Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en ce qui concerne les outre-mer, la politique commune de la pêche souffre de deux maux.
En premier lieu, la PCP ne prend pas suffisamment en compte les réalités de la pêche ultramarine, le rapporteur et les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune n’ont pas manqué de le souligner.
La Commission européenne méconnaît presque systématiquement les spécificités des RUP, les régions ultrapériphériques, et ce en dépit de l’article 349 du traité de Lisbonne.
Cette attitude est une constante : la Commission européenne prend régulièrement des résolutions qui sont animées par de bonnes intentions, mais qui demeurent des vœux pieux. La résolution du 18 avril 2012, qui prône « l’adoption de mesures spécifiques pour assurer aux RUP une intégration juste », risque de ne pas échapper à la règle !
En second lieu, quand des dispositifs spécifiques sont adoptés, ils le sont sans discernement.
J’avais fait remarquer dans cette même enceinte qu’il y avait non pas un, mais des outre-mer et demandé par amendement lors de l’examen de la LEODOM que l’on ne dise plus « l’outre-mer » mais « les outre-mer ». Cet amendement ayant été adopté, ce texte est devenu la loi d’orientation pour le développement économique « des » outre-mer.
C’est une réalité qui se vérifie à tous les niveaux et Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, a parfaitement raison d’écrire dans son récent rapport que « en matière de pêche, il n’y a pas un mais des outre-mer » et que la pratique de la pêche n’est pas uniforme dans les DOM.
Certes, la pêche occupe une place prépondérante dans l’économie de tous les territoires outre-mer, et bon nombre de problématiques communes appellent certainement des solutions communes.
Je pense notamment aux questions relatives aux frais de transport, au coût du carburant, à l’interdiction des aides à la construction, au déficit des infrastructures portuaires, des structures de transformation et de commercialisation ou encore à la vétusté des embarcations, source de surcoûts d’exploitation.
Il n’en demeure pas moins que, si ces problématiques sont communes, il y a aussi des réalités différentes et des mesures appropriées doivent être prises pour chacun des outre-mer.
La Guyane – vous comprendrez que je parle de mon département – a, bien sûr, sa singularité. Elle se différencie notamment des autres DOM par sa continentalité. Or il n’est question dans le traité que d’insularité. Est-ce de la méconnaissance ou de l’ostracisme à l’égard de la Guyane ? (Contrairement aux autres régions ultrapériphériques, elle a un important plateau continental.
La Guyane se distingue encore par la nationalité de ses équipages, composés majoritairement de ressortissants de pays tiers à l’Union européenne : 81 % des marins et 86 % des capitaines.
Son vaste domaine maritime, avec une façade de 350 kilomètres et une zone économique exclusive d’une superficie d’environ 130 000 kilomètres carrés, lui permet de disposer de ressources maritimes et halieutiques riches, mais aussi d’autres ressources dont l’exploitation pourrait contrarier le développement de la pêche.
Aussi l’accent doit-il obligatoirement être mis sur quelques points inhérents à la Guyane pour permettre à celle-ci d’assurer le développement de son secteur de la pêche, troisième secteur productif qui, avec 840 actifs en direct et 2 400 actifs en indirect, couvre totalement les besoins alimentaires des Guyanais en produits de la mer et exporte principalement aux Antilles.
Le premier de ces points est le financement.
La Guyane est la seule région littorale française à ne pas disposer de caisse régionale de Crédit maritime. De plus, le secteur étant considéré comme à haut risque par les banques commerciales, celles-ci ne participent pas au financement des investissements des entreprises de pêche, ce qui entraîne de nombreuses conséquences et rend notamment impossible la consommation des crédits du Fonds européen pour la pêche par les très petites entreprises, ce qui a eu un impact sur le programme opérationnel de 2007-2013.
Aussi est-il urgent de mobiliser les institutions financières européennes, la Banque européenne d’investissement et le Fonds européen d’investissement, et de prévoir des outils de financement adaptés à la filière pêche dans la future Banque publique d’investissement.
Il est également essentiel de maintenir les aides publiques – je pense particulièrement au FEAMP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ainsi qu’au FEDER – pour le financement de projets de la première et deuxième transformation des produits de la mer, la réforme de la FEAMP faisant craindre des réductions défavorables aux régions d’outre-mer.
Un autre point essentiel est la protection de la ressource.
La Guyane est confrontée à un pillage récurrent de ses ressources halieutiques et ses marins sont agressés par l’intrusion de nombreux bateaux de pêche brésiliens et surinamiens qui violent les frontières maritimes. Il est grand temps que cesse cette menace sur la pérennité de nos ressources halieutiques.
Il est urgent, non seulement de renforcer les moyens matériels et humains de lutte contre la pêche illégale et la piraterie en mer, mais également d’obtenir des autorités brésilienne et surinamaise une mobilisation plus ferme. La situation est presque la même qu’en matière d’exploitation aurifère illégale. Les autorités de l’État ont été très souvent sollicitées et interpellées sur cette question centrale par les professionnels de la pêche, qui demandent l’application du traité de Lisbonne pour éviter toute violation des frontières.
Vous en avez parlé, monsieur le ministre, mais, à ce jour, on ne constate aucune véritable réaction. Faut-il attendre que, comme pour l’or, il y ait des morts pour que l’on mette en place des moyens adéquats ?
Le troisième point important est la nécessité de concilier les intérêts de la pêche et de l’exploitation minière.
La politique commune de la pêche doit ainsi permettre l’harmonisation entre les lois nationales et les directives européennes encadrant les activités de production de pétrole offshore, en veillant à l’application du principe pollueur-payeur.
La nécessité d’avoir une gouvernance est tout aussi fondamentale. En effet, la prise en compte des spécificités des RUP en matière de pêche passe aussi par la reconnaissance de leurs différents environnements régionaux et de leur appartenance à des bassins différents.
Ainsi, pour la Guyane, je m’associe pleinement aux propositions de la profession s’agissant de la subsidiarité de représentants en faveur des État et professionnels locaux dans les forums internationaux. Je pense également à la création d’un forum entre plateau des Guyanes – Guyane, Guyana et Suriname –, Brésil et Venezuela, à la reprise des négociations bilatérales avec les États de la Caraïbe ainsi qu’à la création d’un forum Caraïbe de concertation sur la gestion des ressources.
Pour conclure, j’insisterai encore une fois sur la nécessité que soient pleinement appliqués les articles 359 et 355, paragraphe 1, du TFUE, car c’est un préalable à toute négociation. Pour cela, à l’instar des États espagnol et portugais pour leurs RUP respectives, l’État français doit avoir la volonté d’imposer à la Commission européenne les mesures spécifiques « réellement nécessaires » pour ses RUP.