M. Jean-Claude Carle appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur le projet de réforme du décret statutaire de l'école nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM).
Au nom de la lutte contre le bizutage, son prédécesseur a manifesté l'intention de modifier ce décret afin de réduire l'influence des anciens élèves au sein du conseil d'administration.
Les pratiques de bizutage sont évidemment intolérables. Mais des rapports de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) ont révélé d'une part l'absence de faits condamnables au titre de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 à l'ENSAM, d'autre part les progrès en matière d'accueil des élèves par l'école, qui avait mis en œuvre toutes les recommandations de l'inspection.
En revanche, il lui fait part de l'étonnement et des inquiétudes que suscite ce projet, et des graves conséquences qu'il engendrerait.
Une telle modification aurait pour effet de diminuer considérablement à la fois la part des industriels et la part des régions, au profit des représentants parisiens, mais aussi d'éliminer tous les industriels présidents de conseils des centres régionaux du conseil d'administration de l'école. Ceci représenterait donc l'abandon de sa légitimité industrielle et régionale.
Les centres régionaux ne participant plus à aucune instance décisionnelle, ils seront donc amenés à se dissoudre dans des ensembles encore flous, voire disparaître.
La qualité de l'enseignement et de la recherche, le financement de l'ENSAM, sa contribution au développement industriel de notre pays pâtiront fortement de cette réforme.
L'engagement des 2 000 bénévoles, soit 200 équivalents temps plein, travaillant gracieusement dans de nombreuses activités de l'école, en vue de la valoriser, sera remis en cause. Leur absence se fera cruellement sentir.
La collecte de la taxe d'apprentissage auprès d'entreprises où exercent des anciens élèves (3 millions d'euros par an), l'offre de stages et les contrats de recherche et développement (13 millions d'euros) qui proviennent d'anciens élèves souffriront également de cette décision. De même que les plusieurs millions d'euros annuels d'investissements dans les laboratoires, les résidences, l'accompagnement des élèves, les bourses et les prix.
Le projet de reconstruction des logements de la cité universitaire internationale de Paris (30 millions d'euros), avec une contribution des anciens élèves d'environ 7 millions d'euros, se verra menacé.
Enfin, au-delà de ces conséquences financières, très impressionnantes, c'est toute la « valeur ajoutée », la « survaleur », apportée à l'ENSAM par les anciens élèves qui sera détruite par la modification du décret statutaire.
Ils ont puissamment contribué à la capacité de l'école à fournir à la France les milliers d'ingénieurs et de docteurs dont son industrie a besoin. Ces professionnels de haut niveau sont indispensables pour préserver et développer notre excellence industrielle, notre capacité d'innovation.
Ils jouent un rôle irremplaçable pour permettre à l'ENSAM d'être et demeurer au plus haut niveau, rôle dont il serait extrêmement préjudiciable de la priver.
Deux siècles d'histoire d'un engagement remarquable vont ainsi être balayés.
Il lui demande donc de lui indiquer les raisons qui motivent cette modification statutaire, mais aussi de bien vouloir suspendre ce projet et lancer une concertation approfondie avec l'ENSAM et les anciens élèves.
Le décret n° 2012-1223 du 2 novembre 2012 relatif à l'école nationale supérieure d'arts et métiers (ENSAM) a été modifié par le décret n° 2016-952 du 11 juillet 2016, publié auJournal officiel n° 0162 du 13 juillet 2016. La modification du décret statutaire de l'ENSAM est la conséquence d'un rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) remis en février 2016, qui faisait notamment le constat d'un fossé grandissant entre certains administrateurs et la direction de l'établissement, au point de caractériser une véritable crise de gouvernance. Cette situation a notamment été mise à jour à l'occasion des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des recommandations d'un premier rapport de l'IGAENR de février 2015 qui visait à répondre aux dérives et aux pratiques de bizutages relevées dans le cadre de la période dite de « transmission des valeurs ». Cette situation inacceptable est préjudiciable à la réputation de l'école, à l'assiduité des élèves, à la qualité des enseignements et à l'état d'esprit des personnels. Aucune tradition, aucun sentiment d'appartenance, ne sauraient justifier que des actes dégradants et humiliants soient infligés aux nouveaux étudiants sous la pression du groupe. Le bizutage est un délit, qui doit être strictement proscrit dans tous les établissements d'enseignement supérieur. Le changement d'attitude de la société des ingénieurs arts et métiers, dont le président déclarait lors du conseil d'administration (CA) du 28 janvier 2015 « que les anciens s'inscrivent dans la ligne des recommandations IGAENR » avant d'en contester par courrier du 15 mai 2015 la teneur, a contribué à accroître les tensions internes et à freiner la mise en œuvre des propositions d'améliorations pourtant raisonnables qui étaient formulées. L'IGAENR a ainsi pointé l'attitude de certains anciens élèves et de leurs représentants, qui oscille entre la « résistance au changement » et « l'aveuglement ». Dans ce contexte, le ministère a donc fait le choix de donner suite à la proposition de l'IGAENR consistant à rééquilibrer les pouvoirs au sein du CA afin que la direction générale ait les moyens de conduire sa politique. C'est pourquoi le décret du 11 juillet 2016 rapproche la composition du CA de l'ENSAM du modèle rencontré dans la plupart des autres grandes écoles d'ingénieurs. Ainsi, le décret précité fait passer de trente-trois à trente le nombre de membres, en diminuant le poids des présidents des centres d'enseignement et de recherche de l'école qui sont en pratique des anciens élèves et en l'ouvrant à d'autres catégories de personnalités extérieures non impliquées dans son fonctionnement opérationnel. Outre les dix-huit représentants élus des enseignants, des personnels, des élèves ingénieurs et des autres usagers, le CA comprend toujours le président de la société des ingénieurs arts et métiers et le président de la fondation arts et métiers, ainsi que dix personnalités extérieures, soit un doublement par rapport à la situation antérieure, dont un représentant d'un organisme de recherche, deux représentants d'un établissement d'enseignement supérieur (dont un étranger), un représentant d'une entreprise employant au moins cinq cents salariés et six personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence. En tout état de cause, la place de la société des ingénieurs arts et métiers au CA demeurera inchangée, la représentation au CA des acteurs industriels partenaires de l'ENSAM est confortée par le doublement du nombre de personnalités extérieures, choisies notamment en raison de leurs compétences dans le champs industriel, et la voix des territoires sera renforcée dans la gouvernance de l'école par la création d'un conseil territorial composé des présidents et des directeurs des centres d'enseignement et de recherche ainsi que des sept représentants des régions dans lesquelles sont implantés ces centres. Le principe du décret du 11 juillet 2016 a été présenté au CA de l'école le 25 février, il a fait l'objet d'une consultation de son comité technique le 15 mars, d'une consultation de la société des Ingénieurs Arts et Métiers par le cabinet de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche le 12 avril 2016 et d'un débat en CA le 13 avril. Le texte a par ailleurs recueilli une large approbation du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche le 18 avril 2016 (32 votes favorables, 18 abstentions, 0 vote défavorable). Cette réforme permet de doter l'ENSAM d'une gouvernance conforme aux standards d'une grande école d'ingénieurs, ouverte sur l'international, à l'écoute de ses partenaires industriels et scientifiques, et riche de la diversité de ses implantations territoriales. Elle est indispensable pour améliorer la qualité de la formation et la réussite des étudiants, pour sortir au plus vite d'une situation de blocage qui dure depuis trop longtemps, et pour rétablir un climat serein au sein de l'établissement. Dans ce contexte, il est à espérer que tous les anciens élèves continueront d'apporter leur contribution à la mise en œuvre d'évolutions qui ont pour seul objectif de servir les intérêts des étudiants et la réputation de l'école à laquelle ils demeurent particulièrement attachés.
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