pour permettre cette réforme sur laquelle mon prédécesseur était arrivé à un quasi-consensus. Nous travaillerons sur cette question avec insistance, pour aboutir. Il ne saurait toutefois être question de se contenter d'un diktat du pouvoir central. Il nous faut au contraire travailler avec les communes, les départements, les territoires qui jouent un rôle essentiel, ainsi qu'avec les associations et les mouvements périscolaires.

Afin que les orphelins de 16 heures ne deviennent les orphelins de 15 heures, nous voulons en effet articuler différemment le temps scolaire et le temps éducatif. Nous avons eu l'occasion de rencontrer l'ensemble des associations d'élus et le Conseil supérieur des territoires, qui n'avait été réuni qu'une fois mais qui le sera régulièrement tout comme le Conseil supérieur de l'éducation. Car l'école n'appartient pas aux professionnels de l'éducation nationale, mais à la nation toute entière.

Une réforme de l'école doit donc impliquer toute la nation, même si elle ne se fera pas sans ou contre les professeurs. Elle ne se fera pas non plus sans ou contre les parents d'élèves, ni les collectivités locales, les associations, ou les acteurs du monde économique. C'est pour cela que j'ai veillé à ce que la concertation permette d'associer tout le monde, faute de quoi nous connaîtrons de nouveau des réformes sans lendemain ! Cette mise en mouvement se fera dans le respect de chacun, notamment de l'enseignement privé.

Indépendamment de ces trois orientations, se pose aussi la question de l'orientation. Le Président de la République s'est engagé à constituer un service public territorialisé de l'orientation ; les faiblesses de notre système sont connues : elles tiennent aux orientations négatives et aux difficultés à faire travailler ensemble les différents niveaux. Les collectivités locales seront également étroitement associées à notre action.

Nous croyons aussi au rôle de l'Internet. Les collectivités locales ont assumé en grande partie leurs responsabilités en équipant les établissements, mais nous n'avons n'a pas su mettre au point les usages pédagogiques de l'Internet, même si des organismes tels que le CNDP (Centre national de documentation pédagogique) et l'ONISEP (Office national d'information sur les enseignements et les professions) disposent de compétences en la matière. La e-éducation est une façon formidable de démocratiser l'excellence et de préparer une France moderne. Si nous avons réussi à républicaniser la France par les salles de classe, nous devons aujourd'hui opérer une reconquête républicaine des écrans, et l'école peut le faire. Il y a aussi beaucoup à faire pour que les données pédagogiques soient accessibles et mutualisées, mais le ministère de l'éducation nationale n'a toujours pas d'intranet ! C'est un sujet sur lequel nous devrons avancer à marche forcée.

J'ajoute, en remerciant Mme la sénatrice Cartron pour son rapport sur la carte scolaire, que nous aurons à repenser complètement l'enseignement prioritaire du fait notamment de la multiplication des sigles et des dispositifs et des effets pervers qu'ils produisent. Nous devrons aussi reparler de la carte scolaire, de la mixité scolaire et sociale.

D'autres sujets sont sur la table à propos desquels je vous inviterai à une concertation. Votre présidente et certains d'entre vous étaient déjà présents à la première réunion, et beaucoup de choses restent à faire d'ici fin octobre, le Sénat pouvant, dans le cadre de ses prérogatives, se saisir d'un certain nombre de ces questions d'ici là.

Il y a aussi cette question du métier d'enseignant, abordée dans votre commission en particulier par Mme la sénatrice Gonthier-Maurin, qui est l'une de nos préoccupations pour l'avenir. A ce propos, le statut ou les horaires d'enseignement ne me semblent pas être une bonne entrée au vu des problèmes que nous avons déjà à résoudre. En revanche, la refondation de l'école nous conduira à reposer la réalité de ce métier.

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