La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.
Ma question s'adresse à M. le ministre du redressement productif.
L’annonce a été officialisée ce matin par la direction du groupe PSA : près de 8 000 emplois directs seraient supprimés sur différents sites de l’entreprise, avec les conséquences que l’on peut deviner sur les familles, les sous-traitants, les bassins d’emplois. L’impact économique et social réel irait donc bien au-delà de ces 8 000 emplois.
C’est une terrible nouvelle, si elle est vérifiée, pour l’industrie française, qui a déjà perdu, faut-il le rappeler, 750 000 emplois au cours des dix dernières années.
Vous avez eu raison, monsieur le ministre, de « craindre un choc pour la nation à l’annonce de cette nouvelle ».
Élu d’un département, le Doubs, où l’automobile est un secteur dominant, je suis particulièrement bien placé pour mesurer le poids décisif de cette industrie.
Il n’est plus temps, bien sûr, d’épiloguer sur la stratégie de la direction de PSA, non plus que sur l’absence de stratégie du précédent gouvernement. §
Nous devons faire face ensemble à la situation. L’action du Gouvernement, de Pôle emploi, des organismes de formation tels que l’AFPA – l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes – sera bien sûr décisive, qu’il s’agisse de la reconversion des sites ou du soutien aux salariés licenciés et à tous ceux qui seront touchés.
C’est une mauvaise nouvelle également pour l’emploi. Chacun le sait, cette annonce intervient dans un contexte difficile. Après treize mois consécutifs de hausse, le nombre de demandeurs d’emploi « tangente » les trois millions. Les jeunes sont particulièrement touchés : 22 % d’entre eux ne trouvent pas de travail. De plus, la durée moyenne du chômage atteint aujourd’hui treize mois.
Monsieur le ministre, la nouvelle de ce matin, émanant du groupe PSA, suscite de nombreuses questions. La perspective des destructions d’emplois envisagées constitue-t-elle, à vos yeux, une fatalité ? Est-elle inéluctable ? Peut-elle encore être remise en question ?
Au-delà, comment assurer un avenir au secteur de l’automobile, essentiel à la vie et à l’avenir économique de nos territoires ?
Je vous remercie de bien vouloir éclairer le Sénat sur ces différents points. §
Monsieur Jeannerot, c’est évidemment un choc pour le pays que cette annonce concernant de nombreux sites du groupe PSA. Voilà bien longtemps que notre pays n’avait pas connu des projets de cette nature, aussi graves, aussi lourds.
Vous le savez, la direction a annoncé non seulement que les structures du groupe seraient affectées, à hauteur de 3 500 salariés, mais également que le site d’Aulnay-sous-Bois serait fermé en 2014 et que 1 400 salariés du site de Rennes seraient concernés. Or celui-ci a déjà connu, en 2009, une suppression massive d’emplois.
C’est évidemment pour nous l’occasion de réfléchir un instant sur le passé, sans pour autant accuser quiconque puisque, souvenez-vous, nos prédécesseurs avaient apporté une aide de trésorerie de 3 milliards d’euros à PSA sous forme de prêts ainsi qu’une aide de 1 milliard d’euros à la banque de PSA.
Il y a eu, évidemment, tout au long de ces années, le soutien public du crédit d’impôt recherche, la prime à la casse, le chômage partiel…
Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est la première question, qui m’a conduit, avec l’appui du Premier ministre, à demander à M. Emmanuel Sartorius, ingénieur général des mines, lequel a déjà enquêté sur Renault et n’est pas, pour ainsi dire, « membre » de la filière automobile, de conduire une mission sur cette dernière. Il aura donc le regard et l’indépendance nécessaires pour éclairer le Gouvernement, la représentation nationale ainsi que l’opinion publique sur les raisons stratégiques qui ont mené PSA à la situation actuelle : 700 millions d’euros de pertes au premier semestre, consommation de 200 millions d’euros de trésorerie par mois, alors que, l’année dernière, PSA a distribué 200 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires ! §
Comment, donc, a-t-on pu en arriver là ?
Je vous le dis, nous n’acceptons pas en l’état le plan élaboré par PSA. Nous allons par conséquent, en liaison avec les organisations syndicales, lesquelles auront leurs propres experts pour examiner la situation, demander à PSA, d’abord de justifier sa situation, ensuite d’ouvrir un dialogue social, dont le Premier ministre a exigé qu’il soit exemplaire. Ce dialogue devra permettre d’envisager toutes les voies possibles, surtout les plus loyales, c’est-à-dire autres que celles que PSA a prévues, sur plusieurs sites de France, pour des milliers de salariés et de familles.
Il est évident que la nation tout entière devra se rassembler autour de ce symbole national qu’est l’industrie automobile française, car celle-ci a une longue histoire, dans laquelle des marques célèbres comme Peugeot et Citroën occupent une grande place.
La France a un avenir automobile, mais cet avenir exige que nous prenions les bonnes décisions. Toutes les stratégies, toutes les solutions seront sur la « table de la République ». Nous les examinerons lorsque nous y verrons clair et que nous pourrons partager le diagnostic sur la situation de PSA. Ensuite, nous reviendrons devant vous, parlementaires, avec des propositions concrètes. §
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Pendant cinq ans, une politique contraire à nos valeurs républicaines a été mise en œuvre §: humiliation d’hommes et de femmes arrêtés comme des malfaiteurs, parfois avec leurs enfants ; stigmatisation de ceux et celles qui leur viennent en aide ; reniement des promesses ministérielles de régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers.
Vous avez annoncé une circulaire aux préfets avec des critères clairs. Cette volonté d’application uniforme sur le territoire national d’un code que la gauche et les écologistes n’ont pas voté n’est qu’un palliatif, même si nous l’apprécions.
Vous le savez, les circulaires n’ont pas valeur de loi : les sans-papiers et « sans-papières » §ne peuvent être des administrés de seconde zone, dont le statut est ou serait régi par des circulaires.
De plus, en laissant entendre que ces nouveaux critères n’augmenteraient pas le nombre des régularisations annuelles, vous fixez a priori ce nombre, indépendamment de toute réalité humaine et de toute notion de justice.
Or ceux qui nettoient nos parkings et nos bureaux, celles qui s’occupent de nos jeunes enfants et de nos vieux parents, ceux dont les enfants sont scolarisés et ont le droit de vivre leur vie en France avec leurs camarades, bref, tous ceux qui font partie de notre environnement social, depuis parfois de nombreuses années, ont droit à une vraie remise à plat de leur statut.
À quand, monsieur le ministre, une refonte intelligente, et digne d’une grande nation, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ?
À quand la prise en compte législative des normes internationales ou encore celle des « mariages rouges », où celui des deux membres du couple qui est en situation régulière fait du chantage ou va plus loin encore à l’égard du sans-papiers ou de la sans-papière ?
À quand la gestion humaine des étrangers malades ?
À quand une véritable analyse du « coût »des étrangers non européens, mais surtout de leurs apports à notre économie et à notre « vivre ensemble » ?
Bref, monsieur le ministre, à quand, enfin, une grande loi sur l’immigration, loin des fantasmes de ces dernières années ?
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Madame Lipietz, vous voudrez bien excuser l’absence de Manuel Valls, qui a dû partir dès aujourd'hui pour Chamonix en raison du drame survenu ce matin, au cours duquel neuf alpinistes ont trouvé la mort, quatre autres étant toujours portés disparus. Naturellement, la présence sur place du ministre de l’intérieur était nécessaire.
Vous interrogez le Gouvernement sur les critères de régularisation applicables aux étrangers présents sur notre territoire en situation irrégulière.
Admettre au séjour est un acte important, qui doit être pris selon des règles claires, compréhensibles et objectives.
Notre but est de mettre fin à tout arbitraire. Conformément à l’engagement présidentiel, des critères objectifs, transparents et appliqués uniformément sur le territoire seront définis. Un examen individuel de chaque dossier sera assuré.
Ces critères sont simples : les années de présence en France, la situation par rapport au travail, la scolarisation des enfants, les attaches familiales. Les étrangers non concernés feront l’objet d’une procédure d’éloignement dans des conditions qui respecteront leurs droits et leur dignité.
Le Gouvernement souhaite sortir des logiques de quotas, qui empêchent tout simplement l’application du droit.
Notre volonté est de mener une politique à la fois responsable et équilibrée. Il n’y aura pas de régularisation massive.
Pour ce qui est de la méthode, afin de travailler dans la sérénité et le dialogue, le ministre de l’intérieur a décidé de consulter largement. Ainsi, dans les semaines à venir, Manuel Valls recevra les associations, syndicats et organisations impliqués. Ce travail conduira à la publication d’une circulaire dès le mois de septembre.
Enfin, vous savez comme nous qu’une politique migratoire ne se résume pas au nombre des régularisations effectuées. C’est une politique globale et cohérente qu’il nous faut mener. La fermeté dans la lutte contre les filières d’immigration irrégulière doit se combiner à des procédures respectueuses des droits. Ainsi, la place des enfants n’étant pas dans un centre de rétention, le ministre de l’intérieur a publié la semaine dernière une circulaire visant, pour les familles, à privilégier l’assignation à résidence.
Madame la sénatrice, vous avez aussi exprimé le souhait d’une gestion humaine des étrangers malades. Comme vous le savez, l’article 29 du projet de loi de finances rectificative pour 2012, dont vous débattrez avant la fin du mois, prévoit la suppression de droit de timbre de 30 euros pour les bénéficiaires de l’aide médicale d’État. §
L’enjeu, c’est aussi et surtout l’intégration républicaine des étrangers présents légalement sur notre territoire. Là aussi, sur un terrain abandonné depuis de nombreuses années, les Français nous attendent. §
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Lors de la conférence sociale qui vient de se tenir, vous avez mis à l’ordre du jour une négociation sur la « sécurisation » des emplois.
Aussi, quand le groupe PSA annonce qu’il envisage de supprimer 8 000 emplois, dont ceux des 3 500 salariés du site d’Aulnay-sous-Bois, le Gouvernement est au pied du mur. Laissera-t-il supprimer 8 000 emplois dans l’automobile après que l’État a accordé 4 milliards d’euros de prêts aux constructeurs ?
Monsieur le Premier ministre, nous avons constaté que le débat était ouvert sur les solutions, même si certains, le MEDEF en tête, soutiennent toujours les mêmes : exonérations de cotisations sociales, transfert du financement de la protection sociale des entreprises sur les ménages, au travers de la TVA ou de la CSG. Or ces solutions n’ont pas fait la preuve de leur efficacité en termes de créations d’emplois, loin s’en faut : les résultats sont là !
D’autres choix sont possibles : favoriser la demande en France par une hausse des bas salaires, diminuer les charges financières des entreprises, notamment les PME, développer une politique publique du crédit ; mais aussi conditionner l’utilisation des fonds publics et l’accès aux marchés publics.
Que dire d’Airbus, qui envisage de fabriquer les A320 commandés par les Américains aux États-Unis plutôt qu’à Toulouse ?
Que dire de l’entreprise Camiva, qui dispose du marché des camions de pompiers, qui a fait de gros bénéfices l’an dernier et qui veut partir en Allemagne ?
Monsieur le Premier ministre, ma question, c’est celle de l’urgence.
Le temps nous est compté pour stopper la disparition annoncée de quelque 75 000 emplois et, en réalité, avec les effets induits, trois ou quatre fois plus, sans compter les conséquences dramatiques pour les familles, les comptes sociaux et les territoires. Le nombre de postes menacés est de 13 000 dans l’automobile, 8 600 dans les transports, dont plus de 5 000 à Air France, 8 500 dans la distribution, dont 3 400 à la société Doux, 2 000 dans les banques et les assurances. Et cette liste est loin d’être exhaustive : vous le savez, il y en a bien d’autres !
Monsieur le Premier ministre, comme je vous l’ai déjà dit, il faut un moratoire sur les plans sociaux, s’appuyant sur des mesures législatives et réglementaires d’urgence.
Vous avez évoqué, comme le Président de la République, la nécessité « d’encadrer les licenciements abusifs ». Saisissez le Parlement de toute urgence ! §
Je veux dire, en réponse aux protestations de l’opposition, que Camiva a annoncé la fermeture de son usine de Savoie le 7 mai, au lendemain de l’élection présidentielle. S’agissant d’Air France, c’est une semaine plus tard que ses dirigeants sont venus me trouver pour m’annoncer un plan de 3 500 départs volontaires, …
… soit autant de personnes qui vont perdre leur travail, qu’ils soient d’accord ou non.
La situation de Bouygues a été présentée à l’ancien Premier ministre, François Fillon, il y a plusieurs mois, sans aucune réponse en retour. Et nous avons maintenant 600 personnes sur le carreau !
Pour ce qui concerne SFR, l’annonce date d’il y a quelques jours. S’agissant de la fermeture du site de Rio Tinto en Savoie, nous ne sommes au courant que depuis un mois.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Les dirigeants de Sanofi viennent de débarquer pour nous dire qu’ils envisagent la suppression de plusieurs milliers d’emplois. Que ne l’ont-ils dit plus tôt ? L’année dernière, cette société a fait 5 milliards d’euros de bénéfices !
Exclamations sur les travées de l'UMP. – Applaudissementssur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Bref, madame Borvo, vous avez raison : ces dissimulations et ces silences ne nous empêchent pas de devoir réagir maintenant et de préparer l’avenir.
Ah ! sur les travées de l’UMP.
La question est de savoir ce que le Gouvernement et la nation tout entière entendent faire face à des plans sociaux que l’on peut qualifier, comme l’a fait le Premier ministre dans son discours de politique générale, d’abusifs. Il y a des plans sociaux qui ne sont pas justifiés par la situation financière de l’entreprise.
Il est nécessaire que le législateur puisse se donner les moyens de faire le tri, d’octroyer des contre-pouvoirs aux salariés.
Tous ces éléments figurent dans la négociation menée dans le cadre de la Grande Conférence sociale. Un certain nombre de projets sont à l’étude. Ils feront l’objet d’une discussion une fois que les partenaires sociaux auront constaté soit leur accord, soit leur désaccord. Nous souhaitons intervenir rapidement.
Il est nécessaire que la puissance publique se réarme, après s’être déclarée impuissante. §
Il est nécessaire que les groupes qui gagnent de l’argent ne profitent pas de la situation pour se défaire de leurs salariés. Nous avons déjà assez à faire avec les groupes qui perdent de l’argent et qui sont obligés de se séparer de leurs collaborateurs.
À nous d’être intelligents collectivement, pour faire en sorte que la France reste une grande nation productive et industrielle !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Alain Gournac fredonne « Paroles, paroles ! »
Monsieur le Premier ministre, il y eut, après 1981, une décentralisation pour redynamiser la France, pour la relancer. Il y eut, après 2002, une décentralisation pour faire des économies et transférer les déficits de l’État vers les collectivités territoriales.
Au cours de votre discours de politique générale, vous avez insisté sur la décentralisation et nous avons apprécié les objectifs que vous avez fixés.
Êtes-vous prêt à aller, dans le cadre de notre modèle républicain, jusqu’à un État-nation qui soit véritablement et strictement un État régalien, conservant la main sur les six ou sept thèmes prioritaires, garant des services publics pour tous les citoyens et en tous lieux – les finances nationales, la monnaie, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, tant extérieure, avec l’armée, qu’intérieure, avec la gendarmerie et la police –, toutes les autres fonctions qui relèvent de la sphère publique étant assurées par les territoires, régions et départements ?
Êtes-vous prêt à mobiliser les moyens financiers nécessaires pour y parvenir ? Êtes-vous prêt à vous concerter avec l’ensemble des élus locaux pour travailler en vue de cet objectif ? Êtes-vous prêt à mettre en place un pouvoir régalien autonome dans les territoires, comme cela a été fait dans d’autres pays européens, notamment en Italie et en Espagne ? Êtes-vous prêt à ce véritable big-bang territorial ?
Monsieur le Premier ministre, est-ce dans cette voie que vous comptez aller ? Si tel est le cas, les élus locaux que nous sommes sont prêts à travailler avec ardeur à vos côtés ! §
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, le Premier ministre a effectivement eu, dans le cadre de son discours de politique générale, des phrases fortes, qui nous ont tous marqués.
M. Alain Gournac s’esclaffe.
Il n’existe pas aujourd’hui de texte précis, et vous avez raison de parler de concertation. Il importe de préciser, tout particulièrement ici, que l’exécutif, sous l’autorité du Premier ministre, attendra les résultats des états généraux de la démocratie territoriale, qui se concluront par une grande rencontre organisée par le Sénat, à l’automne, sous la houlette de son président. Pour nous, il n’est pas question d’anticiper ces conclusions. Nous parlerons justement de la grande question de l’adaptation des normes à la diversité territoriale.
Ici, au Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, vous faites régulièrement des propositions importantes dans le cadre de différents rapports. Parmi les plus récents, je citerai celui de Patricia Schillinger sur les collectivités locales et l’emploi, celui de François Marc et Pierre Jarlier sur les valeurs locatives foncières. Je citerai aussi celui d’Anne-Marie Escoffier sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, bien qu’elle n’ait pas eu l’heur de le présenter, étant entrée au Gouvernement, à mes côtés, sous l’autorité de Jean-Marc Ayrault.
Ces rapports, fruits de longs mois de travail, doivent inspirer l’exécutif. Nous voulons engager une concertation sur le fond avec l’ensemble des associations d’élus, avec les parlementaires que vous êtes, mais aussi avec les citoyens et les représentants de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière.
On attend de nous que soient réaffirmées les grandes missions régaliennes de l’État ainsi que l’importance de l’action publique dans les territoires. En ce début de XXIe siècle, il nous faut parler de la puissance publique, du sens de son action et de sa modernité, sur tous les territoires de France. Je ne doute pas qu’à vos côtés nous réussissions ce pari d’avenir !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
Monsieur le ministre, les Français ont vécu dix longs mois de campagne électorale qui auraient dû les éclairer, si ce n’est que le candidat Hollande s’est comporté comme un impressionniste, dont la toile se serait intitulée Les riches paieront.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Touche après touche, depuis la fameuse tranche à 75 %, tout fut dit pour laisser croire qu’il serait possible de sortir de la crise sans efforts, si ce n’est pour les plus fortunés.
Diminuer le nombre de fonctionnaires ? Pas nécessaire !
Faire des économies ? C’est de la rigueur !
Améliorer la compétitivité de nos entreprises ? Que nenni !
Même le Front de gauche applaudissait : c’est tout dire ! Depuis, il s’est calmé !
Ainsi fut la campagne présidentielle : un véritable trompe-l’œil !
Et pour durer jusqu’aux législatives, notre nouveau Premier ministre demanda à la Cour des comptes un audit, osant affirmer : « Je ne connais pas la situation réelle du pays. »
La Cour, je le rappelle, certifie les comptes de la nation depuis 2006. Elle vient de rendre son verdict. Que dit-elle ? Eh bien, ce que tout le monde savait, reconnaissant de facto les efforts et le courage du gouvernement précédent, qui a dû affronter une crise mondiale sans équivalent.
La Cour affirme, pour 2012, qu’il n’y a pas plus qu’à l’ordinaire de dérapage des dépenses, mais qu’il faut compenser des recettes plus faibles que prévu, d’environ 7 milliards d’euros.
La Cour trace des pistes : augmenter les recettes et diminuer nos dépenses, à parts égales, tout en renforçant la compétitivité de nos entreprises.
Voilà, chers collègues de la majorité : maintenant, vous savez ! Vous pouvez donc, comme Mme Lienemann, considérer que « le Gouvernement n’est pas à la botte de la Cour des comptes » – chacun appréciera ! – ou bien vous rendre à l’évidence.
Qu’allez-vous faire ? L’examen du prochain collectif budgétaire nous éclaire : 90 % de ces 7 milliards d’euros viendront d’impôts supplémentaires, 10 % seulement d’économies. Et vous supprimez la TVA sociale, qui permettait de taxer les importations…
… tout en abaissant le coût du travail en France. C’est une erreur dramatique !
Qui paiera la note ? Les riches ?
Alors, sont riches les 9 millions de salariés ou fonctionnaires qui perçoivent des heures supplémentaires et auxquels vous allez retirer, en moyenne, 500 euros par an.
Alors, sont riches les 5 à 6 millions de salariés qui bénéficient de la participation ou de l’intéressement, que vous allez surtaxer de 12 % !
En 2013, il vous faudra trouver environ 25 milliards d’euros pour tenir les engagements de la France et vous préparez les esprits, sous couvert de dialogue social, à une augmentation de la CSG de 2 % à 4 %.
Monsieur le ministre, ma question est simple. §Quand direz-vous aux Français ce que vous entendez faire…
M. Philippe Dallier. … pour améliorer la compétitivité de nos entreprises et assurer le financement de notre protection sociale ?
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.
Monsieur le sénateur, je me demandais où vous alliez atterrir…
… après ce réquisitoire, que j’ai trouvé, en vérité, assez surréaliste.
Nous arrivons aux responsabilités après une campagne qui, contrairement à ce que vous avez dit, a été marquée par la lucidité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.
Nous n’avons jamais sous-estimé la situation du pays et nous avons bâti le projet présidentiel sur des hypothèses prudentes, réalistes, crédibles, sérieuses.
C’est cela que nous défendons, et c’est ce qu’a défendu le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
La Cour des comptes, que vous appelez à la rescousse, est allée très exactement dans ce sens. Je ne veux pas trop insister sur les responsabilités qui sont les vôtres : elles sont écrasantes. Mais je veux tout de même dire ce qu’est la situation du pays aujourd’hui, attestée par les chiffres européens et nationaux.
C’est à un triple déficit que nous sommes confrontés.
Il y a, d’abord, un déficit de croissance, d’emploi et, oui, de compétitivité. Vous avez le culot d’en parler §alors que vous laissez un déficit du commerce extérieur de 70 milliards d’euros et que l’emploi industriel a reculé au cours du dernier quinquennat, avec 450 000 postes supprimés.
Il y a, ensuite, un déficit de crédibilité budgétaire. Car nous trouvons 600 milliards d’euros de dette publique supplémentaire et des déficits encore supérieurs à 5, 2 % du PIB en 2011.
Il y a, enfin, un déficit de confiance. À force de zigzaguer, d’être dans la confusion des objectifs, de revenir sur les politiques, d’aller dans un sens, puis dans l’autre, votre politique a été illisible et tous les acteurs, y compris en Europe, ont perdu confiance dans la France.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
La politique que conduisent le Premier ministre et le Gouvernement est une politique de redressement dans la justice.
Nous irons vers le redressement des comptes publics, tout d’abord.
Nous aurons, ici comme à l’Assemblée nationale, un débat sur les orientations budgétaires, sur un projet de loi de finances rectificative, pour corriger vos erreurs, puis sur un projet de loi de finances, pour aller vers les 3 % de déficit. Voilà ce que nous ferons !
Vous m’interrogez, enfin, sur la compétitivité. Croyez que nous aurons, nous, une politique globale, ambitieuse, …
M. Pierre Moscovici, ministre. … qui mettra l’accent sur tout ce qui renforce l’innovation, la recherche, l’industrie. Voilà notre politique : c’est le contraire de la vôtre !
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous interroger sur la « Grande Conférence sociale », titre officiel de la réunion qui a mobilisé pendant plusieurs jours plusieurs centaines de personnes au palais d’Iéna pour participer à ce qui s’apparente, suivant la métaphore de l’épopée napoléonienne, à un véritable Waterloo de la prise de décision.
On reprochait au précédent Président de la République de décider avant de réunir les partenaires sociaux. Eh bien, vous, vous les réunissez et vous ne décidez de rien, ce qui est, à n’en pas douter, nettement mieux ! §Que reste-il, en effet, de cette conférence, louable dans ses intentions, et de son ordre du jour, sinon des images et des mots ?
Malgré l’urgence de la situation, vous renvoyez à plus tard les décisions en mettant en place un processus de dilution des responsabilités dans lequel doivent intervenir comités d’experts et organismes divers tels que le nouveau « Comité du dialogue social et de la prospective ».
« Nous lançons un processus nouveau qui déjà nous dépasse », a déclaré le Président de la République! Et c’est vrai qu’en ce domaine, comme dans bien d’autres, vous semblez totalement dépassés par les événements et par la réalité ! §
Le sommet social n’aura toutefois pas été vain puisqu’il semble que le Président de la République ait désormais conscience que notre pays souffre d’un problème de compétitivité. C’est nouveau pour lui qui, face à Nicolas Sarkozy, déclarait : « Sur la compétitivité, est-ce que l’on peut faire mieux ? », écho à peine masqué à la fameuse phrase de François Mitterrand : « Sur le chômage, on a tout essayé. »
L’heure serait donc à la compétitivité, même si vous avez pris soin de ne pas utiliser ce mot, monsieur le Premier ministre. Parfait ! Mais alors, pourquoi vous entêter à vouloir supprimer la TVA anti-délocalisation, justement destinée à améliorer la compétitivité des entreprises en allégeant les charges qui pèsent sur elles et en taxant les importations ?
Pourquoi supprimer également les exonérations de charges sur les heures supplémentaires, ce qui alourdira encore le coût du travail ?
Pourquoi, monsieur le Premier ministre, un tel dogmatisme ?
Il se dit que vous envisageriez d’accroître la CSG, mais vous n’osez pas l’annoncer, préférant renvoyer la question au Haut Conseil de la protection sociale. Et je dois dire, monsieur le Premier ministre, que je comprends votre gêne puisque vous deviez ne faire payer que les riches… Or la CSG, vous le savez aussi bien que nous, frappera non seulement les riches mais aussi les classes moyennes et populaires, les actifs et les retraités ! Elle affectera immédiatement et directement le pouvoir d’achat, n’épargnant finalement que les importations !
J’avais pourtant cru, en vous écoutant lors de ma venue à deux reprises la semaine dernière au Sénat, notamment après la déclaration de politique générale, que vous étiez plus pragmatique, plus attentif au dialogue. Mais je m’aperçois que vous reprenez quasiment tous les arguments du Président sortant…
Je vous rappelle la façon dont il concevait le traitement des problèmes, envisageant même un référendum pour décider de la formation des chômeurs. Comme si c’était une réponse pertinente à un problème au demeurant réel !
Oui, nous avons choisi une autre méthode, décidant de tourner la page du mépris des partenaires sociaux pour, au contraire, les réunir en vue de traiter les problèmes et de trouver des solutions face aux grands défis qui se posent au pays.
Et vous savez bien ce qu’il en est ! C’est l’actualité qui nous le rappelle, une actualité brutale, qui provoque des chocs ! Des salariés qui ont souvent le sentiment d’être des variables d’ajustement, auxquels on ne demande jamais rien, qu’on n’associe pas en amont au suivi de la gestion des entreprises, et je pense, en particulier, à ce qui se passe à PSA. Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, vient de l’évoquer.
Trouvez-vous normal que, dans notre pays, qui doit faire face à des restructurations industrielles, à la perte d’emplois industriels – je rappelle la réalité : 750 000 emplois perdus en dix ans dans l’industrie –, les représentants des salariés ne soient pas présents dans les conseils d’administration des entreprises pour y être informés en amont des stratégies des entrepreneurs, stratégies qui, souvent, au nom de raisons de court terme, de raisons financières, envoient dans le mur des groupes industriels entiers et se traduisent par des milliers de licenciements ?
Eh bien, cette méthode-là, cette façon de faire, elle est terminée ! Nous voulons tourner la page !
Alors, pour tourner la page, nous avons, mesdames, messieurs les sénateurs, pris l’initiative d’une grande conférence sociale qui est, en effet, une première !
À cette occasion, j’ai été frappé, pendant les deux jours de réunion, par la soif de dialogue et d’écoute de tous ceux qui étaient là !
Je veux parler aussi bien des représentants du patronat, des entreprises, grandes, petites et moyennes, des représentants du secteur de l’économie sociale et solidaire, des représentants des professions libérales, mais aussi des représentants de toutes les organisations syndicales, des plus représentatives aux plus petites. Ils étaient là, ils attendaient qu’on les respecte, qu’on les écoute. Et ils souhaitent, à condition qu’on trouve les bons compromis, les bonnes solutions, les bonnes réponses, participer, eux aussi, au redressement du pays.
J’aurais aimé que, vous aussi, vous soyez présents pour participer au redressement du pays….
… plutôt que d’ironiser, plutôt que de préconiser des solutions qui n’ont pas marché ou qui appauvrissent une partie des Français.
Vous avez ici, il y a quelques instants, revendiqué une mesure dont la suppression sera soumise à votre assemblée : le prélèvement de 12 milliards d’euros sur les classes populaires et moyennes à travers l’augmentation de la TVA. Voilà ce que nous, nous proposons aux parlementaires ! §
Évidemment, il y a beaucoup de règles du jeu à changer ! Mais cela ne peut pas se faire sans le dialogue et sans l’écoute.
Face aux entreprises en difficulté, nous proposons aux partenaires sociaux d’engager une négociation pour qu’on soit capable d’examiner, situation par situation, ce qui se passe. Quand les difficultés sont réelles mais transitoires, eh bien, il faut trouver des solutions pour préserver l’outil industriel et les emplois.
En présence de situations beaucoup plus dramatiques, il faudra également envisager des réponses adaptées. Lorsque sont envisagés des licenciements abusifs – ceux qu’on a souvent qualifiés de « boursiers », même si les entreprises concernées ne sont pas toutes cotées en bourse – alors, il faudra mettre en place de nouvelles règles.
Ce que nous voulons, c’est l’efficacité économique ! Ce que nous voulons, c’est la justice, c’est le respect du droit des salariés, c’est le respect du droit du travail ! Et c’est sur cela que nous avons proposé aux partenaires sociaux d’engager une négociation.
Mêmes mouvement sur les mêmes travées.
Vous ne répondez pas à la question parce que vous n’avez pas de réponse !
Vous avez évoqué le financement de notre protection sociale et le coût du travail. Nous avons un objectif, une ambition : préserver un système de protection sociale qui est au cœur même du pacte républicain.
Nous ne sommes pas de ceux qui disent que, parce que le coût du travail est moins élevé en Chine ou en Inde, il faudrait chercher à s’aligner sur ces pays. Nous savons que ce n’est pas possible et nous ne voulons pas aller dans cette direction.
Pour autant, avec nos partenaires, en particulier européens, la question du coût du travail peut se poser, notamment dans le secteur industriel. Nous devons l’examiner objectivement. C’est la raison pour laquelle il faut concilier le financement de notre système de protection sociale et l’analyse lucide de certaines situations. Cela ne peut se faire que dans la franchise, dans le diagnostic partagé, dans la discussion et la négociation.
Voilà pourquoi nous avons décidé – et je l’ai dit en concluant la Grande Conférence sociale – de saisir le Haut Conseil de la protection sociale pour analyser tous les points qui concernent le financement de notre protection sociale.
Et ensuite ? Vous nous reprochez de ne pas agir, mais je vais vous rassurer : ensuite, au premier trimestre de l’année 2013, nous engagerons avec les partenaires sociaux, sur la base de ces travaux, une discussion. Puis, dans le courant de l’année 2013, le Gouvernement prendra ses responsabilités.
Vous aurez à prendre les vôtres puisque le Parlement sera saisi de propositions très concrètes et très pratiques avec, je le répète une nouvelle fois, un objectif qui est d’assurer la survie de notre système de protection sociale, de garantir son accès à tous – je pense, en particulier, à la santé et à la retraite – et, en même temps, d’assurer l’avenir de notre économie, de nos entreprises, de restaurer la compétitivité de ces dernières.
