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Jean-Claude Carle
Question orale sans débat N° 1100 au Ministère des solidarités


Droit de recours des tiers en matière d'urbanisme

Question soumise le 25 novembre 2010

M. Jean-Claude Carle appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la législation relative au droit de recours des tiers en matière d'urbanisme.

Depuis plusieurs années, on assiste à une multiplication des recours à l'encontre de projets d'urbanisme, dont une certaine proportion paraît abusive. Ce droit de recours est de plus en plus utilisé par des individus ou groupes désireux de ralentir, voire bloquer, des projets, et ce pour les raisons les plus diverses. Notre législation se trouve donc détournée de sa finalité première.

Cette hausse considérable des procédures a provoqué un engorgement des juridictions. De fait, aujourd'hui, les procédures peuvent s'étendre sur une période d'environ dix ans. Pendant ce temps, les projets d'urbanisme sont à l'arrêt.

Il n'est évidemment aucunement question de remettre en cause le droit de recours des tiers en matière d'urbanisme. Toutefois, l'abus ou le dévoiement de celui-ci devrait être réprimé, et ce à la hauteur des préjudices subis par l'autre partie. Or, en France, toute personne morale ou physique initiatrice d'un recours est à l'abri d'une sanction judiciaire, ce qui laisse libre la voie à des procédures abusives.

Certains États d'Europe, pour prévenir les contentieux injustifiés, ont mis en œuvre plusieurs dispositions : le dépôt par l'auteur d'une procédure d'une caution financière préalable ; un examen rapide et rigoureux de la recevabilité du recours ; l'obligation d'un rendu de jugement dans des délais très courts ; des condamnations significatives pour les auteurs de recours reconnus abusifs.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il souhaiterait savoir si le Gouvernement est disposé, à faire évoluer notre législation.

Réponse émise le 22 décembre 2010

M. Jean-Claude Carle. Je souhaitais appeler l'attention de M. le garde des sceaux sur la législation relative au droit de recours des tiers en matière d'urbanisme.

En effet, depuis plusieurs années, nous assistons à une multiplication impressionnante des recours à l'encontre de projets d'urbanisme. Si nombre de ces procédures semblent parfaitement justifiées, une certaine proportion d'entre elles paraît abusive. Notre législation se trouve donc détournée de sa finalité première.

Par ailleurs, cette hausse considérable des procédures n'a pas manqué de provoquer un engorgement des juridictions. Ainsi, le délai de jugement au tribunal administratif de Grenoble est aujourd'hui compris entre trois et quatre ans. En cas d'appel, puis de pourvoi en cassation, certains dossiers peuvent être pendants durant une période de dix ans, ce qui est très long. Et, dans l'intervalle, les projets d'urbanisme sont bien sûr à l'arrêt.

Il n'est en aucun cas question de remettre en cause le droit de recours des tiers en matière d'urbanisme. Il est vrai qu'une démocratie ne peut bien fonctionner sans la possibilité pour les citoyens de protéger leurs droits et leurs intérêts légitimes, c'est-à-dire sans droit de recours, mais l'abus ou le dévoiement de ce dernier doit être réprimé, et cela à la hauteur des préjudices subis par l'autre partie. Or il n'en est rien en France, où toute personne morale ou physique initiatrice d'un recours est à l'abri d'une sanction judiciaire, ce qui laisse la voie libre à des procédures abusives.

Il en va tout autrement chez nos voisins d'Europe du Nord, où il existe un droit de recours en matière d'urbanisme. Afin de prévenir les contentieux injustifiés, ces pays ont mis en œuvre plusieurs dispositions : le dépôt par l'auteur d'une procédure d'une caution financière préalable ; un examen rapide et rigoureux de la recevabilité du recours ; l'obligation d'un rendu de jugement dans des délais très courts ; des condamnations significatives pour les auteurs de recours reconnus comme abusifs.

