Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 11 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, je vois dans le fait que nos travaux soient placés sous votre présidence un signal particulier, auquel je suis très sensible.

Monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur, madame le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, cela n’aura échappé à personne : le projet de loi que j’ai l’honneur de présenter devant vous est à la fois urgent et important.

Ce texte est urgent, car il convient de mettre un terme, le plus rapidement possible, à la situation résultant d’une décision du Conseil constitutionnel, lequel, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, a, le 4 mai dernier, abrogé le délit de harcèlement sexuel.

Cette abrogation, entrée immédiatement en vigueur, a créé, de fait, un vide juridique qui nous oblige. Placés devant l’impératif d’agir avec célérité, nous avons veillé à obéir à trois principes.

Il s’agissait, premièrement, de mettre fin à une telle impunité conjoncturelle, qui laisse sans réponse pénale appropriée les faits de harcèlement sexuel, en sachant que la nouvelle loi ne saurait être rétroactive puisqu’elle est plus sévère que les dispositions abrogées. Vous le savez, en droit pénal, seules les lois plus douces peuvent être rétroactives.

Il s’agissait, deuxièmement, de porter une attention particulière aux victimes, dans la mesure où, depuis le 4 mai dernier, les faits nouveaux de harcèlement sexuel ne peuvent être poursuivis par la voie pénale. Il ne reste donc à celles-ci que la voie civile, dont nous savons qu’elle est assez peu satisfaisante.

Il s’agissait, troisièmement, de veiller à la solidité juridique du texte que nous avons souhaité vous présenter en vue de définir l’infraction, compte tenu des motifs exposés par le Conseil constitutionnel pour justifier cette abrogation.

Comme vous le souligniez, madame la présidente, le Sénat a parfaitement saisi l’urgence et la nécessité de pallier un vide juridique. Dans les semaines qui ont suivi la décision du Conseil constitutionnel, sept propositions de loi d’origine sénatoriale ont été déposées ; la commission des lois, la commission des affaires sociales ainsi que la délégation aux droits des femmes ont constitué un groupe de travail, qui s’est aussitôt attelé à trouver les solutions les plus adaptées.

Je tiens à saluer cette contribution essentielle du Sénat. La qualité des propositions de loi présentées, des auditions conduites et l’état des lieux qui a pu dès lors être dressé nous ont permis de poser, en un court délai, les bases de notre réflexion.

Au cours de sa séance du 27 juin dernier, la commission des lois a adopté à l’unanimité le projet de loi, en intégrant des modifications appréciables sur l’initiative de M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois, de Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, et de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est donc sur ce texte enrichi que porteront nos débats.

Le Président de la République s’étant engagé, durant la campagne, à traiter ce sujet en priorité, le Gouvernement s’en est saisi promptement. Il tient à la fois du symbole et de la volonté politique qu’il s’agisse du premier projet de loi de la nouvelle législature examiné devant la Haute Assemblée.

Je l’ai dit : ce texte est important, car il y est question de la dignité de la personne. Si les victimes ne sont pas toutes des femmes, celles-ci en composent les gros bataillons et il n’en demeure pas moins que le harcèlement sexuel est avant tout un « harcèlement de genre », comme l’a souligné le sociologue Michel Bozon, ce qui renvoie à la fois à la différenciation et aux représentations sociales.

Le sujet est universel. Un beau film récent de Mohamed Diab, Les Femmes du bus 678, nous rappelle que le délit de harcèlement sexuel n’est reconnu en Égypte que depuis trois ans. Dans ce film, trois femmes exposées à des formes diverses de harcèlement et d’agression sexuelle répondent, réagissent différemment selon leur appartenance sociale, leur éducation, leur tempérament : de ces combats disparates et dispersés émerge une même volonté de modifier à la fois la loi et les mentalités, donc la société.

En 2000, une enquête nationale fixait à 1, 9 le pourcentage de femmes se déclarant victimes de harcèlement dans les douze derniers mois. Dans le cadre de l’étude la plus récente sur le sujet, diligentée en 2007 par le conseil général de la Seine-Saint-Denis, plus de 1 500 femmes ont été interrogées : 22 % d’entre elles ont dit avoir été victimes d’un harcèlement ou d’une agression sexuelle durant les douze derniers mois. Ces faits concernent toutes les catégories sociales, les femmes exposées ayant des profils divers : étudiantes, employées, cadres, professions libérales.

