M. Jean-Claude Carle. Monsieur le garde des sceaux, l'actualité montre combien nos compatriotes sont préoccupés par le fonctionnement de la justice. Ils s'interrogent sur certaines décisions...
M. Robert Hue. Et certaines déclarations !
M. Jean-Claude Carle. ...qu'ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas que l'on puisse remettre en liberté un multirécidiviste qui, dès sa sortie, assassine sauvagement une jeune femme.
Ils ne comprennent pas davantage que, pour des raisons de non-respect de procédures, on libère de dangereux malfaiteurs, ruinant l'effort de quatre années d'enquête et décourageant les services de police.
Ils ne comprennent pas que certaines décisions semblent accorder plus d'attention à l'assassin qu'à la victime, ou plus d'importance au voleur qu'au gendarme.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
M. René-Pierre Signé. Démago !
M. Jean-Claude Carle. Ils ne le comprennent pas et l'acceptent d'autant moins que, dans le même temps, ils sont souvent eux-mêmes l'objet de contrôles, tracasseries, contraventions de tous ordres pour des fautes souvent bénignes, mais pour lesquelles la loi ou la réglementation sont appliquées avec une particulière rigueur.
M. René-Pierre Signé. La question !
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, si la séparation des missions entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire est inscrite dans la Constitution, il revient au pouvoir issu des urnes de définir sa politique en la matière. Aussi, monsieur le ministre, ma question est double.
Le Président de la République a souhaité que le cadre législatif soit adapté afin de mieux répondre à des situations qui se multiplient et dont les conséquences sont souvent dramatiques. Monsieur le garde des sceaux, comptez-vous proposer au Parlement une adaptation de la législation en vigueur ?
Les décisions des magistrats s'appuient sur les lois que nous votons.
M. René-Pierre Signé. La question !
M. Jean-Claude Carle. Cela étant, comme tout individu, ils peuvent commettre des erreurs, voire des fautes professionnelles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas le cas !
M. Jean-Claude Carle. Si tel est le cas, ils ne sont pas, ou rarement, sanctionnés, contrairement à d'autres corps de notre société.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Un trésorier-payeur général est responsable, sur ses deniers personnels, de son éventuelle mauvaise gestion. Un chirurgien est responsable de ses actes, à tel point que nombre de praticiens ne trouvent plus de compagnie d'assurances pour les couvrir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Arrêtez cette démagogie !
M. Alain Gournac. C'est vrai ce qu'il dit !
M. Jean-Claude Carle. Un garagiste peut être traduit devant une juridiction pour défaut d'entretien d'un véhicule. Un maire peut être mis en examen pour atteinte à la sécurité des personnes et des biens.
M. David Assouline. Et le Président de la République ?
M. Jean-Claude Carle. Un magistrat, quant à lui, ne répond pas personnellement des erreurs ou des fautes qu'il commet, alors que les conséquences sont au moins égales, voire supérieures à celles que je viens d'évoquer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lisez Canivet !
M. Serge Lagauche. Et l'immunité de Chirac ?
M. Jean-Claude Carle. Certes, l'une des missions du Conseil supérieur de la magistrature est d'y veiller. Mais, monsieur le ministre, si vous me permettez cette expression, il est difficile d'être juge et partie. Je ne comprends d'ailleurs pas très bien la réaction du syndicat de la magistrature.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ne comprenez rien du tout !
M. Jean-Claude Carle. Ceux qui disent le droit se voudraient-ils infaillibles ?
Monsieur le ministre, dans ce domaine, plus que dans tout autre, nous ne devons pas décider sous la pression de l'événement : pensez-vous faire évoluer la situation,...
M. le président. Monsieur Carle, veuillez poser votre question !
M. René-Pierre Signé. La question !
M. Jean-Claude Carle. ...et notamment remettre la victime au centre de notre système judiciaire ?
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, en écoutant votre question, je sens votre émotion, mais aussi celle qu'éprouvent de nombreux Français à la suite des événements qui ont eu lieu ces jours derniers.
Je les comprends d'autant plus que la justice est rendue au nom du peuple français et que les Français veulent que leur justice soit rapide, efficace et compréhensible.
M. David Assouline. Et juste !
M. Pascal Clément, garde des sceaux Au demeurant, tous les jours, les magistrats rendent des décisions, parfois très lourdes, dans des conditions difficiles. Or derrière ces décisions, il y a des hommes et des femmes.
Dire que les magistrats ne sont pas responsables est inexact puisqu'il existe déjà les voies de recours traditionnelles comme l'appel pour contester une décision. Et la responsabilité pénale des magistrats peut être engagée. Ceux-ci sont égaux aux simples citoyens face à la loi pénale.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Enfin, il faut prendre en compte l'aspect disciplinaire, et le Conseil supérieur de la magistrature n'hésite pas à sanctionner les insuffisances professionnelles.
M. Paul Raoult. Très bien !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pour autant, le point délicat est la responsabilité du magistrat dans le cadre de sa fonction juridictionnelle. Si le problème était simple, il serait déjà réglé depuis longtemps.
Mme Jacqueline Gourault. Eh oui !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. En fait, il faut rester sur une ligne de crête extrêmement difficile à tenir, car, comme tout homme, le magistrat est responsable, mais, plus que tout homme, il doit être indépendant dans ces décisions.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. En outre, en cas de collégialité, le secret des délibérés doit être respecté.
M. Michel Mercier. Absolument !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Enfin, il doit pouvoir rendre la justice sereinement.
Telles sont les difficultés à prendre en compte.
Comment voulez-vous que le juge correctionnel soit serein s'il craint d'être attaqué personnellement en toute hypothèse, qu'il prenne une décision de relaxe ou qu'il décide de condamner ? Le jour où les magistrats auront peur de rendre une décision, nous n'aurons plus une justice impartiale.
Pour autant, cela ne nous exonère pas de la réflexion. M. le Premier ministre m'a demandé de lancer cette réflexion. Je vais le faire avec les magistrats, le Conseil supérieur de la magistrature,...
Mme Catherine Tasca. Sans Sarkozy !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. ...mais aussi, bien sûr, avec le Parlement. Ainsi, nous pourrons tous avancer, dans le respect de la République, sur la voie de la responsabilité.
Enfin, monsieur le sénateur, vous m'avez interrogé sur la récidive. Cette question a été examinée à l'Assemblée nationale. Sachez que, le 6 juillet, la commission des lois de l'Assemblée nationale examinera la proposition de loi dont votre assemblée a déjà débattu il y a quelques semaines. De nouveaux amendements auront pour objet de durcir la récidive, qui est une insulte aux victimes, et de lancer un avertissement fort à tout récidiviste virtuel.
Sur ce point, je ne vous surprendrai pas en vous disant que la tradition républicaine sera respectée en tout domaine. J'y veillerai.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
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