Pour avoir participé à d’innombrables débats tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je suis de plus en plus frappé de constater que l’on attend du Parlement non pas qu’il opine aux propositions faites par l’exécutif, qui fait toujours, ou le plus souvent, son travail avec conscience, non pas qu’il s’oppose systématiquement, mais qu’il élabore la loi avec indépendance, dans le respect des solidarités existantes – elles sont nécessaires et nous rassemblent -, ainsi que des valeurs que nous portons.
Il est important, à cet égard, que nous ayons pris l’initiative, avec Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Annie David, de mettre en place ce groupe de travail, qui a suscité beaucoup de débats, d’auditions, de réflexions, et nous a permis d’avancer.
Le texte auquel nous parvenons ce soir n’est ni celui du groupe de travail, ni celui des auteurs des sept propositions de loi, ni celui du Gouvernement. C’est finalement une synthèse, un nouveau texte nourri de tous les autres.
Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, même s’il a pu être battu sur tel ou tel amendement. Ceux qui se pencheront sur ce travail législatif pourront constater que les mots retenus dans ce texte viennent de partout : du Gouvernement, du Parlement, de tous les groupes politiques, qui ont été traversés par des débats intenses et utiles.
Nous devons continuer à travailler ainsi, car il est nécessaire, dans notre République, de rétablir l’équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. C’est lorsque le pouvoir législatif exerce pleinement son rôle que l’on aboutit à cet équilibre nécessaire auquel, je le sais, le Président de la République est très attaché. C’est pourquoi je me permets de faire référence, en cet instant, à cette importante notion de l’équilibre des pouvoirs.
Le texte que nous avons élaboré, même s’il n’est pas parfait, présente de nombreux avantages.
Ainsi, il donne une définition très précise, détaillée et complexe du harcèlement sexuel, qui prend en compte les diverses situations possibles.
Ensuite, il prend en compte les deux modalités du harcèlement.
Le harcèlement - si l’on s’en tient à ce mot - implique une pluralité d’actes. C’est simple, et chacun le comprend ainsi. Il était donc nécessaire de fonder en droit l’acte unique pouvant entraîner des conséquences lourdes, graves et traumatisantes.
Je tiens à répéter, à cet égard, ce que notre rapporteur, Alain Anziani, auquel je rends hommage, a dit avec beaucoup de force, et ce que notre rapporteur pour avis, Christiane Demontès, avait également rappelé : si nous n’avions pas pris en compte les différentes modalités du harcèlement, on nous l’aurait reproché.
Certes, on peut toujours nous dire que le projet de loi risque d’être détourné, mais vous remarquerez que cela vaut pour tout texte.
À partir du moment où l’agression sexuelle et le viol sont définis par des actes physiques, il n’est pas possible de considérer que le projet de loi serait une manière de permettre un détournement de la loi.
Toute loi peut être détournée, mais notre volonté n’est pas qu’elle le soit. Ni l’état d’esprit dans lequel nous avons travaillé ni, selon nous, la réalité du projet de loi que nous allons adopter n’autorisent qu’elle le soit.
Je crois donc qu’un certain nombre de débats ne reposent sur aucun fondement et sont étrangers au projet de loi tel que nous l’avons collectivement écrit.
Toujours au nombre des avantages que représente ce texte, je citerai la prise en compte de la vulnérabilité économique et sociale, qui constitue une nouveauté. Que, dans le harcèlement sexuel, le rapport du fort au faible soit en jeu, c’est tellement évident, et depuis si longtemps, que nul ne peut le nier.
Je veux donc remercier Mmes les ministres parce que c’est à elles que nous devons cette avancée importante. En effet, c’est sur votre initiative, madame Taubira, madame Vallaud-Belkacem, qu’une solution a été trouvée pour que cette vulnérabilité économique et sociale, cette précarité, soient prises en compte.
De même, nous avons avancé sur le droit des associations et les possibilités qu’elles ont d’assister les personnes.
Nous avons considérablement progressé pour ce qui est de la prise en compte de l’identité et de l’orientation sexuelles, qui représente une autre nouveauté dans notre droit.
En outre, nous avons avancé sur des questions de vocabulaire, comme la distinction des agissements et du comportement, sans oublier, cher Alain Anziani, celle de l’environnement et de la situation. Ces querelles ne sont pas anodines, parce que les mots ont un sens et pèsent de tout leur poids.
Il n’y a pas de formulation parfaite, mais nous avons choisi les termes de sorte que les magistrats puissent se fonder sur des faits, sur des actes, sur la réalité, puisque, pour juger, il est nécessaire d’avoir des preuves et des témoignages.
Enfin, une cohérence a été assurée, au prix peut-être de la redondance – mais le débat n’est pas terminé –, entre le code pénal, le code du travail et le statut général de la fonction publique, dont les rédactions seront ainsi homogènes.
Pour ce travail au total très positif, je tiens à remercier à mon tour nos rapporteurs, les commissions, qui ont pris une part active au débat, et Mmes les ministres, qui ont beaucoup contribué à ce travail commun.
Je forme le vœu que nous puissions souvent et longtemps travailler de cette manière au Parlement. Je crois, en effet, que c’est la manière la meilleure de servir la République.
Je terminerai ce soir par là où j’ai commencé hier : soyons fidèles à ce qu’attendent de nous et de la loi les victimes et tous les êtres humains qui aspirent à un procès équitable.