À titre liminaire, je souhaiterais rappeler l'importance de l'ingénierie, qui est au coeur des préoccupation de nos collectivités, que ce soit dans le domaine de l'urbanisme mais aussi dans ceux du développement durable, de l'énergie, des déplacements, de l'habitat... Il s'agit là des grands enjeux d'aménagement du territoire, transversaux et nécessitant des compétences nouvelles. Parallèlement, et malheureusement, une fracture se dessine entre les territoires urbains en capacité de développer une offre d'ingénierie et les territoires ruraux qui ne peuvent pas toujours répondre aux besoins en la matière.
Le 24 janvier dernier, notre délégation confiait à un groupe de travail composé de Yannick Botrel, Joël Labbé, Rachel Mazuir, et dont j'ai eu le plaisir d'assurer le pilotage, le soin de réfléchir à l'avenir de l'ingénierie publique en matière d'urbanisme.
Le sujet est crucial car, comme vous le savez, si le droit de l'urbanisme s'est complexifié ces dernières années, l'État n'assure désormais plus l'ingénierie de proximité. Or, une ingénierie de qualité est le préalable à l'élaboration de projets de territoires cohérents et à leur traduction dans les documents d'urbanisme.
Nos collectivités se retrouvent donc aujourd'hui confrontées à un certain nombre de défis : l'exercice du droit des sols face au désengagement de l'État, la gestion des politiques de planification en lien avec le Grenelle de l'environnement, les politiques locales d'aménagement, notamment. En clair, elles doivent répondre à une question simple : comment adapter l'ingénierie publique aux besoins locaux ?
Concrètement, les maires vont être confrontés à court terme à de vraies difficultés, comme l'exercice du droit des sols, qui leur incombe désormais, alors que l'État l'assurait encore jusqu'à présent dans de nombreuses collectivités, notamment les plus petites.
Mais ce n'est pas tout, d'autres défis nous attendent. Il s'agit notamment des politiques de planification, de plus en plus complexes car nécessitant un nombre croissant de compétences diversifiées en matière de déplacement, d'habitat et de développement durable. Or, dans le secteur de l'urbanisme, sur certaines parties du territoire, les élus sont déjà confrontés à un véritable désert d'ingénierie. Par ailleurs, si en matière d'aménagement les communes rurales bénéficient de l'intervention des services techniques de l'État, ces missions ne sont déjà plus assumées dans le domaine concurrentiel.
Comment répondre alors, dans ces conditions, aux besoins d'ingénierie des collectivités en matière d'urbanisme ?
Je pense qu'une nouvelle organisation de l'ingénierie territoriale est nécessaire pour mener à bien les politiques de développement. Nos collectivités territoriales doivent devenir les « moteurs de l'ingénierie publique », comme l'a très bien dit notre collègue Yves Daudigny à l'occasion de son rapport. Cet objectif est aussi vrai en matière d'urbanisme.
Reste la question du niveau auquel doit intervenir cette ingénierie renouvelée : s'agit-il du niveau intercommunal, départemental ou régional ?
Dans ce domaine, je refuse toute soi-disant orthodoxie. Je me méfie des solutions « prêtes à l'emploi » qui seraient appliquées uniformément et indifféremment dans les territoires. Dans le rapport que je vous soumets, il n'est donc pas question de « décréter » qu'un niveau de collectivité serait plus légitime que les autres pour organiser toute l'ingénierie. Il me parait essentiel de laisser les territoires libres de s'organiser en trouvant la souplesse nécessaire pour faire face à la diversité des situations.
Et justement, dans le cas de l'urbanisme, que je connais bien, je plaiderai donc pour des solutions à géométrie variable selon les sujets. Je pense à une ingénierie de « projet » dans laquelle l'ingénierie publique de l'État doit être complétée, d'une part, par l'ingénierie privée et, d'autre part, par une nouvelle ingénierie publique, celle des collectivités territoriales, afin de créer des « bouquets d'ingénierie » correspondant le mieux aux besoins.
Ceux-ci s'organisent en trois volets : le premier avec la planification et les études en amont ; le deuxième avec la gestion du droit des sols et les autorisations de construire ; le troisième avec l'aménagement opérationnel.
Pour y répondre, je vous propose une architecture souple reposant sur deux dimensions complémentaires de l'ingénierie : l'ingénierie stratégique et l'ingénierie opérationnelle.
D'une part, une ingénierie stratégique reposant sur l'échelle nationale pour la définition des grandes stratégies de l'État en matière d'urbanisme, d'environnement et de développement durable, et l'échelle régionale ou interrégionale pour décliner ces grandes stratégies nationales.