C’est pour cela que la délégation sénatoriale aux droits des femmes parle, à juste titre, de « plaie sociale ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous présentons n’est ni misérabiliste ni victimaire, et ce en dépit de l’empathie que nous éprouvons pour les victimes.

Nous connaissons les effets dévastateurs du harcèlement. Nous savons à quel point il peut détruire la personnalité, l’estime de soi, réduire la capacité à se projeter dans des projets personnels ou professionnels. Mais nous connaissons aussi la combativité des femmes qui refusent de se laisser écraser. Selon nous, mieux vaut les bien armer que les mal servir.

Je ferai un rapide historique de l’infraction.

Le délit de harcèlement sexuel est entré dans notre droit pénal le 1er mars 1994, lors de l’adoption du nouveau code pénal. Il résultait d’une disposition introduite en 1991 à l’Assemblée nationale, par le biais d’un amendement déposé par Mme Yvette Roudy et M. Gérard Gouzes.

La rédaction initiale de l’article 222-33 du code pénal réprimait « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ».

La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, défendue par Mme Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, modifia la définition en y ajoutant les « pressions graves » : le gouvernement et le législateur de l’époque visaient à réprimer des comportements, qui, bien que n’étant pas des ordres, des contraintes ou des menaces, constituaient des atteintes insupportables aux personnes.

La nouvelle rédaction de l’article 222-33 du code pénal réprimait ainsi par un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende le fait de « harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ».

À côté du harcèlement proprement dit, le code du travail interdisait et punissait les discriminations commises contre les salariés ayant subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.

Ces discriminations étaient punies d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. À la suite d’une erreur malencontreuse intervenue lors de la recodification du code du travail opérée en 2007 et entrée en vigueur le 1er janvier 2008, ces peines ont été supprimées.

Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, a considéré que les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas suffisamment définis et que l’article 222-33 du code pénal méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines. Il a, en conséquence, déclaré cet article contraire à la Constitution et précisé que cette censure était applicable immédiatement à toutes les affaires non encore définitivement jugées.

Le 10 mai, la Chancellerie a adressé aux parquets une circulaire invitant à procéder aux requalifications de l’incrimination de harcèlement sexuel, désormais inexistante, en violences volontaires, éventuellement avec préméditation, en harcèlement moral ou en tentative d’agression sexuelle.

Le 7 juin, j’ai pour ma part adressé une dépêche aux parquets, leur demandant de me faire retour, pour le 30 juin, des réquisitions et décisions qu’ils avaient été amenés à prendre sur les procédures en cours.

Évidemment, cette demande portait sur des informations impersonnelles. Les parquets ont fait remonter les données techniques et juridiques qui permettent de saisir ce que sont devenues les affaires non définitivement jugées au moment de l’abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous indiquer les données sur ces procédures, je souhaite parcourir rapidement l’évolution des statistiques sur les vingt dernières années.

Les données les plus fiables dont dispose le ministère de la justice sont extraites du casier judiciaire et concernent les condamnations.

De 1994 à 2003, le nombre de condamnations pour harcèlement sexuel s’est établi entre 30 et 40 par an.

En 1992, des voix se sont élevées pour prédire que la création du délit de harcèlement sexuel conduirait à une excessive « judiciarisation » des rapports sociaux dans l’entreprise, où – argument pour le moins étonnant – peuvent exister des jeux de séduction.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 19 janvier 2005, qu’« une attitude de séduction même dénuée de tact ou de délicatesse ne saurait constituer le délit de harcèlement sexuel, pas davantage que de simples signaux conventionnels lancés de façon à exprimer la manifestation d’une inclinaison ». Il n’y a donc pas eu de phénomène de judiciarisation excessive, comme vous avez pu le constater.

En 2004, le nombre de condamnations est monté à 63, pour s’établir entre 70 et 85 par an entre 2005 et 2010. Il est probable que cette augmentation, commencée en 2004, aboutissant à un doublement, tout relatif, en 2005, est liée à l’extension de la définition du délit intervenue en 2002.

