M. Jean-Jacques Hyest. Le 3 février dernier, à la suite d'une altercation survenue la veille à la sortie de son collège, une adolescente était interpellée par la police à son domicile. Selon ses dires, elle aurait été arrêtée en tenue de nuit et menottée pendant son transfert au commissariat, pour un banal différend entre collégiens.
Madame le ministre d'État, je ne saurais juger de l'entière certitude des faits ici relatés ; il n'en reste pas moins que les incidents en matière de garde à vue sont bien réels et de plus en plus nombreux. De tels faits, repris presque quotidiennement par les médias, concourent malheureusement à la banalisation de la garde à vue. À cet égard, les statistiques parlent d'elles-mêmes : 300 000 personnes ont été placées en garde à vue en 1994, 800 000 en 2009.
Au vu de ces chiffres, le Premier ministre a déclaré, le 21 novembre 2009, que la garde à vue est un « acte grave » qui ne doit pas être envisagé comme un « élément de routine » par les enquêteurs.
Un groupe de travail a d'ailleurs été constitué au Sénat autour de MM. Michel et Lecerf sur le sujet, pour bien montrer que celui-ci préoccupe l'ensemble de la Haute Assemblée.
En outre, plusieurs propositions de loi ont été déposées et renvoyées à la commission, car nous avons estimé qu'elles devaient être examinées dans le cadre d'une réforme d'ensemble. Néanmoins, nous ne pouvons attendre indéfiniment.
Madame le ministre d'État, vous avez indiqué que la réforme de la procédure pénale devait constituer un ensemble cohérent. Je comprends cet argument, toutefois la garde à vue me paraît poser un problème spécifique, quelle que soit l'évolution de la réforme de la procédure pénale. J'observe d'ailleurs que le nombre de gardes à vue a récemment diminué : il a suffi pour cela d'annoncer une réforme ; c'est comme pour la détention provisoire !
(Sourires.)
Dans ces conditions, pouvez-vous nous garantir, madame le ministre d'État, que les dispositions relatives à la garde à vue pourront faire l'objet d'un examen prioritaire, dans des délais rapides, hors du cadre du projet d'ensemble que vous souhaitez déposer ? Il y va de la dignité des personnes…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et de la crédibilité du Parlement !
M. Jean-Jacques Hyest. … et de la défense des libertés publiques.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur Hyest, vous avez raison de souligner que le recours à la garde à vue est aujourd'hui trop fréquent et que son régime doit être modernisé.
À ce propos, si je me réjouis de l'impatience manifestée par Mme Boumediene-Thiery, je me souviens néanmoins qu'elle me reprochait naguère de ne pas laisser suffisamment de temps à la concertation, laquelle devrait à ses yeux durer au moins six mois !
(Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nombreux sont les partenaires qui ont quitté la concertation !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. En tout état de cause, quand j'ai arrêté un calendrier, j'avance !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est votre calendrier !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. À cet égard, je ferai remarquer que nous avons quinze jours de retard par rapport au calendrier annoncé en octobre dernier : sur une année et pour une réforme visant à refonder la procédure pénale, c'est peu, on en conviendra !
Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous mettons la dernière main au texte. Dès qu'il sera revenu du Conseil d'État, nous le déposerons sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Je vous ai proposé, monsieur Hyest, ainsi qu'à votre homologue le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, de segmenter ce projet de loi, qui comptera environ 1 300 articles : même si, pour une bonne partie des dispositions prévues, nous œuvrons à droit constant, en nous bornant à un simple travail de réécriture, il sera évidemment difficile de procéder à la discussion de l'ensemble du texte en une seule fois.
Dans le cadre de ce découpage, néanmoins, la garde à vue se rattache à l'enquête et ne saurait être complètement disjointe du dispositif d'ensemble, qui comporte précisément des garanties supplémentaires. La réforme prévoit ainsi d'accorder une plus grande place au contradictoire et de donner à l'avocat des possibilités beaucoup plus larges d'intervention, notamment au moment de la garde à vue. Pour autant, cela a-t-il un sens d'introduire le contradictoire dans la garde à vue si, par la suite, il n'existe plus pendant toute la procédure, jusqu'à la comparution devant le tribunal ? C'est une vraie question.
Bien entendu, un certain nombre de mesures peuvent être étudiées séparément. Je pense en particulier à celles qui visent à permettre d'entendre des personnes sans qu'elles soient placées en garde à vue dans des cas relativement simples et clairs. Cependant, d'autres s'insèrent dans un bloc de deux cents ou trois cents articles, qu'il convient de respecter afin de conserver une certaine cohérence et de garantir l'efficacité de la réforme. La tâche n'est pas facile, mais nous procéderons ensemble à ce découpage dès cet été. Cela nous permettra sans doute d'examiner un texte dans les mois suivants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous remercie de ces précisions, madame le ministre d'État. Il faut sans doute, effectivement, commencer par examiner un pan de cette réforme d'ensemble. Trois mois ne suffiront pas, car le chantier est d'une ampleur considérable, mais d'ores et déjà les parquets peuvent rappeler aux forces de l'ordre que la garde à vue ne saurait être banalisée. Si les parquets exerçaient activement leur autorité dans ce domaine, je suis persuadé que le nombre de gardes à vue diminuerait ! De ce point de vue, des progrès restent à accomplir en attendant la grande réforme que nous espérons tous.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
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