D'autre part, une ingénierie opérationnelle reposant sur l'échelle intercommunale au niveau local, qui sera vraisemblablement la bonne pour l'exercice du droit des sols et la planification ; et sur l'échelle du département ou des grands bassins de vie au niveau territorial où devra se traiter la question de l'appui à la planification.
Mais attention, cette « redistribution des cartes » de l'ingénierie publique en matière d'urbanisme ne se fera pas sans difficulté. Nous devrons, en effet, nous interroger sur l'organisation de celle-ci à proposer demain en lien avec la clarification des compétences des collectivités. Il faudra, dans le cadre d'une nouvelle réforme de la décentralisation, promise par le nouveau Président de la République, que nous portions ces enjeux lors des débats.
Il faudra aussi tenir compte des moyens humains existants au sein des services de l'État et se poser la question des possibles partenariats de l'État avec les collectivités, en réfléchissant notamment aux conditions de mise à disposition des agents de celui-ci auprès des collectivités territoriales, car en matière de droit des sols comme dans d'autres, nous ne sommes pas allés au bout de la décentralisation.
Les propositions que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui sont formulées à l'intention de l'État et des collectivités territoriales afin d'offrir des perspectives pour tracer les contours d'une nouvelle architecture de l'ingénierie territoriale en matière d'urbanisme.
L'État fournissait, depuis de nombreuses années, une aide indispensable aux collectivités territoriales à travers la dévolution de moyens financiers et la mise à disposition gratuite de ses services. L'ingénierie publique, assurée par l'État, était donc une longue tradition au bénéfice de nos collectivités. Cette tradition ancienne n'a jamais été remise en cause. C'était les services déconcentrés des ministères de l'équipement, de l'environnement, des transports et de l'agriculture (les anciennes directions départementales de l'équipement - DDE - et directions départementales de l'agriculture - DDA), qui assuraient principalement ces missions essentielles de conseil et d'appui aux collectivités territoriales. Les conditions dans lesquelles ces prestations étaient apportées aux collectivités territoriales étaient définies par convention, signée entre le préfet de département et la commune ou le groupement demandeur.
Mais, ces dernières années, les élus ont dû faire face à la réduction progressive et généralisée du champ de l'ingénierie publique de l'État. Cette évolution résulte en fait de la combinaison de plusieurs facteurs : le droit européen de la concurrence, d'abord. Dans la passation des marchés, il ne doit être constaté aucune discrimination entre les différents prestataires de services ; les critiques formulées par la Cour des comptes sur la légitimité de l'ingénierie publique de l'État et l'évolution jurisprudentielle du Conseil d'État, ensuite. Ces évolutions ont conduit à soumettre au Code des marchés publics les prestations d'ingénierie publique assurées par l'État. C'est la loi MURCEF du 11 décembre 2001, dont j'étais d'ailleurs le rapporteur pour avis à la commission des Lois, qui a posé cette nouvelle philosophie de l'ingénierie publique ; la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), enfin, qui a induit un recentrage des missions d'ingénierie publique vers un rôle d'expertise plutôt qu'un rôle de prestataire de services.
Ce mouvement, en réalité entamé depuis plus de dix ans, met aujourd'hui en exergue la situation des milliers de communes en France qui n'ont pas la capacité d'organiser leurs propres services d'ingénierie.
Comment cerner à présent cette notion « d'ingénierie en matière d'urbanisme » ? Je pose cette question car celle-ci souffre en effet d'un manque de définition. Elle se traduit en particulier par l'exercice de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre, le contrôle et l'évaluation. Le même terme renvoie donc à des métiers et des missions disparates.
Même centrée sur l'urbanisme, la notion d'ingénierie publique locale reste donc large et comprend les métiers liés au droit du sol, comme l'instruction ; à la planification urbaine avec les SCOT et les PLU notamment ; à l'urbanisme opérationnel ; mais également les métiers structurés autour d'une thématique particulière : habitat, déplacement, biodiversité, foncier, fiscalité foncière, etc.
Dans son acception large, l'ingénierie en matière d'urbanisme peut être présente dans un très grand nombre de structures : communes, communautés, départements, syndicats de SCOT, syndicats de pays, DDT/DREAL, agences d'urbanisme, établissements consulaires, sociétés d'économie mixte (SEM) et sociétés publiques locales (SPL), conseils en architecture, urbanisme et environnement (CAUE), centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU), etc.