La durée moyenne de l’instruction, de l’audiencement, du dépôt de la plainte jusqu’au jugement de première instance, est d’environ vingt-sept mois.

Environ la moitié de ces condamnations ne porte que sur l’infraction de harcèlement sexuel. Pour celles-ci, la peine d’emprisonnement a été prononcée dans 78 % des décisions entre 2005 et 2010, mais elle a été assortie d’un sursis total dans la très grande majorité des cas. Des peines d’emprisonnement totalement ou partiellement fermes n’ont été prononcées que dans 0 à 4 cas par an pour le seul délit de harcèlement sexuel.

L’autre peine la plus fréquemment prononcée à titre principal est l’amende, dans 17 % des condamnations. Elle est très majoritairement ferme et d’un montant moyen de 1 000 euros.

Par ailleurs, il convient de relever qu’en moyenne un quart des condamnations sont prononcées par les cours d’appel. Le taux d’appel est donc relativement élevé.

Il est raisonnable de penser que la réalité sociologique du harcèlement sexuel, tel qu’il est ressenti par victimes et tel qu’en attestent les études et enquêtes, insuffisantes d’ailleurs par leur nombre, dépasse sensiblement la traduction juridique qui lui est donnée au travers de ces quelques données.

Personne ne peut en effet sérieusement penser que seules quelques dizaines de femmes sont harcelées sexuellement en France aujourd’hui.

Le ministère de la justice dispose également de données sur le traitement des procédures en matière de harcèlement sexuel, issues des nouveaux dispositifs informatiques, notamment Cassiopée. Ce dernier étant en cours de généralisation, il ne peut s’agir que d’évaluations partielles.

Depuis 2003, le nombre d’affaires nouvelles, enregistrées au sein des juridictions sous la qualification de harcèlement sexuel, oscille autour d’un millier par an.

Plus de la moitié de ces procédures – environ 60 % – font l’objet d’un classement, car l’infraction ne peut être poursuivie, soit que le délit n’est pas constitué, soit qu’il existe un obstacle juridique aux poursuites, comme la prescription.

Pour les autres procédures, les parquets privilégient plutôt la poursuite – dans plus de 60 % des cas –, en recourant un peu plus à l’information judiciaire pour ce type de contentieux que pour les autres, avec un taux de 11 % contre 3, 9 % constaté en 2009.

Entre 20 % à 30 % des plaintes sont classées « pour inopportunité », la majeure partie de ces classements se fondant sur un désistement du plaignant.

Environ 30 % des affaires font l’objet d’une alternative aux poursuites, le plus souvent d’un rappel à la loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en reviens maintenant aux remontées d’informations que j’ai sollicitées des parquets sur le devenir des procédures concernées depuis le 4 mai 2012, par le biais de la dépêche de requalification en date du 10 mai et de la circulaire du 7 juin demandant l’état des réquisitions et des décisions.

D’une façon générale, les parquets ont procédé à une requalification chaque fois que cela était possible.

Cent trente procédures menées du chef de harcèlement sexuel ont été signalées à la Direction des affaires criminelles et des grâces, la DACG. Sur quatre-vingts enquêtes préliminaires en cours, six ont pour le moment fait l’objet d’un classement du fait de l’abrogation de la loi. Sur dix-neuf informations judiciaires en cours, deux extinctions de l’action publique ont été prononcées et huit requalifications sont déjà engagées. Sur seize affaires en cours d’audiencement, treize pourront être requalifiées. Sur les quinze affaires parvenues à l’audience depuis la décision du Conseil constitutionnel, quatre se sont soldées par une extinction de l’action publique, mais, pour les autres, les requalifications ont pu être établies.