Un dernier point concret : face à la situation urgente dans le domaine de l’emploi, nous avons décidé d’engager pendant l’été, non pas une négociation, mais une concertation avec les partenaires sociaux en vue de préparer les conditions permettant que vous soit soumis, à la rentrée parlementaire d’octobre, un projet de loi visant à créer les emplois d’avenir.
Le Président de la République s’était engagé sur 150 000 emplois. §Nous vous proposerons d’en décider 100 000 dès la rentrée prochaine.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Et puis, enfin, nous avons proposé la négociation d’un contrat de génération consistant à maintenir dans l’emploi des seniors que l’on jette trop souvent, les estimant déjà trop vieux et inutiles aux entreprises. Nous voulons préserver leur maintien dans l’emploi mais, en même temps, nous voulons, en contrepartie des aides de l’État accordées aux entreprises, que soit négociée l’embauche d’un jeune en CDI pour, à la fois, trouver un travail et bénéficier du transfert d’expérience des salariés les plus âgés.
Applaudissements
Nous proposons aux partenaires sociaux de négocier, dans les branches, des réponses adaptées pour que, dès le début de l’année prochaine, nous puissions signer les premiers contrats de génération.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous le voyez, nous ne renvoyons pas les solutions à un horizon éloigné. Nous nous attaquons dès maintenant aux problèmes, mais nous ne voulons pas décider tout seuls – parce qu’on sait que, quand on décide seul, c’est l’échec assuré ! –, nous voulons décider avec les partenaires sociaux, nous voulons contribuer, dans la justice et l’efficacité, au redressement du pays !
Applaudissements
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans cet hémicycle, personne ne peut être indifférent à l’état de notre école publique et à son avenir parce que personne ne peut être indifférent à notre jeunesse, à son éducation et à sa formation pour le redressement de notre pays.
Depuis dix ans, notre pays chute chaque année au classement qui évalue les acquis des jeunes de moins de quinze ans des pays de l’OCDE.
L’échec scolaire augmente et, chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification ni diplôme.
Les incidents graves – violences verbales ou physiques – ont augmenté, en particulier depuis 2008.
Le métier d’enseignant n’attire plus, et la réforme dite de la « mastérisation » a aggravé la situation. Un chiffre en témoigne : 18 000candidats au professorat des écoles en 2010, contre près de 35 000 en 2009.
Dans le même temps, la France est devenue le pays de l’OCDE ayant le plus faible taux d’encadrement en primaire. Elle est dans le peloton de queue des pays où les inégalités sociales ont l’impact le plus fort sur les inégalités scolaires, et c’est encore plus criant dans les départements d’outre-mer.
Dans cette situation, vos prédécesseurs ont pensé que c’était le bon moment pour réduire indistinctement et drastiquement l’encadrement humain.
Ainsi, 66 000 postes ont été supprimés depuis cinq ans et 15 000 classes ont été fermées.
Pis, 1 500 postes dits RASED, destinés à soutenir les élèves les plus en difficulté, ont aussi été supprimés !
Certes, les moyens ne sont pas forcément la clef des résultats…
Mais sans moyens minimaux, mon cher collègue, il ne peut y avoir de pédagogie adaptée ni de résultats satisfaisants. Or ces moyens minimaux n’existent plus !
Ma question est simple. Elle s’adresse à vous, monsieur le ministre, dont on sait l’attachement profond à l’école de la République, pilier de notre République laïque : qu’allez vous faire, en général, pour redresser la situation dont vous héritez ? Et qu’allez-vous faire, concrètement, dans l’urgence, pour la rentrée prochaine ? §
Monsieur le sénateur, vous avez dressé un tableau sévère mais juste de la situation qui est celle de l’école française. Dans la mesure où la France républicaine s’est construite par et autour de son école – c’est notre tradition –, le tableau que vous dressez va très au-delà de la simple situation de l’école.
Lorsqu’on attaque l’école, on attaque la France de demain et on attaque aussi cette identité nationale républicaine que certains, au cours du précédent mandat, ont voulu aller chercher du côté du rapport à l’étranger ou à l’immigration, tournant le dos à nos valeurs communes !
Lorsque le Président de la République a décidé de faire de l’école sa priorité, c’est non seulement pour accorder des moyens à l’école, mais aussi pour réunir l’ensemble de la nation autour d’une cause qui est la sienne depuis deux siècles.
Par rapport à la situation que vous évoquez, nous voulons que la nation se rassemble et, en même temps, se dépasse autour de quelques éléments qui peuvent faire consensus et nous permettre de résoudre des difficultés qui sont anciennes.
Nous entendons, tout d’abord, donner la priorité à l’enseignement primaire.
Comme vous l’avez rappelé, dans notre pays, l’enseignement primaire est mal encadré, et cette situation n’a fait qu’empirer au cours des dernières années.
Les difficultés que rencontrent les élèves au collège, au lycée et même à l’université proviennent, en réalité, des premières années d’école. Il faut donc consacrer l’essentiel de nos moyens à cet enseignement. §
Cet engagement du Président de la République se traduira dès la rentrée de septembre 2012. Là où le précédent gouvernement avait prévu de supprimer 14 000 postes, notamment plus de 5 000 postes dans le primaire et plus de 700 classes rurales, nous allons créer, quant à nous, 1 000 postes dans le primaire. Je suis en mesure de vous présenter l’état des lieux de cette répartition.
Il fallait, d’abord, viser les zones les plus en difficulté : 250 postes ont été créés dans les zones urbaines sensibles et les zones les plus en difficulté.
Il fallait, ensuite, assurer un meilleur encadrement dans les régions et les départements en difficulté : 500 postes y ont été créés.
Il fallait, enfin, mesure prise pour la première fois, cibler les zones rurales, particulièrement touchées ces dernières années.
M. Vincent Peillon, ministre. À la rentrée, nous procéderons à 250 réouvertures de classes, au lieu des 750 fermetures projetées par le précédent gouvernement.
Applaudissements
Bien entendu, l’enseignement secondaire n’a pas été oublié.
Nous devons agir tous ensemble dans la durée et mener de grandes réformes de structures. Les moyens que le Président de la République et le Premier ministre mettent à notre disposition doivent permettre une refondation de l’école de la République, qui sera aussi une refondation de la République par son école. §
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, d’adresser un message à M. le Premier ministre, même si celui-ci a quitté l’hémicycle.
M. le Premier ministre a prétendu, hier, que les députés de l’opposition étaient « désemparés ». Je souhaite le rassurer : au Sénat, l’opposition est structurée, offensive, pragmatique et sereine. §
C’est plutôt la majorité du Sénat, courte et privée de vote de confiance, qui est quelque peu désemparée !
ministre de l’éducation nationale.
Cinquante jours à peine se sont écoulés depuis votre entrée rue de Grenelle, monsieur le ministre, et vous vous hâtez déjà de refonder l’école. §Vous devriez pourtant savoir qu’il ne suffira pas de critiquer les actions menées par le gouvernement de François Fillon pour la moderniser.
En quoi ce dernier a-t-il « malmené l’éducation », comme vous le proclamez ?
N’est-il pas vrai, monsieur le ministre, que les effectifs des professeurs n’ont cessé de croître sensiblement depuis les années soixante, tandis que, dans le même temps, les effectifs des élèves diminuaient fortement ?
Ces réductions de dépenses ne sont-elles pas justifiées quand l’ensemble de notre modèle social est menacé par la crise économique que nous traversons ?
Afin de refonder l’école, vous organisez une concertation sur l’éducation, que vous qualifiez d’inédite. Auriez-vous déjà oublié le « débat national sur l’avenir de l’école », qui a conduit à l’adoption de la loi d’orientation de 2005.
Monsieur le ministre, il faudra bien plus qu’une simple concertation pour réformer l’école.
Les parents d’élèves aimeraient savoir, par exemple, ce qu’est devenue votre volonté d’envoyer des professeurs expérimentés dans les zones d’éducation prioritaire.
Quels motifs et quels objectifs assignez-vous à cette concertation ? Pour l’instant, nous n’en connaissons qu’un seul : réformer les rythmes scolaires. Mais là, aucune concertation, aucun dialogue !
Rassurez-nous, monsieur le ministre : vous avez bien conscience que cette réforme va coûter cher aux collectivités…
Le retour à la semaine de quatre jours et demi induira des coûts de cantine et de transports, la réorganisation des centres de loisirs sans hébergement et de leurs personnels. Or vous n’avez pas jugé nécessaire d’instaurer un dialogue avec les collectivités locales en charge de ces budgets ! §
Je suis heureux, madame la sénatrice, d’apprendre que vous êtes pleinement sereine. Je n’en doutais pas... (Souriressur les travées du groupe socialiste.) Je souhaite que vous conserviez cette sérénité tout au long des cinq prochaines années.
Vous avez émis, malgré tout, de très nombreuses approximations, ce qui me donne l’occasion de rectifier quelques points.
Je ne pense pas que vous puissiez vous féliciter du bilan du gouvernement Fillon, au vu des difficultés que nous rencontrons pour assurer aujourd’hui les remplacements, liées à la pénurie de professeurs, pour accueillir les enfants de moins de trois ans, …
… pour former nos professeurs et pour assurer la réussite de tous.
Je vous indique également que 90 % des lycéens professionnels, dont les résultats au baccalauréat ont encore baissé cette année, sont en échec dans les premiers cycles universitaires.
Je ne peux pas croire que cette situation, de même que la plongée systématique et continue de notre pays dans les classements internationaux, vous satisfasse.
Notre but n’est pas uniquement, bien entendu, de faire de la concertation.
Je ne crois pas non plus que vous puissiez vous réjouir du retour à la semaine de quatre jours. Les enfants de France vont à l’école seulement 140 jours par an, soit 40 jours de moins que la moyenne des élèves des pays de l’OCDE. Et cela ne signifie pas qu’ils ont moins d’heures de cours : au contraire, leurs journées de cours sont les plus chargées.
Tous ces arguments plaident pour que nous refondions ensemble notre école. Comme je l’ai dit, je crois au rassemblement autour de l’école. Je pense qu’il est sot de vouloir diviser la nation autour de l’école, comme cela a été souvent fait ces derniers temps, en opposant les professeurs, les parents et les collectivités locales. Par définition, ce n’est pas la bonne méthode. Ce ne sera pas la nôtre ; nous préférons construire.
Chère madame, toutes les collectivités locales et toutes les associations concernées ont été reçues à plusieurs reprises. Vous demanderez à Jacques Pélissard, aux maires ruraux, à Claudie Lebreton, aux présidents de région : tous peuvent en témoigner ! C’est d’ailleurs la première fois dans l’histoire de notre pays qu’une telle consultation associe un président de région. J’ajoute que des représentants des associations d’élus siègent dans les différents groupes.
Pour ma part, je suis allé systématiquement à la rencontre non seulement des parents d’élèves et des syndicats, mais aussi des associations de maires et des maires de grandes villes.
La négociation a donc lieu. Bien entendu, cette réforme devra être prise en charge par l’ensemble de ceux qui concourent à l’intérêt général, et les collectivités locales devront y prendre leur part.
Cela fait aussi partie de vos responsabilités.
Il doit y avoir aussi des mouvements d’éducation populaire, des associations, des collectivités locales. Celles-ci sont d’ailleurs les premiers investisseurs lorsqu’il s’agit d’accroître les dépenses éducatives.
M. Vincent Peillon, ministre. Il ne faut pas qu’une défausse généralisée soit entretenue par des propos trop approximatifs et trop polémiques pour être utiles au pays.
Applaudissements
Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Le 2 juillet, comme l’avait promis François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, comme le proposaient depuis des années les groupes progressistes au Sénat et à l’Assemblée nationale, comme l’attendaient des milliers de salariés, vous avez mis fin à l’un des symboles d’inégalité, je dirai même de dogmatisme, du précédent gouvernement en instaurant dès maintenant la retraite à 60 ans pour les carrières longues.
Votre décret met un terme à la pénalisation profondément injuste, directement issue de la réforme des retraites de 2010, des travailleurs ayant débuté tôt leur carrière, des chômeurs, des travailleurs handicapés, des femmes, des mères. Votre décret, c’est aussi la reconnaissance des accidents de la vie.
Je dois vous dire le soulagement de celles et ceux qui sont concernés par ce dispositif et votre reconnaissance de l’urgence sociale dans laquelle ils se trouvaient.
Il était bien du devoir de la République de dire aux femmes et aux hommes qui ont tant travaillé qu’ils peuvent relever la tête et être fiers de ce qu’ils ont apporté à la société.
Madame la ministre, sur ce dossier, le Gouvernement a agi avec célérité.
Vous avez su aussi laisser du temps, au travers de la grande conférence sociale qui s’est tenue en début de semaine, à la concertation, la vraie, parce que seul le dialogue social permettra la cohésion nationale et l’acceptation par le plus grand nombre de cette nécessaire réforme, dans la justice et l’efficacité.
Quel contraste, mes chers collègues, avec les trois semaines de débat qui nous ont réunis ici voilà deux ans !
Madame la ministre, nous connaissons vos qualités d’écoute et votre volonté de trouver des solutions concrètes, pérennes et justes. Car ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas seulement de réparer des injustices sociales ; ce sont aussi des choix d’avenir, des choix économiques.
Nous agissons aujourd’hui pour éviter la grande précarité de demain, notamment celle des plus fragiles, notamment celles des femmes.
Madame la ministre, ma question est la suivante : dans ce débat sur les retraites qui s’annonce, quelle est votre feuille de route pour remettre la France à l’endroit, pour que la France réelle, celle qui se lève tôt, celle qui travaille, parfois dans des conditions pénibles, soit, une fois n’est pas coutume, respectée, et non plus sacrifiée à la logique des marchés ?
Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir rappelé que ce qui se joue au travers de la réforme des retraites, bien au-delà des mesures qui concernent des dizaines de milliers de Français, c’est la volonté de reconnaître, de respecter, d’intégrer ces hommes et ces femmes qui ont donné leur vie au travail, à la société, et qui ont permis à notre pays de se développer.
Non seulement la réforme qui a été imposée par le précédent gouvernement n’est pas financée, raison pour laquelle nous devons nous remettre au travail, ...
... mais elle est aussi profondément injuste, tout l’effort exigé reposant sur celles et ceux qui ont exercé des métiers difficiles, qui ont commencé à travailler jeunes, qui ont eu des carrières pénibles, hachées, qui ont connu le chômage et l’inactivité.
Le Président de la République s’était engagé à mettre fin, dès son accession aux responsabilités, à cette injustice profonde. C’est pourquoi, comme vous l’avez rappelé, j’ai pris, sous la responsabilité du Premier ministre, un décret permettant à celles et ceux qui ont commencé à travailler à 18 ou 19 ans, et cotisé pendant la durée requise, de partir à la retraite dès 60 ans, sans attendre l’âge de 62 ans.
Je l’ai fait après avoir consulté l’ensemble des organisations syndicales et patronales, afin d’entendre leurs demandes et les préoccupations des Français.
Ces organisations ont souhaité que la durée cotisée soit calculée en tenant compte des temps éventuels de chômage, dans la limite de deux trimestres, et des temps de maternité, car la réforme précédente ne permettait pas de reconnaître la place et l’engagement des femmes, qui doivent pouvoir à la fois travailler et avoir des enfants.
Nous devons désormais aller au-delà. En effet, comme vous l’avez souligné, la réforme adoptée par le précédent gouvernement n’est pas financée. Au terme de la grande conférence sociale, nous avons décidé que le Conseil d’orientation des retraites pourrait présenter les estimations pour les années à venir et engager, à partir du début de l’année prochaine, une concertation dans le cadre d’une commission qui présentera des options de réforme à court et moyen terme.
Le Gouvernement entamera les discussions avec les partenaires sociaux à partir du printemps prochain, dans la perspective d’une réforme qui soit à la fois juste, financée et équilibrée. §
Monsieur le président, vous me permettrez de faire une remarque liminaire : le respect veut que toutes les questions d’actualité soient présentées avant seize heures. C’est la règle que nous avons toujours suivie !
Or il est seize heures.
Quelques petits coups de brosse à reluire en moins n’auraient pas nui à la qualité du débat, et chacun aurait pu s’exprimer ! §
Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Lors de sa campagne présidentielle, le candidat François Hollande affirmait vouloir des sanctions immédiates et systématiques contre les délinquants, et il promettait d’être « intraitable », notamment envers les « petits caïds ». Vous pouvez applaudir... §
Or, par un certain nombre d’annonces, madame la garde des sceaux, vous semblez vouloir détricoter tous les dispositifs votés pour lutter contre la grande délinquance et la criminalité : suppression des tribunaux pour les mineurs récidivistes de 16 ans, abandon de la rétention de sûreté, suppression des peines planchers ; encore dois-je avoir manqué quelques-unes de vos déclarations...
Quant à la suppression de l’expérimentation de la présence de jurés dans les tribunaux correctionnels, sans doute est-elle le gage à donner à certains corporatismes, mais elle ne va pas dans le sens de la meilleure participation des citoyens à la justice.
Dans le domaine pénitentiaire, pensez-vous réellement que, si l’on veut améliorer le taux d’exécution des décisions de justice tout en favorisant l’aménagement des peines, et améliorer aussi la condition carcérale, il soit responsable d’arrêter les programmes de construction d’établissements pénitentiaires ?
Et je ne parlerai pas des contrôles d’identité ou des conséquences, qu’il va bien falloir assumer, de la suppression de la garde à vue pour les étrangers en situation irrégulière…
Ces quelques signaux ne peuvent qu’inquiéter quant à la volonté du Gouvernement d’agir avec fermeté contre la délinquance et la criminalité, ce qu’attend pourtant la grande majorité de nos concitoyens.
Alors, madame le garde des sceaux, pouvez-vous nous exposer les grandes lignes de la politique que vous entendez mener dans ce domaine ? J’espère que vous allez nous rassurer !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
En tout bien tout honneur, au vu et au su de tous, puisque c’était dans cet hémicycle ! Or vos propos nocturnes, monsieur Hyest, étaient beaucoup plus modérés…
Vous vous préoccupez des tribunaux correctionnels pour mineurs, que vous avez introduits dans la loi du 10 août 2011. Autour de cette innovation, vous avez fait une propagande consistant à laisser entendre qu’il n’y avait pas, auparavant, de tribunaux pour juger les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans. C’était totalement faux !
J’ajoute que, depuis janvier 2012, ces tribunaux que vous avez mis en place n’ont jugé que soixante-cinq mineurs, soit 2 % des mineurs concernés…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De plus, ils ont prononcé des peines équivalentes ou inférieures à celles prononcées par les tribunaux pour enfants, ce qui prouve que la défiance dont vous avez fait preuve à l’égard des juges des enfants était déplacée autant que déshonorante !
Bravo ! et vifs applaudissementssur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
En revanche, avec cette réforme, vous avez désorganisé les juridictions.
Vous avez également fait de la propagande à propos des peines planchers, en laissant croire qu’elles serviraient à aggraver les sanctions contre la grande délinquance et la criminalité. C’était encore faux parce que le code pénal prévoyait déjà des sanctions spécifiques en cas de récidive et que les juges les prononçaient.
En revanche, les peines planchers ont rendu plus fréquentes les condamnations à de courtes peines. Songez, monsieur le sénateur, que 45 % des détenus purgent une peine de moins de six mois ! Or, vous le savez, les peines courtes sont génératrices de récidive. Vous le savez si bien que la majorité dont vous faisiez partie avait voté une loi pénitentiaire pour parer à la difficulté des courtes peines dans les prisons.
Vous avez vous-même évoqué l’accumulation des lois pénales qui ont été adoptées ces dernières années : trente lois pénales en cinq ans, en effet ! C’est la preuve d’une frénésie et, très probablement, d’un affolement. Mais, surtout, cette accumulation démontre l’impuissance de votre politique pénale.
Vous avez empilé des textes parce que vous réduisiez les effectifs des juges d’application des peines, des éducateurs, des psychologues, des psychiatres, des conseillers d’insertion et de probation.
Résultat : un taux de surpopulation carcérale qui varie de 120 à 200 % et qui atteint 300 % dans les outre-mer… Voilà le bilan de la spirale dans laquelle vous vous êtes enfermés !
Mêmes mouvements sur les mêmes travées.
Quant aux peines de sûreté, vous avez défait le suivi socio-judiciaire que la gauche avait mis en place.
Vous avez empilé les lois, mais sans jamais faire d’évaluation. Il en existe une, pourtant, et elle vous dessert : elle démontre que la récidive est beaucoup plus importante chez les personnes qui ont été incarcérées que chez celles qui ont exécuté leur peine en milieu ouvert.
Mêmes mouvements sur les mêmes travées.
Effectivement, monsieur le sénateur, notre politique ne sera pas la vôtre. La vôtre fut brouillonne. Elle a produit de l’incarcération à outrance et de la surpopulation carcérale.
Vous avez légiféré sur tout : les chiens dangereux, les halls d’immeuble, le racolage passif… §
Effectivement, nous n’agirons pas de la même façon : nous ferons en sorte que le service public de la justice soit au service des citoyens et efficace, comme l’a dit le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et je suis sûre que nous trouverons quelques parlementaires de l’UMP qui auront ce souci de la qualité du droit et de l’efficacité de la justice !
Bravo ! et vifs applaudissements
Mes chers collègues, je vous informe que toutes les questions et toutes les réponses ont été retransmises sur France 3.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.
Nous reprenons le débat sur la politique commune de la pêche.
Dans la suite de ce débat, la parole est à M. Robert Laufoaulu.
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention d’aujourd'hui peut surprendre puisque Wallis-et-Futuna n’est pas une RUP, une région ultrapériphérique, mais un PTOM, un pays ou territoire d'outre-mer. De ce fait, en apparence, la PCP, la politique commune de la pêche, ne nous concerne pas directement.
Pourtant, il est important de se rappeler que, sur les 11 millions de kilomètres carrés que compte la zone maritime de la France, plus des deux tiers se situent dans les PTOM. Et, comme le souligne la résolution adoptée par notre délégation à l’outre-mer, les accords de partenariat économique – APE – conclus par l’Union européenne avec certains pays ACP, c'est-à-dire de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique, constituent une menace pour la pêche des collectivités ultramarines, que celles-ci soient des RUP ou des PTOM. C’est la raison pour laquelle il conviendrait que Bruxelles évalue systématiquement et préventivement les effets des accords commerciaux signés par l’Union. Or, manifestement, ce travail est déficient.
Certes, nous avons des problèmes structurels évidents, dont les principaux, en ce qui concerne Wallis-et-Futuna, sont l’éloignement et l’isolement géographiques. Toutefois, si l’on ajoute à ces difficultés la concurrence de pays à main-d’œuvre bon marché, avec lesquels sont signés des accords de partenariat économique qui leur sont très favorables, sans mener une réflexion sur l’intérêt de l’outre-mer français, nous mettons en péril nos fragiles économies ultramarines et tous les efforts que nous pourrions y accomplir.
Ce constat est d’autant plus vrai pour la zone Pacifique que, à l’inverse de ce qui s’est passé avec les États de la Caraïbe, l’Union européenne n’a imposé aucune norme environnementale ou sociale dans les accords signés avec des pays ACP comme Fidji.
Pour nous, collectivités françaises du Pacifique – Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna –, qui sommes soumises aux standards environnementaux et sociaux de la France, de tels accords risquent d’ajouter des handicaps supplémentaires à nos difficultés structurelles. Avec des pays qui disposent de plus de barrières douanières et dont le coût de revient est trois ou quatre fois inférieur au nôtre, comment pourrons-nous lutter ?
Monsieur le ministre des outre-mer, je voudrais profiter de l’occasion que me fournit ce débat pour vous demander ce qu’il en est de la préparation de la nouvelle décision d’association outre-mer qui doit entrer en vigueur à partir de janvier prochain ? Comme vous le savez, les PTOM européens ont travaillé durant plusieurs années, en vue de l’échéance de 2013, pour faire évoluer leurs relations avec l’Union européenne. En tant que citoyens de l’Union, qui peuvent être élus au Parlement de Strasbourg, nous espérions une évolution vers un statut prenant davantage en compte notre appartenance à la famille européenne. Finalement, la décision, adoptée unilatéralement par l’Union, fut de maintenir le statu quo, et nous nous inclinons à regret.
Il serait important que, lors du prochain forum Union européenne-PTOM, qui se tiendra au mois de septembre 2012, nous puissions disposer du projet de décision et ainsi proposer les modifications qui s’imposent. Il faudra en particulier, dans la nouvelle décision, introduire des mesures adéquates pour les PTOM les moins développés. Si tel n’est pas le cas, compte tenu des problèmes que j’ai évoqués précédemment, nous continuerons à être des citoyens européens de seconde zone. Pis, notre situation se dégradera à cause de la signature d’APE trop favorables aux pays ACP.
Notre souhait à tous est donc que l’Union prenne mieux en compte l’existence des collectivités d’outre-mer, que celles-ci aient le statut de RUP ou de PTOM, lorsqu’elle négocie avec des pays tiers. Peut-être même, monsieur le ministre, pourrait-elle mener des actions d’évaluation régulières des APE existants, afin d’estimer les impacts négatifs ou positifs de ces accords sur les économies des RUP et des PTOM ?
L’intégration régionale constitue un élément essentiel de l’évaluation a priori et éventuellement a posteriori qui devrait guider Bruxelles. À Wallis-et-Futuna, qui bénéficie d’une zone maritime de près de 300 000 kilomètres carrés, avec une vingtaine de hauts-fonds repérés, offrant une grande diversité de ressources, nos atouts seraient réels pour développer la pêche.
Après l’arrêt des accords avec les grands pays pêcheurs d’Asie au début des années 2000, la stratégie de développement des filières de pêche adoptée en 2003 privilégie le développement d’une flottille de bateaux côtiers dédiée à la satisfaction du marché local, puis de pêche congelée pour l’export.
Cependant, il a fallu attendre 2010 pour que le premier palangrier s’installe à Wallis. Et encore l’armateur traverse-t-il, depuis son arrivée, de graves difficultés, qui synthétisent les handicaps du territoire : isolement, carence en main-d’œuvre qualifiée, infrastructures inadaptées, coût du carburant, etc.
Néanmoins, nous devons pouvoir remédier à certains problèmes, par exemple par le développement de filières d’enseignement de la pêche ou l’envoi de nos jeunes en formation dans les structures dédiées aux métiers de la mer.
L’ouverture du marché européen aux produits de la pêche des pays ACP océaniens pourrait certes anéantir toutes nos tentatives de développement d’une filière pêche à Wallis-et-Futuna. Cependant – si l’on veut voir le verre à moitié plein –, elle pourrait aussi contribuer à l’élévation des standards régionaux en matière de qualité et de traçabilité des produits exportés, au bénéfice de l’émergence de filières exportatrices vers les marchés de l’Europe et de tous les pays développés.
Plus spécifiquement, le partenariat économique durable entre les îles Fidji et l’Union européenne, couplé à l’octroi de l’agrément sanitaire européen à plusieurs usines de transformation, ouvre des perspectives d’intégration de notre filière d’export dans les canaux d’exportation de ce pays vers l’Union.
L’assouplissement des règles d’origine pour les produits du thon issus des usines océaniennes permettra à ces dernières d’élargir leur approvisionnement sans perdre les avantages douaniers à l’entrée du marché européen. Cette clause de l’accord de coopération pourrait être favorable à la pérennité de cette industrie dans la région proche, donc à l’intégration régionale de notre filière thonière, à condition bien sûr que nous soyons aidés par l’État dans cette évolution.
Par ailleurs, sans être directement lié à l’accord de coopération économique, le dispositif de lutte contre la pêche illégale instauré par le règlement 1005-2008 encadre aussi l’accès au marché européen.
Il est néanmoins regrettable que, dans le cadre de la négociation avec Fidji, aucun représentant de Bruxelles ne soit venu à Wallis-et-Futuna ou n’ait même pensé à se préoccuper des conséquences éventuelles pour notre territoire.
Aurait-il été possible, par exemple, d’exiger en contrepartie que Fidji offre des débouchés à la pêche de Wallis-et-Futuna pour la transformation dans ses usines ? Je me doute bien que la réponse est, hélas, négative. Néanmoins, je souhaiterais vivement que, en France, une réflexion soit menée sur la façon dont on pourrait amener Bruxelles à mieux prendre en compte l’intégration régionale de nos collectivités d’outre-mer dans le cadre des accords commerciaux signés par l’Union européenne.
Voilà, en quelques phrases, le message que je souhaitais vous faire entendre. Tout en m’associant pleinement à l’inquiétude exprimée dans la résolution de notre délégation à l’outre-mer, je veux espérer et croire que nos collectivités ultramarines trouveront toute leur place dans l’économie ouverte et mondialisée souhaitée par l’Europe, ce qui n’exclut ni la vigilance ni la persévérance dans la défense de l’outre-mer.
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, Joël Labbé a déjà développé ce matin le point de vue des écologistes sur la politique commune de la pêche. Je ne reviendrai pas sur ses propos, auxquels je souscris tout à fait. Néanmoins, en tant que membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, c’est sur la situation spécifique des territoires ultramarins que je souhaite m’exprimer.
Nous le savons, la pêche constitue un enjeu économique et social vital pour ces territoires. La Martinique est le premier département de France en matière de pêche artisanale, qui constitue 100 % du secteur et représente environ 3 000 emplois. En Guyane, la pêche est le troisième secteur productif. En Guadeloupe, le chiffre d’affaires de la filière est proche de celui de la canne à sucre ou de la banane. Et ce ne sont là que quelques illustrations de cette réalité.
Étant donné le nombre de personnes qui dépendent directement de la pêche, pour en tirer leur nourriture ou des revenus, je comprends et même partage les souhaits de mes collègues ultra-marins de voir leurs territoires exonérés de certaines contraintes que la politique commune de la pêche fait peser sur leurs économies et qui sont parfois si mal adaptées aux réalités de ces mêmes territoires.
Cependant, il ne faut pas oublier combien sont totalement imbriquées, outre-mer comme ailleurs, les questions environnementales, économiques et sociales. En effet, si la ressource halieutique n’est pas garantie, l’économie et l’emploi dans ce secteur ne le seront pas non plus.
On le sait, si les régions et collectivités d’outre-mer représentent 80 % de la biodiversité française, ces territoires, pour l’essentiel insulaires, sont également plus fragiles que les autres et davantage exposés aux conséquences du changement climatique, aux risques naturels majeurs et aux effets des activités humaines.
La politique commune de la pêche peut nous paraître contraignante, et elle l’est d'ailleurs en partie. Toutefois, il faut en avoir conscience, elle l’est beaucoup moins que les menaces que fait peser à long terme l’épuisement des ressources halieutiques. Au moment où certains prétendent que ces dernières seraient en bien meilleur état outre-mer qu’en métropole, il nous semble important d’appeler à la vigilance, car les connaissances scientifiques actuelles, limitées, n’offrent malheureusement pas à ce jour une vision complète de l’état de la ressource. L’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, est le premier à le déplorer : certains stocks outre-mer ne sont pas du tout suivis scientifiquement ; il faudrait sans doute mobiliser à cet égard un certain nombre d’énergies.
