M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je vais y aller franchement, directement : à quoi joue le Président de la République ? Que cherche-t-il en stigmatisant, il y a une semaine, de manière frontale, le droit d'asile dans notre pays ? Quel est ce préjugé qui voudrait que les classes populaires soient obligatoirement anti-migrants ? D'ailleurs, quelle est cette nouvelle division insidieuse que suggère le Président entre les catégories de Français, vision d'une nouvelle division, finalement, entre les Français ?
Je vous interroge sur tout cela parce que nous ne comprenons pas où le Président veut nous emmener, si ce n'est vers des raccourcis contre lesquels il a été élu, dans un front républicain, en mai 2017.
Nous ne comprenons pas non plus quel est le sens, en termes de santé publique, de la restriction voulue par l'exécutif sur l'aide médicale d'État, restriction d'accès qui cède à la plus grande démagogie, que j'ai malheureusement déjà entendue sur la droite de notre hémicycle.
(Murmures de protestation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, et de manière plus circonstancielle, cette nouvelle offensive du Président sur les flux migratoires signifie-t-elle que la loi du 10 septembre 2018, dite loi Asile et immigration, dont l'encre est à peine sèche, était mal faite, monsieur le Premier ministre, comme nous le dénoncions à l'époque ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Patrick Kanner. Nous vous demandons des explications, monsieur le Premier ministre, car il est de plus en plus inquiétant que le Président tienne un double discours, qui dénonce les populismes et extrémismes au niveau international, tout en embrayant sur des idées différentes sur le plan national. Parler le langage de son adversaire, c'est un jour prendre le risque de le faire gagner.
Alors oui, monsieur le Premier ministre, quel est ce jeu dans lequel vous voulez nous entraîner ?
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Kanner, la semaine dernière, avec quelques membres du Gouvernement et les parlementaires de la majorité, j'avais le plaisir d'écouter le Président de la République énoncer des éléments de politique publique auxquels il croit et faire état de ses convictions. Vous n'étiez pas présent, et c'est bien naturel, puisque vous ne soutenez pas l'action du Président de la République et que vous ne votez pas la confiance au Gouvernement. Il n'y a là strictement rien à redire !
Mais, monsieur le président Kanner, les propos prononcés par le Président de la République ne se réduisent pas à la présentation que vous en faites, peut-être parce que ce que l'on vous en a dit était incomplet. Il se trouve que j'étais présent, monsieur le président Kanner, et que j'ai entendu in extensole discours du Président de la République : un discours d'une grande précision, d'une grande fermeté et d'une grande ouverture.
Monsieur le président Kanner, j'ai indiqué, à l'occasion de ma déclaration de politique générale, que le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, aurait l'occasion de discuter, fin septembre, début octobre, de la politique migratoire au sens le plus large pour notre pays, depuis les politiques d'aide publique au développement ou de coopération vers les pays d'origine jusqu'aux conditions d'intégrations des étrangers qui, venus en France, ont vocation à rester sur notre territoire, sans texte ni mesure. Très souvent, en effet, lorsque nous évoquons ce sujet, nous le faisons à partir d'un texte ou d'un ensemble de mesures, ce qui est parfaitement légitime, mais toujours un peu réducteur.
L'objectif du Gouvernement, celui qui a été évoqué par le Président de la République, c'est que la représentation nationale puisse débattre, dans toutes ses dimensions, des questions que posent les migrations internationales, européennes, nationales, de l'amont à l'aval. C'est le premier point.
Deuxième point : parler de l'immigration n'est pas un gros mot et n'est pas un petit sujet. Nos concitoyens en parlent, vivent cette question, ont des avis à formuler. Ils sont parfois divers, souvent contradictoires ; ils sont parfois empreints d'angoisse ou de colère, d'espoir et d'ouverture. Cependant, monsieur le président, imaginer que ce débat n'est pas au centre des préoccupations me semble méconnaître assez largement la réalité de l'opinion publique.
Nous avons parfaitement le droit de ne pas être d'accord, vous et moi, mais j'ai le sentiment qu'évoquer de la façon la plus large possible ce sujet au sein de la représentation nationale n'est pas un contresens.
Troisième point, sans anticiper le débat que nous aurons longuement la semaine prochaine, puisque vous m'interrogez, je rappelle que le Président de la République a toujours affirmé pendant sa campagne et systématiquement depuis, y compris ce jour-là, son attachement au droit d'asile : ce n'est pas un droit sacré, car parler ainsi au Sénat aurait quelque chose de provocateur, c'est un droit consubstantiel à ce que nous sommes, non pas seulement à la République, mais à la France. Il sera préservé : le Président de la République l'a dit, je le dis et je crois que personne ici n'est contre cette idée.
Cependant, regardons la réalité en face, monsieur le président Kanner : les demandes d'asile diminuent nettement en Europe, alors qu'elles augmentent très nettement en France, et seulement en France. Un très grand nombre de ces demandes émane de pays que nous pourrions qualifier de sûrs. Cela ne signifie pas qu'il faudrait toutes les refuser, mais il est évidemment problématique qu'une demande massive provienne de pays considérés comme sûrs.
Nous devons regarder ces problèmes en face, monsieur le président, et ne pas nous abriter derrière des postures. Discutons-en avec un esprit ouvert et précis. C'est en ce sens que le Gouvernement aborde la discussion, pour voir dans tous les domaines ce que nous pouvons faire, conformément aux principes qui nous guident, pour obtenir des résultats à la hauteur des enjeux.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, il n'y a pas d'angélisme de notre part, rassurez-vous, mais pas d'amalgame non plus. Nous serons toujours du côté de ceux qui pensent que la solidarité internationale est non pas une charge mais un devoir pour un pays comme la France, que la fraternité n'est pas un principe de notre devise républicaine qu'il faut passer par pertes et profits.
Monsieur le Premier ministre, vous m'avez répondu essentiellement sur la méthode. Nous serons là pour vous dire ce que nous pensons, le 2 octobre prochain, au nom du groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
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