Dans la circulaire d’application du texte qui sera adopté par le Parlement et que j’adresserai aux procureurs de la République dès que la nouvelle loi aura été adoptée et promulguée, j’entends insister fortement sur la nécessité de donner aux faits leur exacte qualification pénale. La précision et l’extension du champ d’application de l’infraction sont telles que ce nouveau délit de harcèlement sexuel est plus étendu qu’aux termes des précédentes dispositions. Cependant, il faudra veiller à ce qu’il ne soit pas utilisé, comme ce fut constaté par le passé, pour sanctionner des agissements qui relèvent d’autres incriminations plus graves, notamment l’agression sexuelle ou le viol.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je présenterai rapidement le projet de loi initial, avant d’en venir au texte issu des travaux de la commission des lois du Sénat.

Le texte déposé par le Gouvernement se fixe trois objectifs : d’abord, donner une définition du harcèlement sexuel qui, tout en respectant les exigences constitutionnelles, permette de couvrir l’ensemble des situations concrètes repérées ou probables dont les femmes peuvent être les victimes ; ensuite, permettre une répression adaptée à la gravité de ces agissements, cohérente au regard de ce qui est prévu pour d’autres infractions sexuelles, ce qui implique la création de circonstances aggravantes ; enfin, réprimer de façon cohérente et exhaustive les discriminations faisant suite à des harcèlements sexuels, ce qui exige de modifier à la fois le code du travail et le code pénal.

Le texte vise à apporter une définition adaptée et élargie du harcèlement sexuel. Pour ce faire, le Gouvernement s’est inspiré de la définition du délit telle qu’elle était rédigée jusqu’à la loi de 2002, laquelle a supprimé la définition, se contentant d’énoncer l’infraction. Il a également tenu compte de la définition du harcèlement sexuel figurant dans les directives européennes sans toutefois la reprendre purement et simplement, car ces directives ne sont pas de nature pénale. Il a aussi choisi de pénaliser les comportements, c’est-à-dire de retenir des éléments objectifs et repérables plutôt que de s’en tenir au ressenti de la victime, intime, probablement réel, mais susceptible d’être contesté au motif de cette subjectivité. Il s’est, en outre, appuyé sur les définitions figurant dans les propositions de loi déposées au Sénat sur le sujet.

Le projet de loi s’est, enfin, nourri du riche dialogue noué avec les associations qui s’emploient à faire vivre et faire respecter au quotidien les droits des femmes. Nous avons aussi pris en considération la cinquantaine d’auditions qu’a organisées le groupe de travail du Sénat. En outre, nous avons nous-mêmes auditionné des associations, des personnalités qualifiées et des représentants syndicaux. En effet, nous savons bien que ces acteurs vont contribuer à faire vivre la loi aux côtés des praticiens du droit.

Il est clairement apparu qu’une définition unique du harcèlement n’était pas possible. Cette unicité butte, en effet, sur la difficulté de concilier le terme « harcèlement », qui, dans la langue française suppose une réitération, avec la volonté, largement partagée, très largement exprimée au Sénat et qui existait dans la volonté du législateur dès 1992 de sanctionner un fait unique dès lors qu’il présente « une particulière gravité ».

Pour bien rendre compte de cette dualité, le texte du Gouvernement distingue ainsi deux grandes catégories de situations dans les I et II du nouvel article 222-33 du code pénal.

Le harcèlement « simple » prévu par le I est ainsi constitué par des comportements imposés, répétés, qui présentent une connotation sexuelle et « qui, soit portent atteinte à la dignité de la personne en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant ».

Il n’est donc plus exigé, comme par le passé, des pressions tendant à obtenir une relation de nature sexuelle.

Devant la commission des lois, j’ai fait mention d’une réflexion de la sénatrice Virginie Klès qui compare le harcèlement sexuel au supplice de la goutte d’eau, puisque « c’est souvent une multitude de petits faits sans gravité manifeste qui, répétés, deviennent insupportables ».

Après débat, aux termes de « non désiré » ou « subi », nous avons préféré le vocable « imposer », car il existe déjà dans le code pénal pour l’infraction d’exhibition sexuelle. Il signifie que la victime n’a pas consenti aux actes de harcèlement, qu’elle ne les a pas désirés, mais qu’elle les a subis.

S’il appartient à la victime de démontrer la matérialité des faits, il ne peut être exigé d’elle qu’elle ait démontré sa réprobation de manière expresse. Le juge appréciera, au regard du contexte, des déclarations des parties et des témoins, s’il existait ou non un accord de la victime. C’est ce que font habituellement les juridictions dans les dossiers de mœurs.