Nous, écologistes, ne partageons donc pas l’optimisme « mécanique » de certains en ce qui concerne la ressource halieutique ultra-marine. Nous considérons donc qu’il faut viser un double objectif : d'une part, s’assurer de la durabilité de la ressource halieutique ; d'autre part, faire en sorte que ces activités de pêche profitent en priorité aux territoires et aux populations de l’outre-mer, dans le respect d’un développement local endogène bien compris.
L’Union européenne pourrait en fait subordonner le paiement de ses aides publiques au respect de normes environnementales et sociales.
Par exemple, il s'agirait, outre-mer, de rétablir les subventions à la construction de navires pour les artisans pêcheurs ou de mettre un terme aux restrictions décidées en la matière – d’autres l’ont souligné avant moi –, pourvu que les nouvelles flottilles ainsi créées permettent une réduction de la dépendance énergétique des unités de pêche et la généralisation d’engins et de techniques plus « soutenables » pour l’écosystème, c'est-à-dire qui respectent les fonds marins, les habitats et les espèces.
Il s’agirait également de favoriser l’apprentissage et l’usage des bonnes pratiques, d’encourager les professionnels qui pêchent de manière plus écologique et socialement responsable.
Il nous paraît aussi important de nous battre pour les aires marines protégées, car il est nécessaire de se doter de tels outils pour favoriser le rétablissement des ressources halieutiques.
Par ailleurs, il est primordial que les activités de pêche bénéficient aux communautés côtières. Cela implique, par exemple, de débarquer les prises locales sur les rivages des zones concernées, d’y baser les navires, leur équipage et leur approvisionnement ou d’y investir de façon volontariste dans les industries de transformation.
L’encouragement à la constitution ou au développement de coopératives locales permettrait également de s’assurer que les produits de la pêche bénéficient aux populations concernées.
Je souscris en outre à tous les propos tenus par mes collègues sur la nécessité de développer la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.
Enfin, je ne peux me résoudre à terminer cette intervention sans rappeler le nombre préoccupant de pêcheurs victimes dans la Caraïbe de la catastrophe du chlordécone.
Ce point nous a été confirmé lors des auditions réalisées par la délégation. Les difficultés de ces pêcheurs sont très insuffisamment prises en compte.
Le chlordécone présent dans les terres parvient dans la mer par le ruissellement, ce qui emporte des conséquences extrêmement graves à la fois sur l’environnement, sur la santé des populations et sur l’activité économique des pêcheurs. Par exemple, on nous a indiqué que, en Martinique, 400 pêcheurs – un nombre de plus en plus important et préoccupant – étaient concernés par ce problème.
En conclusion, je considère, bien sûr, que mon collègue Serge Larcher, président de la délégation à l’outre-mer, a eu raison d’attirer l’attention sur la nécessité pour l’Union européenne de prendre en compte les réalités de la pêche des outre-mer français.
J’estime également qu’il faut garder ce point à l’esprit que la pêche durable ne doit pas simplement être conçue comme une contrainte. Il est possible de concilier l’objectif de durabilité et le développement des économies locales en adaptant les dispositions de la politique commune de la pêche pour en renforcer la cohérence outre-mer. La pêche artisanale et l’aquaculture constituent dans ces territoires un secteur économique essentiel qui, si nous sommes vigilants, a un avenir durable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à me réjouir de la tenue de ce débat sur la pêche, secteur d’une importance économique et sociale primordiale pour l’ensemble de nos départements d’outre-mer qui ont le statut de régions ultrapériphériques, ou RUP, au sein de l’Union européenne. Mayotte ne devrait plus tarder à les rejoindre.
Le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mon cher collègue et ami Serge Larcher, a saisi le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, pour qu’un débat soit organisé. Celui-ci, toujours attentif à nos outre-mer, s’est fait le fidèle et efficace interprète de cette demande auprès du Gouvernement, qui, soucieux de respecter son engagement de valoriser l’expression de la représentation nationale, a accepté d’accueillir cette initiative sénatoriale dans le cadre de cette session extraordinaire. Voilà qui, me semble-t-il, constitue une première !
L’importance du sujet justifie pleinement l’organisation d’un tel débat en amont des procédures bruxelloises : le calendrier annoncé à ce jour pour la réforme de la politique commune de la pêche, la PCP, prévoit l’examen par le Parlement européen d’un texte en première lecture à l’automne prochain. Vous ne me contredirez pas sur ce point, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer : cela nous permettra dès la rentrée d’aller à la rencontre des instances européennes afin de leur présenter notre résolution sur la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche de nos outre-mer.
Rappelons aussi que, bien que notre délégation ne dispose pas d’un pouvoir d’initiative propre, le 31 mai dernier, dans un bel élan d’enthousiasme et au terme d’une série d’auditions qui nous a largement mobilisés, la résolution précitée a fait l’objet d’une approbation unanime lors de sa présentation. Permettez-moi de remercier en cet instant le co-rapporteur désigné par notre délégation, Charles Revet, qui nous a fait profiter de sa connaissance approfondie du secteur de la pêche et avec lequel j’ai eu grand plaisir à travailler : je crois que nous avons formé un duo harmonieux ! §
Notre proposition de résolution, après avoir été adoptée sans modification par la commission des affaires européennes et par la commission des affaires économiques, est devenue tacitement résolution du Sénat le 3 juillet dernier.
Le débat d’aujourd’hui permet de pointer des constats et des paradoxes, voire des contradictions préjudiciables à la pêche ultramarine, que nous tenons à dénoncer.
Tout d’abord, un certain nombre de constats justifient un traitement européen spécifique de la pêche dans nos outre-mer.
Pour commencer, je rappellerai le leitmotiv selon lequel, grâce à ses outre-mer, départements d’outre-mer et collectivités d’outre-mer confondus, la France dispose de la deuxième surface maritime mondiale.
Les DOM français sont considérablement plus éloignés du marché européen et géographiquement plus dispersés que les RUP espagnoles – les Canaries – et portugaises – les Açores et Madère –, ce qui pose une difficulté accrue d’accessibilité à ce marché.
La pêche ultramarine représente une part importante de la pêche nationale : près de 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins pêcheurs.
À l’exception de la pêche hauturière australe, la précieuse pêche à la légine, et de la pêche palangrière dans l’océan Indien, la pêche dans les DOM, essentiellement de nature côtière, est réalisée avec des embarcations de petite taille : elle occasionne très peu de rejets. L’utilisation de dispositifs de concentration de poissons – les DCP – ancrés collectifs contribue même à la régénération des espèces non pélagiques.
À la différence des eaux européennes proches du continent, les eaux ultramarines regorgent de ressources halieutiques : aucune espèce n’y est placée sous quota, à l’exception de la crevette guyanaise pour laquelle le quota autorisé n’est pas atteint. Dans une communication de 2008, la Commission européenne a elle-même reconnu que les ressources halieutiques des RUP étaient riches et relativement préservées.
En raison de son caractère essentiellement vivrier, la pêche dans les DOM joue un rôle économique et social vital : quelle famille n’a pas son pêcheur ? La pêche est donc à la fois un secteur d’activité traditionnel, porteur de sens et de lien social au-delà de sa fonction strictement économique, et un secteur à fort potentiel de développement, y compris dans le domaine de l’aquaculture.
Encore faut-il lever un certain nombre de contraintes et de paradoxes qui entravent ce développement. Or l’Europe ne s’ouvre que très lentement à la reconnaissance des spécificités ultramarines. Rappelons que le Livre vert de 2009 ignorait les RUP ! Ainsi, les règles européennes adoptées en matière de pêche soit ne trouvent pas à s’appliquer aux RUP françaises – application dès 2015 du rendement maximal durable, interdiction totale des rejets et système de concessions de pêche transférables –, soit – qui pis est – entrent en contradiction avec les réalités ultramarines et sont préjudiciables au développement d’un secteur clé pour nos collectivités.
La situation est d’autant plus cruciale à l’heure où la crise frappe nos outre-mer de plein fouet, ce qui a suscité l’initiative de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Sa proposition de résolution, devenue résolution du Sénat, formule les préconisations suivantes.
Tout d’abord, les règlements relatifs tant à la politique commune de la pêche qu’au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, doivent prévoir des dispositions spécifiques aux RUP sur le fondement de l’article 349 du traité de Lisbonne qui reste très insuffisamment invoqué, comme l’a lui-même reconnu le Parlement européen dans une résolution du 18 avril dernier. Ainsi faudrait-il rétablir la possibilité d’octroyer des aides à la construction de navires dans les RUP, car les embarcations y sont anciennes et vétustes, maintenir les aides aux investissements à bord et autoriser certaines subventions au fonctionnement, pour financer par exemple les DCP ancrés collectifs au profit d’une pêche sélective et durable.
Il faut également obtenir le maintien de deux dispositifs existants : le taux d’intensité d’aides majoré et le régime de compensation des surcoûts, ou dispositif POSEI pêche, dont nous demandons l’extension du bénéfice aux Antilles.
Par ailleurs, nous réclamons la création d’un comité consultatif régional spécifique aux RUP. Les acteurs ultramarins du secteur de la pêche disposeraient ainsi d’un lieu d’expression pour faire valoir leurs spécificités auprès de l’Union européenne.
Nous souhaitons aussi une meilleure articulation entre la politique commerciale de l’Union européenne et ses politiques sectorielles, notamment la PCP : les accords de partenariat économique, ou APE, conclus par l’Union européenne avec les pays voisins des DOM, loin de favoriser l’insertion régionale de ces derniers, sont dévastateurs pour leurs économies soumises à des contraintes normatives et à des coûts de production sans commune mesure. Il faut donc au minimum exiger une évaluation systématique et préventive des effets des accords commerciaux sur les RUP.
Nous demandons enfin que la problématique de la pêche illégale, fléau qui, dans certaines zones, provoque le pillage de nos ressources, soit prise en compte dans la négociation des APE.
Toutes ces demandes, loin d’être exorbitantes, ne sont que la juste prise en considération de réalités trop longtemps ignorées de Bruxelles : l’acuité de la crise économique et sociale qui frappe nos DOM rend cruciale l’urgence de leur mise en œuvre ! Messieurs les ministres, nous espérons vivement que la résolution sénatoriale, expression de la représentation nationale, vous sera d’un précieux appui lors des négociations que nous savons âpres. §
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme cela a été rappelé ce matin, l’Union européenne possède le plus grand territoire maritime du monde. La pêche représente donc une possibilité de ressources, à la fois financières et alimentaires, qu’il ne faut surtout pas négliger.
L’Europe est actuellement le quatrième producteur de pêche et d’aquaculture : plus de 6 millions de tonnes de poissons sont pêchés chaque année. En outre, sa flotte est constituée de plus de 80 000 navires.
Pourtant, 80 % des produits de la mer consommés par les citoyens européens sont importés. Je suis persuadé qu’une meilleure information du consommateur sur cette question permettrait de faire diminuer nettement cette importation. À cet égard, l’idée d’instituer un écolabel me semble judicieuse.
Pour la France, cette importation massive représente un déficit de sa balance commerciale qui a été multiplié par deux en trente ans, pour s’établir à 770 millions d’euros en 2011. La production annuelle diminue constamment. De ce fait, ces deux dernières années, notre pays a perdu près de 1 000 navires.
Ce constat nous amène à accueillir la réforme de la politique commune de la pêche – sa dernière révision date de 1992 – avec une grande attention, tant il est nécessaire de tenir compte des évolutions de ce secteur. Cependant, une vigilance particulière doit être portée sur trois points particuliers : les diagnostics, les concessions de pêche transférables et le volet social.
La majorité des mesures prises par la Commission européenne le sont sur la base de diagnostics. Or ceux-ci sont discutables. Estimés peu crédibles, ils sont souvent remis en cause.
L’ensemble des instruments de la politique commune proposés par la Commission européenne vise à protéger l’exploitation de la mer en réduisant la capacité de la flotte de pêche européenne. Mais ces politiques ne pourront pas véritablement s’appliquer tant que les études relatives à la surexploitation des ressources halieutiques seront contestées.
En matière de ressources, nous le savons, la situation est encore préoccupante pour certaines espèces. Toutefois, l’insuffisance des connaissances scientifiques dans ce domaine ne nous permet pas de disposer de points de référence permettant de dresser un réel constat. Ainsi, sur les 193 stocks suivis à l’échelon européen, moins de la moitié a fait l’objet d’un diagnostic avec des points de référence.
Par conséquent, il est indispensable que ces diagnostics donnent lieu à des évaluations contradictoires, qui doivent être effectuées en concertation avec les professionnels de la pêche afin de crédibiliser les recueils de données pour qu’ils deviennent incontestables.
Soyons convaincus que le dialogue et les évaluations partagées seront source de crédibilité et donc d’efficacité pour la préservation de la ressource halieutique. Tout le monde s’accorde sur ce point.
J’en viens aux concessions de pêche transférables. Sur ce sujet, la position de la France est claire : ces concessions ne sont pas acceptables !
Dès 2010, le Sénat a fait part de son opposition à ce type de projet dans une résolution européenne et sa position n’a pas varié depuis. Les concessions de pêche transférables ont le principal inconvénient de concentrer les droits de pêche, au détriment de la pêche artisanale, pourtant principal levier de l’emploi. Celle-ci représente plus de 80 % de la flottille en France et 83 % de la flotte européenne. Elle doit donc être préservée, voire renforcée.
Par ailleurs, les concessions de pêche transférables affaiblissent les organisations de producteurs en les remplaçant par le jeu du marché. Seul le marché régulerait alors un bien public, ce qui est absolument inacceptable !
Dans son avis sur la future politique commune des pêches en date du 31 janvier dernier, le Conseil économique, social et environnemental propose également de rejeter ce système de droits individuels transférables.
Par votre voix, monsieur le ministre, le Gouvernement écarte la proposition de la Commission européenne et souhaite donc laisser aux États la possibilité de rejeter la mise en place de concessions de pêche transférables, ce dont nous nous félicitons.
Par ailleurs, je me réjouis des propos que vous avez tenus ce matin, relevant à cette occasion votre participation assidue aux réunions du Conseil européen, ce dont je tiens à vous remercier, votre présence constituant un élément extrêmement positif. Je me plais à le souligner, car, lors des négociations sur les quotas de pêche relatifs à l’anchois notamment, la France avait péché, si je puis dire, en brillant par son absence, alors que l’Espagne avait été fort bien représentée par son ministre. Notons que, dans ce pays, la pêche occupe la même place que l’agriculture chez nous.
Pour finir, je souhaite remettre au centre des discussions un sujet particulièrement important, notamment dans la situation de crise que nous connaissons. Je veux parler du volet social de la réforme de la politique commune de la pêche.
Cette réforme est attendue depuis de nombreuses années. Elle est en gestation depuis la publication du Livre vert au mois d’avril 2009. Pourtant, le volet social en est quasiment absent. C’est une erreur qui doit être corrigée, notamment par une harmonisation européenne des conditions de travail des marins pêcheurs.
Comme le propose le Conseil économique, social et environnemental dans son avis du mois de janvier dernier, un socle de règles sociales minimales devrait être mis en place. Il faut réaliser une harmonisation par le haut des réglementations sociales, ce qui permettra une concurrence plus saine et, surtout, plus loyale entre les États membres.
Le développement du dialogue social et la mise en place de parcours de formation et de perfectionnement aux métiers de la pêche, avec des passerelles vers d’autres métiers, notamment lorsqu’existent de grosses difficultés de reconversion, doivent faire partie des priorités de la nouvelle politique commune de la pêche.
La sécurité des marins doit également être améliorée par la formation ainsi que par la modernisation non seulement des bateaux, mais aussi des équipements de débarquement.
Ce qui est vrai pour la pêche l’est dans de multiples domaines : l’Europe économique et financière ne peut se parfaire qu’accompagnée d’une meilleure Europe sociale, faite de dialogue et de respect mutuel. Tel est le vœu que nous formons pour l’avenir en général et pour celui de la pêche en particulier. §
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en ce qui concerne les outre-mer, la politique commune de la pêche souffre de deux maux.
En premier lieu, la PCP ne prend pas suffisamment en compte les réalités de la pêche ultramarine, le rapporteur et les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune n’ont pas manqué de le souligner.
La Commission européenne méconnaît presque systématiquement les spécificités des RUP, les régions ultrapériphériques, et ce en dépit de l’article 349 du traité de Lisbonne.
Cette attitude est une constante : la Commission européenne prend régulièrement des résolutions qui sont animées par de bonnes intentions, mais qui demeurent des vœux pieux. La résolution du 18 avril 2012, qui prône « l’adoption de mesures spécifiques pour assurer aux RUP une intégration juste », risque de ne pas échapper à la règle !
En second lieu, quand des dispositifs spécifiques sont adoptés, ils le sont sans discernement.
J’avais fait remarquer dans cette même enceinte qu’il y avait non pas un, mais des outre-mer et demandé par amendement lors de l’examen de la LEODOM que l’on ne dise plus « l’outre-mer » mais « les outre-mer ». Cet amendement ayant été adopté, ce texte est devenu la loi d’orientation pour le développement économique « des » outre-mer.
C’est une réalité qui se vérifie à tous les niveaux et Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, a parfaitement raison d’écrire dans son récent rapport que « en matière de pêche, il n’y a pas un mais des outre-mer » et que la pratique de la pêche n’est pas uniforme dans les DOM.
Certes, la pêche occupe une place prépondérante dans l’économie de tous les territoires outre-mer, et bon nombre de problématiques communes appellent certainement des solutions communes.
Je pense notamment aux questions relatives aux frais de transport, au coût du carburant, à l’interdiction des aides à la construction, au déficit des infrastructures portuaires, des structures de transformation et de commercialisation ou encore à la vétusté des embarcations, source de surcoûts d’exploitation.
Il n’en demeure pas moins que, si ces problématiques sont communes, il y a aussi des réalités différentes et des mesures appropriées doivent être prises pour chacun des outre-mer.
La Guyane – vous comprendrez que je parle de mon département – a, bien sûr, sa singularité. Elle se différencie notamment des autres DOM par sa continentalité. Or il n’est question dans le traité que d’insularité. Est-ce de la méconnaissance ou de l’ostracisme à l’égard de la Guyane ? (Contrairement aux autres régions ultrapériphériques, elle a un important plateau continental.
La Guyane se distingue encore par la nationalité de ses équipages, composés majoritairement de ressortissants de pays tiers à l’Union européenne : 81 % des marins et 86 % des capitaines.
Son vaste domaine maritime, avec une façade de 350 kilomètres et une zone économique exclusive d’une superficie d’environ 130 000 kilomètres carrés, lui permet de disposer de ressources maritimes et halieutiques riches, mais aussi d’autres ressources dont l’exploitation pourrait contrarier le développement de la pêche.
Aussi l’accent doit-il obligatoirement être mis sur quelques points inhérents à la Guyane pour permettre à celle-ci d’assurer le développement de son secteur de la pêche, troisième secteur productif qui, avec 840 actifs en direct et 2 400 actifs en indirect, couvre totalement les besoins alimentaires des Guyanais en produits de la mer et exporte principalement aux Antilles.
Le premier de ces points est le financement.
La Guyane est la seule région littorale française à ne pas disposer de caisse régionale de Crédit maritime. De plus, le secteur étant considéré comme à haut risque par les banques commerciales, celles-ci ne participent pas au financement des investissements des entreprises de pêche, ce qui entraîne de nombreuses conséquences et rend notamment impossible la consommation des crédits du Fonds européen pour la pêche par les très petites entreprises, ce qui a eu un impact sur le programme opérationnel de 2007-2013.
Aussi est-il urgent de mobiliser les institutions financières européennes, la Banque européenne d’investissement et le Fonds européen d’investissement, et de prévoir des outils de financement adaptés à la filière pêche dans la future Banque publique d’investissement.
Il est également essentiel de maintenir les aides publiques – je pense particulièrement au FEAMP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ainsi qu’au FEDER – pour le financement de projets de la première et deuxième transformation des produits de la mer, la réforme de la FEAMP faisant craindre des réductions défavorables aux régions d’outre-mer.
Un autre point essentiel est la protection de la ressource.
La Guyane est confrontée à un pillage récurrent de ses ressources halieutiques et ses marins sont agressés par l’intrusion de nombreux bateaux de pêche brésiliens et surinamiens qui violent les frontières maritimes. Il est grand temps que cesse cette menace sur la pérennité de nos ressources halieutiques.
Il est urgent, non seulement de renforcer les moyens matériels et humains de lutte contre la pêche illégale et la piraterie en mer, mais également d’obtenir des autorités brésilienne et surinamaise une mobilisation plus ferme. La situation est presque la même qu’en matière d’exploitation aurifère illégale. Les autorités de l’État ont été très souvent sollicitées et interpellées sur cette question centrale par les professionnels de la pêche, qui demandent l’application du traité de Lisbonne pour éviter toute violation des frontières.
Vous en avez parlé, monsieur le ministre, mais, à ce jour, on ne constate aucune véritable réaction. Faut-il attendre que, comme pour l’or, il y ait des morts pour que l’on mette en place des moyens adéquats ?
Le troisième point important est la nécessité de concilier les intérêts de la pêche et de l’exploitation minière.
La politique commune de la pêche doit ainsi permettre l’harmonisation entre les lois nationales et les directives européennes encadrant les activités de production de pétrole offshore, en veillant à l’application du principe pollueur-payeur.
La nécessité d’avoir une gouvernance est tout aussi fondamentale. En effet, la prise en compte des spécificités des RUP en matière de pêche passe aussi par la reconnaissance de leurs différents environnements régionaux et de leur appartenance à des bassins différents.
Ainsi, pour la Guyane, je m’associe pleinement aux propositions de la profession s’agissant de la subsidiarité de représentants en faveur des État et professionnels locaux dans les forums internationaux. Je pense également à la création d’un forum entre plateau des Guyanes – Guyane, Guyana et Suriname –, Brésil et Venezuela, à la reprise des négociations bilatérales avec les États de la Caraïbe ainsi qu’à la création d’un forum Caraïbe de concertation sur la gestion des ressources.
Pour conclure, j’insisterai encore une fois sur la nécessité que soient pleinement appliqués les articles 359 et 355, paragraphe 1, du TFUE, car c’est un préalable à toute négociation. Pour cela, à l’instar des États espagnol et portugais pour leurs RUP respectives, l’État français doit avoir la volonté d’imposer à la Commission européenne les mesures spécifiques « réellement nécessaires » pour ses RUP.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m’exprimerai également au nom de Mme Frédérique Espagnac, qui ne peut être présente cet après-midi.
Au-delà des divergences de notions derrière lesquelles se réfugient les États, notamment la France, pour se différencier de l’Union européenne, j’évoquerai un mode, une idée, une philosophie de la pêche que je soutiens. La pêche artisanale n’est-elle pas celle du citoyen ?
Si la réglementation pour qualifier cette notion est diverse et variée, la manière de l’aborder est, elle, unique et uniforme : la pêche artisanale, c’est avant tout la volonté d’assurer une pêche durable, responsable et respectueuse de la biodiversité.
Chacun doit pouvoir revendiquer sa place à condition de respecter, de la manière la plus transparente possible, les règles communautaires établies. Le marché de la pêche ne doit en aucun cas devenir un ersatz d’ultralibéralisme et les ressources halieutiques ne doivent pas faire l’objet d’échanges non régulés. Or la France a une voix forte à faire porter au sein de l’Union européenne, puisqu’elle dispose de la deuxième surface maritime mondiale, et ce grâce aux outre-mer.
Puisqu’il apparaît que les stocks des milieux marins souffrent actuellement d’une surexploitation avoisinant les 80 %, il serait à mon sens opportun de mieux répartir les zones de pêche entre les industriels et les artisanaux. Tous sont nécessaires pour garantir l’essor de ce secteur ; je ne peux blâmer un tel plutôt que tel autre. Il s’agirait simplement de privilégier la cohérence des actions de chacun afin de promouvoir une pêche écologiquement durable, économiquement viable et socialement équitable.
Le développement de la pêche est par ailleurs confronté à des entraves régionales, parmi lesquelles la pêche illégale pratiquée par des pêcheurs de pays frontaliers. Il s’agit d’une problématique essentielle et très sensible en bien des endroits. C’est notamment le cas dans le département de Frédérique Espagnac, les Pyrénées-Atlantiques, où les zones de pêche sont constamment investies par des pêcheurs étrangers ne respectant que trop rarement les quotas européens, ce qui a de graves conséquences tant sur le plan économique et écologique qu’en matière de sécurité.
C'est la raison pour laquelle il serait primordial de s’orienter vers un autre mode de gestion de la politique commune de la pêche. Il est en effet plus que nécessaire de prendre en compte tous les avis, tous les besoins, toutes les contraintes des personnes concernées par la pêche à l’échelon local.
La politique dite « de régionalisation » doit être approfondie. L’adoption à Bruxelles de règles-cadres pour une application spécifique, adaptée aux particularismes régionaux, doit être encouragée.
Pouvoirs publics locaux, patrons pêcheurs, armateurs, chalutiers doivent pouvoir coexister. D’ailleurs, plutôt que de parler de coexistence, orientons-nous vers un travail coopératif, effectif et solidaire, qui engloberait les intérêts de chacun et ne délaisserait personne.
Nous devons nous efforcer de respecter les techniques de pêche des artisans comme celles des industriels. Nous devons faire en sorte que tous travaillent en fonction des espèces présentes dans telle ou telle zone maritime. Néanmoins, nous devons faire évoluer certaines pratiques, comme les rejets de pêche, pour les rendre plus durables. Mais il faut du temps et les initiatives locales doivent être soutenues.
À cet égard, Frédérique Espagnac aurait aimé être présente aujourd’hui pour vous faire part de l’action de patrons pêcheurs de son département qui, en association avec des collègues d’autres régions – Bretagne et Languedoc-Roussillon notamment –, sont convenu le 5 juillet dernier d’une déclaration commune avec le concours des associations WWF et Greenpeace. Cette initiative démontre que pêcheurs et écologistes peuvent avoir des intérêts communs et des rapports complémentaires.
Dans les propositions qu’elle a récemment présentées, la Commission européenne a recommandé un renforcement des quotas de pêche et une réduction des flottes de pêche afin de préserver les ressources halieutiques, tout en maintenant des sources de revenus dans les zones côtières européennes.
Même si l’on peut partager le souci de réformer la politique commune de la pêche, ces propositions sont inadaptées à l’heure actuelle.
Par exemple, la mise en place du « rendement maximal durable » espérée à l’horizon 2015 visant à ne pas porter atteinte à la survie des espèces pourrait se révéler fatale à un secteur d’activité qui représente près de 25 000 emplois en France, dont 80 % concernent des flottilles artisanales.
Alors que les chiffres de ces dernières années marquent une évolution à la baisse du nombre d’emplois, en particulier dans la pêche artisanale, diminuer drastiquement les quotas sans prendre en considération cette situation sociale accentuerait davantage ce phénomène. La mise en place d’une pêche raisonnée peut et doit être envisagée autrement.
Si le temps est la plus petite chose dont nous disposons, alors il est urgent d’agir ensemble pour que cette réforme soit un succès !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la réforme de la politique commune de la pêche, l’Europe ne condamne pas la pêche dans les régions ultrapériphériques, elle fait pire : elle ignore les réalités qui les distinguent des autres régions métropolitaines.
Dans les régions ultrapériphériques, il est pourtant clairement établi que les espèces exploitées ne sont pas en surpêche et relèvent rarement des quotas, tandis que la flottille, vétuste en général et composée de petites embarcations, n’est pas en surnombre. Les objectifs de réduction des prélèvements apparaissent donc inadaptés pour ces régions.
De plus, compte tenu de la possibilité accordée aux États d’exclure la pêche artisanale du système des concessions de pêche transférables, l’interdiction des rejets ne concernant pas encore les espèces pêchées outre-mer, la réforme de la politique commune de la pêche ne trouve pratiquement pas de domaine d’application en outre-mer.
Pour nous, l’enjeu consiste à rendre lisible pour l’Europe la situation des pêcheries dans nos territoires. À cet égard, le règlement n° 639 du 30 mars 2004 dérogeait déjà à la réglementation européenne relative à la gestion des flottes, notamment en termes de diminution globale.
Ainsi, jusqu’en 2007, l’outre-mer est resté éligible aux aides publiques, avec la possibilité d’augmenter les unités, le tonnage et la puissance motrice de la flottille artisanale.
Aujourd’hui, la communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 permet d’attendre que la carence de disposition spécifique dans le projet de réforme de la politique commune de la pêche soit comblée.
En effet, la reconnaissance des contraintes qui pèsent sur les régions ultrapériphériques s’inscrit au cœur du partenariat avec l’Union européenne, pour une croissance intelligente, durable et inclusive, conformément à l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Plusieurs propositions intéressantes sont à relever.
Tout d’abord, la Commission européenne énonce la possibilité d’un taux de cofinancement de 85 % pour aider les régions ultrapériphériques à tirer le meilleur parti des fonds d’investissement européens.
Si la mesure est attendue pour les projets de modernisation et de construction de nouvelles usines nécessaires à la valorisation des produits de la pêche, elle ne répond, hélas ! qu’imparfaitement aux besoins de la pêche artisanale.
C’est ainsi que l’absence quasi totale de contreparties privées interdit l’accès à de tels dispositifs. Georges Patient l’a souligné, je le répète : la Guyane se trouve dans la situation exceptionnelle d’être la seule région littorale à ne pas disposer d’une caisse régionale de Crédit maritime.
De la sorte, la modernisation de la flottille, le remplacement des moteurs, les équipements portuaires, les points de débarquement et les coopératives d’avitaillement, en manque cruel de financements, constituent de lourds handicaps pour la filière.
La Commission européenne propose également que la gestion des stocks soit réalisée à l’échelle régionale, par bassin, en fonction de l’état actuel de la ressource. Cette approche méthodologique présente l’intérêt de poser la question des moyens nécessaires au recensement de la ressource et à sa gestion évolutive, en associant sur un territoire tous les acteurs de la filière.
Il s’agit en effet de prendre en compte l’impact des différents types d’agression du milieu marin, le pillage récurrent par des pêcheurs illégaux, les problèmes d’assainissement des eaux, la pollution tellurique et le rejet de produits nocifs, soit autant de causes de la raréfaction de la ressource qu’il faut mesurer précisément avant de décider d’éventuelles mutations.
Enfin, la Commission européenne reconnaît l’importance d’associer les régions ultrapériphériques à l’élaboration de la politique commune de la pêche en proposant la création d’un conseil consultatif des régions ultrapériphériques.
Nous devons nous réjouir que cette mesure, reconnue nécessaire tant par le Sénat dans sa dernière résolution européenne que par le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport sur la politique commune des pêches du mois de janvier 2012, soit reprise par la Commission européenne.
Toutefois, il paraît nécessaire d’aller plus loin que le texte de la communication : les régions ultrapériphériques devraient également être présentes, aux côtés de l’Union européenne, dans les organismes internationaux. Je pense par exemple à la Communauté des Caraïbes, CARICOM, en particulier au Mécanisme régional sur les pêches du CARICOM, le CRFM, ou à la Commission des thons de l’océan Indien.
Les régions ultrapériphériques pourraient également être à l’origine d’une concertation régionale comme un forum du plateau des Guyanes qui regrouperait la Guyane, le Suriname, le Guyana, le Brésil et le Venezuela.
La prise en compte des régions ultrapériphériques dans les accords de partenariat économique conclus par l’Union européenne est également une assurance nécessaire, même si elle arrive un peu tard.