Le champ de l'urbanisme est donc extrêmement vaste et va de la planification à la fabrication de l'espace urbain. Les urbanistes, en particulier, constituent une profession très diversifiée, que ce soit en termes de diplômes ou en termes de pratique professionnelle. Or, cette profession n'est pas réglementée en France, si bien qu'aujourd'hui on ne sait pas qui est urbaniste ou non, étant donné qu'il n'existe aucune formation obligatoire et qu'aucune disposition ne réglemente l'installation en tant qu'urbaniste. C'est pourquoi je vous propose, et c'est le sens de ma recommandation 9, de « réglementer le métier d'urbaniste en donnant un statut légal à cette profession et en harmonisant la formation pour l'accès à cette profession ».
D'une manière générale, les collectivités territoriales ressentent des besoins croissants en la matière, car elles doivent faire face à des enjeux majeurs (étalement urbain, nouvelles formes urbaines, énergie-climat, biodiversité...) ; elles sont confrontées à des exigences nouvelles (urbanisme commercial, SCOT, PLU intercommunaux, trame verte et bleue, PLH et PDU...) ; et, surtout, elles doivent mettre en oeuvre dans de courts délais des textes qui se multiplient, contribuant ainsi à la généralisation et à la complexification des documents de planification urbaine.
Or, elles doivent le faire dans un contexte contraint, caractérisé par la réorganisation des services de l'État ; les contraintes budgétaires et le manque de visibilité et de prospective financière ; la multiplication des appels à projets devant lesquels, souvent, les collectivités sont inégalement armées ; l'application de la réforme territoriale, avec l'engagement de la discussion sur l'évolution des périmètres communautaires et le chantier de la mutualisation ; la multiplication des recours en matière d'urbanisme; enfin, les inquiétudes quant à la capacité des cabinets d'études à s'adapter à l'ensemble des enjeux ainsi qu'aux spécificités de l'approche intercommunale.
Dans ce contexte, je me suis donc interrogé, en tant qu'élu, sur la signification même de l'ingénierie publique de l'État. Sa disparition est-elle le symbole d'une responsabilisation des collectivités territoriales ou bien, si celle-ci est maintenue, est-elle le signe d'une tutelle de l'État sur nos collectivités ? La question mérite d'être posée sereinement.
Le retrait progressif de l'État semblerait aller dans le sens de l'histoire, dès lors que les collectivités assument de manière pleine et entière leurs responsabilités dans une logique d'appropriation de leur espace. D'ailleurs, en la matière, la France ne fait que se rapprocher du reste de l'Europe.
Pour les tenants d'une décentralisation aboutie, il ne faudrait donc pas regretter le désengagement de l'État en matière d'ingénierie publique. Pour eux, l'existence même d'une ingénierie publique maintiendrait les collectivités dans une situation de déresponsabilisation envers l'État. Une véritable décentralisation du droit de l'urbanisme passerait donc par le fait de donner aux collectivités territoriales « les commandes » afin qu'elles s'organisent elles-mêmes pour faire face aux diverses difficultés que crée la disparition des services de l'État.
Dès lors, les collectivités sont appelées à assumer les compétences qui leur ont été transférées, en se dotant des services d'ingénierie nécessaires ou bien en bénéficiant des outils d'ingénierie dont l'État disposait pour les compétences avant leur transfert. Et, dans cette nouvelle architecture, les petites collectivités rurales devront, pour continuer à bénéficier d'une ingénierie publique, se tourner vers les collectivités territoriales plus grandes ou mutualiser leurs moyens avec d'autres collectivités pour exercer leur droit des sols.
Pour d'autres élus locaux, au contraire, le désengagement de l'État conduira inéluctablement à une disparition totale et dommageable de l'ingénierie dans les petites collectivités. L'existence d'une ingénierie publique de qualité permet aux communes qui en bénéficient de mettre en oeuvre des services de qualité qui profitent à leurs habitants et concourent au dynamisme de leur territoire. Le désengagement de l'État privera ainsi les espaces à faible densité de population des outils nécessaires à leur développement. Une telle situation, selon eux, pourrait conduire in fine à une désertification de ces territoires.
Quelle que soit l'approche retenue, cette disparition de l'ingénierie publique de l'État peut être perçue comme un « transfert rampant » : le fait que l'État ait allégé la charge pour son budget aura forcément des répercussions sur les finances publiques locales. C'est d'ailleurs pour cela que ma recommandation 8, qui propose « sur la base d'un conventionnement, la mise à disposition du personnel de l'État aux collectivités », s'inscrit dans un partage des charges avec l'État afin de ne pas laisser les collectivités supporter seules ces nouvelles charges.