La notion d’environnement mentionnée au I ne doit pas être interprétée comme exigeant que cet environnement résulte également du comportement de personnes autres que l’auteur de l’infraction. En pratique, elle doit être comprise comme faisant référence aux « conditions de vie » ou aux « conditions de travail », expressions qui figurent dans la définition d’autres délits prévus par le code pénal.

Je sais que la commission des lois a encore travaillé sur la notion d’environnement. Cette discussion nourrira de nouveau nos débats tout à l’heure.

Toutefois, le II de l’article 222-33 prévoit que, lorsque les faits prévus au I s’accompagnent de telles pressions, il s’agit d’une nouvelle forme de harcèlement, s’apparentant à du « chantage sexuel » – je place cette expression entre guillemets, car elle n’est pas juridique – et punie plus sévèrement. Dans ce cas, les faits sont sanctionnés même s’ils ne sont pas commis de façon répétée.

Il faut le souligner : dans ces deux cas, les faits peuvent être commis par toute personne, et pas seulement par un supérieur hiérarchique de la victime qui abuserait de son autorité.

La volonté du législateur de 1992 était de pouvoir incriminer un fait unique « d’une particulière gravité ». Les débats parlementaires de cette période en témoignent. Mais la loi, dont la rédaction ne faisait pas référence à cette gravité, n’avait pas permis de transcrire cette volonté dans la réalité.

La difficulté est de préciser ce qui doit être considéré comme un acte « d’une particulière gravité », notion qui, bien entendu, peut être relative.

Il est proposé dans le projet de loi que cette gravité soit caractérisée par deux éléments précis et objectifs : en premier lieu, un comportement, une pression grave exercée sur la victime par le recours notamment à des menaces, contraintes, ou ordres ; en second lieu, un but : obtenir une relation de nature sexuelle.

Concrètement, il s’agit de sanctionner ce qui a pu être qualifié en langage courant de « chantage sexuel », étant rappelé qu’en l’état du droit le chantage est une infraction qui ne couvre pas ce cas de figure. Il s’agit de comportements lors d’entretiens d’embauche, à l’occasion d’une promotion, de la notation, de la délivrance d’un diplôme ou de l’obtention d’un logement en contrepartie de l’acceptation d’une relation de nature sexuelle.

La preuve peut, en ce domaine, se rapporter par tous moyens.

J’en viens au texte issu des travaux de la commission des lois. Celle-ci a repris la distinction proposée par le projet de loi dans les I et II de l’article 222-33 tout en la simplifiant, dans des conditions qui améliorent la définition du délit et reçoivent ainsi le plein accord du Gouvernement.

Le I définit le harcèlement « simple » comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant ».

Le II prévoit qu’« est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle, que celle-ci soit recherchée au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ». La définition du II n’est ainsi plus liée à celle du I et elle n’exige toujours pas de faits répétés.

Cette double définition permet ainsi de réprimer toutes les formes de harcèlement sexuel, qu’il s’agisse de faits répétés ou d’un fait unique mais particulièrement grave. Sont ainsi protégées trois catégories de victimes : d’abord, la personne qui subit, à plusieurs reprises, des comportements, paroles, gestes ou autres, à connotation sexuelle et portant atteinte à sa dignité ; ensuite, la personne dont les conditions de vie ou de travail deviennent insupportables en raison des propos, gestes ou comportements sexistes dont elle fait l’objet ; enfin, la personne qui est exposée à un chantage sexuel parce qu’elle cherche, par exemple, un appartement ou un emploi ou qu’elle est dans l’attente d’un diplôme ou d’un service quelconque. Toutes les situations seront ainsi couvertes par le droit pénal.

J’en arrive à la répression adaptée du harcèlement sexuel. J’évoquerai, en premier lieu, la répression de l’infraction principale.

Le projet de loi prévoyait de réprimer d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le harcèlement « simple », défini au I, et de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le harcèlement accompagné de pressions, tel qu’il est décrit au II. La commission des lois a proposé d’unifier la répression en la portant, dans les deux cas, à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende.