Il est indispensable que les producteurs des régions ultrapériphériques puissent faire face à la concurrence non seulement de l’Union européenne – le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI Pêche, doit donc être maintenu – mais aussi des États tiers ayant des accords avec l’Union européenne.
Les régions ultrapériphériques souffrent en effet de ces accords de libre-échange où les partenaires ne se voient pas toujours imposer de norme sociale ou environnementale contraignante.
L’incidence de ces accords sur la compétitivité des régions doit être mesurée et compensée, mais il est également indispensable d’y joindre des clauses de coopération dans la lutte contre les pêches illicites, non déclarées et non réglementées.
En Guyane, par exemple, la pêche étrangère illégale double, voire triple l’effort de pêche tant dans les eaux maritimes que dans les eaux intérieures, vous l’avez à juste titre souligné ce matin, monsieur le ministre.
Pour finir, si l’objectif de la réforme de la politique de la pêche est partagé et si des désaccords peuvent s’exprimer avec les solutions retenues par la Commission européenne, la visibilité de la Commission européenne de la réalité des régions ultrapériphériques en matière de pêche est insuffisante et doit être améliorée.
Je resterai donc vigilant quant à la prise en compte et au développement des recommandations de la résolution européenne que le Sénat a adoptée. §
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation d’un débat sur la pêche et ses enjeux, notamment dans les territoires d’outre-mer, est inédite dans le cadre d’une session extraordinaire. Nous la devons aux heureuses initiatives que sont les résolutions sénatoriales. Cela nous a permis de mesurer la grande convergence de vues et les nombreux points d’accord qui existent entre les orateurs qui se sont succédé à la tribune et la position du Gouvernement. C’est celle-ci que nous avons défendue lors du dernier conseil des ministres de l’Union européenne et que nous défendrons encore lors des prochaines étapes, afin que ce point de vue puisse triompher.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons avec vous une vision équilibrée du développement durable ; nous partageons avec vous l’exigence d’un indispensable volet social dont nous regrettons l’absence dans la PCP. Le texte adopté par le conseil des ministres de l’Union européenne du 12 juin dernier a permis, à l’issue d’une longue négociation, de nombreuses améliorations, notamment en ce qui concerne les objectifs de la PCP. Toutefois, un important travail reste à réaliser.
Nous faisons nôtre l’enjeu d’atteindre progressivement le rendement maximal durable au plus tard en 2020. Nous nous associons au refus catégorique des concessions de pêche transférables qui s’est exprimé, qui revient à une privatisation des mers et de ses risques. Nous partageons le souhait d’une approche plus régionalisée de la PCP ; bon nombre d’interventions y ont fait référence.
Nous sommes également favorables au maintien de la possibilité d’aide à la flotte et, surtout, à la modernisation de cette flotte dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, ainsi qu’à la nécessaire prise en compte des spécificités des outre-mer français – je parle sous le contrôle de mon ami Victorin Lurel – sur la base de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Nous devons veiller à préserver les équilibres de certains secteurs de la pêche métropolitaine, mais nous œuvrons pour une vision complémentaire des différentes composantes de la pêche française.
Sur tous ces points, les travaux au sein du conseil des ministres de l’Union européenne ont d’ores et déjà permis des avancées conformes à la position de la France.
Plusieurs d’entre vous, notamment MM. Darniche et Labbé, Mme Archimbaud et M. Vaugrenard, ont indiqué combien il importait d’avoir une pleine connaissance scientifique de la réalité des stocks pour définir une réglementation. Je partage ce point de vue. Cet enjeu est essentiel et je demanderai au président de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, de mobiliser tous les moyens nécessaires pour obtenir une amélioration sur cette question.
Mme Herviaux insistait ce matin sur la grande complexité écosystémique et soulignait que l’on ne pouvait réglementer sans connaître la multitude des facteurs qui influencent la situation écologique et les stocks des différentes espèces.
Par sa connaissance, par son travail, M. Revet a rappelé l’histoire de la difficile construction de la politique de la pêche à l’échelle européenne et en a tiré les conséquences, insistant sur la nécessaire souplesse de la réglementation qui doit en découler.
Nous partageons vos préoccupations sur l’interdiction des rejets, telle qu’elle est proposée par la Commission européenne. Sur ce point, il nous faut encore travailler pour faire valoir nos objectifs et convaincre d’autres partenaires. Il appartiendra au Parlement européen de se saisir de cette question. Toute forme d’interdiction des rejets doit bien évidemment comporter des flexibilités, des souplesses et un calendrier réaliste, qui soit compatible avec la situation économique et les limites matérielles de ces métiers.
Par ailleurs, il faudra s’interroger sur le devenir de ces rejets une fois débarqués en cas d’interdiction. Je pense notamment au combat mené par la France pour que certains surplus alimentaires puissent avoir des débouchés dans l’aide alimentaire, en particulier caritative. Nous en avons parlé durant cette négociation.
Il serait pour le moins choquant que ces voies ne soient pas ouvertes au traitement des rejets débarqués, ainsi qu’à leur valorisation éventuelle. Si un certain nombre d’expériences de valorisations sont réalisées, des filières restent sans doute encore à inventer. De ce point de vue, nous n’en sommes qu’au début du traitement des coproduits et autres rejets.
Vous avez également saisi l’importance du rôle du Parlement européen dans les mois à venir : lui aussi pourra amender le texte de la Commission européenne. Il reste encore beaucoup à faire et les travaux conjoints entre le Parlement européen et le conseil des ministres de l’Union européenne s’en trouveront simplifiés, afin que nous puissions aboutir à une réglementation cohérente, pragmatique et réaliste.
Je tiens à apporter quelques précisions sur certains points qui ont été évoqués.
Ce matin, M. Christian Bourquin nous invitait, cher Victorin Lurel, à prendre l’accent méditerranéen.
Nous sommes conscients des spécificités de la mer et de la pêche en Méditerranée : il n’y a pas de quotas de capture et la pêcherie y est mixte, polyvalente. Quant aux stocks partagés, ils posent des difficultés de coexistence avec des pays tiers.
Lors du dernier conseil des ministres de l’Union européenne, j’ai soutenu avec mon collègue maltais un amendement visant à ce que l’impact des pêches des États tiers soit pris en compte, notamment pour atteindre le rendement maximal durable. Il y a quelque chose de surréaliste dans le fait de s’appliquer un certain nombre de règles, notamment limiter nos captures, alors même que, sur les eaux que nous exploitons, des pays tiers seraient affranchis de toute contrainte !
Un problème identique se pose avec l’Islande et la pêche du maquereau ; il devra être traité lors de la discussion des TAC et quotas.
Plus globalement, je serai amené à rencontrer nos collègues et nos partenaires méditerranéens.
Je suis tenté de répondre à M. Bourquin que c’est aux Méditerranéens eux-mêmes qu’il appartient de défendre leur accent ! Je dois avouer ne pas avoir ressenti une grande solidarité méditerranéenne, alors que la France est, pourtant, aussi un pays méditerranéen. Certaines alliances peuvent se nouer sur des enjeux, par exemple ceux qui se trouvaient au cœur de la discussion du conseil des ministres de l’Union européenne.
Mme Herviaux a souligné les difficultés de la pêche en eaux profondes et les préoccupations qu’elle suscite. Cette question est d’actualité, puisque, ce matin, la Commission européenne a suspendu le projet de suppression progressive de cette forme de pêche. Cette activité, majeure pour la région de Mme Herviaux, est aujourd'hui en péril et nous sommes tous concernés par ce problème.
Mme Herviaux a raison : en interprétant les conclusions du Jury de déontologie publicitaire sur la publicité de la Scapêche, Mme la commissaire européen a commis une maladresse ; c’est même une erreur, voire une faute. Il aurait fallu dire quels étaient les attendus et les conclusions, et non interpréter ceux-ci aux côtés de certaines ONG. Je m’entretiendrai dès lundi prochain avec Mme la commissaire sur l’interprétation de ces conclusions. Je lui demanderai alors de faire preuve d’une plus grande impartialité, en tout cas d’une plus grande réserve dans sa démarche.
J’ajoute que la pêche hauturière – forme de pêche que je connais bien, car elle est pratiquée dans la ville dont je suis l’élu –, même en eaux profondes – l’une des plus réglementées –, n’est pas indifférente aux préoccupations environnementales. Un certain nombre de pêcheries hauturières sont en effet labélisées. Ainsi, l’écolabel MSC, Marine Stewardship Council, distingue les pêcheries respectueuses de la biodiversité et du développement durable.
M. Bas a évoqué ce matin la raie brunette. Sur ce poisson, le requin et un certain nombre d’autres espèces importantes pour notre pêche côtière, la Commission européenne est intransigeante. Nous aurons l’occasion d’évoquer ce sujet lors du Conseil « TAC et quotas » qui se tiendra en fin d’année.
M. Bas a également évoqué les contrôles de franc-bord réalisés par les centres de sécurité des navires. À la suite de son intervention, j’ai demandé aux services de la direction des affaires maritimes de s’intéresser particulièrement à ce qui a conduit à la publication du décret du 30 janvier 2012. À cet égard, je souligne que ce texte, dont il nous demande aujourd'hui l’abrogation, a été pris par le précédent gouvernement ! La sécurité des navires, en particulier celle des navires de pêche, est pour moi primordiale.
M. Bourquin a évoqué la décentralisation du Parlement de la mer. Des parlements régionaux de la mer verront le jour, notamment dans sa région. La question de la gouvernance, y compris sur notre littoral, sera traitée dans le cadre de l’acte III de la décentralisation. Les compétences des autorités déconcentrées de l’État seront clarifiées et simplifiées, le rôle des différents acteurs maritimes et du monde de la pêche dans le cadre de la gestion et de la valorisation des espaces marins ou de l’interface côtier sera précisé.
Comme l’ont rappelé MM. Le Cam et Labbé, il existe un problème de surpêche, qui tient certainement à des réglementations européennes, alors même que la production communautaire annuelle ne représente que 6 % de la pêche mondiale. Si, comme cela a été dit par la Commission européenne et par Mme la commissaire, un tel problème existe bien, encore faut-il préciser où il se pose, afin que l’on puisse l’évaluer et apporter des solutions aux seules régions concernées. Il serait pour le moins curieux de comptabiliser le nombre de bateaux, ainsi que la puissance de leur moteur dans toutes les régions, même dans celles où ce problème ne se pose pas, comme c’est le cas dans les outre-mer.
Nous serons attentifs à cette question et nous présenterons, comme l’exige la Commission européenne, un rapport sur les conditions de surpêche en fin d’année. Pour ma part, je considère que ce problème ne concerne pas nos outre-mer et qu’il ne doit donc pas y avoir d’inventaire intégré à la capacité de pêche française. Ce point est extrêmement important si nous ne voulons pas être contraints, par la suite, à des déchirages massifs de navires.
D’autres questions, évoquées notamment par M. Le Cam, concernent plutôt la convention de l’Organisation internationale du travail sur le travail maritime, et non le règlement de base. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir lors de prochains débats.
J’ajoute que j’ai été heureux d’entendre M. Bas considérer que nous étions parvenus à un « compromis positif ». Ce commentaire est à l’opposé des propos de M. Bourquin. Selon mon prédécesseur, la création d’un ministère de la mer ou de l’économie maritime était une erreur. Nous voyons qu’il n’en est rien. Au contraire, la France y a gagné en force, alors qu’elle en a manqué de façon regrettable au cours des derniers mois, notamment au moment décisif où la réforme de la PCP était en discussion dans les instances européennes.
Le plus important est de pouvoir réaffirmer, au-delà de nos différences et de nos appartenances, combien les enjeux sont grands pour nous, métropolitains, mais également pour les outre-mer. Je laisse mon collègue et ami Victorin Lurel le soin d’intervenir sur ce sujet spécifique, notamment sur les acquis.
Nombre d’entre vous ont souligné qu’une attention particulière devait être apportée aux territoires ultramarins dans le cadre des négociations européennes. C’est ce qui a été fait s’agissant du conseil consultatif régional spécifique aux RUP et des trois bassins que nous avons obtenus en fin de discussion. Il faut maintenant donner réalité à ce lieu de concertation et de défense des intérêts de chacun.
Enfin, pour défendre et faire connaître les intérêts de la France là où ils ne sont pas respectés par des pays tiers – je pense notamment au large de la Guyane où des problèmes de piraterie se posent, car c’est bien de piraterie qu’il s’agit –, nous devons mobiliser les moyens de l’État. §
Madame la présidente, au terme de cette journée fort chargée, utile et, me semble-t-il, fructueuse, je pense pouvoir dire que nous posons tous le même diagnostic et que nous nous accordons tous sur les solutions qu’il convient d’apporter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous répondrai en trois temps. Je proposerai d’abord une synthèse de vos différentes interventions ; je répondrai ensuite point par point aux questions qui ont été soulevées ; je vous livrerai enfin une sorte d’addendum sur quelques spécificités proprement nationales qui n’ont pas été abordées, ou qui ne l’ont été que très peu, mais qu’il faut avoir le courage d’évoquer et de traiter.
Je note une réelle perte de confiance de la part des professionnels dans la politique commune de la pêche. Nombreux sont ceux qui dressent ce constat : nous avons le sentiment que l’Europe, au-delà des différents rapports et du Livre vert, ignore les outre-mer et leur grande diversité.
Je suis encore président de région et, à ce titre, j’ai souvent eu à me rendre à Bruxelles, avec d’autres collègues des RUP, pour plaider la cause de la pêche. C’est laborieux ! C’est la raison pour laquelle je suis très heureux aujourd'hui d’être au Sénat pour débattre de cette résolution. Nous veillerons à ce qu’elle soit prise en compte, car nous sommes d’accord avec les propositions qui y sont formulées.
Par ailleurs, nous souhaitons tous que la politique de la pêche soit conçue et traitée de manière plus intégrée dans toutes les composantes des politiques publiques. En effet, lorsque l’on aborde uniquement quelques aspects très ponctuels, certains sujets peuvent être ignorés : la coopération, les capacités d’intervention dans les espaces maritimes nationaux. On le voit d’ailleurs en Guyane et cela n’est pas sans poser problème, mais je reviendrai sur cette question ultérieurement.
Par ailleurs, nous avons le sentiment que la politique européenne de la pêche est marquée par une forme de dogmatisme, de théologie. Il semblerait qu’une seule politique soit possible, quelle que soit la diversité des territoires, ce qui est en contradiction avec la devise de l’Europe : « L’unité dans la diversité ». Or c’est plutôt dans l’uniformité que l’on cherche à imposer une politique.
On fait jouer le principe de précaution, au motif que des doutes subsistent sur la fiabilité des évaluations scientifiques. Certes, je peux le comprendre, mais, de ce fait, nous n’étendons pas outre-mer des mesures qui ont pourtant été prises en Europe ; au contraire, nous les gelons et les interdisons. C’est assez pénible. En outre, cela a des conséquences très graves, car, ce faisant, on condamne la pêche dans ces régions à demeurer une pêche côtière, artisanale, non pas que cela n’ait pas quelques vertus, mais on instaure une division du travail un peu curieuse dans ce secteur.
En n’étendant pas des mesures existant à l’échelon européen, continental comme l’a dit Georges Patient, on a divisé les espaces maritimes entre Européens et étrangers. On laisse aux étrangers la conquête des grands espaces, la pêche hauturière, palangrière ; quant à la pêche côtière, elle est réservée aux Français.
Pour illustrer les conséquences délétères de cette politique, je citerai l’exemple emblématique de la Guyane, où des bateaux étrangers viennent impunément pêcher dans la zone des douze milles en défiant toutes les règles. Par ailleurs, nous avons un problème de capacité d’intervention, en tout cas, de fréquence d’intervention de la marine nationale. Là encore, c’est assez pénible à vivre.
Pourtant, les outils juridiques existent, ils ont été longuement évoqués, notamment par Jean-Étienne Antoinette. Il s’agit de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu’il faut davantage exploiter. Nous n’avons pas assez exploré les ressources que nous offre cet article.
Nous avons simplement mis en place un programme d’option spécifique à l’éloignement et à l’insularité, un POSEI. Celui-ci comprend deux volets : le régime spécifique d’approvisionnement, le RSA, et des mesures d’aide à la production locale, mais nous ne sommes pas allés au-delà du secteur agricole. Or l’article 349 permet de prendre des mesures dans d’autres domaines, y compris d’ailleurs pour lutter contre la vie chère. Je travaille actuellement sur ce segment et il serait intéressant que cet article fasse l’objet d’une adaptation.
La France s’est épuisée de longues années durant à adapter la législation et le droit commun aux réalités de ses territoires, aux attentes et aux aspirations de ses populations. Nous avons du mal à faire comprendre cela à l’échelon européen.
Il n’y a pas si longtemps, les élus locaux, et j’en ai fait partie, estimaient que le droit européen était plus progressiste que le droit national. Confiants dans la devise, nous pensions que le droit dérivé s’adapterait et pourrait aller plus loin que le droit primaire, pour mieux tenir compte des réalités.
En raison de la crise budgétaire peut-être, cette politique semble subir une forme de glaciation, d’immobilisme qui, parce qu’elle ne crée plus de dynamique, cause un tort considérable aux actions d’aujourd’hui et de demain. C’est un réel souci. Pourtant, nous persisterons à vouloir mettre en place un POSEI pêche, englobant non seulement les deux aspects que vous avez tous évoqués – la prise en charge des surcoûts et l’aide à la filière – mais d’autres encore, afin de le rendre très complet. Nous pourrions nous inspirer, mutatis mutandis, de ce qui se fait en matière agricole.
J’en viens aux points plus spécifiques qui ont été évoqués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu vos cris d’alerte, vos demandes et vos craintes. Ils portent tout d’abord sur les accords commerciaux et sur les accords de partenariat au bénéfice de pays tiers. Leurs conséquences sont quelque peu curieuses. Par exemple, les aides européennes octroyées à des pays ACP jouxtant nos territoires d’outre-mer contribuent à développer la flotte de ces pays, à en faire des concurrents, à leur permettre de faire la conquête d’espaces où il nous est interdit d’aller du fait de la petitesse de nos embarcations ! C’est là une étonnante division du travail qu’il s’agit de combattre.
Il semble également nécessaire de développer les financements de dispositifs de concentration de poissons, ancrés ou collectifs, comme outils de gestion d’une pêche durable, même si nous aurons du mal à obtenir, au regard des exigences posées par le concept d’earmarking, une concentration thématique le permettant. Là encore, le combat doit continuer.
J’ai bien entendu les propos tenus sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite « pêche INN », notamment en Guyane. C’est une vraie question, non pas seulement économique, mais également de souveraineté ! Mon collègue Jean-Yves Le Drian ne disait hélas ! pas autre chose à l’occasion des événements malheureux qui se sont récemment déroulés en Guyane. Les opérations réalisées par des embarcations d’origine brésilienne, surtout, mais également surinamienne relèvent de la piraterie ; avec le Venezuela, des conventions ont été passées, qui permettent de mieux maîtriser le phénomène. Elles sont perpétrées au vu et au su de tous, à deux encablures des côtes de Cayenne. Il est urgent de se mobiliser.
J’ai bien entendu le sénateur de Wallis-et-Futuna sur la nécessité de se pencher sur les PTOM et de développer une pêche durable. Cela n’est pas sans poser quelques problèmes, sur lesquels je reviendrai tout à l’heure.
Je serai vigilant sur l’ensemble de ces points, notamment sur la concurrence des pays tiers. Sur ce sujet, il pourrait être nécessaire de procéder à des études d’impact préalables à la conclusion de toute convention ou de tout accord établissant une relation durable avec les pays avoisinant nos territoires. J’ai conscience de la nouveauté qu’impliquerait cette pratique, sans compter que nous avons aussi, chez nous, quelques déficits en la matière. Ce serait pourtant faire preuve de sagesse, ainsi que nous le montre ce qui se passe dans le domaine agricole.
Nous avons actuellement le plus grand mal à convaincre le Conseil européen du bien-fondé de quelques mesures devant compenser la trop grande ouverture des frontières et l’abaissement trop rapide, si j’ose dire, du tarif douanier en matière de commerce bananier. L’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres pays nordiques s’y opposent. Les conséquences n’avaient pas été évaluées. Aujourd’hui, c’est toute la production de bananes européennes, et particulièrement martiniquaises et guadeloupéennes, soit plus de 200 000 tonnes de bananes, qui sont concernées. Cela pose un vrai problème d’articulation des politiques entre elles et de coût par opération, qui légitimerait donc, pour l’avenir, la mise en place d’évaluation et d’études d’impact préalables.
Je l’ai dit, même s’il sera peut-être difficile d’obtenir quoi que ce soit de la part de l’Europe, il faudra plaider notre cause en faveur d’une aide au fonctionnement ou du financement des dispositifs de concentration de poissons, les DCP, par exemple. En matière de concentrations thématiques, la situation est aujourd’hui compliquée. Nous sommes en pleine discussion sur ces sujets, qui ne sont pas évidents.
Les cas particuliers de la Guyane, des TAAF, les Terres australes et antarctiques françaises, et des îles Kerguelen ont été évoqués. Pour ces dernières, le souci est réel. Il s’agit d’un oubli. Je remercie d’ailleurs M. Christian Bourquin d’avoir parlé de ce sujet. Il faudra s’assurer que les bénéfices de la reconquête récemment obtenue soient bien maintenus dans le temps. Les bateaux n’y sont présents que très rarement, une fois tous les six mois, peut-être. Il faudra donc, à tout le moins, s’assurer que la reconstitution des stocks de légines puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.
Le régime juridique des PTOM, vous le savez, est particulier. Je veux, sur ce point, rassurer M. Robert Laufoaulu, qui a posé une question sur le sujet. La relation entre les PTOM et l’Union européenne est régie par une décision d’association, actuellement en cours de révision. Le collège des commissaires devrait l’adopter avant la fin du mois de juillet 2012, me semble-t-il. Nous aurons l’occasion d’en discuter et d’approfondir nos échanges lors du forum UE-PTOM, qui aura lieu au Groenland. Peu de problèmes devraient se poser, si ce n’est, peut-être, sur le montant des enveloppes. Nous nous battons pour préserver la situation existante, mais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous n’êtes pas sans savoir que les critères retenus peuvent poser des problèmes d’éligibilité à la Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Barthélemy, qui prétend pourtant pouvoir en bénéficier du fait de sa récente transformation en PTOM. Nous resterons vigilants sur ce point.
Avant de répondre aux interventions des différents sénateurs, j’ajoute à mon propos un addendum. La question de la pêche durable est un problème, d’ampleur peut-être nationale. Mme Archimbaud a évoqué un point que l’on doit avoir le courage d’affronter. D’autres aussi l’ont abordé, mais de manière plus feutrée.
Nous disons tous – Serge Larcher connaît bien le problème – qu’il n’y a pas de surpêche dans les RUP. C’est vrai. Nous disons tous que les stocks sont encore suffisamment généreux et que nous pouvons donc faire l’économie des textes européens en la matière. Ce n’est pas faux. Mme Archimbaud a néanmoins raison de souligner qu’une pêche responsable peut être une pêche productive et qu’il est possible de trouver un équilibre entre les deux exigences. Il faut donc diligenter très rapidement les enquêtes qui s’imposent, afin de pouvoir bénéficier des évaluations scientifiques sur les stocks de poisson réels.
Depuis le temps que nous plaidons pour une extension de cette législation, il n’est pas normal d’avoir autant d’incertitudes sur les ressources halieutiques. Nous avançons un peu – pardonnez-moi cette expression – au pifomètre, au radar !
Le cas de la Guyane est souvent cité pour évoquer les pêches sous quotas. À ce titre, elle fait l’objet d’une législation spécifique et est redevable de quelque argent. Le sujet n’est certes pas de la plus haute importance, mais il existe. Pour le reste, puisque les espèces tropicales ne sont pas véritablement inventoriées et puisque, par conséquent, elles sont mal maîtrisées, nous disons disposer d’un stock abondant nous permettant de faire l’économie des mesures européennes. Je demande que nous y réfléchissions à deux fois. C’est peut-être du bon sens pifométrique, mais il me semble nécessaire de vérifier l’abondance des stocks.
La France a un vrai problème, il faut l’avouer. Ainsi que je l’ai dit à mon collègue Frédéric Cuvillier, qui sera en première ligne sur ce front, le fait que ce soient des étrangers qui exploitent la richesse des fonds guyanais ne peut laisser d’inquiéter celui qui est préoccupé par ce sujet, et, plus encore, le patriote. Pourtant, ces fonds sont très riches ! Pour certaines techniques, la Guyane est tributaire, de pays et de pêcheurs étrangers. Je n’ai rien contre les étrangers, mais la situation pose question.
Tout se passe comme si cette division des espaces maritimes, mal pensée et conçue trop en amont, se faisait au détriment des pêcheurs nationaux. Les pêcheurs étrangers viennent pêcher dans les fonds marins des îles Kerguelen, en Guyane, mais également au large de la Martinique ou de la Réunion – nous avons évoqué tout à l’heure le cas de l’île Maurice. C’est un vrai souci.
Vous avez également abordé le sujet de la structuration des filières. Il est vrai que nous serions peut-être plus efficaces si nos filières étaient structurées. Cela a commencé à la Réunion, avec la mise en place d’interprofessions. Dans une vie antérieure, j’ai été directeur de chambre de l’agriculture. Je connais un peu ce monde, ainsi que celui de la pêche. Je peux vous le dire : c’était la croix et la bannière pour organiser des filières et créer des interprofessions dans la filière de la viande, l’horticulture ou encore le maraîchage. La Réunion a donné l’exemple, et cela marche ! La solidarité existant entre les différents segments de la profession permet l’acquittement par chacun d’une redevance, pour le plus grand bien de la filière. En Martinique, l’Association martiniquaise interprofessionnelle du bétail et des viandes, l’AMIBEV, fonctionne. À la Réunion, deux interprofessions ont été créées. En Guadeloupe, en revanche, les importateurs n’ont pas voulu participer ni mettre au pot et le processus a échoué. Il y a donc encore un travail de persuasion à accomplir, afin d’emporter l’adhésion de tous et de commencer à structurer les filières.
La gouvernance commence à s’améliorer. Le Sénat a joué un rôle important en ce domaine. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entendu Frédéric Cuvillier vous indiquer que le conseil consultatif régional avait été pris en considération. Vous pouvez en prendre acte : cette partie de la résolution européenne est déjà retenue, si j’ose dire. Cependant, un travail à la fois local et national reste à mener pour que, demain, nous soyons capables, du point de vue non seulement financier ou psychologique, mais aussi technologique, d’occuper nos espaces et d’exploiter nos ressources. Voilà la tâche qui nous incombe.
L’absence à certains endroits de caisses de Crédit maritime doit nous faire prendre conscience d’un réel problème de structuration. Les petites embarcations de moins de douze mètres ne sont pas financées. Moi qui suis encore président de région – mais le constat est valable partout –, j’observe que, aujourd’hui, l’État comme l’Europe ne financent plus rien en matière de pêche dans nos régions.
Les dégâts causés par un cyclone ou l’aide octroyée à un pêcheur pour l’acquisition d’une embarcation ne sont pas remboursés. Lorsque l’on veut aider un pêcheur à acheter un moteur, la surcapacité de ce dernier est invoquée pour l’empêcher de bénéficier d’aides supplémentaires. L’aide des régions, elle, n’est pas remboursée.
Par ailleurs, on sait que, dans le cadre de la décentralisation, les régions n’ont pas reçu de dotations spécifiquement consacrées au développement de ce secteur. Or nous connaissons justement un problème de développement du secteur ! Nous avons appris aujourd’hui, de manière précise, détaillée, technique et pertinente, que l’Europe n’était pas véritablement prête à sortir de sa théologie, qui consiste à protéger les ressources plutôt qu’à les exploiter. Cette attitude revient à condamner les régions à ne pas exploiter les richesses qui gisent sous leurs pieds ou reposent au fond de leurs mers. Il faut prendre à bras-le-corps ce problème de philosophie du développement. Nous avons donc un travail à mener entre nous, pour que le ministère, notamment, soutienne un plan de développement national des pêches et des espaces maritimes dans nos régions. J’ajoute qu’il devra se faire dans une vision globale.
S’il s’agit de chercher des subventions européennes ou de faire du lobbying, nous savons faire !
Nous avons manifestement besoin d’une vision plus globale, macrosociale et interconnectée avec d’autres champs, comme la coopération.
Aujourd'hui, les régions sont autorisées par le ministère des affaires étrangères à demander leur intégration au sein des organisations internationales des bassins océaniques, par exemple le CARICOM, qui a été mentionné, l’Association des États de la Caraïbe et la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, la CEPALC. Nous pouvons par conséquent devenir demain des membres de ces structures !
Nous risquons alors de voir d’autres acteurs de ces organisations – je pense à Trinidad-et-Tobago, à la Jamaïque ou, plus proche de chez nous, à Sainte-Lucie – bénéficier des financements européens du Fonds européen de développement, le FED, ou d’autres dispositifs communautaires et pouvoir accéder allégrement à la zone d’exploitation des douze milles marins.
D’ailleurs, il n’existe pas de délimitation territoriale. On ne sait donc pas toujours où commence et où finit la zone d’exploitation. C’est là un problème proprement français. Il est urgent d’y travailler, afin de pouvoir signifier à l’Union européenne que nous avons des zones avec des limites bien définies et de passer des accords de contractualisation avec nos voisins, qui sont d’ailleurs preneurs. L’Europe ne se rend pas toujours compte de la chance qu’elle a d’avoir des terres sur trois océans. Ce n’est pas qu’une question de superficie ou de puissance économique : le regard doit changer sur le sujet !
Je partage la philosophie de M. le rapporteur Bruno Retailleau sur la privatisation de la pêche : la disparition programmée des petits, des artisans et des côtiers n’emporte pas notre adhésion. Si c’est vrai en métropole, cela l’est encore plus outre-mer : nous, nous sommes des « petits » ; nous ne pouvons donc pas nous résigner par anticipation à une telle disparition. D’ailleurs, et je reprends la formule de mon collègue Frédéric Cuvillier, nous sommes aussi un « peuple de la mer ». C’est de la mer qu’est venue notre histoire et elle continue de rythmer notre quotidien. Nous y tenons.
Tout comme M. le rapporteur Joël Guerriau, nous voulons une meilleure prise en compte des régions ultrapériphériques, les RUP. Nous pensons avec lui que la réforme est mal engagée, notamment en raison de certaines psychorigidités bruxelloises, si je puis m’exprimer ainsi, d’opinions téléguidées ou sans fondement. Ce sont des obstacles qu’il nous faudra transcender et surmonter. Ce ne sera sans doute pas chose facile.
M. Gérard Le Cam a abordé un grand nombre de points ; je partage globalement son analyse. Je précise simplement que nos bateaux sont aussi vétustes que ceux de métropole : leur âge moyen se situe entre vingt-cinq et vingt-sept ans. Certes, là aussi, il peut y avoir un défaut de fiabilité des statistiques.
Je remercie M. Christian Bourquin d’avoir évoqué le cas des îles Kerguelen. C’est un véritable souci, qui implique une ambition nationale. On me rétorquera que cela coûte cher, mais les gisements ichtyologiques et halieutiques potentiels sont très importants et doivent être pris en compte.
