Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 12 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Vote sur l'ensemble

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Lorsque les juges auront quelques doutes, ils pourront se référer à nos travaux préparatoires pour savoir dans quel sens trancher. Aussi je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, de la contribution que vous avez ainsi apportée à l’efficacité de nos juridictions pénales !

À propos de la vulnérabilité économique et sociale, qui est une question extrêmement importante, nous avons très précisément caractérisé une circonstance aggravante. C’est une preuve de la productivité du Sénat et de l’efficacité de son travail législatif.

Nous avons également débattu de l’importante question des discriminations. Cette notion, qui avait disparu du code du travail, est maintenant rétablie, et sous une forme plus précise.

Nous avons abordé de façon assez approfondie la question des mineurs, animés que nous sommes du souci de les protéger, dans le monde de l’entreprise comme ailleurs. Je crois que nous avons bien avancé sur la perception que nous avons de la double logique du code pénal : celle de la protection et celle de l’engagement.

Nous avons cherché, dans chaque texte, à assurer la protection des mineurs avec efficacité, sans pour autant introduire d’incohérences dans le code pénal.

Il ne s’agit pas de vénérer le code pénal comme une bible ou comme les tables de la loi. Simplement, le code pénal fixe nos règles de base - la définition des incriminations est sous-tendue par un certain nombre de valeurs - et, pour éviter des interprétations intempestives, le code de procédure pénale précise dans quelles conditions il doit être appliqué.

C’est pour respecter la cohérence et la structure du code pénal que nous sommes attentifs, particulièrement s’agissant des mineurs, à la différence entre la protection et les capacités d’engagement.

Nous avons également abordé les questions d’orientation et d’identité sexuelles. Nous avons eu, à ce sujet, un débat extrêmement nourri et instructif qui, selon moi, alimentera d’autres débats, cette fois dans la société civile - on la voit souvent s’emparer des questions soulevées à l’occasion des travaux parlementaires.

D’ailleurs, cela nous alerte, nous qui avons la haute et lourde responsabilité de faire la loi, parce que chaque parole que nous prononçons aujourd’hui ici peut nous être opposée demain ailleurs et pourrait prendre une ampleur si extraordinaire que, l’aurions-nous méconnue, nous serions bien vite rappelés à la réalité de l’œuvre importante que nous accomplissons.

À propos de l’indemnisation des victimes, je me suis engagée, au nom du Gouvernement, à « mettre à plat » les différentes situations. Il s’agit, sans que nous puissions répondre pour autant à toutes les nécessités d’indemnisation intégrale, d’introduire plus de justice dans les procédures d’indemnisation.

Un certain nombre de sujets n’ont été qu’effleurés et nous serons amenés à explorer plus avant les voies ainsi ouvertes. Nous le ferons, parce que les débats ont prouvé que nous sommes conscients de l’œuvre que nous avons accomplie ensemble.

Par les exemples qu’ils nous ont livrés hier à la tribune, Mmes Demontès, Benbassa et Dini ainsi que M. Courteau nous ont très bien rappelé, dès le début de notre discussion, que nous ne traitons pas de concepts juridiques abstraits ou théoriques : nous répondons par l’arme de la loi et du droit à des situations de grande détresse. N’oublions pas en effet que, dans le harcèlement sexuel, il y a de la souffrance, il y a de l’inégalité sociale, et toutes ces représentations, ces clichés, ces préjugés de notre société que nous devons interroger aussi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux témoignages que vous avez produits, grâce aux rappels auxquels vous avez procédé à l’orée de notre débat, nous avons été ramenés au cœur de notre sujet, ce dont je vous remercie infiniment.

Je ne peux manquer de saluer avec une gourmandise particulière le vote sur l’ensemble du texte, obtenu à l'unanimité. Il avait été précédé d’augures favorables : l’adoption par tous les sénateurs de l’amendement relatif à la vulnérabilité économique ou sociale et à la précarité, ainsi que de l’amendement sur l’identité sexuelle. Du reste, le ton et le contenu de vos interventions montraient que chacun y mettait du sien pour que nous puissions converger et aboutir à un texte dont nous ayons toutes les raisons d’être fiers, ce qui est le cas, me semble-t-il.

Il reste bien entendu des questions à approfondir, et vos interventions y contribueront de façon tout à fait significative, car le travail commun engagé entre le Sénat et le Gouvernement se poursuivra à l’Assemblée nationale, puis, très probablement, en commission mixte paritaire. En effet, si un vote conforme n’est pas totalement exclu, il faut respecter la liberté de l’Assemblée nationale. En outre, vous avez soulevé des problèmes qui, à mon avis, devraient être repris par les députés. Il est probable que nous pourrons encore enrichir ce texte.

Ainsi, madame Benbassa, vous avez évoqué un cas de double procédure, disciplinaire et judiciaire. Derrière cet exemple, il y a la question de la place des réseaux dans notre société, des connivences, des rapports de force, tout ce qui fait qu’une espèce de chape pèse parfois sur la victime, y compris quand celle-ci prend sur elle et engage des procédures. Nous examinerons avec la plus grande attention cette question, qui sera débattue de nouveau à l’Assemblée nationale, et le Gouvernement prendra ses responsabilités.

Pour ce qui me concerne, je travaillerai avec les responsables de l’École nationale de la magistrature et les représentants des magistrats et des autres catégories de fonctionnaires présents dans les tribunaux, notamment les greffiers, pour voir s’il est nécessaire et faisable de créer un nouveau module de formation à la déontologie spécifiquement consacré, celui-là, à ces questions.

Au-delà des services de la justice, dont je suis amenée à parler plus particulièrement, je crois qu’un travail doit être mené dans toute la fonction publique. D’autres ministères sont concernés à l’évidence. La ministre des droits des femmes vous a d'ailleurs déjà indiqué les initiatives qu’elle comptait prendre ; vous connaissez l’ambition qui est la sienne et le soin qu’elle apporte à l’exercice de sa mission.

Des politiques publiques seront lancées pour informer, sensibiliser, mobiliser. Nous ferons progresser la société non seulement par la loi, mais aussi par une prise de conscience collective, en rappelant combien il est important de respecter la dignité et l’intégrité de la personne. Ainsi pourrons-nous avancer vers cette égalité réelle des femmes et des hommes que nous appelons de nos vœux, tout en assurant la protection des personnes les plus vulnérables.

Puisque nous avons évoqué à l’envi l’apport du Sénat - il faut en prendre toute la mesure, car elle est considérable – le souci de l’élégance m’oblige à rappeler également les efforts accomplis par le Gouvernement.

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