Cette solution reçoit l’accord du Gouvernement dans la mesure où l’on peut considérer qu’un fait unique peut avoir une gravité et des conséquences pour la victime aussi fortes que la réitération des faits isolément moins graves. Il appartiendra au juge d’en faire l’appréciation.

J’évoquerai, en second lieu, la création de circonstances aggravantes.

Le Gouvernement propose d’aggraver les peines du harcèlement dans quatre hypothèses : premièrement, lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ; deuxièmement, lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans ; troisièmement, lorsque les faits sont commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ; quatrièmement, lorsque les faits sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.

Dans ces quatre cas, les peines seront portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.

Ces différentes circonstances aggravantes sont déjà prévues pour le crime de viol ou les agressions sexuelles. Il est ainsi cohérent de les prévoir en matière de harcèlement sexuel.

Le dispositif répressif global est ainsi cohérent et gradué : d’abord, le harcèlement sexuel est puni de deux ans d’emprisonnement et de trois ans d’emprisonnement s’il est aggravé ; ensuite, les agressions sexuelles sont punies de cinq ans et de sept ans ou dix ans d’emprisonnement si elles sont aggravées ; enfin, le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle ou plus s’il est aggravé.

J’en arrive à la répression des discriminations.

Au-delà de la répression du harcèlement sexuel proprement dit, le Gouvernement a estimé indispensable de sanctionner les discriminations qui peuvent résulter de ces faits de harcèlement.

Ces discriminations doivent être réprimées, y compris lorsqu’elles interviennent dans des domaines autres que les relations de travail, et y compris si elles font suite à un acte unique.

Cela peut ainsi être le cas d’une personne qui, parce qu’elle a refusé une proposition de nature sexuelle, n’est pas embauchée, est licenciée, n’obtient pas une promotion ou se voit refuser un logement ou n’importe quel bien ou service.

Il était donc indispensable de compléter les articles 225-1 et 225-2 du code pénal réprimant les discriminations, en y ajoutant un article 225-1-1 relatif aux discriminations intervenant en raison de l’acceptation ou du refus par une personne de subir des agissements de harcèlement sexuel, y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée.

Ces faits seront ainsi punis, en application des articles 225-2 et 432-7 du code pénal, de trois ans d’emprisonnement s’ils sont commis par un particulier et de cinq d’emprisonnement s’ils sont commis par un agent public ou dans un lieu accueillant du public, comme une discothèque, ou aux fins d’en interdire l’accès

Le code du travail a également été complété, par coordination, afin de renvoyer à la nouvelle définition du harcèlement sexuel figurant dans le code pénal et de prévoir que les discriminations dans le travail faisant suite à un harcèlement sexuel sont pénalement sanctionnées, ce qui n’était plus le cas depuis le 1er janvier 2008.

Toute la logique du Gouvernement est de lever les obstacles indus à la dénonciation des faits et au dépôt de plainte en protégeant la victime et les témoins des représailles éventuelles. Il s’agit de tout faire pour que les faits cessent le plus rapidement possible.

En effet, comme a pu le souligner la commission des affaires sociales dans son avis : « Les témoignages reçus montrent à quel point les victimes peuvent être profondément affectées par le harcèlement, qui provoque perte d’estime de soi et fragilité psychologique et mine leurs capacités de résistance. »

Mesdames, messieurs les sénateurs, je formulerai maintenant quelques observations sur la problématique de la majorité sexuelle, dont vous avez, je le sais, beaucoup débattu, afin de répondre au projet tendant à modifier la circonstance aggravante de minorité de quinze ans en minorité simple.

Le Gouvernement propose que la minorité de quinze ans soit une circonstance aggravante du harcèlement sexuel.

Pourquoi cette aggravation ne s’applique-t-elle pas pour toutes les victimes mineures, y compris celles qui sont âgées de quinze ans à dix-huit ans ? Cette question est parfaitement pertinente. Il est en effet rare de trouver des mineurs de moins de quinze ans dans les entreprises ; par ailleurs, la tranche de minorité concerne les jeunes de quinze ans à dix-huit ans.

Dans le code pénal, seule la minorité de quinze ans constitue une circonstance aggravante.

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