M. Christian Bourquin a également évoqué les parcs marins et le « Parlement de la mer ». Le sujet m’intéresse, car des parcs marins existent chez moi, ce qui commence à poser problème aux marins pêcheurs. La contamination des eaux par le chlordécone a conduit à la prise d’arrêtés préfectoraux restreignant les espaces.
Nous avons fait venir des lamantins de Floride, une espèce protégée et un animal mythique chez nous comme dans toute la Caraïbe. Cela pose quelques problèmes de cohabitation avec les pêcheurs. Ceux-ci ont le sentiment que l’on diminue leur espace, leur marge de liberté et, au final, leurs revenus. Il faut tenir compte de cette situation.
Oui aux espaces pour protéger les coraux ! Ils ont d’ailleurs été étendus, avec d’importants financements des régions et de l’État.
L’idée de réserver les espaces aux hauturiers et aux côtiers, à condition de trouver un équilibre et de savoir où placer le curseur, n’est pas mauvaise en soi, même si ce sera peut-être compliqué en pratique.
Je ferai à M. Joël Labbé la même réponse qu’à Mme Aline Archimbaud.
Je rejoins Mme Odette Herviaux sur la nécessité d’une cohérence des politiques européennes. Lorsque des politiques contradictoires s’entrechoquent, cela peut faire mal. Nous le voyons dans les régions ultrapériphériques françaises.
Mme Herviaux a également évoqué l’opposition de Mme la commissaire européenne chargée de ce dossier aux pêches de grand fond et de chalut. C’est typique d’une philosophie ! De quoi s’agit-il ? En fait, les captures européennes représentent une part infime des prises mondiales, 5 % environ. C’est très bien de vouloir préserver la planète, mais, si nous sommes les seuls à le faire, nous laissons nos espaces nationaux à des navires étrangers qui sont loin de partager ce souci ! Il y a donc, là encore, un juste équilibre à trouver.
M. Charles Revet a évoqué la délimitation des eaux territoriales et une meilleure prise en compte de la réalité des pêches en outre-mer ; c’est ce dont nous sommes en train de discuter. Il a aussi abordé, même si ce n’est pas l’objet du débat, la structuration des filières. Peut-être le ministère devra-t-il saisir les inspecteurs généraux pour mener des études et formuler des propositions sur une politique strictement nationale. Il s’agit, j’y insiste, de secteurs qui sont très importants.
M. Michel Vergoz a soulevé le problème des prises débarquées à l’île Maurice, alors qu’elles sont effectuées ailleurs. Il faudra effectivement y apporter des solutions dans le cadre de la coopération.
J’ai répondu à Robert Laufoaulu, sénateur de Wallis-et-Futuna, sur la prochaine convention d’association. Il peut se sentir rassuré, même si la discussion n’est pas terminée.
Mme Aline Archimbaud a raison. Il ne faut pas céder à un « optimisme mécanique », pour reprendre ses termes, ou faire preuve de naïveté. Le travail d’élucidation et d’amélioration de l’information doit se poursuivre.
Je serais d'accord pour que nous subordonnions dans nos régions les subventions au respect de normes. M. Serge Larcher et l’ensemble des sénateurs élus dans les territoires concernés le savent bien, il y a eu un problème de technique de pêche.
Nous appliquons déjà une législation nationale rigoureuse et sévère sur la préservation des espèces : des mailles des filets trop resserrées et c’est la ressource qui est menacée. Nous serions donc ouverts à une législation européenne, sous réserve d’évaluation scientifique. Il faut un respect scrupuleux des normes, à condition de trouver un équilibre.
En outre, comme les produits de la mer sont très prisés dans notre gastronomie, il faut favoriser le développement du secteur halio-alimentaire ou agroalimentaire. Les perspectives sont très importantes.
J’en viens à l’affaire du chlordécone. Les recherches se poursuivent. Certes, le plan national a été mis en cause du fait de problèmes dans le financement. Les pêcheurs sont les premières victimes. Ils ne sont pas à l’origine d’un problème lié à certaines pratiques agricoles, mais ils en subissent les conséquences. Et la petite indemnisation qui a été versée relevait du one-shot. Les réponses qui ont été apportées doivent donc être repensées.
M. Maurice Antiste a repris les conclusions des auteurs de la résolution. Nous avons déjà répondu sur ce point.
J’aime bien le mot de « continentalité », que M. Georges Patient a employé. On l’oublie trop souvent, la Guyane est un continent, avec une mentalité très différente de celle, il est vrai très belle, des insulaires.
Sourires.
M. Jean-Étienne Antoinette a abordé beaucoup de sujets, auxquels j’ai déjà répondu au cours de mon intervention. Il est vrai que l’Union européenne ignore les RUP. Nos artisans seront exclus des concessions de pêche transférables et cette réforme ne s’appliquera donc pas chez nous. Il a également évoqué les problèmes de voisinage et les possibles discussions et relations avec le CARICOM. Il y a là des ouvertures intéressantes.
Tels sont, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments dont je souhaitais vous faire part au nom du Gouvernement. Nous approuvons votre résolution. Il faut prendre acte de ce qui a déjà été fait, mais aussi ouvrir un chantier strictement national pour un meilleur développement de ce secteur ô combien important dans les outre-mer. §
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec ce débat sur la politique commune de la pêche.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif au harcèlement sexuel (projet n° 592, texte de la commission n° 620, rapport n° 619, avis n° 613).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 2.
Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 59 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L'article 225-1 du code pénal est ainsi rédigé :
a) au premier alinéa, après le mot : « sexe, » sont insérés les mots : « de leur identité sexuelle, » ;
b) au dernier alinéa, après le mot : « sexe, » sont insérés les mots : « de l'identité sexuelle, ».
II. – À l’article L. 1132-1 du code du travail, après le mot : « sexe, » sont insérés les mots : « de son identité sexuelle, ».
III. – Au deuxième alinéa de l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires, après le mot : « sexuelle, » sont insérés les mots : « de leur identité sexuelle, ».
La parole est à Mme Annie David.
Cet amendement a pour objet la mise en conformité complète du droit français à la directive 2006/54/CE.
En effet, la Cour de justice a considéré que le champ d'application du principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ne saurait être réduit aux seules discriminations fondées sur l'appartenance à l'un ou l'autre sexe : « Eu égard à son objet et à la nature des droits qu’il tend à sauvegarder, ce principe s’applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe d’une personne. »
Le Gouvernement a préféré l’expression « identité sexuelle ». Si cette formulation semble protéger les personnes ayant changé de sexe, elle ne couvre en revanche pas les individus pour qui le processus de changement n’est pas fini, sachant que l’« entre-deux », si je puis m’exprimer ainsi, dure en moyenne de six ans à neuf ans. C’est pourquoi nous avions initialement préféré l’expression « identité de genre ».
Les associations ont insisté auprès de nous sur l’urgence à adopter une telle modification. Elle est nécessaire pour atteindre les objectifs de prévention de la discrimination par une information explicite sur les populations et sur les situations concernées.
Cet amendement vise à modifier par coordination les articles du code du travail et de la loi portant droit et obligations des fonctionnaires posant le principe de la non-discrimination. Il est donc plus complet que l’ensemble des amendements qui sont en discussion commune avec lui.
Hier soir, lors du débat sur l’amendement n° 58, dont l’objet était de créer une circonstance aggravante lorsque le harcèlement sexuel a lieu dans l’intention de nuire particulièrement à ces personnes, il nous a été répondu que la prise en compte de la situation des transsexuels ne trouvait pas sa place dans l’examen des circonstances aggravantes, mais dans celui des discriminations.
Voilà pourquoi je vous propose cet amendement aujourd’hui.
À l’argument selon lequel la prise en compte de la discrimination des transsexuels est déjà couverte par la jurisprudence, nous répondons : si leur protection va sans dire, elle va tout de même mieux en le disant ! Dans ces conditions, pourquoi ne pas supprimer tous les critères de discrimination ?...
De plus, l’orientation sexuelle n’a rien à voir avec le changement de sexe.
Il est donc essentiel de voter cet amendement, ne serait-ce que pour des questions de sensibilisation, d’information et de prévention. §
Les amendements n° 14 rectifié bis et 40 rectifié bis sont identiques.
L'amendement n° 14 rectifié bis est présenté par Mme Benbassa, M. Placé, Mmes Bouchoux, Lipietz et Archimbaud, M. Desessard, Mmes Aïchi et Blandin et MM. Dantec, Gattolin et Labbé.
L'amendement n° 40 rectifié bis est présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, MM. Milon et Cardoux, Mmes Lamure et Bruguière, MM. Grosdidier, B. Fournier et Doligé, Mme Mélot, M. Duvernois, Mmes Troendle, Farreyrol et Kammermann, MM. Bourdin, Fleming et Bécot, Mme Keller et MM. Fouché, Couderc, Savary et P. André.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « sexuelle, », sont insérés les mots : « de leur identité sexuelle, » ;
b) Au dernier alinéa, après le mot : « sexuelle, », sont insérés les mots : « de l’identité sexuelle, ».
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 14 rectifié bis.
Cet amendement a pour objet de reconnaître la transphobie parmi les discriminations prohibées par le code pénal en intégrant l’identité sexuelle à la liste des discriminations énoncées à l’article 225-1 du même code.
La notion d’identité sexuelle faisant de nos jours l’objet d’une revendication croissante au sein de la société civile, elle pourrait trouver légitimement sa place dans la loi. Un rapport sur l’identité des transgenres est d’ailleurs disponible sur le site internet du Sénat.
Cet amendement tend à opérer une coordination avec le 5° du III de l’article 1er du projet de loi, dont la liste des discriminations est issue de l’article 225-1 du code pénal.
Le sous-amendement n° 67, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 14 rectifié bis
1° Avant-dernier alinéa
Remplacer le mot :
après
par le mot :
avant
et remplacer les mots :
de leur identité sexuelle
par les mots :
ou identité
2° Dernier alinéa
Remplacer le mot :
après
par le mot :
avant
et remplacer les mots :
de l'identité sexuelle
par les mots :
ou identité
La parole est à Mme la ministre.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque la garde des sceaux et moi-même avons affirmé hier, devant vous, que nous souhaitions, à bien des égards, nous en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée, ce n’était pas une formule de politesse.
Après nos échanges d’hier soir, qui se sont poursuivis jusque tard dans la nuit, il est apparu que nous pourrions construire ensemble sur un certain nombre de sujets. C’est le cas pour la question qui nous occupe maintenant.
Christiane Taubira l’a précisé hier soir, le Gouvernement n’estimait pas opportun de créer une circonstance aggravante du délit de harcèlement sexuel fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle.
Néanmoins, il importe que les discriminations fondées sur ces deux motifs soient très clairement réprimées.
Depuis la loi du 16 novembre 2001, l’article 225-1 du code pénal réprime les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. Les magistrats ont interprété cette disposition de manière assez extensive afin de pouvoir également inclure les discriminations fondées sur l’identité sexuelle. J’en veux pour preuve la décision du 3 décembre 2009 de la cour d’appel de Douai, qui a prononcé une condamnation pour des violences commises en raison de l’orientation sexuelle de la victime alors qu’il s’agissait bien, en l’espèce, de transsexualité.
Pour autant, nous en convenons, le droit pénal français gagnerait à être plus explicite sur cette question sensible, afin que les discriminations commises contre les personnes transsexuelles ou transgenres soient expressément sanctionnées.
Je propose donc de sous-amender l’amendement n° 14 rectifié bis. Plutôt que d’ajouter les mots « identité sexuelle » après ceux « d’orientation sexuelle », ce qui donne l’impression que l’on ajoute à la loi alors que l’on ne fait que préciser le droit existant, déjà consacré par la jurisprudence, il paraît préférable d’utiliser les termes « d’orientation ou identité sexuelle ».
J’espère, madame Esther Benbassa, que vous y serez favorable.
Mme Esther Benbassa acquiesce.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 40 rectifié bis.
Cet amendement s’inscrit dans la droite ligne des amendements précédents.
Je m’étonne que tous les amendements en discussion commune n’aient pas été défendus avant que la ministre présente les deux sous-amendements du Gouvernement.
Nous avons tous été très sensibles, ici, aux témoignages des associations de transsexuels, qui représentent, même si nous n’avons aucun chiffre à ce sujet, 10 000 à 15 000 personnes en France. Ces personnes sont particulièrement concernées par les problèmes de harcèlement, et plus largement de discrimination.
Au-delà de la question de la discrimination, que nous devons régler aujourd’hui, se posera également un jour celle du parcours de ces personnes et des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien dans leur changement d’identité.
Un premier pas a été franchi en rayant la transsexualité des affections psychiatriques. Il s’agissait d’une assimilation extrêmement choquante. Nous devons poursuivre dans cette voie, car la transsexualité est un sujet de société, qui nous concerne tous. C’est une question d’égalité, de dignité et de droits.
Le sous-amendement n° 68, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 40 rectifié bis
1° Avant-dernier alinéa
Remplacer le mot :
après
par le mot :
avant
et remplacer les mots :
de leur identité sexuelle
par les mots :
ou identité
2° Dernier alinéa
Remplacer le mot :
après
par le mot :
avant
et remplacer les mots :
de l'identité sexuelle
par les mots :
ou identité
La parole est à Mme la ministre.
Ce sous-amendement est identique au sous-amendement n° 67, et il a donc été déjà défendu.
L'amendement n° 48 rectifié quater, présenté par Mmes Meunier et Blondin, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « sexuelle, », sont insérés les mots : « de leur identité de genre, » ;
b) Au second alinéa, après le mot : « sexuelle, », sont insérés les mots : « de l’identité de genre, ».
La parole est à Mme Michelle Meunier.
J’ai bien entendu les arguments avancés par Mme la ministre lors de la présentation des deux sous-amendements du Gouvernement.
Nos débats d’aujourd’hui sont un premier pas pour faire reconnaître la transphobie parmi les discriminations prohibées par le code pénal. Cependant, qu’il me soit permis d’insister sur l’identité de genre. Sans vouloir faire de la sémantique, parler d’identité sexuelle et d’identité de genre n’est pas exactement la même chose. On peut très bien être né avec un sexe assigné et ne pas avoir une orientation sexuelle en adéquation avec celui-ci.
Certes, madame Jouanno, si les associations de personnes transsexuelles représentent en France entre 10 000 et 15 000 personnes, notre pays compte également 60 000 individus concernés par le transgenre. Ce n’est pas parce que l’on est transgenre que l’on a forcément une identité sexuelle différente de celle du sexe assigné à sa naissance.
D’après la Commission nationale consultative des droits de l’homme et sa recommandation n° 2, le terme « genre » renvoie davantage aux attributs et au rôle de la femme et de l’homme, tels qu’ils sont définis par la société, ce qui engendre des discriminations sexistes.
Voilà pourquoi je vous propose de modifier l’article 225-1 du code pénal en insérant au premier alinéa, après les mots « sexuelle », les mots « de leur identité de genre ».
Lorsqu’elle s’est réunie, la commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Néanmoins, cet avis a pu évoluer – personnellement, je l’espère – dans la mesure où il a été décidé, au cours des débats d’hier, de réserver l’examen de cette question après l’article 2 plutôt que de l’aborder à l’article 1er.
Mme Jouanno l’a souligné à l’instant, nous avons tous été très impressionnés par la souffrance des personnes auditionnées. Elles méritent que nous prêtions une grande attention à leur situation.
Je ne reprendrai pas les explications que Mme la ministre a données tout à l’heure. Jusqu’à présent, nous considérions que les questions d’identité sexuelle étaient protégées par les textes sur l’orientation sexuelle. Mme la ministre a d’ailleurs fait référence à la jurisprudence. Elle a également souligné que le Gouvernement était prêt à être plus explicite s’il le fallait. J’y suis également personnellement favorable.
Néanmoins, nous devons faire attention à ne pas nous trouver pris à notre propre piège, car le risque existe. Il ne faudrait pas que les juridictions considèrent a contrario que les personnes transsexuelles ne sont pas couvertes par les dispositions relatives à la protection de l’orientation sexuelle parce que nous inscrivons dans ce projet de loi relatif au harcèlement sexuel l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou l’identité de genre comme un motif de discrimination.
Nous devons clairement affirmer ici que le fait d’ajouter le critère de l’identité sexuelle à la liste des discriminations énoncées à l’article 225-1 du code pénal ne signifie en aucun cas que nous abolissons la protection accordée aujourd’hui par la plupart des tribunaux à l’orientation sexuelle, qui couvre l’identité sexuelle.
Pourquoi ne pas étendre la précision que tendent à apporter les sous-amendements du Gouvernement aux quatre amendements qui ont été présentés ? C’est la raison pour laquelle je dépose un nouvel amendement reprenant votre suggestion, madame la ministre, avec cette rédaction commune : aux premier et second alinéas de l’article L. 225-1 du code pénal, les mots « orientation sexuelle » sont remplacés par les mots « orientation ou identité sexuelle ».
Je laisse pour l’instant ouvert le débat sur l’identité sexuelle et sur l’identité de genre. Y a-t-il vraiment une différence importante entre les deux expressions ?
Les associations l’affirment, mais je n’en suis pas vraiment persuadé. En tout cas, l’observation que j’ai faite tout à l'heure figurera au procès-verbal de nos travaux.
La rédaction que nous proposons satisfait les quatre amendements en discussion commune et non uniquement deux.
Je suis donc saisie d’un amendement n° 69, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Aux premier et second alinéas de l'article L. 225-1 du code pénal, les mots : « orientation sexuelle » sont remplacés par les mots : « orientation ou identité sexuelle ».
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de cette nouvelle rédaction, qui me convient parfaitement.
Pour répondre à une question qui a été posée, j’indique qu’il faudra en effet travailler sur les autres textes dans lesquels figurent ces discriminations, notamment le code du travail ou le statut général de la fonction publique, de manière à y apporter de la même façon cette précision. Je propose que ce travail de toilettage ou d’enrichissement soit plutôt effectué par l’Assemblée nationale à l’occasion de la navette.
Sur la distinction entre « identité sexuelle » et « identité de genre », j’entends bien la demande qui est formulée, mais je ne suis pas persuadée que l’identité de genre soit forcément juridiquement plus précise ou mieux comprise par les magistrats que l’identité sexuelle.
La raison en est très simple : au fond, et c’est vrai en particulier pour les personnes transgenres et pour celles qui sont dans la démarche de transition que vous évoquiez tout à l’heure, Madame Meunier, ces personnes cherchent à obtenir l’identité sexuelle qu’elles se sont choisie. L’expression « identité sexuelle » me semble donc couvrir de façon plus précise leur situation.
Aujourd’hui, à ma connaissance, cela pourra vous être reprécisé, la notion de genre n’est pas reconnue en droit pénal. Par conséquent, introduire une notion qui pourrait faire l’objet d’interprétations divergentes en fonction des juridictions me semble un peu problématique. Je préfère donc que l’on en reste à la notion d’identité sexuelle.
Bien évidemment, je propose, comme M. le rapporteur, aux auteurs des quatre amendements en discussion commune de bien vouloir, à la lumière de cette discussion, les retirer.
Je me rallie à la proposition de Mme la ministre et à l’amendement de notre rapporteur qui apporte des précisions suffisantes.
Madame la ministre, j’ai écouté avec attention les éclaircissements que vous avez apportés sur le code du travail et le statut général de la fonction publique. Il me paraît important que les modifications soient également apportées à ces deux textes ; si elles peuvent l’être lors de l’examen de ce projet de loi à l’Assemblée nationale, ce serait très bien.
Malgré notre divergence sur l’identité de genre, nous vous suivrons, parce qu’il est important que la disposition visée soit introduite dans le code pénal. J’entends l’argument juridique selon lequel le genre n’existe pas aujourd’hui dans le code pénal et qu’introduire cette notion risquerait d’amoindrir les choses. Il n’empêche que ce débat, qui est peut-être un débat de société, mérite d’être ouvert. Ce n’est peut-être pas aujourd’hui le bon moment pour l’aborder, mais ce passage, cet entre-deux, est un moment important pour ces personnes. Il faut les entendre, les respecter et trouver le moyen de prendre en compte cette transition dans leur vie en plein changement.
Cela étant dit, pour l’heure, nous retirons notre amendement.
L'amendement n° 59 rectifié est retiré.
Madame Benbassa, l’amendement n° 14 rectifié bis est-il maintenu ?
Je suis tout à fait favorable à la nouvelle rédaction qui nous est proposée.
En ce qui concerne le genre, permettez-moi de remarquer que nous sommes de nouveau tombés dans l’anglicisme. On commence en effet à parler en France de « genre », d’« études de genre », d’« études sur le genre ». C’est une traduction exacte de gender, transgenre étant la traduction de transgender. En France, on a déjà du mal à faire comprendre que les études sur le genre, ce sont les études sur les femmes. Si on y ajoute transgenre, on ne va plus s’y retrouver.
Je retire également mon amendement.
L’amendement n° 14 rectifié bis est retiré et, en conséquence, le sous-amendement n° 67 n’a plus d’objet.
Madame Jouanno, l’amendement n° 40 rectifié bis est-il maintenu ?
Je retire mon amendement, en me félicitant que cette modification de l’article 225-1 du code pénal puisse être intégrée.
L'amendement n° 40 rectifié bis est retiré et, en conséquence, le sous-amendement n° 68 n’a plus d’objet.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
Cette solution est la bonne. Au départ, il avait été dit qu’on n’ouvrirait pas d’autres débats que ceux qui portent strictement sur le harcèlement. On peut aborder des tas de sujets ; après le débat d’hier sur les discriminations, et compte tenu des auditions du groupe de travail, il fallait agir.
Je trouve la proposition du Gouvernement opportune. Honnêtement, en s’appuyant sur l’amendement n° 59 rectifié, ou sur un autre d’ailleurs, on aurait presque pu régler le problème du code du travail et du statut de la fonction publique. On aurait pu le faire puisqu’il visait les trois textes.
Ce n’est pas la peine de compliquer les choses. Cela sera fait par l’Assemblée nationale, c’est logique.
Le débat sur « l’orientation sexuelle » ou « l’identité de genre » peut paraître anodin. Vous savez très bien que le débat sur le genre – gender, comme l’a très bien rappelé Mme Benbassa – est un débat philosophique qui fait l’objet de nombreuses publications. On ne peut pas utiliser un terme qui est inconnu en droit, même en droit pénal. Il doit y avoir un débat de fond…
… et l’on ne peut pas, au détour d’un article, trancher la question.
Lorsque je ne passe pas mes soirées au Sénat, je lis un peu de philosophie, madame la ministre §: la question du genre est un vrai débat philosophique. Je préfère donc qu’on ne l’évoque pas à ce stade de nos travaux.
Je retire moi aussi mon amendement.
J’ai noté ce premier pas, cette avancée significative par rapport à la transphobie. Cependant, je persiste et je pense que l’on reparlera de la notion de « genre ». Ce n’est pas un débat philosophique, monsieur Hyest. En intégrant « l’identité de genre » à la liste des discriminations, on appelle à l’égalité entre les femmes et les hommes.
L’amendement n° 48 rectifié quater est retiré.
La parole est à Mme la ministre.
Je souhaite apporter une précision et répondre à ceux qui se demandent pourquoi on n’insère pas tout de suite les modifications dans le code du travail et le statut de la fonction publique.
Après tout, il est vrai que vous avez perçu nombre des écueils qu’il nous faut éviter. Le problème, c’est qu’il y en a d’autres ; les modifications à apporter concernent non seulement le code du travail mais aussi d’autres dispositions du code pénal, le code de procédure pénale, le code du sport. Ce travail doit être mené de façon exhaustive pour rendre plus cohérente la définition de la discrimination dans l’ensemble de ces textes. Cela prendra un peu de temps. Nous demanderons à l’Assemblée nationale de bien vouloir s’y mettre et je pense que cela ne posera pas de problème à vos collègues députés.
Le débat sur l’identité de genre me passionne et j’espère que nous aurons d’autres occasions de le poursuivre. Toutefois, il me paraît plus sûr, dans le cadre de ce texte, de s’en tenir à l’identité sexuelle.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2.
Par ailleurs, je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Benbassa, M. Placé, Mmes Bouchoux, Lipietz et Archimbaud, M. Desessard, Mmes Aïchi et Blandin et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article 2-2 du code de procédure pénale, après les mots : « violences sexuelles », sont insérés les mots : «, contre le harcèlement sexuel ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
L’article 2-2 du code de procédure pénale dispose que « toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l’objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles ou contre les violences exercées sur un membre de la famille, peut exercer les droits reconnus à la partie civile […]. Toutefois, l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. »
Actuellement, seules les associations dont l’objet statutaire comporte « la lutte contre les violences sexuelles » peuvent bénéficier de la faculté de se porter partie civile.
L’objet de notre amendement est d’étendre le champ d’application de l’article 2-2 du code de procédure pénale aux associations dont l’objet statutaire est uniquement la lutte contre le harcèlement sexuel de manière qu’elles puissent également se porter partie civile.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
Vous avez opportunément perçu qu’il fallait ajouter dans cet article 2-2 du code de procédure pénale, pour les associations qui s’occupent ou s’occuperont en particulier du harcèlement sexuel, à côté des violences sexuelles et des violences exercées sur un membre de la famille, la possibilité de se porter partie civile.
Je rappelle, comme vous l’avez déjà fait en lisant une partie de l’article 2-2, que « l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. » Vous connaissez le principe en vertu duquel « nul ne plaide par procureur ». Il faut donc que la victime soit intéressée, concernée et, bien entendu, qu’elle approuve l’action de l’association.
Je n’ai pas sous les yeux le code de procédure pénale, mais vous le citez, madame Benbassa, dans votre exposé des motifs, ce qui m’a permis de constater que les articles 222-23 à 222-33 du code pénal étaient déjà visés par l’article 2-2 du code de procédure pénale. Les rédacteurs de cet article considéraient donc que le harcèlement faisait partie des objets des associations traitant des violences sexuelles, etc. Par conséquent, je m’interroge : cet amendement est-il utile ? Je n’ai pas d’objection sur le fond, mais je précise qu’une association pouvait déjà défendre une personne victime de harcèlement sexuel, sur le fondement de l’article 222-33.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 35 rectifié, présenté par Mmes Gonthier-Maurin, Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David et Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2-6 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « ou sur les mœurs » sont remplacés par les mots : «, sur les mœurs ou sur l’orientation sexuelle » ;
b) Après les mots : « code pénal », la fin de cet alinéa est ainsi rédigée : « et les articles L. 1146-1 et L. 1155-2 du code du travail, lorsqu’elles sont commises en raison du sexe, de la situation de famille, des mœurs ou de l’orientation sexuelle de la victime ou à la suite d’un harcèlement sexuel. » ;
2° Le début du deuxième alinéa est ainsi rédigé : « Toutefois, en ce qui concerne les discriminations commises à la suite d’un harcèlement sexuel, l’association ne sera recevable...
le reste sans changement
Cet amendement a pour objet d’actualiser et de compléter l’article 2-6 du code de procédure pénale autorisant toute association déclarée depuis au moins cinq ans et dont l’objet est de combattre les discriminations fondées sur le sexe ou les mœurs à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les discriminations prohibées commises à raison du sexe, de la situation de famille ou des mœurs de la victime.
L’amendement substitue à la référence de l’ancien article L. 123-1 du code du travail, qui interdisait toute discrimination à l’embauche ou dans le déroulement de carrière fondée sur le sexe, la situation de famille ou la grossesse, les références comparables figurant aux articles L. 1146-1 et L. 1155-2 du nouveau code du travail. Le premier sanctionne la méconnaissance des dispositions relatives à l’égalité professionnelle ; le second sanctionnera, sous réserve de son adoption dans le projet de loi, les discriminations commises à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel.
S’agissant du deuxième alinéa de l’article 2-6, qui subordonne la recevabilité de l’action des associations à l’accord écrit de la personne intéressée, l’amendement précise que cette exigence doit s’appliquer dans les affaires concernant « les discriminations commises à la suite d’un harcèlement sexuel », substituant, dans un souci de clarté de la loi, une règle générale aux références obsolètes ou insuffisamment complètes et précises qui y figurent actuellement.
Enfin, l’amendement complète la liste des discriminations prohibées en ajoutant à celles qui sont fondées sur le sexe ou les mœurs, celles qui sont fondées sur l’orientation sexuelle de la victime.
Cette adjonction se traduira plutôt par une clarification du sens de la loi que par une extension véritable de son champ d’application, dans la mesure où la jurisprudence donne déjà une définition assez large de la notion de mœurs. Mais la référence à la notion plus moderne d’orientation sexuelle est de nature à faciliter la compréhension de la loi par le justiciable.
Je ne m’étendrai pas sur cet amendement qui vient d’être excellemment présenté.
Il a un double objet. D’une part, il s’agit de procéder à une amélioration rédactionnelle de l’article 2-6 du code de procédure pénale. D’autre part, il s’agit d’apporter une plus grande cohérence avec ce que nous venons de voter en intégrant « l’orientation sexuelle » dans cet article. L’avis de la commission est favorable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, après tous les propos que nous avons tenus depuis le début de la discussion du projet de loi sur l’indispensable cohérence entre les textes et les codes, vous ne serez pas surpris que le Gouvernement apporte son entier soutien à cet amendement qui permet de toiletter le code de procédure pénale et d’améliorer le texte du projet de loi.
Madame la ministre, vous avez bien raison d’insister sur les problèmes de cohérence des textes. Nous avons précédemment opté pour l’expression « orientation ou identité sexuelle ».
Oui, mais en précisant que cela allait entraîner des modifications des textes.
Il faudra reprendre cette expression si l’on modifie les articles correspondants dans le code du travail. Cela sera sans doute fait au cours de l’examen du texte par l'Assemblée nationale, sinon nous y veillerons en commission mixte paritaire.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Kaltenbach, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale, après la référence : « 222-30 », il est inséré la référence : « 222-33, ».
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
Cet amendement vise à permettre aux victimes de harcèlement sexuel de saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, afin de demander, si leur agresseur se révèle insolvable, une indemnisation intégrale du préjudice qu’elles ont subi, et ce au titre de la solidarité nationale.
En commission, certains collègues ont évoqué l’article 40 de la Constitution. La commission des finances n’a pas souhaité faire application de cet article, qui est inopérant puisqu’il s’agit d’un fonds. J’ajoute que les sommes en jeu sont faibles puisque, comme cela a été rappelé dans la discussion générale, peu de condamnations sont prononcées chaque année pour harcèlement sexuel.
Mon amendement tend à offrir aux victimes de harcèlement la même possibilité que celle qui est donnée aux victimes de viol ou d’agression sexuelle, lesquelles peuvent demander une indemnisation par la CIVI lorsque leur agresseur se trouve être insolvable.
Les auditions des représentants des associations de défense des droits des femmes nous ont montré les similitudes importantes qui existent entre les victimes de harcèlement et les victimes de violences physiques : répercussions psychologiques importantes, peur de porter plainte ou encore mise en doute de la parole des victimes. On le sait aussi, le harcèlement sexuel peut avoir des conséquences graves, avec le risque d’une mise à l’écart dans l’environnement professionnel.
Afin que les victimes puissent se reconstruire dans la dignité, il faut leur montrer que la solidarité nationale prend la mesure de leur souffrance et qu’elle entend, si l’auteur des faits se révèle insolvable, leur permettre de saisir la CIVI.
