Madame Lamure, dans le rapport de la commission spéciale, vous avouez vous être longuement interrogée sur l’opportunité de recourir à l’ordonnance pour procéder à « une réforme aussi lourde politiquement que fondamentale sur le plan économique ».
Vous avez jugé que les explications fournies par le Gouvernement pour justifier le recours à l’ordonnance, selon lesquelles le Conseil de la concurrence a été créé par ordonnance en 1986 et les modifications à apporter alourdiraient le projet de loi, n’étaient pas recevables. Nous sommes tout à fait d’accord avec vous.
La commission spéciale a donc considéré que de nombreux points de la réforme justifiaient pleinement un débat parlementaire en bonne et due forme, débat que nous essayons d’entretenir pour le compte du groupe socialiste.
C'est la raison pour laquelle la commission nous a présenté un amendement tendant à la création de l’Autorité de la concurrence et en défendra tout à l’heure un autre relatif au transfert du contrôle des concentrations économiques du ministre à cette dernière.
Je ferai quelques remarques de forme sur l’amendement n° 137 rectifié.
Si votre intention est louable, madame Lamure, je soulignerai néanmoins que, l’urgence ayant été déclarée sur ce texte et les députés n’ayant pu disposer de l’avant-projet d’ordonnance lorsqu’ils ont examiné l’article 23, seuls les représentants de ces derniers à la commission mixte paritaire pourront étudier votre texte. Nous privons donc la représentation nationale, dans sa globalité, d’une discussion approfondie sur ce que vous avez considéré être une mesure fondamentale sur le plan politique et économique ! C’est tout de même un peu fort, au moment où il est question de renforcer les droits du Parlement au travers du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République !
Par ailleurs, l’amendement n° 137 rectifié reprend en partie le texte de l’ordonnance. Si l’on tient compte de l’amendement n° 138 rectifié, ce ne sont pas moins de huit pages de texte qui nous ont été soumises juste avant la date limite de dépôt des amendements, alors que nous travaillions sur la rédaction du projet de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale. Quant à l’avant-projet d’ordonnance, il ne comprend pas moins de douze pages ! Tout de même, monsieur le secrétaire d'État, il aurait été plus sain et certainement plus démocratique de consacrer à l’ensemble de ces dispositions un projet de loi spécifique.
Je ferai maintenant des remarques de fond sur le dispositif.
Vous avez, madame la rapporteur, décidé d’écarter les éléments du projet d’ordonnance ayant trait au renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence dans le domaine du contrôle des pratiques anticoncurrentielles, ainsi qu’à la procédure et à l’articulation de ces compétences entre l’Autorité de la concurrence et les services du ministre.
Il me paraît, au contraire, que cette question aurait également dû être soumise à la représentation nationale. Vous vous êtes engagée sur un bon chemin en récrivant le projet d’ordonnance, mais vous vous êtes arrêtée bien trop tôt !
Nous en reparlerons lorsque nous examinerons l’article 23 du projet de loi : votre réécriture ne règle pas le problème posé par le flou entourant le transfert des agents de la DGCCRF. En relisant le rapport de la commission spéciale – j’ai également interrogé Mme la ministre sur ce sujet –, je n’ai pas trouvé un seul élément relatif à ce transfert. Je reviendrai sur ce point à propos de l’article 23.
On peut d’ailleurs s’interroger sur la nécessité de créer une nouvelle autorité indépendante. Ce que le rapporteur général du budget appelle l’« agenciarisation » de l’action publique rend très difficile l’appréciation, par le Parlement, de l’efficacité de celle-ci.
La multiplication des autorités indépendantes n’a pas rendu plus efficace l’action de la puissance publique, mais elle participe, il faut tout de même le dire, de l’affaiblissement de l’État dans une période de grands bouleversements technologiques, d’apparition de nouveaux acteurs dans de nouveaux secteurs économiques. L’État perd sa capacité régulatrice, qui est extrêmement importante dans cette période de bouleversements. Est-ce vraiment le moment de s’engager dans cette voie, comme si la concurrence – mais, nous l’avons dit dans la discussion générale, c’est là toute la philosophie de ce texte – était l’unique dépôt de la rationalité du marché ?
Du reste, je note, madame la rapporteur, que vous réintroduisez l’exécutif au travers de cet amendement, en prévoyant de lui permettre de « reprendre la main » – c’est l’expression que vous utilisez – grâce à un « droit d’évocation ».
Je n’ai obtenu aucune réponse en commission lorsque j’ai demandé quelle était la portée juridique de ce droit d’évocation.
Finalement, nous n’instaurerons pas la transparence qui était recherchée au départ, et les éléments d’arbitrage ne sont pas connus. En résumé, la création de cette autorité, c’est du rapport Attali mal digéré !