Intervention de Maurice Antiste

Réunion du 12 juillet 2012 à 15h00
Débat sur la politique commune de la pêche suite

Photo de Maurice AntisteMaurice Antiste :

Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à me réjouir de la tenue de ce débat sur la pêche, secteur d’une importance économique et sociale primordiale pour l’ensemble de nos départements d’outre-mer qui ont le statut de régions ultrapériphériques, ou RUP, au sein de l’Union européenne. Mayotte ne devrait plus tarder à les rejoindre.

Le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mon cher collègue et ami Serge Larcher, a saisi le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, pour qu’un débat soit organisé. Celui-ci, toujours attentif à nos outre-mer, s’est fait le fidèle et efficace interprète de cette demande auprès du Gouvernement, qui, soucieux de respecter son engagement de valoriser l’expression de la représentation nationale, a accepté d’accueillir cette initiative sénatoriale dans le cadre de cette session extraordinaire. Voilà qui, me semble-t-il, constitue une première !

L’importance du sujet justifie pleinement l’organisation d’un tel débat en amont des procédures bruxelloises : le calendrier annoncé à ce jour pour la réforme de la politique commune de la pêche, la PCP, prévoit l’examen par le Parlement européen d’un texte en première lecture à l’automne prochain. Vous ne me contredirez pas sur ce point, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer : cela nous permettra dès la rentrée d’aller à la rencontre des instances européennes afin de leur présenter notre résolution sur la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche de nos outre-mer.

Rappelons aussi que, bien que notre délégation ne dispose pas d’un pouvoir d’initiative propre, le 31 mai dernier, dans un bel élan d’enthousiasme et au terme d’une série d’auditions qui nous a largement mobilisés, la résolution précitée a fait l’objet d’une approbation unanime lors de sa présentation. Permettez-moi de remercier en cet instant le co-rapporteur désigné par notre délégation, Charles Revet, qui nous a fait profiter de sa connaissance approfondie du secteur de la pêche et avec lequel j’ai eu grand plaisir à travailler : je crois que nous avons formé un duo harmonieux ! §

Notre proposition de résolution, après avoir été adoptée sans modification par la commission des affaires européennes et par la commission des affaires économiques, est devenue tacitement résolution du Sénat le 3 juillet dernier.

Le débat d’aujourd’hui permet de pointer des constats et des paradoxes, voire des contradictions préjudiciables à la pêche ultramarine, que nous tenons à dénoncer.

Tout d’abord, un certain nombre de constats justifient un traitement européen spécifique de la pêche dans nos outre-mer.

Pour commencer, je rappellerai le leitmotiv selon lequel, grâce à ses outre-mer, départements d’outre-mer et collectivités d’outre-mer confondus, la France dispose de la deuxième surface maritime mondiale.

Les DOM français sont considérablement plus éloignés du marché européen et géographiquement plus dispersés que les RUP espagnoles – les Canaries – et portugaises – les Açores et Madère –, ce qui pose une difficulté accrue d’accessibilité à ce marché.

La pêche ultramarine représente une part importante de la pêche nationale : près de 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins pêcheurs.

À l’exception de la pêche hauturière australe, la précieuse pêche à la légine, et de la pêche palangrière dans l’océan Indien, la pêche dans les DOM, essentiellement de nature côtière, est réalisée avec des embarcations de petite taille : elle occasionne très peu de rejets. L’utilisation de dispositifs de concentration de poissons – les DCP – ancrés collectifs contribue même à la régénération des espèces non pélagiques.

À la différence des eaux européennes proches du continent, les eaux ultramarines regorgent de ressources halieutiques : aucune espèce n’y est placée sous quota, à l’exception de la crevette guyanaise pour laquelle le quota autorisé n’est pas atteint. Dans une communication de 2008, la Commission européenne a elle-même reconnu que les ressources halieutiques des RUP étaient riches et relativement préservées.

En raison de son caractère essentiellement vivrier, la pêche dans les DOM joue un rôle économique et social vital : quelle famille n’a pas son pêcheur ? La pêche est donc à la fois un secteur d’activité traditionnel, porteur de sens et de lien social au-delà de sa fonction strictement économique, et un secteur à fort potentiel de développement, y compris dans le domaine de l’aquaculture.

Encore faut-il lever un certain nombre de contraintes et de paradoxes qui entravent ce développement. Or l’Europe ne s’ouvre que très lentement à la reconnaissance des spécificités ultramarines. Rappelons que le Livre vert de 2009 ignorait les RUP ! Ainsi, les règles européennes adoptées en matière de pêche soit ne trouvent pas à s’appliquer aux RUP françaises – application dès 2015 du rendement maximal durable, interdiction totale des rejets et système de concessions de pêche transférables –, soit – qui pis est – entrent en contradiction avec les réalités ultramarines et sont préjudiciables au développement d’un secteur clé pour nos collectivités.

La situation est d’autant plus cruciale à l’heure où la crise frappe nos outre-mer de plein fouet, ce qui a suscité l’initiative de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Sa proposition de résolution, devenue résolution du Sénat, formule les préconisations suivantes.

Tout d’abord, les règlements relatifs tant à la politique commune de la pêche qu’au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, doivent prévoir des dispositions spécifiques aux RUP sur le fondement de l’article 349 du traité de Lisbonne qui reste très insuffisamment invoqué, comme l’a lui-même reconnu le Parlement européen dans une résolution du 18 avril dernier. Ainsi faudrait-il rétablir la possibilité d’octroyer des aides à la construction de navires dans les RUP, car les embarcations y sont anciennes et vétustes, maintenir les aides aux investissements à bord et autoriser certaines subventions au fonctionnement, pour financer par exemple les DCP ancrés collectifs au profit d’une pêche sélective et durable.

Il faut également obtenir le maintien de deux dispositifs existants : le taux d’intensité d’aides majoré et le régime de compensation des surcoûts, ou dispositif POSEI pêche, dont nous demandons l’extension du bénéfice aux Antilles.

Par ailleurs, nous réclamons la création d’un comité consultatif régional spécifique aux RUP. Les acteurs ultramarins du secteur de la pêche disposeraient ainsi d’un lieu d’expression pour faire valoir leurs spécificités auprès de l’Union européenne.

Nous souhaitons aussi une meilleure articulation entre la politique commerciale de l’Union européenne et ses politiques sectorielles, notamment la PCP : les accords de partenariat économique, ou APE, conclus par l’Union européenne avec les pays voisins des DOM, loin de favoriser l’insertion régionale de ces derniers, sont dévastateurs pour leurs économies soumises à des contraintes normatives et à des coûts de production sans commune mesure. Il faut donc au minimum exiger une évaluation systématique et préventive des effets des accords commerciaux sur les RUP.

Nous demandons enfin que la problématique de la pêche illégale, fléau qui, dans certaines zones, provoque le pillage de nos ressources, soit prise en compte dans la négociation des APE.

Toutes ces demandes, loin d’être exorbitantes, ne sont que la juste prise en considération de réalités trop longtemps ignorées de Bruxelles : l’acuité de la crise économique et sociale qui frappe nos DOM rend cruciale l’urgence de leur mise en œuvre ! Messieurs les ministres, nous espérons vivement que la résolution sénatoriale, expression de la représentation nationale, vous sera d’un précieux appui lors des négociations que nous savons âpres. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion