M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
(Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Que reste-t-il de l'État quand il n'est plus capable d'assurer correctement le cœur même de ses missions, à savoir l'organisation des élections ? Le ministère de l'intérieur est-il bien tenu ? Telles sont les questions que beaucoup se posent depuis le scrutin de dimanche dernier.
Ma question s'adresse à M. Darmanin.
Lors de votre audition de ce matin, monsieur le ministre, vous nous avez expliqué qu'il était compliqué pour notre pays d'organiser deux élections le même jour. J'ai compris que vous faisiez référence à votre propre expérience, puisqu'en sus de vos fonctions de ministre vous étiez candidat deux fois aux élections de dimanche dernier…
(Rires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
Pendant ce temps, des élus de tous bords et de tous les territoires ont constaté que des plis non distribués avaient été jetés dans les fossés ou brûlés dans les bois. Le corps préfectoral lui-même nous a parfois fait part de sa honte au regard de l'image que l'État renvoie de lui-même.
Vous répondiez dimanche en citant les chiffres communiqués par Adrexo, selon lesquels 21 000 plis n'auraient pas été distribués. Dans ma seule région de Bourgogne-Franche-Comté, j'aurais pu vous annoncer dès dimanche qu'on dépassait ces chiffres !
Si l'on en croit le ministère de l'intérieur, la responsabilité de ces dysfonctionnements, notamment ceux qui sont imputables à la société Adrexo, revient, a, à Lionel Jospin, b, à La Poste et, c, au Parlement, qui a autorisé la tenue de ce scrutin par vote ; comme dans tous les bons questionnaires, plusieurs réponses sont possibles.
Puisque c'est la faute de tout le monde, sauf la vôtre, monsieur le ministre, il reviendra à la commission d'enquête du Sénat de définir l'ampleur des dysfonctionnements observés dimanche.
Dans cette attente, je vous poserai une question très politique : à partir de quel taux de non-distribution de la propagande électorale estimez-vous que votre propre responsabilité est engagée ?
(Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez participé ce matin à la réunion de la commission des lois. Vous avez donc connaissance des échanges que nous avons eus.
Il est un fait établi que la privatisation de la distribution du courrier, notamment de la propagande électorale, a été négociée, entre 1997 et 2002, par un gouvernement que vous souteniez.
Il est un fait établi que, depuis 2005, un marché public s'impose au ministère de l'intérieur pour la distribution de la propagande électorale.
Il est un fait établi qu'il y a toujours eu des dysfonctionnements. Ces derniers n'ont certes jamais été de la hauteur de ceux que nous avons connus – c'est une évidence –, mais, à titre d'exemple, je rappellerai que, lors des dernières élections municipales, la propagande électorale n'a pas été distribuée du tout dans des communes entières, comme celle d'Annecy.
Il est un fait établi que seules deux sociétés sont aujourd'hui qualifiées par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), autorité administrative indépendante, pour répondre au marché public que le ministère de l'intérieur doit conclure en vertu de la loi et des directives européennes.
Or par définition, les deux lots, qui représentent un marché de plus de 200 millions d'euros, doivent être attribués à deux sociétés différentes. Dès lors qu'il n'est plus possible de confier la distribution de la propagande électorale à une régie, nous sommes légalement tenus de mettre en concurrence les sociétés qualifiées par l'Arcep. Celles-ci n'étant qu'au nombre de deux, elles ont logiquement toutes deux remporté le marché.
La responsabilité de la société Adrexo dans la non-distribution des plis, dont les images ont été relayées par les réseaux sociaux, et dans une moindre mesure, celle de La Poste, est évidente. Cela nous conduira sans doute à ne pas payer une partie du marché, voire à le révoquer.
J'attendrai toutefois l'élection de dimanche prochain, car je ne suis pas de ceux qui souhaitent démotiver les personnes qui, aujourd'hui, distribuent ces propagandes électorales et s'efforcent de redresser la barre, alors que celle-ci est effectivement bien mal en point.
J'ajoute enfin, monsieur le sénateur, que le taux de participation constaté dans les bureaux de vote pour lesquels la distribution de la propagande a été attribuée à La Poste ne diffère que d'un point de celui constaté dans les bureaux de vote pour lesquelles cette distribution a été attribuée à Adrexo. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) J'aurai tout loisir de le démontrer devant la commission d'enquête.
(M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout va bien, alors !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.
M. Jérôme Durain. Monsieur le ministre, votre responsabilité ne s'arrête pas à la question de la propagande officielle. Les sénateurs socialistes vous avaient alerté sur l'ampleur de l'abstention à venir.
Nous avions proposé, dans cinq textes et au travers de trente amendements, des solutions alternatives, parmi lesquelles l'étalement du vote sur plusieurs jours ou le vote par correspondance.
L'approche de ces élections a été un fiasco, et ce taux d'abstention est un record dans l'histoire de la République. Votre responsabilité est évidemment engagée sur l'ensemble de ces points ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
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