Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 12 juillet 2012 à 15h00
Débat sur la politique commune de la pêche suite

Victorin Lurel, ministre des outre-mer :

Madame la présidente, au terme de cette journée fort chargée, utile et, me semble-t-il, fructueuse, je pense pouvoir dire que nous posons tous le même diagnostic et que nous nous accordons tous sur les solutions qu’il convient d’apporter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous répondrai en trois temps. Je proposerai d’abord une synthèse de vos différentes interventions ; je répondrai ensuite point par point aux questions qui ont été soulevées ; je vous livrerai enfin une sorte d’addendum sur quelques spécificités proprement nationales qui n’ont pas été abordées, ou qui ne l’ont été que très peu, mais qu’il faut avoir le courage d’évoquer et de traiter.

Je note une réelle perte de confiance de la part des professionnels dans la politique commune de la pêche. Nombreux sont ceux qui dressent ce constat : nous avons le sentiment que l’Europe, au-delà des différents rapports et du Livre vert, ignore les outre-mer et leur grande diversité.

Je suis encore président de région et, à ce titre, j’ai souvent eu à me rendre à Bruxelles, avec d’autres collègues des RUP, pour plaider la cause de la pêche. C’est laborieux ! C’est la raison pour laquelle je suis très heureux aujourd'hui d’être au Sénat pour débattre de cette résolution. Nous veillerons à ce qu’elle soit prise en compte, car nous sommes d’accord avec les propositions qui y sont formulées.

Par ailleurs, nous souhaitons tous que la politique de la pêche soit conçue et traitée de manière plus intégrée dans toutes les composantes des politiques publiques. En effet, lorsque l’on aborde uniquement quelques aspects très ponctuels, certains sujets peuvent être ignorés : la coopération, les capacités d’intervention dans les espaces maritimes nationaux. On le voit d’ailleurs en Guyane et cela n’est pas sans poser problème, mais je reviendrai sur cette question ultérieurement.

Par ailleurs, nous avons le sentiment que la politique européenne de la pêche est marquée par une forme de dogmatisme, de théologie. Il semblerait qu’une seule politique soit possible, quelle que soit la diversité des territoires, ce qui est en contradiction avec la devise de l’Europe : « L’unité dans la diversité ». Or c’est plutôt dans l’uniformité que l’on cherche à imposer une politique.

On fait jouer le principe de précaution, au motif que des doutes subsistent sur la fiabilité des évaluations scientifiques. Certes, je peux le comprendre, mais, de ce fait, nous n’étendons pas outre-mer des mesures qui ont pourtant été prises en Europe ; au contraire, nous les gelons et les interdisons. C’est assez pénible. En outre, cela a des conséquences très graves, car, ce faisant, on condamne la pêche dans ces régions à demeurer une pêche côtière, artisanale, non pas que cela n’ait pas quelques vertus, mais on instaure une division du travail un peu curieuse dans ce secteur.

En n’étendant pas des mesures existant à l’échelon européen, continental comme l’a dit Georges Patient, on a divisé les espaces maritimes entre Européens et étrangers. On laisse aux étrangers la conquête des grands espaces, la pêche hauturière, palangrière ; quant à la pêche côtière, elle est réservée aux Français.

Pour illustrer les conséquences délétères de cette politique, je citerai l’exemple emblématique de la Guyane, où des bateaux étrangers viennent impunément pêcher dans la zone des douze milles en défiant toutes les règles. Par ailleurs, nous avons un problème de capacité d’intervention, en tout cas, de fréquence d’intervention de la marine nationale. Là encore, c’est assez pénible à vivre.

Pourtant, les outils juridiques existent, ils ont été longuement évoqués, notamment par Jean-Étienne Antoinette. Il s’agit de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu’il faut davantage exploiter. Nous n’avons pas assez exploré les ressources que nous offre cet article.

Nous avons simplement mis en place un programme d’option spécifique à l’éloignement et à l’insularité, un POSEI. Celui-ci comprend deux volets : le régime spécifique d’approvisionnement, le RSA, et des mesures d’aide à la production locale, mais nous ne sommes pas allés au-delà du secteur agricole. Or l’article 349 permet de prendre des mesures dans d’autres domaines, y compris d’ailleurs pour lutter contre la vie chère. Je travaille actuellement sur ce segment et il serait intéressant que cet article fasse l’objet d’une adaptation.

La France s’est épuisée de longues années durant à adapter la législation et le droit commun aux réalités de ses territoires, aux attentes et aux aspirations de ses populations. Nous avons du mal à faire comprendre cela à l’échelon européen.

Il n’y a pas si longtemps, les élus locaux, et j’en ai fait partie, estimaient que le droit européen était plus progressiste que le droit national. Confiants dans la devise, nous pensions que le droit dérivé s’adapterait et pourrait aller plus loin que le droit primaire, pour mieux tenir compte des réalités.

En raison de la crise budgétaire peut-être, cette politique semble subir une forme de glaciation, d’immobilisme qui, parce qu’elle ne crée plus de dynamique, cause un tort considérable aux actions d’aujourd’hui et de demain. C’est un réel souci. Pourtant, nous persisterons à vouloir mettre en place un POSEI pêche, englobant non seulement les deux aspects que vous avez tous évoqués – la prise en charge des surcoûts et l’aide à la filière – mais d’autres encore, afin de le rendre très complet. Nous pourrions nous inspirer, mutatis mutandis, de ce qui se fait en matière agricole.