Si l'on regarde la situation sur le terrain, on peut comprendre que, près de trente ans après la décentralisation de l'urbanisme, il soit légitime que les services communaux s'approprient ou se soient approprié l'exercice de cette mission. C'est d'ailleurs un fait acquis dans les grandes et moyennes communes. En outre, cette situation n'est pas un problème pour les grandes communes ou les grandes intercommunalités, qui ont depuis longtemps développé des compétences pointues et diversifiées en matière d'urbanisme, dépassant largement ce que pouvait faire l'État en son temps. En revanche, le problème se pose bien pour une grande majorité des petites communes, où l'ingénierie territoriale aurait dû être développée au sein des intercommunalités dès la mise en place de la décentralisation, ce qui n'a pas été fait.
Les maires vont donc être, à court terme, confrontés à de vraies difficultés dans l'exercice du droit des sols. Ils le seront d'autant plus que le contexte a évolué avec la complexité croissante des politiques de planification, notamment dans le cadre du Grenelle de l'environnement, qui nécessitent des compétences diversifiées en matière de déplacement, d'habitat et de développement durable. Alors, certes, la loi impose à l'État de poursuivre l'aide aux communes de moins de 10 000 habitants, mais le nombre de fonctionnaires dédiés va passer de 3 600 en 2012 à 3 000 en 2013, soit une diminution de 20 % des effectifs, comme cela m'a été confirmé par la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature, que j'ai eu l'occasion d'auditionner.
Dès lors, il est crucial que les collectivités établissent une nouvelle organisation de l'ingénierie territoriale pour mener à bien leurs politiques en matière d'aménagement et de développement. Malgré les tentatives gouvernementales pour rassurer les élus locaux, certains restent inquiets face au désengagement de l'État. Ce sentiment se faisait déjà sentir auparavant du fait de la réorganisation des services déconcentrés de l'État à la suite de la RGPP. Les collectivités ont perdu les repères que leur donnaient les anciennes DDE. Elles ont le sentiment que ces services n'ont pas été remplacés, ni techniquement, ni financièrement. Il en résulte une perte de points de contacts avec les usagers. Pourtant, la multiplication des lois et normes, la complexité technique et juridique croissante des dossiers ou la prise en compte des contraintes environnementales exigent une ingénierie de plus en plus performante. Par ailleurs, les collectivités n'ont pas toujours été informées des missions abandonnées et de celles qui perdurent. On constate souvent un manque de communication de l'État sur ses nouvelles missions.
Face au désengagement de l'État, les élus locaux se sentent également démunis pour assumer leurs missions d'instruction des permis de construire et de gestion du droit des sols. Le problème est simple : nous avons, dans notre pays, transféré la gestion du droit des sols aux communes qui en ont la responsabilité, mais sans décentraliser les moyens. C'est une carence de la décentralisation - ou tout au moins un inachèvement - car il est aujourd'hui demandé aux élus locaux d'assurer l'opérationnel en matière d'urbanisme. Or, ceci nécessite de disposer des bonnes informations et des moyens humains et financiers.
J'identifierai trois enjeux majeurs pour les territoires placés au coeur de la constitution d'une nouvelle architecture de l'ingénierie : rationaliser et explorer les gisements d'ingénierie existants en trouvant la bonne échelle de mutualisation ; coordonner et développer des complémentarités entre structures afin d'éviter les doublons ; exprimer une solidarité entre territoires, notamment entre les territoires urbains et ruraux. Pour répondre à ces défis, il convient d'imaginer des solutions diversifiées, à l'image de la diversité des territoires concernés, et ce, grâce à des « bouquets d'ingénierie ».
L'architecture que je préconiserai repose ainsi sur :
- l'ingénierie privée, bien sûr, nécessaire pour la conception et la réalisation des projets. Elle ne peut toutefois répondre aux besoins actuels d'ingénierie dans tous les territoires, ce qui nécessite qu'elle soit complétée par une ingénierie publique de qualité ; c'est le sens de ma recommandation 1 : « Assurer la complémentarité des prestataires privés et publics en matière d'ingénierie territoriale, tant pour le conseil en amont et l'aide à la décision, que pour la conception et la réalisation des projets dans le domaine de l'aménagement et de l'urbanisme » ;
- l'échelle nationale pour la définition des grandes stratégies de l'État en matière d'urbanisme, d'environnement et de développement durable, en s'appuyant notamment sur le CERTU pour cette ingénierie stratégique. C'est ma recommandation 6 : « Renforcer le rôle du CERTU comme instance qui décline au niveau territorial les grandes stratégies de planification et d'aménagement de l'État, en assurant une mission d'établissement des référentiels et des guides méthodologiques auprès des collectivités territoriales » ;
- l'échelle régionale ou interrégionale, ensuite, pour la mise en oeuvre de ces grandes stratégies nationales grâce à la mise en réseau de l'ensemble des acteurs de l'ingénierie : ADEME, CETE, SETRA, DATAR, ANAH, au sein de grandes délégations régionales. C'est ma recommandation 7 : « Mettre en réseau, à l'échelle régionale ou interrégionale, l'ensemble des acteurs de l'ingénierie pour assurer une déclinaison territoriale des grandes stratégies de l'État en matière d'urbanisme et d'environnement ».