Je sais que le Gouvernement est très sensible à la situation des victimes. L’adoption de cet amendement serait un geste supplémentaire pour monter que nous sommes aux côtés des victimes, en leur ouvrant la possibilité, si l’agresseur est insolvable, de bénéficier de l’intégralité de l’indemnisation.
La commission est défavorable à cet amendement pour des raisons précises.
Pour l’instant, les textes qui régissent la CIVI visent des infractions d’une particulière gravité, qui sont fortement sanctionnées. En effet, les infractions qui donnent droit à la saisine de cette commission sont toutes les infractions ayant entraîné la mort, une incapacité permanente, une ITT égale ou supérieure à un mois, ou bien, plus spécifiquement, des agressions sexuelles, le viol, l’atteinte sexuelle sur mineur, la traite des êtres humains. Je rappelle que l’agression sexuelle est punie d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et le viol d’au minimum quinze ans de prison.
Cela étant dit, et là je me tourne vers Mme la garde des sceaux, il faut reconnaître qu’un grand désordre règne dans les dispositions relatives à la CIVI. Je viens d’évoquer certaines infractions, pour lesquelles nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut faciliter l’indemnisation des victimes. Toutefois, il faut moderniser ce texte. En effet, un mineur de 15 ans victime d’un enlèvement ou d’une séquestration, une personne majeure victime d’une prise d’otage ne peuvent accéder à la CIVI.
Un jour ou l’autre, vous devrez, madame la garde des sceaux, intégrer dans le vaste programme de travail qui est le vôtre un accès plus rationalisé et modernisé des victimes à la CIVI. Nous pourrons à ce moment-là examiner de nouveau cette question qui mérite une réforme dans les meilleurs délais, les victimes étant bien évidemment au cœur de nos préoccupations.
J’ai entendu votre appel, monsieur le rapporteur, et je suis tout à fait d’accord avec vous. Un travail de fond doit être mené, notamment avec les associations représentantes des victimes, qui sont au nombre de 140 environ dans notre pays, regroupées dans l’INAVEM. Cette fédération très dynamique réfléchit, innove et expérimente. Nous allons travailler de plus en plus étroitement avec elle et parcourir l’éventail des situations qui justifieraient le recours au fonds de la CIVI.
Vous avez eu raison, monsieur Kaltenbach, de faire remarquer que cet amendement n’est pas passé sous les fourches caudines de l’article 40, un article que députés – je parle d’expérience ! – comme sénateurs détestent singulièrement car il constitue à leurs yeux une entrave importante à l’initiative parlementaire.
En fait, si cet amendement a échappé aux fourches caudines de l’article 40, c’est parce que le fonds de la CIVI est assis sur une part des contrats d’assurance. Mais il faut savoir qu’une dotation budgétaire annuelle, c'est-à-dire une intervention de l’État, permet d’abonder ce fonds en cas de nécessité. L’amendement a échappé à l’article 40, mais un accroissement des interventions de la CIVI provoquerait presque mécaniquement une augmentation de la dotation de l’État, et donc des dépenses publiques. Voilà la réalité !
Cet argument budgétaire est difficile à opposer aux victimes. M. le rapporteur a rappelé les infractions pour lesquelles est ouvert le droit à indemnisation. Il est vrai que le harcèlement sexuel n’en fait pas partie. Je ne vous le cache pas : je suis très gênée que des victimes de harcèlement sexuel ayant obtenu une réparation au moins symbolique…
… et juridique de la part d’un tribunal ne puissent pas obtenir la réparation pécuniaire prononcée par ce tribunal.
Monsieur le sénateur, vous nous avez dit que cela représentait peu de cas par an ; j’ai été la première à le dire à la tribune de l'Assemblée nationale. Toutefois, si nous légiférons aujourd'hui, c’est bien pour qu’il y en ait plus, non pas parce que nous voulons accroître la « productivité » du harcèlement, mais parce que nous créons les conditions permettant aux victimes de recourir à la justice en cas de harcèlement.
Le Gouvernement devrait normalement émettre un avis défavorable sur votre amendement. D’un point de vue strictement juridique, il n’y a pas de raison d’introduire le harcèlement sexuel dans la catégorie des incriminations qui donnent droit à indemnisation. Sauf à répondre aux conditions indiquées tout à l’heure par M. le rapporteur, à savoir une ITT de plus d’un mois, une incapacité permanente ou la mort – les ayants droit peuvent alors agir –, les violences faites aux femmes, en tant que telles, ne permettent pas d’accéder à cette indemnisation.
Aussi, je m’en remets à la sagesse de votre assemblée. Je répète simplement que l’adoption de cet amendement provoquerait une dépense d’État, mais opposer un argument budgétaire à une telle demande de droits heurte mes valeurs. Je suis sûre que votre assemblée saura être sage…
Pour être franc, je suis moyennement convaincu par les arguments qui ont été développés. Selon M. le rapporteur, les condamnations encourues sont très différentes. Cependant, avec le dispositif que nous avons adopté, le harcèlement pourra être puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes, contre cinq ans et 75 000 euros pour une agression sexuelle. La différence n’est pas si considérable.
Nous l’avons tous répété, le harcèlement sexuel est grave. On ne peut d’un côté tenir ce discours et, de l’autre, laisser tomber les victimes si l’agresseur est insolvable.
Cela étant dit, j’entends que la question de l’indemnisation des victimes soulevée par cet amendement vient sans doute un peu trop tôt dans le débat et qu’il faudra l’approfondir.
J’invite le président de la commission à réfléchir à la création d’une mission d’information dont les travaux nous permettraient de faire un point complet sur les indemnisations dues aux victimes, de nourrir le débat et de faire en sorte que les victimes soient mieux prises en compte – j’insiste sur ce point –, non seulement sur le plan juridique, au travers des condamnations susceptibles d’être prononcées, mais également après la condamnation, dans l’hypothèse où le condamné est insolvable et ne peut payer l’indemnité.
Je crois que nous ferions alors un travail qui irait dans le bon sens et qui enverrait un signe fort en direction des victimes.
En conséquence, j’accepte de retirer mon amendement si le Gouvernement et la commission s’engagent dans une démarche d’approfondissement du débat sur l’indemnisation des victimes – pour ce qui est de la commission, via la création d’une mission d’information – afin qu’il soit procédé aux nécessaires modifications législatives.
Monsieur Kaltenbach, vous savez que nous créons beaucoup de missions d’information.
Hier matin encore, M. Yves Détraigne et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ont rendu compte du travail considérable qu’ils ont effectué sur la carte judiciaire.
Mme Chantal Jouanno se désigne du doigt.
Je peux également évoquer le rapport d’information de M. Jean-René Lecerf et de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, fait au nom de la commission des lois et de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, sur la loi pénitentiaire.
D’autres missions d’information sont en cours.
Toutefois, je ne manquerai pas de proposer au bureau de notre commission d’étudier les modalités selon lesquelles nous pourrions, en lien avec vous, mesdames les ministres, et tout particulièrement avec vous, madame la garde des sceaux, travailler sur cette question de l’indemnisation car c’est un vrai sujet qui mérite la cohérence qui lui fait aujourd'hui défaut ; monsieur Kaltenbach, vous avez en cela tout à fait raison.
Soyez donc assuré que le retrait de votre amendement n’est pas un geste négatif dans la mesure où il pourra avoir des suites positives. Au demeurant, je sais que vous serez vigilant à cet égard.
Monsieur Kaltenbach, je réaffirme ce que je disais tout à l'heure de façon informelle : il est nécessaire d’ouvrir ce chantier.
Je m’engage formellement à en prendre l’initiative. Bien entendu, cet engagement, qui sera consigné au Journal officiel, vaut pour le Gouvernement.
Non, je le retire, madame la présidente, de manière que le débat puisse être poursuivi, dans le sens d’une meilleure prise en compte des victimes.
Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 1152-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1152-1. – Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement moral tels que définis et réprimés par l’article 222-33-2 du code pénal. » ;
2° L’article L. 1153-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1153-1. – Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis et réprimés par l’article 222-33 du code pénal. » ;
3° L’article L. 1153-2 est complété par les mots : « y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée. » ;
4° Le premier alinéa de l’article L. 1155-2 est remplacé par les dispositions suivantes :
« Sont punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 € les faits de discriminations commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel définis aux articles L. 1152-2, L. 1153-2 et L. 1153-3 du présent code. » ;
5° Les articles L. 1155-3 et L. 1155-4 sont abrogés ;
5° bis (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 2313-2, après les mots : « peut notamment résulter » sont insérés les mots : « de faits de harcèlement sexuel ou moral ou » ;
5° ter (nouveau) Au troisième alinéa de l’article L. 4622-2, après les mots : « sur le lieu de travail, » sont insérés les mots : « de prévenir le harcèlement sexuel ou moral, ».
6° Au 1° de l’article L. 8112-2, après la référence : « 225-2 du code pénal, » sont insérés les mots : « les délits de harcèlement sexuel ou moral prévus, dans le cadre des relations du travail, par les articles 222-33 et 222-33-2 du même code ».
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous l’avons dit à de nombreuses reprises, non seulement au cours des auditions au sein de notre groupe de travail, mais aussi depuis le début de l’examen du texte en séance : les relations de travail, voire les situations d’accès au travail offrent un cadre propice aux actions néfastes des harceleurs, quels qu’ils soient.
Dans un rapport paru récemment, le Défenseur des droits, M. Dominique Baudis, indiquait que près de la moitié des dossiers portés devant lui en matière de discrimination concernaient l’emploi.
Plus près de nous, nous avons toutes et tous en tête de nombreux exemples de femmes qui ont été soumises à des pressions au moment de leur embauche ou qui ont subi périodiquement, voire quotidiennement, des propos, des gestes, des remarques déplacées, parfois même accompagnés de chantage à leur promotion ou, pire, à leur maintien dans un poste ou même dans leur emploi.
Aussi, je me réjouis que l’article 3 restaure la répression pénale du harcèlement sexuel subi à l’entreprise.
Néanmoins, j’irai un peu plus loin : je souhaite que soient inscrites dans le code pénal et dans le code du travail la même définition du harcèlement sexuel, ainsi que, dans ce dernier code, la notion de droits des salariés. C’est le sens de l’amendement que mon groupe va défendre dans un instant. Un simple renvoi au code pénal, tel que le prévoit aujourd'hui le texte du projet de loi, ne suffit pas.
Autre point important dans cet article 3 : la notion d’ « acte unique », enfin reconnue. Ce que certains nomment « chantage sexuel » – personnellement, je n’aime pas cette expression – à l’embauche ou à la promotion, voire à l’acceptation de modification de son contrat de travail peut enfin faire l’objet de sanctions. C’est une excellente chose.
Combien de harceleurs profitent de la vulnérabilité d’une femme en recherche d’emploi pour tenter d’obtenir une relation sexuelle ! Bien sûr, le peu d’affaires jugées à ce jour pourrait laisser croire qu’il s’agit de phénomènes isolés, voire marginaux.
Madame la ministre des droits des femmes, si, comme vous l’avez annoncé, une grande campagne nationale d’information et de sensibilisation est lancée dès le vote de la loi et si, comme pour d’autres textes importants, cette campagne franchit les portes de l’entreprise, de Pôle emploi ou des missions locales, je pense sincèrement que la peur pourra changer de camp !
Les femmes – car ce sont les principales victimes, même s’il s’agit, comme l’a dit hier Mme la garde des sceaux, d’un harcèlement de genre – pourront alors connaître leurs droits et leurs recours. Que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – les CHSCT –, les délégués du personnel, les inspecteurs du travail, la médecine du travail soient aussi dans la boucle est une excellente nouvelle. Une fois promulguée, la loi doit permettre aux salariées de se saisir de toutes les possibilités pour que les harceleurs se trouvent enfin isolés et condamnés.
Trop souvent, la souffrance renforce la solitude : on ne sait pas à qui parler ou comment faire pour que les choses cessent et pour que le harceleur soit réellement condamné. Il ne faut plus que ce soit à la victime que l’on propose une mutation ou un changement de bureau ou de site de travail, au prétexte que M. X, s’il est effectivement un harceleur, est tout de même un excellent collaborateur, dont les propos ou les actes ne sont peut-être que des galéjades ou des gauloiseries. Stop ! Tout cela doit cesser.
J’ai conscience que cette loi ne réglera pas tout et que cet article ne changera pas du jour au lendemain les relations de travail, encore par trop empreintes de machisme, mais elle peut être un rempart contre un des aspects les plus pernicieux et encore malheureusement les moins réprimés de la domination des hommes sur les femmes.
Il s’agit bien ici de mettre une nouvelle pierre à l’édifice de la société de réelle égalité que beaucoup d’entre nous espérons construire. Par ailleurs, je fais confiance aux organisations syndicales et aux instances paritaires dans les entreprises pour qu’elles travaillent, au-delà des questions de répression et de prévention, sur l’image de la femme et de l’homme dans l’entreprise et au sein de la société.
Mesdames les ministres, je le sais, c’est un chantier énorme mais nous sommes quelques-unes et quelques-uns à vouloir nous y atteler.
Je suis saisie de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 52 rectifié bis, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
II. – Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par huit alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 1153-1. – I- Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte aux droits du salarié, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante.
« II. – Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
« III. – Les faits visés aux I et II sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis :
« 1° Par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 2° Sur un mineur de quinze ans ;
« 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
« 4° En profitant de la particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale, apparente ou connue de l’auteur ;
« 5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice. »
III. – Alinéa 12
Remplacer les références :
222-33 et 222-33-2 du même code
par les références :
L. 1152-1 et L. 1153-1 du présent code
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Cet amendement a pour objectif d’éviter un renvoi du code du travail vers le code pénal. Il supprime ainsi les renvois effectués, pour la définition du harcèlement moral, par les alinéas 2 et 3 et, concernant le harcèlement sexuel, par l’alinéa 5.
Nous proposons par ailleurs d’ajouter, dans la définition du code du travail, l’atteinte aux droits du salarié en tant qu’élément de l’infraction.
L’opportunité de la reprise de cet élément, intégré dans la définition européenne, a suscité de longs débats au sein du groupe du travail. Le choix a été fait de ne pas le retenir, en cohérence avec la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002, lequel a jugé que cette notion d’atteinte aux droits, alors introduite dans la définition du harcèlement moral, satisfaisait aux exigences constitutionnelles, sous réserve de considérer les droits du salarié auxquels les agissements incriminés sont susceptibles de porter atteinte comme visant les droits de la personne au travail.
Par conséquent, l’introduction de la notion d’atteinte aux droits dans la définition du code pénal n’est pas sujette à censure si elle vise spécifiquement les droits du salarié.
C'est la raison pour laquelle notre amendement tend à introduire cette notion dans le code du travail.
L'amendement n° 1, présenté par Mmes Dini et Létard, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
salarié
insérer les mots :
de bonne foi
La parole est à Mme Muguette Dini.
La Cour de cassation a rendu le 7 février dernier une décision importante en matière de harcèlement moral, aux termes de laquelle le salarié de bonne foi qui invoque des faits de harcèlement non reconnus par les juges ne peut être licencié pour ce motif.
En l’espèce, une vendeuse faisait état de harcèlement moral après un entretien de recadrage avec son supérieur hiérarchique, lequel lui reprochait des attitudes contraires à la bonne entente dans le magasin.
Là où la salariée insistait sur le harcèlement qu’elle subissait, son directeur ne voyait qu’une mise au point légitime d’ordre professionnel.
Devant les tribunaux, la discussion a été vive mais les juges n’ont pas reconnu le harcèlement. L’employeur s’est alors cru autorisé à licencier la salariée pour faute grave.
Pourtant, la vendeuse était de bonne foi. Elle avait réellement cru subir des agissements que la loi réprouve, c’est-à-dire ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail, susceptibles de porter atteinte aux droits ou à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Compte tenu de sa sincérité, la Cour de cassation a décidé que la salariée ne devait pas être sanctionnée puisqu’elle était de bonne foi, notion que je souhaite introduire dans la loi relative au harcèlement sexuel.
En effet, la Cour a déclaré que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Surtout, la Cour a précisé, s’agissant de savoir ce qu’il faut entendre par le terme de mauvaise foi, que celle-ci ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Autrement dit, il faut que le salarié ait menti.
Mes chers collègues, cette décision de la Cour de cassation, saluée par la doctrine, souligne que, dans la plupart des cas, le salarié qui invoque un harcèlement moral, et bien sûr un harcèlement sexuel, n’invente pas les événements qu’il dénonce ; au pire, il les interprète mal.
Il est donc important que le texte de loi retienne cette notion de bonne foi.
L'amendement n° 4, présenté par Mme Dini, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
Dans le cadre des relations de travail,
insérer les mots :
même en dehors du temps et du lieu de travail
La parole est à Mme Muguette Dini.
Cet amendement porte sur un sujet qui paraît anodin mais ne l’est pas du tout : le harcèlement sexuel en dehors du lieu ou des heures de travail, qui entre dans la définition du harcèlement sexuel au travail.
Le 19 octobre 2011, la Cour de cassation a, pour la première fois, reconnu clairement que des propos et des attitudes à caractère sexuel entre collègues en dehors du travail pouvaient être sanctionnés par l’employeur.
Jusque-là, des propos à caractère sexuel tenus par un salarié hors du cadre de travail – par exemple, à l’occasion de soirées organisées après le travail – ne caractérisaient pas des agissements de harcèlement sexuel. Selon les juges, ces faits relevaient de la vie personnelle du salarié et ne pouvaient constituer une faute dans l’exécution du travail.
La décision de la Cour de cassation du 19 octobre 2011 a mis un coup d’arrêt à ce courant jurisprudentiel.
Dans cette affaire, c’est le comportement du superviseur d’une équipe de standardistes qui a été sanctionné. Ce dernier suivait des salariées qui se rendaient aux toilettes et, à plusieurs reprises, a tenu des propos à caractère sexuel à l’intention de ses collaboratrices, sur MSN ou à l’occasion de soirées organisées après le travail. Informé de ces faits, l’employeur a licencié le salarié harceleur en se plaçant sur le terrain disciplinaire et a prononcé un licenciement pour faute grave, motif pris du harcèlement sexuel commis par celui-ci.
Le salarié s’est défendu en affirmant que les faits qui lui étaient reprochés en dehors du cadre de travail relevaient de sa vie personnelle et qu’ils ne pouvaient donc donner prise à une quelconque sanction, dès lors qu’ils ne constituaient pas une faute dans l’exécution du contrat de travail.
Cette argumentation a été fermement rejetée par la Cour de cassation. Les hauts magistrats ont estimé que les propos à caractère sexuel et les attitudes déplacées d’un salarié à l’égard de personnes avec lesquelles l’intéressé était en contact en raison de son travail ne relevaient pas de sa vie personnelle.
Dès lors, puisque ces agissements n’entrent pas dans le champ de la vie privée, ils peuvent être rattachés au cadre professionnel, cadre où l’employeur exerce pleinement son pouvoir disciplinaire.
Pour la Cour de cassation, peu importe le lieu et le temps de ces agissements, dès lors que les protagonistes se côtoient « en raison [du] travail ».
Ce lien suffit à ôter tout caractère d’ordre privé ou personnel aux faits commis et à les rattacher au travail. Dès lors, l’employeur, tenu de protéger ses salariés contre les harceleurs et les prédateurs sexuels, peut sanctionner l’auteur de tels faits.
Dans une décision plus récente, en date du 11 janvier 2012, la Cour de cassation a confirmé sa position, réaffirmant que cette dissociation entre vie professionnelle et vie privée était désormais inopérante. En effet, pour les hauts magistrats, « le fait pour un salarié d’abuser de son pouvoir hiérarchique dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles constitue un harcèlement sexuel même si les agissements ont lieu en dehors du temps et du lieu de travail ».
Il conviendrait, selon moi, que cette précision figure dans la loi. Tel est donc l’objet de cet amendement.
L’amendement n° 22, présenté par Mmes Meunier et Tasca, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Klès, Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Après les mots :
de harcèlement sexuel
insérer les mots :
ou de chantage sexuel
II. – Alinéa 8
Après les mots :
harcèlement moral ou sexuel
insérer les mots :
ou de chantage sexuel
III. – Alinéas 10 et 12
Après les mots :
harcèlement sexuel ou moral
insérer les mots :
ou de chantage sexuel
IV. – Alinéa 11
Après les mots :
harcèlement sexuel ou moral
insérer les mots :
ou le chantage sexuel
Cet amendement n’a plus d’objet, les amendements n° 18 et 19 rectifié bis à l’article 1er n’ayant pas été adoptés.
L’amendement n° 45, présenté par Mme Klès, est ainsi libellé :
Alinéas 5 et 12
Remplacer la référence :
par la référence :
Cet amendement n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements n° 52 rectifié bis, 1 et 4 ?
La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 52 rectifié bis. En effet, cet amendement vise à réintégrer, dans le texte proposé pour la rédaction de l’article L. 1153-1 du code du travail, la définition adoptée pour le texte du code pénal, avec un ajout par rapport au texte que nous avons adopté hier, puisqu’il est précisé que les propos ou agissements à connotation sexuelle « portent atteinte aux droits du salarié ».
L’amendement n° 1, présenté par Mme Dini, est relatif à la bonne foi du salarié. Ma chère collègue, vous êtes une excellente juriste et vous nous avez parfaitement exposé la jurisprudence de la Cour de cassation. Mais, précisément, est-il nécessaire d’intégrer dans la loi les acquis de la jurisprudence de la Cour de cassation ? Il me semble que tel n’est pas le cas.
En effet, vous nous avez très clairement expliqué que la Cour de cassation estime qu’il appartient au juge d’examiner la question de la bonne foi du salarié. Il n’est donc pas nécessaire d’ajouter cette précision au texte de la loi. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
En ce qui concerne l’amendement n° 4, la commission applique le même raisonnement. La Cour de cassation a estimé que l’expression « dans le cadre des relations de travail » pouvait parfois couvrir des faits commis en dehors du temps et du lieu de travail ; cette jurisprudence est constante et s’applique d’ailleurs dans d’autres contextes. La commission a donc émis un avis défavorable.
Les auteurs de l’amendement n° 52 rectifié bis défendent l’idée que la reproduction, dans le code du travail, de la définition du harcèlement figurant dans le code pénal serait plus efficace qu’un simple renvoi au code pénal, comme c’est le cas aujourd’hui. Je ne suis cependant pas convaincue par cet argument.
La solution retenue par le Gouvernement, qui consiste à insérer dans le code du travail un renvoi à la définition du code pénal, est la plus rigoureuse en réalité, puisqu’elle évite que des incohérences entre les deux codes n’apparaissent au fil du temps, notamment en raison d’interprétations divergentes du texte du code du travail, d’une part, et de celui du code pénal, d’autre part.
Enfin, les associations qui demandent cette modification le font parce qu’elles s’inquiètent des incidences éventuelles sur la procédure civile d’un renvoi au code pénal. Je tiens à les rassurer : la procédure civile et la procédure pénale continueront à obéir à des règles très différentes, notamment en termes d’aménagement de la charge de la preuve. En réalité, le juge civil – en l’occurrence, le conseil des prud’hommes – n’aura aucunement à attendre qu’une décision soit prise par le juge pénal avant de statuer.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
En ce qui concerne l’amendement n° 1, je ne suis pas non plus convaincue par vos arguments, madame Dini. Il me semble que l’introduction de cette précision pourrait constituer un frein au témoignage du salarié : celui-ci pourrait craindre de se voir reprocher sa mauvaise foi s’il témoigne de ce qu’il a vu et entendu. Quand on sait combien il est difficile de témoigner et d’apporter des preuves dans des affaires de ce type, il est clair que l’ajout d’une telle précision dans le texte même de la loi risque de bloquer beaucoup de salariés dans leur volonté de témoigner. D’une manière plus générale, il appartient aux juges d’apprécier la bonne ou la mauvaise foi des salariés : mieux vaut donc s’en tenir au texte actuel qui prévoit que, dans la relation de travail, aucun salarié ne doit subir de fait de harcèlement.
Quant à l’amendement n° 4, madame Dini, j’ai bien entendu les craintes que vous exprimiez. J’ai examiné les compléments que vous m’aviez remis, en particulier cette décision du 11 janvier 2012 de la Cour de cassation qui, en réalité, confirme le bien-fondé de la position du Gouvernement. Comme vous l’avez rappelé vous-même, la Cour de cassation a bien retenu que le fait, pour un salarié, d’abuser de son autorité hiérarchique dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles constitue un harcèlement sexuel, même si les agissements en cause sont survenus en dehors du temps et du lieu de travail. Il me semble donc qu’il n’y a pas de doute à avoir et que la formulation proposée par le Gouvernement répond à votre souci, madame la sénatrice. Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
L’amendement n’est pas adopté.
En ce qui concerne l’amendement n° 1, je me rallie bien volontiers à l’avis de la commission et du Gouvernement et je le retire donc.
Je retire également l’amendement n° 4, sans être toutefois convaincue par les arguments qui me sont opposés. Le fait que les agissements reprochés aient été commis en dehors du cadre du travail est souvent invoqué comme argument de défense. Si la précision que je suggérais d’ajouter était incluse dans le texte de la loi, la personne poursuivie ne pourrait pas arguer du caractère purement privé de son comportement. Je ne suis donc pas persuadée de ne pas avoir raison malgré tout !
Les amendements n° 1 et 4 sont retirés.
Je suis saisie de deux amendements, présentés par Mme Benbassa, M. Placé, Mmes Bouchoux, Lipietz et Archimbaud, M. Desessard, Mmes Aïchi et Blandin et MM. Dantec, Gattolin et Labbé.
L’amendement n° 16 est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
3° L’article L. 1153-2 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « entreprise », sont insérés les mots : «, aucune personne en période de formation ou en période de stage » ;
b) Il est complété par les mots : « y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée » ;
L’amendement n° 17 est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’article L. 1153-3, après le mot : « salarié », sont insérés les mots : «, aucune personne en période de formation ou en période de stage » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
L’amendement n° 16 complète le 3° de l’article 3 du projet de loi, en ajoutant les stagiaires et apprentis à la liste des personnes protégées prévue à l’article L. 1153-2 du code de travail. Ces personnes « ne peuvent être sanctionnées ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte » à la suite d’un harcèlement sexuel. En effet, seul le salarié et le « candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise » sont actuellement concernés par l’article L. 1153-2 du code du travail, mais non les stagiaires et les personnes ayant déjà débuté leur formation.
Quant à l’amendement n° 17, il s’agit d’un amendement de coordination, visant également à protéger les personnes en période de formation ou en période de stage. Son adoption permettrait d’inclure ces personnes dans le champ de l’article L. 1153-3 du code du travail. Le texte proposé pour cet article serait donc ainsi rédigé : « Aucun salarié, aucune personne en période de formation ou en période de stage, ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés ».
Bien que l’amendement n° 54 ne fasse pas l’objet d’une discussion commune avec les deux précédents, son objet est très proche et il est en partie identique à l’amendement n° 16. J’estime donc qu’il convient de l’appeler en discussion pour la clarté des débats.
L’amendement n° 54, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° L’article L. 1153-3 est complété par les mots : « y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée. » ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Il me semble effectivement que cet amendement complète les deux précédents, car il effectue une coordination.
L’alinéa 6 de l’article 3 du présent projet de loi modifie l’article L. 1153-2 du code du travail qui dispose qu’« aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel ».
Le texte du projet de loi élargit cette protection aux personnes confrontées à un acte unique de harcèlement ayant eu des conséquences discriminatoires. C’est une bonne chose.
Le présent amendement tend à compléter de la même manière l’article L. 1153-3 du code du travail, qui vise la protection des personnes ayant témoigné ou relaté des agissements de harcèlement sexuel, en élargissant son champ, c’est-à-dire en y incluant le cas où ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée.
La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 16 qui apporte des précisions utiles.
L’amendement n° 17 étant un amendement de coordination, il recueille également un avis favorable.
En revanche, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 54, présenté par Mme Cohen. Elle a en effet considéré que, puisque le code du travail renvoie aux dispositions du code pénal qui distinguent clairement entre l’acte unique et les agissements répétés, les auteurs de cet amendement avaient déjà obtenu satisfaction.
L’amendement n° 16, présenté par Mme Benbassa est particulièrement bienvenu. En effet, alors que les apprentis, qui sont des salariés, sont déjà couverts par les dispositions en vigueur, tel n’est pas le cas des stagiaires. J’émets donc un avis favorable.
L’amendement n° 17 est un amendement de coordination. L’avis du Gouvernement est également favorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 54, le Gouvernement estime que la précision qu’il apporte n’est pas nécessaire, parce que les agissements de harcèlement dont peut témoigner le salarié sont précisément les mêmes que ceux contre lesquels le code pénal protège la victime. Il me semble donc que le texte du projet de loi peut être conservé en l’état. Avis défavorable.
Mme la ministre et M. le rapporteur ont émis un avis défavorable sur l’amendement n° 54 présenté par Mme Cohen. J’observe cependant que l’amendement n° 16 présenté par Mme Benbassa a un double objet. Premièrement, il couvre les stagiaires ; deuxièmement, il ajoute la précision suivante : « y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée ». Or on vient de nous expliquer, pour justifier le rejet de l’amendement n° 54, que cette précision était inutile puisque la référence au code pénal suffisait !
Autant je suis d’accord avec la première partie de l’amendement n° 16, autant j’estime qu’il faudrait supprimer sa seconde partie, au nom de la cohérence. Je ne sais pas ce qu’en pense M. le rapporteur !
Je ne souhaite pas allonger inutilement nos débats, mais j’avoue que j’ai du mal à percevoir une cohérence dans les avis rendus par la commission et le Gouvernement. Je ne comprends pas pourquoi les amendements n° 16 et 17 recueilleraient un avis favorable, alors que celui que j’ai défendu devrait être rejeté.
J’aime bien comprendre, afin de pouvoir voter en connaissance de cause. Si quelqu’un peut nous montrer la cohérence de ce que nous allons voter, ses explications seraient utiles à tous !
Je rends hommage à la sagacité de M. Hyest, mais, en réalité, ce n’est pas le même article qui est visé.
Non, car dans l’amendement présenté par Mme Cohen est visé l’article L. 1153-3 du code du travail, donc la protection des témoins, tandis que dans l’amendement présenté par Mme Benbassa est visé l’article L. 1153-2. N’ajoutant rien au texte de la commission, qu’il ne fait que reprendre, son amendement ne pose pas de difficulté.
L'amendement est adopté.
L'amendement est adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
L'amendement n° 34 rectifié, présenté par Mmes Gonthier-Maurin, Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David et Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre IV du titre V du livre Ier de la première partie du code du travail est complété par un article L. 1154-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 1154-3. – Les associations régulièrement constituées depuis cinq ans au moins pour la lutte contre les violences sexuelles peuvent exercer en justice toutes les actions résultant des dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-4.
« Elles peuvent exercer ces actions en faveur d’un salarié dans les conditions prévues par l’article L. 1154-1, sous réserve de justifier d’un accord écrit de l’intéressé.
« L’intéressé peut toujours intervenir à l’instance engagée par l’association et y mettre fin à tout moment. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
De par leur expérience, les associations de défense des droits des femmes sont à même d’apporter aux victimes de harcèlement sexuel une aide précieuse devant les tribunaux.
Le code de procédure pénale leur offre déjà la possibilité d’ester en justice dans les procès pénaux, mais seules les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ont actuellement la possibilité d’ester en justice aux côtés des victimes dans les procès civils, notamment devant les juridictions prud’homales.