J’en viens aux points plus spécifiques qui ont été évoqués.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu vos cris d’alerte, vos demandes et vos craintes. Ils portent tout d’abord sur les accords commerciaux et sur les accords de partenariat au bénéfice de pays tiers. Leurs conséquences sont quelque peu curieuses. Par exemple, les aides européennes octroyées à des pays ACP jouxtant nos territoires d’outre-mer contribuent à développer la flotte de ces pays, à en faire des concurrents, à leur permettre de faire la conquête d’espaces où il nous est interdit d’aller du fait de la petitesse de nos embarcations ! C’est là une étonnante division du travail qu’il s’agit de combattre.

Il semble également nécessaire de développer les financements de dispositifs de concentration de poissons, ancrés ou collectifs, comme outils de gestion d’une pêche durable, même si nous aurons du mal à obtenir, au regard des exigences posées par le concept d’earmarking, une concentration thématique le permettant. Là encore, le combat doit continuer.

J’ai bien entendu les propos tenus sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite « pêche INN », notamment en Guyane. C’est une vraie question, non pas seulement économique, mais également de souveraineté ! Mon collègue Jean-Yves Le Drian ne disait hélas ! pas autre chose à l’occasion des événements malheureux qui se sont récemment déroulés en Guyane. Les opérations réalisées par des embarcations d’origine brésilienne, surtout, mais également surinamienne relèvent de la piraterie ; avec le Venezuela, des conventions ont été passées, qui permettent de mieux maîtriser le phénomène. Elles sont perpétrées au vu et au su de tous, à deux encablures des côtes de Cayenne. Il est urgent de se mobiliser.

J’ai bien entendu le sénateur de Wallis-et-Futuna sur la nécessité de se pencher sur les PTOM et de développer une pêche durable. Cela n’est pas sans poser quelques problèmes, sur lesquels je reviendrai tout à l’heure.

Je serai vigilant sur l’ensemble de ces points, notamment sur la concurrence des pays tiers. Sur ce sujet, il pourrait être nécessaire de procéder à des études d’impact préalables à la conclusion de toute convention ou de tout accord établissant une relation durable avec les pays avoisinant nos territoires. J’ai conscience de la nouveauté qu’impliquerait cette pratique, sans compter que nous avons aussi, chez nous, quelques déficits en la matière. Ce serait pourtant faire preuve de sagesse, ainsi que nous le montre ce qui se passe dans le domaine agricole.

Nous avons actuellement le plus grand mal à convaincre le Conseil européen du bien-fondé de quelques mesures devant compenser la trop grande ouverture des frontières et l’abaissement trop rapide, si j’ose dire, du tarif douanier en matière de commerce bananier. L’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres pays nordiques s’y opposent. Les conséquences n’avaient pas été évaluées. Aujourd’hui, c’est toute la production de bananes européennes, et particulièrement martiniquaises et guadeloupéennes, soit plus de 200 000 tonnes de bananes, qui sont concernées. Cela pose un vrai problème d’articulation des politiques entre elles et de coût par opération, qui légitimerait donc, pour l’avenir, la mise en place d’évaluation et d’études d’impact préalables.

Je l’ai dit, même s’il sera peut-être difficile d’obtenir quoi que ce soit de la part de l’Europe, il faudra plaider notre cause en faveur d’une aide au fonctionnement ou du financement des dispositifs de concentration de poissons, les DCP, par exemple. En matière de concentrations thématiques, la situation est aujourd’hui compliquée. Nous sommes en pleine discussion sur ces sujets, qui ne sont pas évidents.

Les cas particuliers de la Guyane, des TAAF, les Terres australes et antarctiques françaises, et des îles Kerguelen ont été évoqués. Pour ces dernières, le souci est réel. Il s’agit d’un oubli. Je remercie d’ailleurs M. Christian Bourquin d’avoir parlé de ce sujet. Il faudra s’assurer que les bénéfices de la reconquête récemment obtenue soient bien maintenus dans le temps. Les bateaux n’y sont présents que très rarement, une fois tous les six mois, peut-être. Il faudra donc, à tout le moins, s’assurer que la reconstitution des stocks de légines puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.

Le régime juridique des PTOM, vous le savez, est particulier. Je veux, sur ce point, rassurer M. Robert Laufoaulu, qui a posé une question sur le sujet. La relation entre les PTOM et l’Union européenne est régie par une décision d’association, actuellement en cours de révision. Le collège des commissaires devrait l’adopter avant la fin du mois de juillet 2012, me semble-t-il. Nous aurons l’occasion d’en discuter et d’approfondir nos échanges lors du forum UE-PTOM, qui aura lieu au Groenland. Peu de problèmes devraient se poser, si ce n’est, peut-être, sur le montant des enveloppes. Nous nous battons pour préserver la situation existante, mais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous n’êtes pas sans savoir que les critères retenus peuvent poser des problèmes d’éligibilité à la Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Barthélemy, qui prétend pourtant pouvoir en bénéficier du fait de sa récente transformation en PTOM. Nous resterons vigilants sur ce point.

Avant de répondre aux interventions des différents sénateurs, j’ajoute à mon propos un addendum. La question de la pêche durable est un problème, d’ampleur peut-être nationale. Mme Archimbaud a évoqué un point que l’on doit avoir le courage d’affronter. D’autres aussi l’ont abordé, mais de manière plus feutrée.

Nous disons tous – Serge Larcher connaît bien le problème – qu’il n’y a pas de surpêche dans les RUP. C’est vrai. Nous disons tous que les stocks sont encore suffisamment généreux et que nous pouvons donc faire l’économie des textes européens en la matière. Ce n’est pas faux. Mme Archimbaud a néanmoins raison de souligner qu’une pêche responsable peut être une pêche productive et qu’il est possible de trouver un équilibre entre les deux exigences. Il faut donc diligenter très rapidement les enquêtes qui s’imposent, afin de pouvoir bénéficier des évaluations scientifiques sur les stocks de poisson réels.

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