En cette période d'incertitudes et de difficultés économiques, une plus grande efficacité de notre justice administrative permettrait de restaurer la confiance des porteurs de projets et garantirait la sauvegarde de nombreux emplois et entreprises.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, je souhaite savoir si le Gouvernement est disposé à faire évoluer notre législation.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le sénateur, le législateur a toujours été soucieux de garantir la sécurité juridique des décisions prises en matière d'urbanisme, en raison de l'impact de celles-ci sur le plan économique, social ou environnemental.

Des conditions de recevabilité des recours propres au contentieux de l'urbanisme ont été introduites dans le code de l'urbanisme à cet effet. C'est ainsi que l'article L. 600-1 de ce code limite la possibilité d'invoquer devant le juge administratif, par voie d'exception, les vices de forme ou de procédure pouvant toucher certains documents d'urbanisme passé un délai de six mois à compter de la prise d'effet de l'acte en cause.

De même, l'article R. 600-1 prévoit une obligation de notification de certains recours à la charge du tiers requérant, au titulaire d'une autorisation et à l'auteur d'une décision d'urbanisme, sous peine d'irrecevabilité de la requête.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, l'action en démolition de l'immeuble fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique ne peut être exercée par le tiers lésé que si le permis de construire a été annulé préalablement par le juge. Par conséquent, l'expiration du délai de recours pour excès de pouvoir, qui est en principe de deux mois, vient ici conditionner directement l'exercice de l'action en démolition, ce qui limite fortement les possibilités de recours.

Dans les hypothèses d'annulation du permis de construire par le juge administratif, il convient de souligner que le délai de prescription de l'action ouverte au tiers lésé a été réduit, par la loi no 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, de cinq à deux ans à compter de la décision définitive de la juridiction administrative ou de l'achèvement des travaux.

En outre, lorsqu'il se trouve en présence d'un recours qu'il estime abusif, le juge peut toujours faire application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative, qui prévoit dans ce cas une amende de 3 000 euros. Il convient de rappeler, au demeurant, que les recours dirigés contre les autorisations d'urbanisme n'étant pas suspensifs, les projets contestés ne s'en trouvent aucunement bloqués.

L'ensemble de ce dispositif permet en l'état d'atteindre l'objectif de sécurité juridique précédemment évoqué. Il ne paraît donc pas nécessaire de le compléter, et ce notamment afin de ne pas porter atteinte de manière excessive au principe du droit au recours juridictionnel, protégé par l'article XVI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Au demeurant, d'autres dispositions procédurales, non spécifiques au contentieux de l'urbanisme, permettent un traitement rapide de certaines affaires et une mise en œuvre immédiate des décisions d'urbanisme : ainsi, les requêtes manifestement irrecevables peuvent être rejetées par simple ordonnance en application de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, de même que les requêtes qui ne comportent que des moyens inopérants.

Enfin, comme vous le savez, monsieur le sénateur, les délais de jugement des juridictions administratives ont été considérablement réduits dans la pratique. Toute priorité accordée au traitement d'un contentieux particulier entraînerait mécaniquement l'apparition d'un délai supplémentaire dans le traitement des autres contentieux, dont certains ne sont pas moins importants pour nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de ces précisions, notamment en ce qui concerne la garantie de la sécurité juridique des maîtres d'ouvrage. Les textes ont évolué de manière positive, en ce qui concerne tant les amendes que les rejets ou les délais, même si ces derniers sont encore, à mes yeux, beaucoup trop longs.

J'aurais toutefois souhaité que l'on se montrât un peu plus offensif. Nous vivons dans une démocratie, dans un État de droit, ce qui nous impose de respecter le droit des tiers. Toutefois, si la démocratie n'a pas de prix, elle a un coût, notamment économique. Parfois, les délais trop longs, les recours abusifs sont propres à décourager les plus entreprenants, qu'ils appartiennent au secteur public ou au secteur privé.

Il faut aller plus loin. C'est l'une des préoccupations du Sénat, et Jacques Gautier et Michel Houel ont d'ailleurs déposé une proposition de loi, que je soutiens, visant à faire évoluer le cadre juridique et à éviter des abus qui, je le répète, ont un coût économique. Je ne peux donc qu'espérer qu'elle sera rapidement examinée par le Parlement.

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