Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention d’aujourd'hui peut surprendre puisque Wallis-et-Futuna n’est pas une RUP, une région ultrapériphérique, mais un PTOM, un pays ou territoire d'outre-mer. De ce fait, en apparence, la PCP, la politique commune de la pêche, ne nous concerne pas directement.
Pourtant, il est important de se rappeler que, sur les 11 millions de kilomètres carrés que compte la zone maritime de la France, plus des deux tiers se situent dans les PTOM. Et, comme le souligne la résolution adoptée par notre délégation à l’outre-mer, les accords de partenariat économique – APE – conclus par l’Union européenne avec certains pays ACP, c'est-à-dire de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique, constituent une menace pour la pêche des collectivités ultramarines, que celles-ci soient des RUP ou des PTOM. C’est la raison pour laquelle il conviendrait que Bruxelles évalue systématiquement et préventivement les effets des accords commerciaux signés par l’Union. Or, manifestement, ce travail est déficient.
Certes, nous avons des problèmes structurels évidents, dont les principaux, en ce qui concerne Wallis-et-Futuna, sont l’éloignement et l’isolement géographiques. Toutefois, si l’on ajoute à ces difficultés la concurrence de pays à main-d’œuvre bon marché, avec lesquels sont signés des accords de partenariat économique qui leur sont très favorables, sans mener une réflexion sur l’intérêt de l’outre-mer français, nous mettons en péril nos fragiles économies ultramarines et tous les efforts que nous pourrions y accomplir.
Ce constat est d’autant plus vrai pour la zone Pacifique que, à l’inverse de ce qui s’est passé avec les États de la Caraïbe, l’Union européenne n’a imposé aucune norme environnementale ou sociale dans les accords signés avec des pays ACP comme Fidji.
Pour nous, collectivités françaises du Pacifique – Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna –, qui sommes soumises aux standards environnementaux et sociaux de la France, de tels accords risquent d’ajouter des handicaps supplémentaires à nos difficultés structurelles. Avec des pays qui disposent de plus de barrières douanières et dont le coût de revient est trois ou quatre fois inférieur au nôtre, comment pourrons-nous lutter ?
Monsieur le ministre des outre-mer, je voudrais profiter de l’occasion que me fournit ce débat pour vous demander ce qu’il en est de la préparation de la nouvelle décision d’association outre-mer qui doit entrer en vigueur à partir de janvier prochain ? Comme vous le savez, les PTOM européens ont travaillé durant plusieurs années, en vue de l’échéance de 2013, pour faire évoluer leurs relations avec l’Union européenne. En tant que citoyens de l’Union, qui peuvent être élus au Parlement de Strasbourg, nous espérions une évolution vers un statut prenant davantage en compte notre appartenance à la famille européenne. Finalement, la décision, adoptée unilatéralement par l’Union, fut de maintenir le statu quo, et nous nous inclinons à regret.
Il serait important que, lors du prochain forum Union européenne-PTOM, qui se tiendra au mois de septembre 2012, nous puissions disposer du projet de décision et ainsi proposer les modifications qui s’imposent. Il faudra en particulier, dans la nouvelle décision, introduire des mesures adéquates pour les PTOM les moins développés. Si tel n’est pas le cas, compte tenu des problèmes que j’ai évoqués précédemment, nous continuerons à être des citoyens européens de seconde zone. Pis, notre situation se dégradera à cause de la signature d’APE trop favorables aux pays ACP.
Notre souhait à tous est donc que l’Union prenne mieux en compte l’existence des collectivités d’outre-mer, que celles-ci aient le statut de RUP ou de PTOM, lorsqu’elle négocie avec des pays tiers. Peut-être même, monsieur le ministre, pourrait-elle mener des actions d’évaluation régulières des APE existants, afin d’estimer les impacts négatifs ou positifs de ces accords sur les économies des RUP et des PTOM ?
L’intégration régionale constitue un élément essentiel de l’évaluation a priori et éventuellement a posteriori qui devrait guider Bruxelles. À Wallis-et-Futuna, qui bénéficie d’une zone maritime de près de 300 000 kilomètres carrés, avec une vingtaine de hauts-fonds repérés, offrant une grande diversité de ressources, nos atouts seraient réels pour développer la pêche.
Après l’arrêt des accords avec les grands pays pêcheurs d’Asie au début des années 2000, la stratégie de développement des filières de pêche adoptée en 2003 privilégie le développement d’une flottille de bateaux côtiers dédiée à la satisfaction du marché local, puis de pêche congelée pour l’export.
Cependant, il a fallu attendre 2010 pour que le premier palangrier s’installe à Wallis. Et encore l’armateur traverse-t-il, depuis son arrivée, de graves difficultés, qui synthétisent les handicaps du territoire : isolement, carence en main-d’œuvre qualifiée, infrastructures inadaptées, coût du carburant, etc.
Néanmoins, nous devons pouvoir remédier à certains problèmes, par exemple par le développement de filières d’enseignement de la pêche ou l’envoi de nos jeunes en formation dans les structures dédiées aux métiers de la mer.
L’ouverture du marché européen aux produits de la pêche des pays ACP océaniens pourrait certes anéantir toutes nos tentatives de développement d’une filière pêche à Wallis-et-Futuna. Cependant – si l’on veut voir le verre à moitié plein –, elle pourrait aussi contribuer à l’élévation des standards régionaux en matière de qualité et de traçabilité des produits exportés, au bénéfice de l’émergence de filières exportatrices vers les marchés de l’Europe et de tous les pays développés.
Plus spécifiquement, le partenariat économique durable entre les îles Fidji et l’Union européenne, couplé à l’octroi de l’agrément sanitaire européen à plusieurs usines de transformation, ouvre des perspectives d’intégration de notre filière d’export dans les canaux d’exportation de ce pays vers l’Union.
L’assouplissement des règles d’origine pour les produits du thon issus des usines océaniennes permettra à ces dernières d’élargir leur approvisionnement sans perdre les avantages douaniers à l’entrée du marché européen. Cette clause de l’accord de coopération pourrait être favorable à la pérennité de cette industrie dans la région proche, donc à l’intégration régionale de notre filière thonière, à condition bien sûr que nous soyons aidés par l’État dans cette évolution.
Par ailleurs, sans être directement lié à l’accord de coopération économique, le dispositif de lutte contre la pêche illégale instauré par le règlement 1005-2008 encadre aussi l’accès au marché européen.
Il est néanmoins regrettable que, dans le cadre de la négociation avec Fidji, aucun représentant de Bruxelles ne soit venu à Wallis-et-Futuna ou n’ait même pensé à se préoccuper des conséquences éventuelles pour notre territoire.
Aurait-il été possible, par exemple, d’exiger en contrepartie que Fidji offre des débouchés à la pêche de Wallis-et-Futuna pour la transformation dans ses usines ? Je me doute bien que la réponse est, hélas, négative. Néanmoins, je souhaiterais vivement que, en France, une réflexion soit menée sur la façon dont on pourrait amener Bruxelles à mieux prendre en compte l’intégration régionale de nos collectivités d’outre-mer dans le cadre des accords commerciaux signés par l’Union européenne.
Voilà, en quelques phrases, le message que je souhaitais vous faire entendre. Tout en m’associant pleinement à l’inquiétude exprimée dans la résolution de notre délégation à l’outre-mer, je veux espérer et croire que nos collectivités ultramarines trouveront toute leur place dans l’économie ouverte et mondialisée souhaitée par l’Europe, ce qui n’exclut ni la vigilance ni la persévérance dans la défense de l’outre-mer.