Lors de leur audition devant le groupe de travail sénatorial, les représentants des organisations syndicales n’ont pas jugé souhaitable de maintenir ce monopole, d’autant que le harcèlement sexuel au travail peut aussi survenir dans de petites entreprises, qui ne disposent pas nécessairement d’une représentation syndicale.
Aussi la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a-t-elle recommandé d’étendre aux associations luttant contre les violences envers les femmes la possibilité d’ester en justice dans les procès civils, aux côtés des victimes, avec leur consentement.
Le présent amendement tend à apporter une traduction législative à cette recommandation, qui, je vous le rappelle, a été adoptée à l’unanimité des membres de la délégation.
La commission a donné un avis défavorable à cet amendement pour une raison non pas de fond, mais de procédure, à savoir l’absence de concertation.
Aujourd’hui, devant le Conseil des prud’hommes, un salarié ou une salariée peut se faire assister par un représentant syndical de son choix.
Vous proposez qu’il ou elle puisse se faire également assister par le représentant d’une association, dont l’objet social serait la lutte contre le harcèlement sexuel.
La discussion mérite d’être ouverte, mais il faudrait tout de même s’assurer que, du côté des organisations syndicales, il n’y a pas d’objections particulières. Nous en avons parlé en commission des lois et le président Sueur a rappelé que, à l’occasion des auditions, deux organisations syndicales nous avaient déclaré qu’elles n’étaient pas défavorables à cette mesure. Néanmoins, il est évident qu’une telle évolution de la procédure nécessite un travail plus profond.
Nous entendons bien l’intention, qui est incontestablement louable.
Vous avancez deux arguments. Tout d’abord, vous mentionnez le fait que les associations peuvent ester en justice devant les juridictions répressives. Effectivement, dans le cadre de la justice pénale, c’est possible, mais la raison en est que la logique même du procès pénal est de réprimer une atteinte au corps social, c’est-à-dire qu’un intérêt collectif est en jeu.
Devant les juridictions civiles ou sociales, l’intérêt en cause est privé. Donc, autant devant les juridictions pénales, il est concevable qu’une association puisse ester en justice en se constituant partie civile, puisque l’agression subie par une victime est une transgression des règles de vie en société et constitue une atteinte au corps social, …
… autant devant les juridictions civiles et prud’homales, la situation est différente.
Ensuite, vous évoquez à juste titre l’hypothèse des petites et très petites entreprises, dans lesquelles il n’existe pas de représentation syndicale. Si j’ai bien compris votre amendement, vous parlez de la possibilité non pas seulement d’assister, mais d’ester en justice.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin acquiesce.
Qu’on ne prenne pas le propos qui va suivre comme un procès d’intention envers les petites et très petites entreprises, lesquelles forment le tissu économique et social pérenne : elles ne délocalisent pas et se débrouillent pour affronter les périodes difficiles de turbulence, de crise. Nous savons donc parfaitement ce que notre société leur doit. Néanmoins, leur taille fait que, parfois, on y trouve une dimension affective dans les relations de travail. Il y a donc aussi, dans ces unités économiques, des risques de harcèlement sexuel.
Si nous voulons prévoir la possibilité, pour ces associations, dans toutes les situations, de pouvoir ester en justice, il faudrait modifier le code du travail pour préciser que, dans l’hypothèse où il n’y a pas de représentation syndicale dans l’entreprise, les associations que vous mentionnez pourraient ester en justice. Or, vous le comprenez bien, nous ne pouvons pas le faire ici. Nous avons l’obligation, du moins pour ce qui concerne le Gouvernement, même si le Parlement n’y est pas astreint, de consulter de façon très formelle et officielle les organisations syndicales représentatives pour recueillir leur avis.
Pour ces raisons, qui ne mettent pas en cause le bien-fondé de votre démarche, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Oui, madame la présidente. Cet amendement aura au moins eu le mérite d’ouvrir un débat sur cette question.
Vous avez raison, ma chère collègue, de dire que l’assistance par des représentants d’associations ou d’organisations syndicales devant les prud’hommes est possible. Les avocats n’y ont pas le monopole.
Toutefois, je vous rends attentif au fait que vous parlez d’un procès civil, car, que je sache, les prud’hommes sont bien des juridictions civiles. La possibilité d’y plaider par procureur serait d’une grande originalité et ouvrirait des perspectives intéressantes !
Certes, en matière de procédure pénale, nous avons multiplié ces cas de constitution de partie civile par des associations. Vous savez ce que j’en pense : on peut se demander si l’action publique a encore un sens quand on multiplie le nombre d’associations capables de la déclencher. Mais le cas que vous visez au travers de votre amendement est différent et je pense que ce sujet mérite une réflexion approfondie sur les règles de procédure civile dans notre pays.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 56 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Aucune modification des conditions de travail ou de la charge de travail ne peut être imposée à un salarié sans son autorisation, lorsque cette modification a pour effet de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Les victimes de harcèlement sexuel en milieu professionnel, ainsi que les associations qui les défendent et les accompagnent, ont mis en lumière combien l’employeur était imaginatif dès lors qu’il s’agissait de punir un salarié, ou plus souvent une salariée, qui aurait refusé ses avances ou aurait fait connaître cette situation.
Cela peut prendre la forme d’une « mise au placard », comme l’on dit familièrement, d’un abaissement du profil de poste ou bien, tout au contraire, d’une augmentation massive de la charge de travail, ou encore d’une modification des rythmes et des conditions de travail.
Ces processus différents visent un même objectif : la déstabilisation du ou de la salariée, dans l’espoir de la réalisation d’une faute pouvant justifier une procédure de licenciement.
Cette réalité, les salariées ne la connaissent que trop et sont souvent désarmées lorsqu’elles y font face. Il est en effet particulièrement difficile de prouver que les nouvelles conditions de travail que leur imposent leurs employeurs sont une forme de harcèlement.
Aussi, afin d’éviter cette situation, il convient, et c’est le sens de cet amendement, de réaffirmer dans la loi le principe selon lequel la modification du contrat de travail nécessite l’accord exprès du salarié, particulièrement lorsque cette modification peut avoir pour effet de porter atteinte au respect de sa vie privée et familiale et de son droit au repos.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. C’est un cavalier qui a belle allure, mais cela reste un cavalier !
Madame la sénatrice, la question soulevée par votre amendement est évidemment très importante, mais, vous en conviendrez, elle dépasse largement le champ de ce texte sur le rétablissement du délit de harcèlement sexuel.
Je souhaite quand même vous rassurer : lorsqu’un élément essentiel du contrat de travail est affecté, l’accord du salarié doit être demandé. Il est vrai que ce n’est pas systématiquement le cas pour chaque modification, mais il appartient justement au juge de vérifier s’il y a eu, ou non, atteinte au respect de la vie privée et familiale du salarié.
Bref, considérant de manière générale que cet amendement est sans rapport avec le projet de loi, je vous demande de bien vouloir le retirer.
L’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :
1° Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Le fait qu’il a subi ou refusé de subir :
« a) soit des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant ;
« b) soit des ordres, menaces, contraintes ou toute autre forme de pression grave, même non répétés, accomplis dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle, que celle-ci soit recherchée au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ; »
2° Au 2°, les mots : « ces agissements » sont remplacés par les mots : « les agissements de harcèlement sexuel mentionnés au 1° » ;
3° Au 3°, les mots : « de tels agissements » sont remplacés par les mots : « d’agissements de harcèlement sexuel mentionnés au 1° » ;
4° À l’avant-dernier alinéa, après le mot : « agissements », sont insérés les mots : « de harcèlement sexuel ».
Je suis saisie de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 60 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :
1° Avant le premier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« …° Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements de harcèlement sexuel constitué :
« a) soit par des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant ;
« b) soit par le fait d’user d’ordre, de menace, de contrainte ou de tout autre forme de pression à connotation sexuelle qui, même non répété, est d’une gravité telle qu’il porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou crée à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant. » ;
2° Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel visés au premier alinéa ; »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Je présenterai en même temps les amendements n° 60 rectifié, 55 rectifié et 57 rectifié.
Ces amendements sont, pour deux d’entre eux, à savoir les amendements n° 60 rectifié et 55 rectifié, des amendements de coordination.
L’article 3 retranscrit la définition du harcèlement sexuel dans la loi relative au statut des fonctionnaires. Ces amendements ont pour objet de retenir une autre définition du harcèlement constitué par un acte unique, telle que nous l’avons défendue à l’article 1er.
Sur la forme, les trois amendements tendent à réécrire l’article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983. Ils sont certes rédactionnels, mais revêtent une grande importance symbolique.
Nous proposons de commencer par poser le principe de l’interdiction formelle du harcèlement sexuel et, ensuite seulement, de réprimer toute discrimination, comme le fait d’ailleurs l’article 6 quinquies du même texte pour le harcèlement moral.
Si les amendements n° 60 rectifié et 55 rectifié, qui modifient la définition retenue par le projet de loi, sont rejetés, nous vous demanderons d’adopter l’amendement n° 57 rectifié, dont l’objet est simplement rédactionnel.
L’amendement n° 55 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :
1° Avant le premier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« ...° Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements de harcèlement sexuel constitué :
« a) soit par des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant ;
« b) soit par un propos, comportement ou tout autre acte à connotation sexuelle qui, même non répété, est d’une gravité telle qu’il porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou crée à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant. » ;
2° Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel visés au premier alinéa ; »
Cet amendement a été défendu.
L'amendement n° 57 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :
1° Avant le premier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« ...° Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements de harcèlement sexuel constitué :
« a) soit par des propos ou agissements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante ;
« b) soit par des ordres, menaces, contraintes ou toute autre forme de pression grave, même non répétés, accomplis dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ; »
2° Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel visés au premier alinéa ; »
Cet amendement a également été défendu.
L’amendement n° 41 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, MM. Milon et Cardoux, Mmes Lamure, Bruguière et Deroche, MM. Gilles, Doligé, B. Fournier, Duvernois et Grosdidier, Mmes Farreyrol et Kammermann, MM. Bourdin et Fleming, Mmes Mélot, Sittler et Keller, M. Bécot, Mme Troendle et MM. Savary, Portelli et P. André, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Supprimer le mot :
répétés
II. - En conséquence, alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Toujours dans la même logique, nous souhaitons supprimer le mot « répétés », afin de ne retenir qu’une seule définition du harcèlement dans la loi de 1983 relative aux fonctionnaires et agents publics non titulaires. Nous ne sommes pas, ici, dans le droit pénal. Il convient de reprendre plus précisément l’esprit de la directive européenne.
Si cet amendement n’est pas retenu, j’en ai un autre de repli juste après !
L’amendement n° 29, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« b) soit tout propos, comportement ou autre acte à connotation sexuelle qui, même non répété, est d’une gravité telle qu’il porte atteinte à la dignité d’une personne en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou crée à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant ; »
Cet amendement n’a plus d’objet du fait du rejet de l’amendement n° 25, à l’article 1er.
L’amendement n° 42 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, MM. Cardoux et Milon, Mme Lamure, M. Beaumont, Mmes Deroche et Bruguière, MM. Gilles, Grosdidier, Doligé et Duvernois, Mmes Farreyrol et Kammermann, M. Bourdin, Mme Mélot, M. Fleming, Mme Keller, MM. B. Fournier, Bécot et Couderc, Mme Troendle et MM. Savary, Portelli et P. André, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« b) soit un seul de ces agissements s’il est d’une particulière gravité, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle ; »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Voilà justement mon amendement de repli ! Au cas où le Sénat déciderait de conserver la première définition du harcèlement, exigeant que les actes soient répétés, il conviendrait de modifier l’alinéa 5 de l’article 3 bis, s’agissant d’un acte unique, pour retenir ce dernier « s’il est d’une particulière gravité, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle ».
Par conséquent, je propose de supprimer l’exigence de menaces, d’ordres ou de contraintes, qui, comme je l’ai exprimé à plusieurs occasions, est trop proche de ce qui relève de l’agression sexuelle.
L’amendement n° 23, présenté par Mmes Meunier et Tasca, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Klès, Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 8
Après les mots :
de harcèlement sexuel
insérer les mots :
ou de chantage sexuel
Madame Meunier, les mêmes causes produisant les mêmes effets, cet amendement n’a plus d’objet.
L’amendement n° 30 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
...° Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité hiérarchique prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Il en est ainsi décidé.
L’amendement n° 43 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, M. Milon, Mme Farreyrol, MM. Beaumont et Cardoux, Mmes Kammermann, Lamure, Mélot, Bruguière et Deroche, MM. Bourdin, Gilles, Duvernois et Fleming, Mme Troendle, MM. B. Fournier, Doligé, Grosdidier et Fouché, Mmes Sittler et Keller et MM. Bécot, P. André, Savary et Portelli, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
...° Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité hiérarchique prend toutes les dispositions en vue de prévenir les actes visés au 1°. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Vous devriez apprécier cet amendement, dont l’objet est beaucoup plus simple. Il s’agit d’exiger de l’autorité hiérarchique, dans le cadre de la fonction publique, qu’elle prenne toutes les dispositions visant à prévenir le harcèlement sexuel, comme c’est d’ailleurs déjà le cas dans les entreprises.
M. Alain Anziani, rapporteur. J’ai cru comprendre que les auteurs des amendements n° 60 rectifié, 55 rectifié et 57 rectifié avaient une préférence pour le dernier.
Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Laurence Cohen acquiescent.
En revanche, elle est défavorable à l’amendement n° 41 rectifié bis, madame Jouanno, toujours pour les mêmes raisons. Je vous vois discuter avec M. Hyest : tant mieux, car c’est bien de l’architecture globale du texte qu’il est question ! Mais je ne referai pas tout le développement…
S’agissant de l’amendement n° 43 rectifié bis, peut-être pourrions-nous l’examiner tout à l’heure, en même temps que les amendements portant articles additionnels après l'article 3 bis ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il y a deux membres de l’UMP en séance, et autant de courants de pensée. Voilà qui est intéressant, car, chez nous aussi, il peut y en avoir plusieurs. Mais nous ne sommes pas sûrs qu’il y ait autant de pensées que de courants !
Sourires.
Je veux d’abord remercier le Sénat d’avoir enrichi le texte en introduisant, au travers de l’article 3 bis, des dispositions relatives au statut des fonctionnaires qui manquaient indéniablement.
Je propose, comme M. le rapporteur, de retenir l’amendement n° 57 rectifié, considérant qu’il répond à la nécessité d’interdire formellement le harcèlement sexuel dans la fonction publique.
En tout cas, je trouve intéressant de présenter trois amendements d’un coup : cela triple les chances que l’un d’entre eux soit retenu !
L’amendement est adopté.
En conséquence, l'article 3 bis est ainsi rédigé, et les amendements n° 60 rectifié, 55 rectifié, 41 rectifié bis et 42 rectifié bis n’ont plus d’objet.
J’appelle maintenant en discussion les amendements n° 31 et 32, présentés par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin.
L’amendement n° 31 est ainsi libellé :
Après l’article 3 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité hiérarchique prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. »
L’amendement n° 32 est ainsi libellé :
Après l’article 3 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au troisième alinéa de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, après le mot : « violences, », sont insérés les mots : « harcèlements sexuel et moral, ».
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Je remercie M. le rapporteur d’avoir accepté que soient examinés ensemble l’amendement n° 30 rectifié et ces deux amendements n° 31 et 32 portant articles additionnels après l’article 3 bis.
Tous ont en effet un objet commun : créer une obligation de prévention des agissements de harcèlement sexuel et moral reposant sur l’autorité hiérarchique, obligation jusque-là inexistante dans la fonction publique.
Cette question a notamment emporté l’adhésion de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, qui en a fait sa recommandation n° 7. Sur ce domaine si important de la prévention, l’État se doit d’être exemplaire, tout comme les collectivités territoriales, en prenant toutes les dispositions nécessaires à la prévention du harcèlement sexuel et moral dans le secteur public, placé sous sa responsabilité.
Il serait en effet incompréhensible qu’une telle obligation, déjà imposée aux employeurs privés, n’existe pas dans la fonction publique et ne soit donc pas inscrite dans la loi au travers de la modification de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. C’est d’autant plus souhaitable et possible qu’il ne s’agirait, en réalité, que de consacrer dans la loi une obligation qui est déjà appliquée par la jurisprudence.
Deux possibilités de rédaction se sont offertes à nous : soit viser séparément les articles 6 ter et 6 quinquies de la loi de 1983, portant respectivement sur le harcèlement sexuel et sur le harcèlement moral, en les complétant par le biais, pour le premier, de l’amendement n° 30 rectifié, et, pour le second, de l’amendement n° 31 ; soit viser l’article 11 de cette même loi, qui concerne à la fois le harcèlement moral et sexuel, comme nous le proposons dans l’amendement n° 32.
Aussi, nous souhaitons pouvoir bénéficier de l’éclairage et de l’avis de M. le rapporteur quant à la meilleure façon de faire figurer cette obligation dans la loi de 1983.
La commission a émis un avis défavorable, mais je veux m’en expliquer, m’adressant particulièrement à Mmes Cohen et Jouanno.
La prévention en ce domaine dans la fonction publique est une préoccupation effectivement très importante, mais elle nous semble satisfaite aujourd’hui.
La loi du 13 juillet 1983 comporte un article 11, qui, en son alinéa 3, précise : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. »
Il est certain que le Conseil d’État a déjà admis que les faits de harcèlement étaient inclus dans le champ de ces dispositions. Je citerai notamment l’arrêt du 12 mars 2010.
Peut-être allez-vous m’objecter que l’obligation de protection diffère de l’obligation de prévention. Or le texte de l’article 11 que je viens de citer ajoute à cette obligation de protection une obligation de réparation. À mon sens, il y a donc bien, dans la première partie de l’alinéa 3 précité, une obligation de prévention qui pèse déjà sur la collectivité publique. Voilà pourquoi les amendements sont satisfaits.
Je comprends, bien entendu, une telle demande visant à prévoir une action de prévention dans la fonction publique, mais j’avoue ne pas partager le moyen utilisé, à savoir un affichage législatif, et je n’en vois pas vraiment l’intérêt, pour une raison très simple.
En effet, la logique de prévention existe déjà dans la fonction publique de manière générale. Je dirai même qu’elle est intrinsèque à la responsabilité exercée par toute autorité administrative. Je rappellerai en particulier l’article 2-1 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 applicable à la fonction publique de l’État, qui pose une obligation générale en précisant : « Les chefs de service sont chargés […] de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. »
Cette même obligation générale s’applique dans les deux autres versants de la fonction publique. Je vous renvoie, pour la fonction publique territoriale, à l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985, rédigé exactement dans les mêmes termes.
À mon avis, introduire aujourd'hui une disposition législative de plus ne changerait pas le cadre de l’action et pourrait avoir un effet pervers : admettre, a contrario, que, partout où cela n’aura pas été prévu, l’autorité concernée ne se sentira pas impliquée. Je ne crois pas que telle soit votre intention.
En revanche, pour ce qui est de la prévention et de la façon dont on peut avancer, il y a un certain nombre de bonnes pratiques qui se diffusent aujourd'hui dans les ministères, par le biais de circulaires, notamment à l'éducation nationale et aux affaires sociales.
Il faudra sans doute renforcer les actions de prévention, ce à quoi nous travaillerons avec Marylise Lebranchu, ainsi que les actions de formation existantes en matière de santé au travail, incluant d’ailleurs la prévention du harcèlement sexuel. Là encore, c’est un sujet que nous avons évoqué avec les partenaires sociaux lors de la conférence sociale qui s’est tenue en début de semaine.
Des messages de communication et de sensibilisation seront également utiles. Comme je l’ai indiqué ici même, hier, une grande campagne sera menée et s’adressera évidemment à tous les pans de la vie dans lesquels le harcèlement sexuel peut advenir.
Pour toutes ces raisons, je suis plutôt défavorable à l’inscription d’une telle disposition dans la loi. C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements.
Madame Cohen, les amendements n° 30 rectifié, 31 et 32 sont-ils maintenus ?
Madame la présidente, les explications qui m’ont été fournies me permettent de retirer ces amendements.
Les amendements n° 30 rectifié, 31 et 32 sont retirés.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote sur l’amendement n° 43 rectifié bis.
Je n’ai pas été convaincue par les explications de Mme la ministre, et ce pour une raison simple. S’il a été jugé nécessaire d’inscrire explicitement une telle obligation dans le code du travail, s’agissant des relations de droit privé, il n'y a pas de raison qu’elle ne soit pas non plus inscrite explicitement concernant les textes qui régissent les fonctionnaires et agents publics non titulaires. Je ne vois pas pourquoi il y aurait deux poids, deux mesures.
J’ai eu la chance de travailler au ministère de l’intérieur. Je vous invite à y chercher les plans de prévention en matière de harcèlement sexuel ! Je vous le dis honnêtement, vous pouvez y passer un certain temps !
Dans le cadre d’une obligation générale, qui, d’ailleurs, existe pour les entreprises privées, peut-être irait-il de soi de prendre de tels plans de prévention dans la fonction publique. Pour autant, tel n’est pas concrètement le cas. Dans les entreprises privées, il existe une obligation générale, mais il a tout de même été nécessaire de préciser dans la loi que les entreprises devaient prendre des plans de prévention.
Donc, c’est exactement la même chose. Pour l’avoir vu de l’intérieur – j’ai même eu l’honneur d’être chef du bureau de la fonction publique territoriale –, je ne vois pas la raison pour laquelle on exonérerait au sens large la fonction publique de ce type de prévention.
J’ai une objection simple au raisonnement de Mme Jouanno, qui, j’en suis sûr, va lui revenir instantanément en mémoire.
Quand on est dans le droit du travail et qu’on régit la situation des rapports hiérarchiques dans une entreprise, on doit concilier le droit du travail avec le droit de propriété, et donc tout est législatif, ce qui explique la taille du code du travail par rapport au statut de la fonction publique.
En matière de fonction publique, l’essentiel de l’exercice du pouvoir hiérarchique est réglementaire, et tout ce que vous cherchez est, en général, dans des décrets en Conseil d’État.
Par conséquent, il est tout à fait normal qu’il n’y ait pas de parallélisme juridique entre la rédaction applicable aux salariés du privé ou à leurs employeurs et celle qui s’applique aux salariés du public et à leurs autorités hiérarchiques.
Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :
1° Le titre V du livre préliminaire est ainsi modifié :
a) L’article L. 052-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 052-1. – Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement moral tels que définis et réprimés par l’article 222-33-2 du code pénal. » ;
b) Le chapitre III est ainsi rédigé :
« Chapitre III
« Harcèlement sexuel
« Art. L. 053-1. – Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis et réprimés par l’article 222-33 du code pénal.
« Art. L. 053-2. – Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel, y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée.
« Art. L. 053-3. – Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.
« Art. L. 053-4. – Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 053-1 à L. 053-3 est nul.
« Art. L. 053-5. – L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel.
« Art. L. 053-6. – Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire. » ;
c) Le chapitre IV est ainsi modifié :
- Au premier alinéa de l’article L. 054-1, après les références : « articles L. 052-1 à L. 052-3 », sont insérées les références : « et L. 053-1 à L. 053-4 » ;
- Le premier alinéa de l’article L. 054-2 est complété par les références : « et L. 053-1 à L. 053-4 » ;
d) Le chapitre V est ainsi modifié :
- Le premier alinéa de l’article L. 055-2 est ainsi rédigé :
« Sont punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 € les faits de discriminations commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel définis aux articles L. 052-2, L. 053-2 et L. 053-3 du présent code. » ;
- Les articles L. 055-3 et L. 055-4 sont abrogés ;
1° bis (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 432-2, après les mots : « peut notamment résulter » sont insérés les mots : « de faits de harcèlement sexuel ou moral ou ».
2° La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 610-1 est complétée par les mots : « et les délits de harcèlement sexuel ou moral prévus, dans le cadre des relations du travail, par les articles 222-33 et 222-33-2 du même code. » ;
L'amendement n° 24, présenté par Mmes Meunier et Tasca, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Klès, Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 8 à 10
Après les mots :
de harcèlement sexuel
insérer les mots :
ou de chantage sexuel
II. – Alinéa 22
Après les mots :
harcèlement sexuel ou moral
insérer les mots :
ou de chantage sexuel
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 46, présenté par Mme Klès, est ainsi libellé :
Alinéas 8 et 22
Remplacer la référence :
par la référence :
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 70, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
1° Alinéa 9
Après le mot :
entreprise
insérer les mots :
, aucune personne en période de formation ou en période de stage
2° Alinéa 10
Après le mot :
salarié
insérer les mots :
, aucune personne en période de formation ou en période de stage
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit d’un amendement de coordination puisque nous avons adopté tout à l’heure un amendement de Mme Benbassa concernant les personnes en formation ou en période de stage. Bien évidemment, il faut aussi appliquer les dispositions que nous avons votées pour Mayotte. Donc, c’est un amendement de coordination avec les dispositions précédemment adoptées à l’article 3.
Nous sommes évidemment favorables à cet amendement.
L'amendement est adopté.
L'article 4 est adopté.
Les articles 1er et2 de la présente loi sont applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
L'amendement n° 49, présenté par Mme Meunier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les articles 1er et 2 de la présente loi sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République et feront l’objet d’une observation locale régulière et d’un rapport annuel national présenté le 25 novembre de chaque année.
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Je peux considérer que cet amendement est satisfait puisqu’il avait pour objet de demander un rapport annuel et une observation locale régulière. Or, hier, Mme la ministre nous a annoncé son intention de créer un observatoire sur les violences envers les femmes. Je retire donc cet amendement.
L'article 5 est adopté.
L'amendement n° 64, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un code du travail dans les territoires et territoires associés relevant des ministères de la France d'Outre-mer est ainsi modifiée :
1° Après l’article 2, sont insérés trois articles ainsi rédigés :
« Art. 2-1. – I. - Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement moral tels que définis et réprimés par l’article 222-33-2 du code pénal.
« II. - Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
« III. - Toute disposition ou tout acte contraire aux I et II est nul.
« IV. -L’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
« V. - Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire.
« Art. 2-2. – I. - Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis et réprimés par l’article 222-33 du code pénal.
« II. - Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée.
« III. - Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.
« IV. - Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des I à III est nul.
« V. - L'employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel.
« VI. - Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement sexuel est passible d'une sanction disciplinaire.
« Art. 2-3. – Sont punis d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 € les faits de discriminations commis à la suite d'un harcèlement moral ou sexuel définis au II de l’article 2-1 et aux II et III de l’article 2-2. » ;
2° Après le cinquième alinéa de l’article 145, il est inséré un antépénultième alinéa ainsi rédigé :
« Constate les délits de harcèlement sexuel ou moral prévus par les articles 222-33 et 222-33-2 du code pénal. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Vous vous souvenez que, dans sa rédaction initiale, l’article 5 indiquait que le texte était applicable sur l’ensemble du territoire de la République. Et un article était consacré au département de Mayotte.
L’article consacré au département de Mayotte transposait dans le code du travail local de Mayotte les dispositions de notre texte de loi concernant le harcèlement sexuel, aussi bien dans sa dimension pénale que dans sa dimension code du travail. En effet, le statut de Mayotte est actuellement en transition. Nous sommes en train de l’ajuster par voie d’ordonnance et de mettre au niveau de la législation départementale toute une série de dispositions.
Pour le reste des outre-mer, il était simplement indiqué, aux termes d’une disposition ajoutée par sécurité par le Conseil d’État, que le texte était applicable sur l’ensemble du territoire de la République.
Le ministère de l’outre-mer a considéré que sont également concernées les îles Wallis et Futuna, ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises où se trouvent, outre une population de manchots et de dauphins, des scientifiques…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai rien entendu.
Nouveaux sourires.
Quoi qu’il en soit, l’objet de cet article est la transposition à ces territoires des dispositions du projet de loi.
Ai-je été assez claire ?
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5.
L'amendement n° 20, présenté par Mmes Tasca, Klès et Meunier, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Projet de loi relatif au harcèlement sexuel et au chantage sexuel
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
Nous nous félicitons du travail mené grâce aux propositions de loi, au groupe de travail et à la bonne coordination entre la commission des lois et le Gouvernement, notamment. Nous sommes parvenus à rédiger un texte équilibré, efficace et porteur d’une grande sécurité juridique. Ce point est extrêmement important, le manque de sécurité juridique ayant été à l’origine de l’annulation par le Conseil constitutionnel.
J’insisterai sur le fait que les craintes sur la définition du harcèlement et sur l’assimilation me paraissent peu fondées. Le rapporteur, les ministres l’ont dit et répété, et je crois qu’il n’y a pas de risques. Cela permet, au contraire, de viser des actes parfois uniques mais qui sont de nature d’une agression sexuelle. Sans quoi, on n’avait plus le mot « harcèlement », mais je ne sais pas comment on aurait pu le définir.
Nos travaux ont aussi porté sur les déclinaisons dans le code du travail et dans le statut de la fonction publique. Je me réjouis de cette concordance.
Mon groupe votera le texte. Il importe d’aller vite et d’adopté définitivement ce texte le plus rapidement, ce qui permettra, au moins pour les victimes de ce qui n’est pas prescrit, d’engager à nouveau des poursuites. En ce sens, elles auront plus de satisfaction qu’elles n’en ont eue, hélas ! du fait de la décision du Conseil constitutionnel.
Je tiens de nouveau à féliciter la commission et Alain Anziani pour l’excellent travail juridique qu’il a fait. §
Je serai brève car j’avais, d’entrée de jeu, annoncé que mon groupe et moi-même voterions ce projet de loi.
Je me réjouis du travail qui a été fait au Sénat et de la collaboration entre les deux commissions et la délégation aux droits des femmes. Il a permis d’aboutir à un texte dont, je pense, le Gouvernement s’est inspiré.
C’est un bon texte, qui, je l’espère, sera mis en œuvre très rapidement.
Je souhaite que ce texte – bien meilleur que le précédent – encourage les victimes à révéler leur harcèlement, à oser porter plainte, à être soutenues par leur hiérarchie, par les associations et par toutes les personnes qui peuvent le faire.
J’espère que ce texte, à présent très sévère, fera prendre conscience à certaines personnes, en particulier à certains hommes qu’ils sont des harceleurs. En effet, je suis persuadée qu’une partie d’entre eux n’en sont pas conscients. C’est un point important. Puisse le risque d’être condamnés retenir leurs agissements néfastes !
Je me réjouis de pouvoir voter ce texte.
À mon tour de me réjouir, non sans émettre un petit regret. Je déplore que nous ne soyons pas plus nombreuses et nombreux dans l’hémicycle. Quand on a un travail de cette qualité et de cette intensité, il est vrai que plus nous serions nombreuses et nombreux, et plus nous aurions l’impression d’être utiles.
« Utile », c’est vraiment le sentiment partagé ici après avoir rédigé ce texte, qui a été enrichi dans le seul but d’être le plus pertinent possible. Je pense bien sûr aux victimes. Je pense également, comme Mme Dini, aux auteurs. Je partage avec elle cette intention, cette volonté de nous situer dans l’éducatif, dans le regard différent à l’autre, dans le respect et dans la plus grande égalité entre les femmes et les hommes.
Avec les avancées faites pendant ces dernières heures, avec le travail qui sera fait à l’Assemblée nationale, nous pourrons revenir ici voter le texte de manière pleine et entière.
