Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 12 juillet 2012 à 15h00
Débat sur la politique commune de la pêche suite

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la réforme de la politique commune de la pêche, l’Europe ne condamne pas la pêche dans les régions ultrapériphériques, elle fait pire : elle ignore les réalités qui les distinguent des autres régions métropolitaines.

Dans les régions ultrapériphériques, il est pourtant clairement établi que les espèces exploitées ne sont pas en surpêche et relèvent rarement des quotas, tandis que la flottille, vétuste en général et composée de petites embarcations, n’est pas en surnombre. Les objectifs de réduction des prélèvements apparaissent donc inadaptés pour ces régions.

De plus, compte tenu de la possibilité accordée aux États d’exclure la pêche artisanale du système des concessions de pêche transférables, l’interdiction des rejets ne concernant pas encore les espèces pêchées outre-mer, la réforme de la politique commune de la pêche ne trouve pratiquement pas de domaine d’application en outre-mer.

Pour nous, l’enjeu consiste à rendre lisible pour l’Europe la situation des pêcheries dans nos territoires. À cet égard, le règlement n° 639 du 30 mars 2004 dérogeait déjà à la réglementation européenne relative à la gestion des flottes, notamment en termes de diminution globale.

Ainsi, jusqu’en 2007, l’outre-mer est resté éligible aux aides publiques, avec la possibilité d’augmenter les unités, le tonnage et la puissance motrice de la flottille artisanale.

Aujourd’hui, la communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 permet d’attendre que la carence de disposition spécifique dans le projet de réforme de la politique commune de la pêche soit comblée.

En effet, la reconnaissance des contraintes qui pèsent sur les régions ultrapériphériques s’inscrit au cœur du partenariat avec l’Union européenne, pour une croissance intelligente, durable et inclusive, conformément à l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Plusieurs propositions intéressantes sont à relever.

Tout d’abord, la Commission européenne énonce la possibilité d’un taux de cofinancement de 85 % pour aider les régions ultrapériphériques à tirer le meilleur parti des fonds d’investissement européens.

Si la mesure est attendue pour les projets de modernisation et de construction de nouvelles usines nécessaires à la valorisation des produits de la pêche, elle ne répond, hélas ! qu’imparfaitement aux besoins de la pêche artisanale.

C’est ainsi que l’absence quasi totale de contreparties privées interdit l’accès à de tels dispositifs. Georges Patient l’a souligné, je le répète : la Guyane se trouve dans la situation exceptionnelle d’être la seule région littorale à ne pas disposer d’une caisse régionale de Crédit maritime.

De la sorte, la modernisation de la flottille, le remplacement des moteurs, les équipements portuaires, les points de débarquement et les coopératives d’avitaillement, en manque cruel de financements, constituent de lourds handicaps pour la filière.

La Commission européenne propose également que la gestion des stocks soit réalisée à l’échelle régionale, par bassin, en fonction de l’état actuel de la ressource. Cette approche méthodologique présente l’intérêt de poser la question des moyens nécessaires au recensement de la ressource et à sa gestion évolutive, en associant sur un territoire tous les acteurs de la filière.

Il s’agit en effet de prendre en compte l’impact des différents types d’agression du milieu marin, le pillage récurrent par des pêcheurs illégaux, les problèmes d’assainissement des eaux, la pollution tellurique et le rejet de produits nocifs, soit autant de causes de la raréfaction de la ressource qu’il faut mesurer précisément avant de décider d’éventuelles mutations.

Enfin, la Commission européenne reconnaît l’importance d’associer les régions ultrapériphériques à l’élaboration de la politique commune de la pêche en proposant la création d’un conseil consultatif des régions ultrapériphériques.

Nous devons nous réjouir que cette mesure, reconnue nécessaire tant par le Sénat dans sa dernière résolution européenne que par le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport sur la politique commune des pêches du mois de janvier 2012, soit reprise par la Commission européenne.

Toutefois, il paraît nécessaire d’aller plus loin que le texte de la communication : les régions ultrapériphériques devraient également être présentes, aux côtés de l’Union européenne, dans les organismes internationaux. Je pense par exemple à la Communauté des Caraïbes, CARICOM, en particulier au Mécanisme régional sur les pêches du CARICOM, le CRFM, ou à la Commission des thons de l’océan Indien.

Les régions ultrapériphériques pourraient également être à l’origine d’une concertation régionale comme un forum du plateau des Guyanes qui regrouperait la Guyane, le Suriname, le Guyana, le Brésil et le Venezuela.

La prise en compte des régions ultrapériphériques dans les accords de partenariat économique conclus par l’Union européenne est également une assurance nécessaire, même si elle arrive un peu tard.

Il est indispensable que les producteurs des régions ultrapériphériques puissent faire face à la concurrence non seulement de l’Union européenne – le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI Pêche, doit donc être maintenu – mais aussi des États tiers ayant des accords avec l’Union européenne.

Les régions ultrapériphériques souffrent en effet de ces accords de libre-échange où les partenaires ne se voient pas toujours imposer de norme sociale ou environnementale contraignante.

L’incidence de ces accords sur la compétitivité des régions doit être mesurée et compensée, mais il est également indispensable d’y joindre des clauses de coopération dans la lutte contre les pêches illicites, non déclarées et non réglementées.

En Guyane, par exemple, la pêche étrangère illégale double, voire triple l’effort de pêche tant dans les eaux maritimes que dans les eaux intérieures, vous l’avez à juste titre souligné ce matin, monsieur le ministre.

Pour finir, si l’objectif de la réforme de la politique de la pêche est partagé et si des désaccords peuvent s’exprimer avec les solutions retenues par la Commission européenne, la visibilité de la Commission européenne de la réalité des régions ultrapériphériques en matière de pêche est insuffisante et doit être améliorée.

Je resterai donc vigilant quant à la prise en compte et au développement des recommandations de la résolution européenne que le Sénat a adoptée. §

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