Ces éléments objectifs, ainsi que la connaissance humaine et vécue que nous avons des réalités de la pêche sur la plupart des travées de notre assemblée, où siègent de nombreux élus des régions portuaires, ne peuvent que nous rendre particulièrement vigilants, pour ne pas dire suspicieux.
Nous avons des désaccords fondamentaux avec de nombreux éléments qui sont au cœur du dispositif proposé par Mme Damanaki.
Nous ne voulons pas d’un rythme d’atteinte des « rendements maximaux durables » tellement brutal qu’il pourrait conduire à la fermeture de la moitié de nos pêcheries en trois ou quatre années. Je l’ai dit, il faut à la fois plus de temps, une meilleure connaissance scientifique des stocks de poissons et l’utilisation d’un instrument de référence qui soit respectueux des exigences de renouvellement espèce par espèce, sans pour autant être abusivement contraignant.
Nous ne voulons pas que les « totaux admissibles de captures » deviennent des quotas individuels transférables obligatoires, en somme des droits à pêcher librement échangés sur un marché.
En effet, le marché de ces quotas ne manquerait pas de se développer rapidement au détriment de la pêche artisanale. Confrontés à la difficulté persistante d’investir dans de nouveaux bateaux, inquiets pour l’avenir de leur activité, beaucoup de marins pêcheurs approchant l’âge de la retraite ne manqueraient pas de céder leurs droits à des entreprises de pêche capitalistiques, dotées de moyens financiers importants.
Ces quotas individuels constitueraient un puissant moyen d’évincer du marché les petits producteurs en accélérant de manière irrésistible la concentration de la flottille de pêche que nous observons déjà depuis plusieurs années. Je ne crois pas que cela aille dans le sens d’une meilleure préservation de la ressource, bien au contraire.
Nous ne voulons pas non plus d’une politique du « zéro rejet ». Elle ne profiterait qu’à la pêche minotière et pénaliserait nos pêcheurs artisanaux en diminuant la valeur de notre pêche. Le caractère aveugle d’une telle disposition la rend inadaptée aux réalités de la pêche.
Nous ne voulons pas d’une politique commune de la pêche qui ignore la petite pêche artisanale. Nous ne pourrons pas nous contenter d’une dérogation qui n’exonérerait qu’une faible partie de notre flottille artisanale des contraintes trop rigides de la réforme, si celle-ci n’évolue pas suffisamment. La concession faite en faveur des navires de moins de 12 mètres ne disposant pas d’engins remorqués n’est pas suffisante. Elle laisse de côté une part beaucoup trop importante de notre flottille.
C’est pourquoi nous avons soutenu avec force les amendements proposés par nos collègues Jean Bizet et Gérard Le Cam pour exiger la prise en compte de la « petite pêche », concept qui va bien au-delà de la seule « pêche côtière » telle qu’elle a été définie par la Commission.
Comme la commission de la pêche du Parlement européen, nous devons réclamer un programme communautaire spécifique de soutien à la petite pêche.
Nous ne voulons pas de la bureaucratisation des décisions imposées aux pêcheurs. L’accumulation des réglementations de toute sorte engendre des coûts supplémentaires et des contraintes qui ne sont pas toujours justifiées.
Je citerai un exemple ; vous le connaissez déjà, monsieur le ministre. L’interdiction totale de la pêche de la raie brunette, qui repose sur une vision indistincte de l’état du stock dans l’ensemble des eaux européennes, pénalise inutilement et injustement les pêcheurs de la baie de Granville, où cette variété est en réalité très abondante. Revenons à la raison ! On doit pouvoir pêcher la raie brunette là où elle est abondante, dans des conditions prévues par des plans de gestion attentifs à la ressource.
Enfin, nous ne voulons pas du démantèlement des moyens déjà si modestes consacrés par l’Union européenne à la modernisation de la flottille de pêche, à l’installation des jeunes, à la régulation du marché en cas d’effondrement des prix.
Nous voulons qu’un cadre communautaire suffisamment souple soit posé. L’Union doit définir les grands objectifs mais laisser le soin de définir les modalités de leur application à des instances de concertation régionales, pêcherie par pêcherie, dans le cadre de plans pluriannuels, en faisant confiance à la profession au sein de ces instances.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, nos pêcheurs sont des hommes et des femmes de qualité. Ils ont du caractère, ils ont du courage, ils ont de l’endurance et ils connaissent leur métier. Ils sont conscients de l’exigence du développement rural. Ils ne veulent pas laisser dépérir la ressource halieutique. C’est leur ressource ! Ils en sont les premiers défenseurs. Avec leurs organisations, ils sont responsables. Ce ne sont pas des prédateurs. Faisons-leur confiance, ils le méritent, ils accomplissent leur métier dans des conditions souvent difficiles, parfois dangereuses, toujours épuisantes, et ils le font sans aucune sécurité pour leur revenu, soumis à tant d’aléas, et sans assurance pour leur avenir.
La réforme Damanaki a été conçue sans les écouter. À nous aujourd’hui de faire entendre nos pêcheurs en affirmant une volonté politique forte et unanime. §