Mes chers collègues, Mme Garriaud-Maylam, empêchée, m'a demandé de la remplacer, ce que je fais bien volontiers.
La rupture d'un mariage est toujours une épreuve difficile, tant sur le plan personnel que matériel. Ces difficultés sont accrues lorsque les époux qui se séparent sont de nationalités différentes. Dans les cas de séparation particulièrement conflictuelle, il n'est pas rare d'assister à une véritable « course au tribunal », chaque époux tentant de porter la procédure de divorce devant le tribunal du pays dont la législation lui sera le plus favorable, tant en termes d'attribution de l'autorité parentale que de répartition du patrimoine.
Avec l'entrée en vigueur, le mois dernier, de l'accord Rome III, signé par 14 pays de l'Union européenne, une première étape à été franchie, puisqu'il permet aux couples de déterminer en amont quel sera le tribunal compétent en cas de divorce.
L'accord franco-allemand du 4 février 2010 sur lequel nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer s'inscrit dans cette même volonté d'accroître la sécurité juridique des couples mixtes. Il s'agit de prévenir les complications juridiques au moment d'un éventuel divorce, mais aussi d'offrir une meilleure lisibilité, non seulement au sein du couple, mais également vis-à-vis des héritiers et des tiers (par exemple les banques, dans le cas d'un projet commun d'acquisition immobilière à l'étranger).
Cet accord instaure en effet un nouveau régime matrimonial optionnel commun aux législations françaises et allemandes.
Pour situer cet accord dans un contexte plus général, je vous rappelle que la société actuelle est marquée par un accroissement sensible du nombre des mariages entre français et étrangers, ainsi que par un taux global de divorce en augmentation régulière. Ainsi, de 1946 à 2009, dernière année dont les données statistiques sont disponibles, la proportion des mariages unissant un Français et un étranger est passée de 5,9 % à 12,9 % du total des unions. D'autre part, le taux global de divorce, que les époux soient de nationalité française ou constituent un « couple mixte », est passé de 2,85 pour mille en 1960 à 10,57 pour mille en 2009.
A l'échelle de l'Union européenne, ce sont chaque année 350.000 mariages entre conjoints de nationalité différente qui sont célébrés, et 170.000 divorces prononcés.
Pour évaluer l'impact potentiel de ce nouvel accord, il faut garder à l'esprit le fait qu'il ne s'applique pas uniquement aux couples franco-allemands. Le nouveau régime matrimonial optionnel peut être choisi par n'importe quel couple se mariant sous la législation française ou allemande, quelle que soit la nationalité des conjoints et que le mariage soit célébré en France, en Allemagne ou dans un consulat établi dans un pays tiers.
La création d'un régime matrimonial optionnel commun entre la France et l'Allemagne vise à limiter les imbroglios juridiques engendrés par les disparités des régimes matrimoniaux selon les pays d'origine des époux. Ainsi, la France et l'Allemagne ont pour l'instant chacune trois types de régimes matrimoniaux (communauté, participation aux acquêts, séparation des biens) dont le contenu diffère sensiblement. Le régime légal « par défaut », pour les couples ne signant pas de contrat de mariage, est la communauté réduite aux acquêts pour la France, mais la participation aux acquêts pour l'Allemagne.
Les différences importantes entre ces régimes, notamment entre les deux régimes légaux, suscitent de nombreuses difficultés pour les couples franco-allemands. Aussi est-il apparu opportun de créer un régime optionnel supplémentaire, inspiré des régimes de la participation aux acquêts existants dans chacun des deux pays, et qui fonctionne selon des règles simples et modernisées, identiques en France et en Allemagne.
Cet accord institue un nouveau régime matrimonial de la participation aux acquêts, commun aux deux pays partenaires. Son principe est de permettre aux époux de vivre pendant le mariage sous le régime de la séparation de biens, tout en instituant, en cas de dissolution du mariage, un juste partage entre les époux du patrimoine acquis pendant le mariage.
Ce régime matrimonial commun optionnel s'ajoute aux autres régimes matrimoniaux en vigueur dans chacun des États contractants. Il emprunte au régime français de participation aux acquêts, et au régime légal allemand : il n'a donc pas été créé ex nihilo. Chacune de ses étapes : l'élaboration, le fonctionnement et la dissolution, est précisément définie.
Il faut souligner que ce nouveau régime matrimonial étant, comme les régimes déjà existants, optionnel, il devra être contracté chez un notaire - comme pour n'importe quel autre contrat de mariage. Si les époux se marient hors de l'Union européenne, ils pourront conclure ce contrat au consulat.
La disparité des régimes légaux prévalant en France et en Allemagne a requis un travail de concertation préalable entre spécialistes pour parvenir à un texte clair, fonctionnel et pouvant s'insérer dans des traditions juridiques différentes. Le présent texte constitue le fruit de ce travail juridique inédit entre deux pays et il mérite, à ce titre, d'être salué.
Je souhaite toutefois attirer l'attention de la commission sur la nécessité que le règlement d'application de la loi française de ratification de cet accord prévoit de manière précise les modalités d'information des couples. Le nouveau régime matrimonial étant optionnel et engendrant des frais de notaire (hormis pour les mariages célébrés dans des consulats hors UE), très peu de couples y auront recours s'il ne leur est pas apporté une information claire quant à ses avantages.
A cet égard, il me semble indispensable de prévoir que, lors de l'audition des futurs mariés en mairie ou au consulat, une information précise soit délivrée quant aux enjeux juridiques d'un élément international dans la vie du couple (conjoint de nationalité différente, établissement de la résidence du couple à l'étranger, etc.). Un tel entretien existe déjà, il suffirait de former les officiers d'état civil qui le mènent à des rudiments de droit international de la famille.
Il serait également utile de pouvoir remettre aux futurs mariés, en amont de leur mariage, un petit guide reprenant ces principaux éléments de droit international, non seulement en termes de gestion du patrimoine et des conséquences financières d'un éventuel divorce, mais aussi et surtout en termes d'autorité parentale. De très nombreux déplacements illicites d'enfants pourraient en effet être évités avec une meilleure sensibilisation juridique des parents, dès leur mariage.
Au-delà du nombre de couples recourant effectivement à ce régime matrimonial, un des intérêts potentiels de cet accord international pourrait être de pousser l'administration française à améliorer l'information des couples mixtes quant à leur statut juridique, afin de prévenir de futurs imbroglios judiciaires. Bien sûr, nous n'avons aucun moyen de garantir que les autorités allemandes investiront également dans cet effort de pédagogie, mais celui-ci me paraît néanmoins indispensable.
Pour conclure, je voudrais souligner que cet accord a été salué par Mme Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, qui a estimé que « l'adhésion éventuelle d'autres États membres de l'Union européenne à cet accord franco-allemand constituerait un progrès vers la voie d'un éventuel droit optionnel européen en matière de régime matrimonial ».
Dans l'espoir qu'une telle perspective se concrétise à l'avenir, je vous recommande d'adopter cet accord, et de prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée, sachant qu'il a déjà été ratifié par l'Allemagne il y a deux mois.