Je termine en évoquant le lien de ma collègue Bernadette Bourzai, sénatrice de la Corrèze, qui s’excuse de ne pouvoir être présente. Membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, elle m’a demandé, mesdames les ministres, de vous adresser une petite sollicitation.
Vous le savez sûrement, la France a signé, le 11 mai dernier, la convention d’Istanbul initiée par le Conseil de l’Europe. Mais elle n’a toujours pas été ratifiée.
Cette convention, qui concerne la prévention de la lutte contre les violences faites aux femmes et qui comporte un article 40 consacré au harcèlement sexuel, entrera en vigueur dès lors qu’elle aura été ratifiée par dix pays. Plus les États seront nombreux à la ratifier, plus tôt les femmes des quarante-sept pays membres pourront en bénéficier.
Mesdames les ministres, plus vite on ratifiera cette convention, plus vite on enverra un signal encore plus fort que celui que nous donnons aujourd’hui et que nous donnerons demain avec ce projet de loi. §
Après un débat très riche, aussi bien au sein du groupe de travail que dans cet hémicycle, nous aboutissons à un projet de loi qui, même s’il peut encore évoluer, devrait permettre aux victimes de harcèlement sexuel d’être mieux protégées, et aux associations de disposer de points d’appui plus solides.
Le groupe CRC a contribué à faire évoluer le texte de départ et se réjouit d’avoir pu « coconstruire », avec Mmes les ministres, un texte meilleur à l’arrivée.
S’agissant de l’observatoire national des violences envers les femmes, ce qui a été obtenu constitue une avancée importante pour les associations. Je veux en remercier Mme la ministre des droits des femmes. Il ressort de nos débats que cet observatoire sera non seulement chargé d’élaborer des rapports et de procéder à des études sexuées, mais aussi, au-delà, de coordonner les politiques publiques permettant la lutte contre les violences faites aux femmes. Je pense qu’il sera indispensable également qu’il élabore des propositions d’action et mette en œuvre la collaboration nécessaire entre les différents acteurs, en coordonnant les observatoires présents dans les différents échelons territoriaux.
Ces points sont tout à fait positifs.
Pour permettre à cet observatoire d’être efficace, il sera nécessaire de veiller à la participation des acteurs institutionnels de lutte contre les violences faites aux femmes, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, des associations de femmes spécialisées dans cette lutte ou des organisations syndicales.
Il sera également nécessaire de travailler en partenariat avec les délégations régionales aux droits des femmes, ce qui implique de leur donner des moyens d’actions. C’est aussi une bataille importante.
Ce texte est l’aboutissement de l’engagement de nombreuses associations et militantes féministes. Nous nous réjouissons des avancées qu’il consacre, mais nous resterons vigilants.
Nous avons entendu avec satisfaction la ministre des droits des femmes, Mme Vallaud-Belkacem, s’engager à aller plus loin, notamment en présentant une loi-cadre contre les violences faites aux femmes. C’est une très bonne nouvelle, d’autant que le Gouvernement peut s’appuyer sur le travail particulièrement important du Collectif national pour les droits des femmes, le CNDF, afin de produire un texte qui corresponde aux besoins des femmes.
S’agissant de l’article 1er, je veux attirer l’attention sur deux points.
Je me félicite, tout d’abord, de la prise en considération de la vulnérabilité économique ou sociale de la victime dans la liste des motifs d’aggravation du délit grâce à un amendement du Gouvernement qui a introduit dans le texte la notion de « précarité de la situation économique ou sociale ».
Je tiens à insister, ensuite, sur le refus de la commission des lois de prendre en considération notre analyse relative à « l’acte unique grave », ce que je regrette.
Limiter la caractérisation de cet acte unique grave aux seuls cas de contraintes, menaces, pressions dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est, selon nous, une erreur. Une telle définition, mesdames les ministres, risque en l’état de s’apparenter à celle de l’agression sexuelle, de la tentative de viol, ce qui fait peser la menace d’une « déqualification » de ces actes criminels. La définition que nous avions proposée permettait, me semble-t-il, d’éviter précisément ce risque. Les travaux qui seront menés à l’Assemblée nationale permettront, je l’espère, de remédier au problème.
Nous regrettons également de ne pas avoir convaincu la commission des lois du bien-fondé de notre proposition de supprimer la limitation de la circonstance aggravante aux mineurs de quinze ans.
Nous nous félicitons en revanche du débat qui a été ouvert sur les discriminations, le Sénat ayant accepté de le repousser à aujourd’hui, comme nous l’avions proposé hier soir. Ce délai supplémentaire nous a permis d’aboutir à une définition qui, sans aller jusqu’à la notion d’identité de genre, représente un pas en avant.
Nous avons donc travaillé de façon tout à fait positive.
Certes, les hommes ne sont pas tous des prédateurs et les femmes ne sont pas toutes des proies, mais nous vivons dans un système qui perpétue la domination masculine, ce qui peut, hélas, trouver à s’exprimer dans des violences infligées aux femmes. Nous avons tenté de nous attaquer à ce problème à l’occasion de la discussion de ce projet de loi contre le harcèlement sexuel.
Nous devons continuer sur la voie ainsi tracée et élaborer des lois qui prennent en compte l’éducation, la prévention, l’information, l’accompagnement et la protection des victimes, outre la sanction des auteurs. Pour y parvenir, il faut conjuguer volonté politique et moyens importants, en s’appuyant sur l’intervention des associations et des élus que nous sommes.
Ce projet de loi relatif au harcèlement sexuel constitue un moyen de faire reculer le sexisme et de redonner espoir à celles, trop nombreuses, qui en sont victimes. C’est dans cet esprit que nous le voterons.
Vous aurez pu le constater, mesdames les ministres, le Sénat aime à travailler les textes de façon approfondie. Sur de tels sujets, d’ailleurs, les clivages ne reflètent pas nécessairement les sensibilités politiques et peuvent traverser les groupes eux-mêmes. Au final, nous parvenons toujours à trouver des solutions qui servent l’intérêt général.
J’avais constaté, lorsque je siégeais à votre place au banc du Gouvernement - je le constate plus encore à celle que j’occupe désormais ! -, que la vision du Sénat était en réalité plus progressiste que celle de l’autre assemblée. Vous en ferez sans doute l’expérience aussi s’agissant de ce texte.
Je tiens, à mon tour, à remercier MM. Anziani et Sueur, même si mes amendements n’ont pas toujours été reçus avec l’amabilité souhaitée !
J’ai souvent dit qu’il fallait éviter de créer une forme de continuité entre le viol, l’agression sexuelle et le harcèlement sexuel, car l’objectif de l’auteur est radicalement différent dans le dernier cas.
J’espère vivement que la définition retenue n’empêchera pas la répression de l’acte unique grave ou, pire encore, ne permettra pas de « déqualifier » l’agression sexuelle en harcèlement sexuel. Sur ce point, il serait utile que vous puissiez, un an après la mise en œuvre de la loi, évaluer son application de façon précise, afin de nous rendre compte d’éventuelles dérives et de nous fournir l’occasion d’apporter au texte les corrections nécessaires.
Cela étant, ce projet de loi reste un grand progrès pour les victimes, y compris en ce qui concerne les discriminations.
À l’issue de ces quelques remarques, dont la réitération confinerait presque au harcèlement §je vous confirme que mon groupe votera ce texte !
Je tiens, tout d’abord, à remercier Mmes les ministres, les coprésidents du groupe de travail sur le harcèlement sexuel, et enfin, last but not least, M. Sueur, qui a dirigé ces débats avec son calme habituel et l’éloquence de linguiste que nous lui connaissons.
Nous nous réjouissons, alors même que l’image des politiques auprès de nos concitoyens est si dégradée, d’avoir donné ensemble, quelle que soit notre sensibilité, une leçon de démocratie et d’entente sur une question primordiale, qui est source de bien des souffrances et des humiliations.
Nous avons remédié à la carence législative née de l’abrogation du texte incriminant le harcèlement sexuel. Nous l’avons fait ensemble, hommes et femmes, toutes sensibilités confondues, avec beaucoup de soin, et ces dizaines d’heures de travail en commun ont tissé des liens entre nous.
Nous avons pu trouver un accord, également, sur l’introduction dans le code pénal de la notion de « transphobie ». Nous avons fait progresser, certes très modestement, le droit en la matière, mais il s’agit tout de même d’une avancée.
Comme nous avions beaucoup de retard sur les discriminations et d’autres sujets sociétaux, notre groupe se réjouit de voter ce projet de loi, en conscience et avec une grande ferveur, même si nous ne sommes pas très nombreux, ce soir, dans l’hémicycle.
Je veux également vous remercier, madame la présidente, ainsi que tous ceux qui ont travaillé sur ce texte, notamment les administrateurs du Sénat, qui nous sont indispensables.
Je vous remercie à mon tour, madame Benbassa.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, il est vrai que le vote qui va avoir lieu, et dont je ne doute pas qu’il nous rassemblera tous et toutes, est un moment important pour nous.
Ce que nous avons chacun vécu depuis le 4 mai, au Sénat, est l’exemple même de ce qui fait le véritable travail parlementaire.
Pour avoir participé à d’innombrables débats tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je suis de plus en plus frappé de constater que l’on attend du Parlement non pas qu’il opine aux propositions faites par l’exécutif, qui fait toujours, ou le plus souvent, son travail avec conscience, non pas qu’il s’oppose systématiquement, mais qu’il élabore la loi avec indépendance, dans le respect des solidarités existantes – elles sont nécessaires et nous rassemblent -, ainsi que des valeurs que nous portons.
Il est important, à cet égard, que nous ayons pris l’initiative, avec Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Annie David, de mettre en place ce groupe de travail, qui a suscité beaucoup de débats, d’auditions, de réflexions, et nous a permis d’avancer.
Le texte auquel nous parvenons ce soir n’est ni celui du groupe de travail, ni celui des auteurs des sept propositions de loi, ni celui du Gouvernement. C’est finalement une synthèse, un nouveau texte nourri de tous les autres.
Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, même s’il a pu être battu sur tel ou tel amendement. Ceux qui se pencheront sur ce travail législatif pourront constater que les mots retenus dans ce texte viennent de partout : du Gouvernement, du Parlement, de tous les groupes politiques, qui ont été traversés par des débats intenses et utiles.
Nous devons continuer à travailler ainsi, car il est nécessaire, dans notre République, de rétablir l’équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. C’est lorsque le pouvoir législatif exerce pleinement son rôle que l’on aboutit à cet équilibre nécessaire auquel, je le sais, le Président de la République est très attaché. C’est pourquoi je me permets de faire référence, en cet instant, à cette importante notion de l’équilibre des pouvoirs.
Le texte que nous avons élaboré, même s’il n’est pas parfait, présente de nombreux avantages.
Ainsi, il donne une définition très précise, détaillée et complexe du harcèlement sexuel, qui prend en compte les diverses situations possibles.
Ensuite, il prend en compte les deux modalités du harcèlement.
Le harcèlement - si l’on s’en tient à ce mot - implique une pluralité d’actes. C’est simple, et chacun le comprend ainsi. Il était donc nécessaire de fonder en droit l’acte unique pouvant entraîner des conséquences lourdes, graves et traumatisantes.
Je tiens à répéter, à cet égard, ce que notre rapporteur, Alain Anziani, auquel je rends hommage, a dit avec beaucoup de force, et ce que notre rapporteur pour avis, Christiane Demontès, avait également rappelé : si nous n’avions pas pris en compte les différentes modalités du harcèlement, on nous l’aurait reproché.
Certes, on peut toujours nous dire que le projet de loi risque d’être détourné, mais vous remarquerez que cela vaut pour tout texte.
À partir du moment où l’agression sexuelle et le viol sont définis par des actes physiques, il n’est pas possible de considérer que le projet de loi serait une manière de permettre un détournement de la loi.
Toute loi peut être détournée, mais notre volonté n’est pas qu’elle le soit. Ni l’état d’esprit dans lequel nous avons travaillé ni, selon nous, la réalité du projet de loi que nous allons adopter n’autorisent qu’elle le soit.
Je crois donc qu’un certain nombre de débats ne reposent sur aucun fondement et sont étrangers au projet de loi tel que nous l’avons collectivement écrit.
Toujours au nombre des avantages que représente ce texte, je citerai la prise en compte de la vulnérabilité économique et sociale, qui constitue une nouveauté. Que, dans le harcèlement sexuel, le rapport du fort au faible soit en jeu, c’est tellement évident, et depuis si longtemps, que nul ne peut le nier.
Je veux donc remercier Mmes les ministres parce que c’est à elles que nous devons cette avancée importante. En effet, c’est sur votre initiative, madame Taubira, madame Vallaud-Belkacem, qu’une solution a été trouvée pour que cette vulnérabilité économique et sociale, cette précarité, soient prises en compte.
De même, nous avons avancé sur le droit des associations et les possibilités qu’elles ont d’assister les personnes.
Nous avons considérablement progressé pour ce qui est de la prise en compte de l’identité et de l’orientation sexuelles, qui représente une autre nouveauté dans notre droit.
En outre, nous avons avancé sur des questions de vocabulaire, comme la distinction des agissements et du comportement, sans oublier, cher Alain Anziani, celle de l’environnement et de la situation. Ces querelles ne sont pas anodines, parce que les mots ont un sens et pèsent de tout leur poids.
Il n’y a pas de formulation parfaite, mais nous avons choisi les termes de sorte que les magistrats puissent se fonder sur des faits, sur des actes, sur la réalité, puisque, pour juger, il est nécessaire d’avoir des preuves et des témoignages.
Enfin, une cohérence a été assurée, au prix peut-être de la redondance – mais le débat n’est pas terminé –, entre le code pénal, le code du travail et le statut général de la fonction publique, dont les rédactions seront ainsi homogènes.
Pour ce travail au total très positif, je tiens à remercier à mon tour nos rapporteurs, les commissions, qui ont pris une part active au débat, et Mmes les ministres, qui ont beaucoup contribué à ce travail commun.
Je forme le vœu que nous puissions souvent et longtemps travailler de cette manière au Parlement. Je crois, en effet, que c’est la manière la meilleure de servir la République.
Je terminerai ce soir par là où j’ai commencé hier : soyons fidèles à ce qu’attendent de nous et de la loi les victimes et tous les êtres humains qui aspirent à un procès équitable.
M. le rapporteur applaudit, ainsi que Mmes Michelle Meunier et Chantal Jouanno.
Après de tels propos, et sur toutes les travées, je ne doute absolument pas de l’issue du vote…
Mais avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je veux dire, sur un plan personnel, combien j’ai été heureuse et fière de présider ces séances.
Le Conseil constitutionnel, peut-être involontairement, nous a donné l’occasion de parfaire la loi et de durcir la répression du harcèlement sexuel pour faire progresser l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce faisant, nous avons été à l’écoute de la société et nous avons suivi ses évolutions.
Je me réjouis également du climat dans lequel l’ensemble de nos travaux se sont déroulés – du climat, mais aussi de l’environnement, voire de la situation…
Sourires.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. De l’atmosphère !
Nouveaux sourires.
Mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur et vous tous, mes chers collègues, je vous remercie de la manière dont vous nous avez permis de mener, ensemble, ce combat pour l’égalité, car l’égalité est et restera toujours un combat.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, dans le texte de la commission, modifié.
Le projet de loi est adopté.
Mme la présidente. Je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité, une belle unanimité dont je me réjouis !
Applaudissements.
Madame la présidente, il aurait été inconvenant de ne pas répondre à tous les intervenants que nous venons d’entendre.
À mon tour, je me félicite de la tournure que nos débats ont prise. Si seulement tous les débats parlementaires pouvaient ressembler à celui-là !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mais j’ai quelques doutes…
Sourires.
Oui, cette loi devra beaucoup au Sénat, et je le dis sans flagornerie aucune.
En effet, le Gouvernement s’est beaucoup appuyé sur les propositions de loi que vous avez déposées. Nos échanges ont toujours été constructifs et nos débats des deux derniers jours ont indéniablement permis d’enrichir le projet de loi.
Je constate que tous les groupes ont contribué à notre travail de façon égale puisqu’ils ont vu l’adoption chacun de un à trois de leurs amendements, ce qui est tout de même assez remarquable.
Ce soir, chacun l’a dit, nous aboutissons à une définition précise du harcèlement sexuel, à une répression renforcée et à une protection élargie des victimes.
Pour cette réussite, je tiens à féliciter et à remercier bien sûr le rapporteur, M. Anziani, mais aussi Mmes Demontès et Gonthier-Maurin, M. Sueur, Mme David et l’ensemble des sénatrices et des sénateurs.
À mon tour, je veux souligner que nous avons réussi, grâce à vos apports, à introduire dans le projet de loi deux dispositions qui l’enrichissent indéniablement, la première sur la vulnérabilité économique et sociale, dont l’adoption montre à quel point votre assemblée est en prise avec la réalité de la société, la seconde sur l’identité sexuelle conçue comme un facteur de discrimination possible, disposition qui nous aidera collectivement à lutter contre la transphobie, un autre vrai sujet de société. Soyez-en remerciés.
Pour finir, madame Meunier, je vous signale que la convention d’Istanbul sera à l’ordre du jour d’une réunion interministérielle lundi prochain. Je tiens évidemment à accélérer le processus de ratification, et c’est d’ailleurs ma tâche, en ce moment, au sein du Gouvernement.
Applaudissements.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je tiens à mon tour à vous remercier, ainsi que Mme la présidente de la commission des affaires sociales et Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, qui se sont très fortement impliquées dans la préparation du projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la qualité et la richesse de nos débats ont été rendues possibles par la très forte implication dont vous avez fait preuve bien en amont de notre débat en déposant sept propositions de loi.
Mme Jouanno a regretté que le Gouvernement ait déposé un projet de loi. Je rappelle que vos propositions de loi n’étaient pas identiques. Leurs différences ont d’ailleurs été une véritable richesse.
La cinquantaine d’auditions auxquelles vous avez procédé nous ont permis d’aborder de façon d’autant plus accélérée, mais aussi approfondie, tous les aspects de la question du harcèlement sexuel.
Le projet de loi, qui va maintenant poursuivre son cheminement devant les députés, est déjà de grande qualité : plus précis dans la définition de l’incrimination, il est aussi plus clair, grâce au travail que vous avez accompli pour réajuster les I et II à l’article 1er, et plus équilibré dans le quantum des peines et les circonstances aggravantes.
Donc, enrichi par vos travaux en amont et par les débats menés depuis hier, le projet de loi l’a été aussi, comme M. le président de la commission des lois vient de le rappeler, par nos discussions passionnées sur certains problèmes d’ordre sémantique – car nous ne nous sommes privés d’aucun plaisir…
Sourires.
C’est ainsi que nous nous sommes penchés sur la distinction entre « situation » et « environnement », entre « comportement » et « agissements ».
Vous avez eu raison, monsieur le président de la commission des lois, de souligner que ces termes ne se valent pas exactement. Nous avons donc été obligés de choisir.
Nous avons aussi mené des explorations sémantiques un peu plus audacieuses : je n’oublie pas les explications que vous nous avez fournies depuis la tribune sur les nuances extrêmement subtiles entre « connotation » et « dénotation »…
Nouveaux sourires.
Lorsque les juges auront quelques doutes, ils pourront se référer à nos travaux préparatoires pour savoir dans quel sens trancher. Aussi je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, de la contribution que vous avez ainsi apportée à l’efficacité de nos juridictions pénales !
À propos de la vulnérabilité économique et sociale, qui est une question extrêmement importante, nous avons très précisément caractérisé une circonstance aggravante. C’est une preuve de la productivité du Sénat et de l’efficacité de son travail législatif.
Nous avons également débattu de l’importante question des discriminations. Cette notion, qui avait disparu du code du travail, est maintenant rétablie, et sous une forme plus précise.
Nous avons abordé de façon assez approfondie la question des mineurs, animés que nous sommes du souci de les protéger, dans le monde de l’entreprise comme ailleurs. Je crois que nous avons bien avancé sur la perception que nous avons de la double logique du code pénal : celle de la protection et celle de l’engagement.
Nous avons cherché, dans chaque texte, à assurer la protection des mineurs avec efficacité, sans pour autant introduire d’incohérences dans le code pénal.
Il ne s’agit pas de vénérer le code pénal comme une bible ou comme les tables de la loi. Simplement, le code pénal fixe nos règles de base - la définition des incriminations est sous-tendue par un certain nombre de valeurs - et, pour éviter des interprétations intempestives, le code de procédure pénale précise dans quelles conditions il doit être appliqué.
C’est pour respecter la cohérence et la structure du code pénal que nous sommes attentifs, particulièrement s’agissant des mineurs, à la différence entre la protection et les capacités d’engagement.
Nous avons également abordé les questions d’orientation et d’identité sexuelles. Nous avons eu, à ce sujet, un débat extrêmement nourri et instructif qui, selon moi, alimentera d’autres débats, cette fois dans la société civile - on la voit souvent s’emparer des questions soulevées à l’occasion des travaux parlementaires.
D’ailleurs, cela nous alerte, nous qui avons la haute et lourde responsabilité de faire la loi, parce que chaque parole que nous prononçons aujourd’hui ici peut nous être opposée demain ailleurs et pourrait prendre une ampleur si extraordinaire que, l’aurions-nous méconnue, nous serions bien vite rappelés à la réalité de l’œuvre importante que nous accomplissons.
À propos de l’indemnisation des victimes, je me suis engagée, au nom du Gouvernement, à « mettre à plat » les différentes situations. Il s’agit, sans que nous puissions répondre pour autant à toutes les nécessités d’indemnisation intégrale, d’introduire plus de justice dans les procédures d’indemnisation.
Un certain nombre de sujets n’ont été qu’effleurés et nous serons amenés à explorer plus avant les voies ainsi ouvertes. Nous le ferons, parce que les débats ont prouvé que nous sommes conscients de l’œuvre que nous avons accomplie ensemble.
Par les exemples qu’ils nous ont livrés hier à la tribune, Mmes Demontès, Benbassa et Dini ainsi que M. Courteau nous ont très bien rappelé, dès le début de notre discussion, que nous ne traitons pas de concepts juridiques abstraits ou théoriques : nous répondons par l’arme de la loi et du droit à des situations de grande détresse. N’oublions pas en effet que, dans le harcèlement sexuel, il y a de la souffrance, il y a de l’inégalité sociale, et toutes ces représentations, ces clichés, ces préjugés de notre société que nous devons interroger aussi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux témoignages que vous avez produits, grâce aux rappels auxquels vous avez procédé à l’orée de notre débat, nous avons été ramenés au cœur de notre sujet, ce dont je vous remercie infiniment.
Je ne peux manquer de saluer avec une gourmandise particulière le vote sur l’ensemble du texte, obtenu à l'unanimité. Il avait été précédé d’augures favorables : l’adoption par tous les sénateurs de l’amendement relatif à la vulnérabilité économique ou sociale et à la précarité, ainsi que de l’amendement sur l’identité sexuelle. Du reste, le ton et le contenu de vos interventions montraient que chacun y mettait du sien pour que nous puissions converger et aboutir à un texte dont nous ayons toutes les raisons d’être fiers, ce qui est le cas, me semble-t-il.
Il reste bien entendu des questions à approfondir, et vos interventions y contribueront de façon tout à fait significative, car le travail commun engagé entre le Sénat et le Gouvernement se poursuivra à l’Assemblée nationale, puis, très probablement, en commission mixte paritaire. En effet, si un vote conforme n’est pas totalement exclu, il faut respecter la liberté de l’Assemblée nationale. En outre, vous avez soulevé des problèmes qui, à mon avis, devraient être repris par les députés. Il est probable que nous pourrons encore enrichir ce texte.
Ainsi, madame Benbassa, vous avez évoqué un cas de double procédure, disciplinaire et judiciaire. Derrière cet exemple, il y a la question de la place des réseaux dans notre société, des connivences, des rapports de force, tout ce qui fait qu’une espèce de chape pèse parfois sur la victime, y compris quand celle-ci prend sur elle et engage des procédures. Nous examinerons avec la plus grande attention cette question, qui sera débattue de nouveau à l’Assemblée nationale, et le Gouvernement prendra ses responsabilités.
Pour ce qui me concerne, je travaillerai avec les responsables de l’École nationale de la magistrature et les représentants des magistrats et des autres catégories de fonctionnaires présents dans les tribunaux, notamment les greffiers, pour voir s’il est nécessaire et faisable de créer un nouveau module de formation à la déontologie spécifiquement consacré, celui-là, à ces questions.
Au-delà des services de la justice, dont je suis amenée à parler plus particulièrement, je crois qu’un travail doit être mené dans toute la fonction publique. D’autres ministères sont concernés à l’évidence. La ministre des droits des femmes vous a d'ailleurs déjà indiqué les initiatives qu’elle comptait prendre ; vous connaissez l’ambition qui est la sienne et le soin qu’elle apporte à l’exercice de sa mission.
Des politiques publiques seront lancées pour informer, sensibiliser, mobiliser. Nous ferons progresser la société non seulement par la loi, mais aussi par une prise de conscience collective, en rappelant combien il est important de respecter la dignité et l’intégrité de la personne. Ainsi pourrons-nous avancer vers cette égalité réelle des femmes et des hommes que nous appelons de nos vœux, tout en assurant la protection des personnes les plus vulnérables.
Puisque nous avons évoqué à l’envi l’apport du Sénat - il faut en prendre toute la mesure, car elle est considérable – le souci de l’élégance m’oblige à rappeler également les efforts accomplis par le Gouvernement.
Sourires.
Ce fut le cas à l’article 3 bis, par exemple, que vous avez introduit dans le projet de loi.
Devant la commission, nous avons abordé la question du statut de la fonction publique. Madame Jouanno, vous avez parfaitement raison de considérer que les obligations des fonctionnaires sont au moins égales à celles des salariés du privé, que ceux-ci soient des cadres dirigeants, des cadres intermédiaires ou des agents d’exécution, d'ailleurs.
L’argument de M. Richard était tout à fait fondé : ces catégories sont régies par des textes d’une autre nature juridique. Toutefois, votre intervention dans ce débat contribue à nous alerter : je le répète, nous devons veiller à ce que la fonction publique soit au moins aussi exemplaire que le secteur privé. En tout cas, notre niveau d’exigence ne doit pas être moindre.
Cette fonction publique, nous ne l’avons pas ignorée. Vous le savez, dans le texte original du projet de loi, un article lui était consacré, que le Conseil d'État avait d'ailleurs validé. Toutefois, le Gouvernement a souhaité être prudent, car il lançait dans la même période la conférence sociale ; la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique a pris elle-même l’initiative de la consultation.
Nous agissions dans l’urgence ; nous le savions et l’avions tous admis. Nous voulions tous aller très vite tout en étant très efficaces. Une consultation formelle des représentants de la fonction publique, comme le prévoit la loi, aurait pesé sur notre calendrier. Nous avons choisi de respecter la loi – la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique mène les consultations nécessaires, mais, dans le même temps, le Sénat a pu introduire cette disposition. Il y a véritablement eu « cofabrication » de ce texte de loi, et c’est tout légitimement que nous pouvons nous réjouir du résultat obtenu.
Pour finir, je rappellerai que j’ai pris l’engagement de publier une circulaire d’application, dès que la loi aura été promulguée, pour que les parquets soient bien informés.
Premièrement, ce texte appellera à porter une attention toute particulière aux mineurs de quinze à dix-huit ans qui seraient victimes de harcèlement sexuel. Dans de tels cas, les réquisitions devront être très fermes.
Deuxièmement, la circulaire traitera de la qualification des infractions concernées. Plusieurs sénatrices et sénateurs se sont inquiétés des conséquences de l’introduction, dans la définition du harcèlement sexuel, de l’acte unique. Ce dernier répond à une demande ancienne, déjà exprimée lors de la première introduction de cette incrimination dans le code pénal, en 1992. Lors les débats parlementaires, le ministre délégué à la justice de l’époque, Michel Sapin, avait indiqué que l’acte unique était bien visé par ce texte. Toutefois, la notion n’ayant pas été inscrite formellement dans le texte, elle était privée de la force de la loi.
Nous répondons donc à une demande ancienne, qui correspond à une réalité bien identifiée depuis plusieurs années.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu vos inquiétudes quant aux risques d’un usage abusif de l’acte unique de harcèlement sexuel et d’une sous-qualification de faits plus graves. C’est pour cette raison qu’il est important de caractériser cet acte unique, en maintenant les deux critères de la gravité et de la finalité. Toutefois, dans la circulaire d’application, je préciserai aux parquets que, quand ils hésitent entre l’acte unique de harcèlement sexuel, d’une part, et l’agression sexuelle ou le viol, d’autre part, ils doivent retenir la qualification la plus grave. L’application de cette loi ne doit pas en effet conduire à atténuer la gravité des faits reprochés.
L’acte unique doit permettre de qualifier des situations qui, aujourd'hui, ne seraient pas couvertes par la définition du harcèlement sexuel stricto sensu, lequel n’est pas non plus équivalent à l’agression sexuelle ou au viol. Je suis d'accord avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit non pas d’une gradation d’actes de même nature, mais d’actes de nature différente. Le délit d’agression sexuelle ou le crime de viol sont plus graves : le harcèlement sexuel, notamment sous la forme de l’acte unique, pourrait peut-être constituer une première étape avant passage à l’agression sexuelle ou au viol, mais il ne s’agit tout de même pas de la même catégorie d’infractions. Les magistrats peuvent parfaitement définir la nature des actes dont il s'agit.
Troisièmement, enfin, la circulaire évoquera la situation des victimes. Madame Dini, vous m’avez alertée sur le cas des personnes qui ont été déboutées en raison du vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel et parce que les faits dont elles avaient été victimes sont parfois impossibles à requalifier. Je veillerai à ce que les parquets informent les personnes dont la plainte a été classée qu’elles peuvent recourir à la procédure civile. En général, elles le savent déjà, mais je prendrai cette précaution supplémentaire.
Nous avons réalisé indiscutablement un très beau travail. L’essentiel a été fait avec le rétablissement de l’incrimination de harcèlement sexuel. L’Assemblée nationale prendra sa part de ce travail – vous avez eu l’extrême générosité de lui en laisser un peu
Sourires.
Tous les textes n’illustrent pas la noblesse et la beauté de la loi, mais le présent projet de loi doit être rangé au nombre de ceux qui y parviennent en ce qu’il traduit clairement cette très belle maxime de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, […] c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège. »
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, avec le texte relatif au harcèlement sexuel, nous avons fait une loi qui protège !
Applaudissements.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 17 juillet 2012 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2011 (n° 655, 2011-2012) ;
Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 658, 2011-2012).
3. Débat sur les orientations des finances publiques ;
Rapport d’information de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 659, 2011-2012) ;
Rapport d’information de M. Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2011-2012).
Mes chers collègues, avant de lever la séance, je voudrais remercier de nouveau tous ceux qui nous ont assistés dans notre tâche, particulièrement les fonctionnaires des comptes rendus.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 17 juillet 2012 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2011 (n° 655, 2011-2012) ;
Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 658, 2011-2012).
3. Débat sur les orientations des finances publiques ;
Rapport d’information de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 659, 2011-2012) ;
Rapport d’information de M. Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2011-2012).
Mes chers collègues, avant de lever la séance, je voudrais remercier de nouveau tous ceux qui nous ont assistés dans notre tâche, particulièrement les fonctionnaires des comptes rendus.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.