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Jean-Jacques Hyest
Question crible thématique N° 174 au Ministère de la justice


L'accès à la justice et la justice de proximité

Question soumise le 6 décembre 2013

M. Jean-Jacques Hyest. Il faut saluer, vous l'avez déjà fait, madame la garde des sceaux, le rapport de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne sur l'accès à la justice et la justice de proximité. Ce rapport n'a pas pour seul mérite de rappeler toutes les réflexions menées dans ce domaine, il va plus loin et avance des propositions sur ce que pourrait être la réforme de la juridiction de première instance.

L'enjeu est aujourd'hui de retrouver un équilibre entre lisibilité et accessibilité – reconnaissons qu'il reste beaucoup d'efforts à faire –, entre accès à la justice et proximité. Nous savons par ailleurs que la capacité du législateur à dessiner les périmètres de chaque contentieux sera déterminante afin de mener à bien une réforme durable.

Il est de bon ton de critiquer la modernisation de la carte judiciaire, mais vous n'avez pas modifié cette carte, à une exception près.

M. Jean-Claude Lenoir. À Tulle !

M. Jean-Jacques Hyest. J'ai dit « à une exception près », car je ne veux citer personne.

Cette modernisation a donc eu le mérite d'engager concrètement un processus sur lequel des réflexions avaient cours depuis plus de vingt ou vingt-cinq ans. Notre carte judiciaire datait en effet de 1958 ! Je regrette d'ailleurs que l'on ne soit pas allé plus loin, notamment en ce qui concerne les cours d'appel. Mais fermons la parenthèse, sinon je vais fâcher quelques personnes…
(Sourires.)

Cela fait dix-huit mois que vous êtes à la Chancellerie. Aux travaux déjà accumulés, se sont ajoutés divers supports qui devraient nourrir votre réflexion : je pense au rapport que je viens d'évoquer, aux réflexions de la direction des services judiciaires, sans oublier le rapport Guinchard et le rapport Casorla ou encore les débats relatifs au report de la suppression des juridictions de proximité. Pour autant, vous restez floue sur les orientations que vous souhaitez donner à la prochaine réforme de la première instance. Peut-être attendez-vous la grand-messe de janvier ?

Allons-nous entériner la création d'un tribunal de première instance ? Ce dernier englobera-t-il l'ensemble des juridictions de proximité – tribunaux d'instance, tribunaux de commerce, conseils de prud'hommes –, en dépit de la réticence des juges parfois élus dans certaines de ces juridictions ?

Dans le cas où cette juridiction disposerait d'antennes déconcentrées – c'est une hypothèse envisageable –, comment allez-vous dépasser les risques d'inconstitutionnalité relatifs à l'égal accès de tous à la justice et au principe sacré d'inamovibilité des magistrats du siège ?

Cela fait peut-être beaucoup de questions en une seule, madame la garde des sceaux, mais je pense que vous pourrez y répondre.
(Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

Réponse émise le 6 décembre 2013

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Permettez-moi de prendre quelques secondes pour saluer le sénateur Vallini et le rassurer. Nous avons été informés de l'accident qui est survenu au tribunal de grande instance de Vienne, et la direction des services judiciaires se rend immédiatement sur place.

Monsieur Hyest, vous dites que nous critiquons la carte judiciaire ; je ne l'ai pas encore fait. Je vais toutefois abonder dans le sens du sénateur Mazars : la réforme de la carte judiciaire n'est contestée par personne, elle était nécessaire. C'est la méthode employée qui a été mise en cause, y compris d'ailleurs par les magistrats de cours d'appel qui avaient travaillé sur cette question et formulé des propositions.

Il est aussi incontestable que cette réforme a créé, dans certains territoires, de véritables déserts judiciaires, ce dont aucun d'entre nous ici ne peut s'accommoder puisque cela crée un éloignement de la justice pour nos concitoyens.

Certains se sont fait entendre sur vos travées à propos de la décision de réouverture d'un tribunal. (M. Jean-Jacques Hyest s'en défend.) Pas vous, monsieur Hyest, je vous reconnais cette élégance dont vous ne vous êtes jamais départi. Je vais toutefois répondre à ces interpellations : les conditions dans lesquelles j'ai fait procéder à la réévaluation de la situation de certaines villes sont absolument objectives. Je me suis appuyée sur les observations formulées par le rapporteur public devant le Conseil d'État. Pas une de plus, pas une de moins !

Le tribunal de grande instance de Tulle est l'un des trois que nous allons rétablir, avec ceux de Saint-Gaudens et Saumur. Il s'agit tout de même de la seule préfecture ayant perdu son tribunal de grande instance ! Je crois qu'il y a plus de questions à se poser sur les raisons pour lesquelles Tulle a perdu son tribunal que sur les raisons pour lesquelles Tulle va le retrouver !

M. Philippe Kaltenbach. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les éléments permettant de justifier la réouverture du tribunal de grande instance de Tulle sont donc parfaitement objectifs.

Nous cherchons à combattre les déserts judiciaires. À cet égard, l'excellent rapport de Mme Klès et de M. Détraigne émet un certain nombre de propositions. Les chantiers et réflexions que j'ai ouverts ne constituent pas une « grand-messe ».

M. Alain Gournac. La grand-messe, elle doit avoir lieu ici !

M. Jean-Jacques Hyest. C'est ici que se vote la loi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La justice mérite que nous rassemblions les intelligences et les énergies. Elle mérite que nous travaillions ensemble à améliorer les conditions dans lesquelles le justiciable peut avoir recours à la justice, ce que nous faisons. Vous êtes d'ailleurs invité à participer à cet événement en janvier, qui ne sera qu'une étape : à partir de ce travail, effectué en public, de mise en commun de réflexions sur la base des préconisations de ces quatre rapports, je vais ouvrir un cycle de concertations. Je me déplace déjà dans les juridictions.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avançons en suivant une autre méthode, celle de l'écriture commune.

M. le président. Monsieur Hyest, vous avez la parole pour la réplique, mais je vous invite à être bref.

M. Jean-Jacques Hyest. Madame la garde des sceaux, je vous ai bien entendue. Toutefois, je me méfie beaucoup des conférences, des consensus,...

M. Alain Gournac. Voilà !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez grand tort !

M. Jean-Jacques Hyest. C'est le Parlement qui fait la loi !

M. Alain Gournac. Oui !

M. Jean-Jacques Hyest. J'entendais ce matin au cours d'un colloque un professeur expliquer que le législateur n'a qu'à faire les lois, sans se préoccuper du reste. Or nous avons aussi la charge d'évaluer les politiques publiques. C'est notre rôle ! Et si nos rapports d'information sont si précieux - je crois, monsieur le président, que le Sénat s'est toujours illustré dans ce domaine -, c'est aussi en raison de notre expertise personnelle, non de celle des spécialistes.

Quand j'entends dire que c'est aux magistrats de nous expliquer comment réformer, je n'y crois pas un seul instant. Autant je respecte les magistrats dans leur activité juridictionnelle, autant je dois reconnaître qu'ils sont, comme d'autres, capables de faire preuve de corporatisme. Lorsque l'on demande aux professionnels de se réformer, vous savez très bien que ça ne se fait jamais.

M. Jean-Claude Lenoir. C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest. J'essaierai de participer à ce que vous organisez au mois de janvier, mais il n'en demeure pas moins que ce n'est pas le lieu où les décisions pourront être prises. Selon moi, il ne pourra s'agir que d'un éclairage.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

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