- par ailleurs, l'intercommunalité doit devenir centrale dans la planification, l'aménagement opérationnel et l'administration du droit des sols, dans une logique de mutualisation pour le compte des communes. En clair, l'intercommunalité doit constituer le premier échelon de base de l'ingénierie. C'est le sens de deux de mes recommandations : la n° 2 préconisant de « faire de l'intercommunalité l'échelle privilégiée pour l'aménagement opérationnel et l'administration du droit des sols, notamment par la mise en place de services d'instruction mutualisés des autorisations d'urbanisme pour le compte des communes » ; la n° 3 proposant d'« encourager l'élaboration du PLU à une échelle intercommunale pour bâtir un projet territorialisé dans une vision d'aménagement du territoire en cohérence avec les bassins de vie, les enjeux économiques, de transports, de service, d'environnement et de développement durable, en développant l'ingénierie de planification ».
- les départements, enfin, qui peuvent apporter un appui dans les zones les plus rurales, là où les intercommunalités sont de trop petite taille. Mais cet appui a vocation à s'inscrire dans une coopération avec les intercommunalités. Les outils d'ingénierie publique mutualisés comme les agences d'urbanisme, les établissements publics fonciers lorsqu'ils existent, les sociétés publiques locales et les CAUE peuvent ainsi être mobilisés. Mais il ne doit pas être envisagé une quelconque tutelle de la part des départements en la matière. D'où, d'abord, ma recommandation 4 : « Constituer un pôle d'ingénierie départemental, communautaire ou intercommunautaire mutualisé et en réseau avec l'expertise des conseils en architecture, urbanisme et environnement, des agences d'urbanisme et, lorsqu'elles existent, des agences techniques départementales » ; d'où, également, ma recommandation 5 : « S'assurer que l'intervention des départements en matière d'ingénierie ne conduise pas à une tutelle sur les collectivités territoriales concernées, en maintenant le principe du recours au département comme complémentaire et facultatif ».
En clair, les ingénieries doivent aujourd'hui être complémentaires dans la définition d'une stratégie de territoire. L'urbanisme dépasse de très loin la simple gestion du droit des sols. C'est un véritable projet territorial qui décline de grandes stratégies nationales. L'organisation de l'ingénierie territoriale ne passe donc pas par une « solution-type » mais par une combinaison de solutions, pour parvenir à la création d'une chaîne de l'ingénierie depuis le niveau national jusqu'à la mise en oeuvre sur le terrain. Cette nouvelle organisation nécessite d'envisager une ingénierie territoriale avec une répartition des rôles entre les régions, les départements, les intercommunalités et les communes, selon les cas et les situations. Pour cela, il convient d'encourager les collectivités territoriales à renforcer et mettre en commun leurs capacités d'ingénierie, c'est-à-dire de les encourager à travailler ensemble en mettant en oeuvre une « intelligence collective » au service d'un projet.
Je terminerai cette intervention en évoquant, bien évidemment, un volet financier, car il convient d'envisager des pistes possibles de financement de cette ingénierie territoriale. Il s'agit des trois dernières recommandations de ce rapport, qui proposent de :
- « capter une part du produit de la taxe d'aménagement dans un fonds national d'aide à l'ingénierie dédié à l'urbanisme ». Cela permettra la péréquation entre collectivités, à laquelle nous sommes tous très attachés (recommandation 10) ;
- « mettre en adéquation la ressource des CAUE issue de la taxe d'aménagement avec les besoins des territoires en augmentant le potentiel de ressource dans les limites du plafond légal » (recommandation 11) ;
- « mobiliser les fonds structurels européens et flécher une partie du produit des enchères du système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre » (recommandation 12).
Je souhaite maintenant que, dans nos territoires, les élus se saisissent de nos propositions afin de tracer les contours d'une nouvelle architecture territoriale de l'ingénierie en matière d'urbanisme.