Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission examine le rapport pour avis de M. Pierre Laurent sur les crédits du programme « presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2014.
Dans un contexte de crise qui s'accélère -fuite du lectorat, anémie des recettes publicitaires, système de distribution à bout de souffle, transition numérique coûteuse et sans horizon de rentabilité, rédactions fragilisées- nul ne sait quel sera l'avenir de la presse écrite.
À titre d'illustration, la diffusion des quelques 4 500 titres de la presse française, qui s'était stabilisée autour de sept milliards d'exemplaires depuis près de vingt ans, même si cette relative bonne santé masquait des inégalités de situation d'un secteur à l'autre, accuse une forte érosion, depuis 2008, pour s'établir à moins de cinq milliards d'exemplaires diffusés. Aucun secteur n'est épargné par cette dégradation. La presse quotidienne nationale, la plus touchée, a ainsi enregistré une diminution de 40 % des volumes diffusés depuis 1985. Les premiers mois de l'année 2013 apparaissent catastrophiques, avec des ventes en très forte régression.
Entre les mois de janvier et septembre, le secteur connaît des crises à répétition : difficultés économiques récurrentes de Presstalis, faillites de titres, fermetures de kiosques.
Pourtant, la presse constitue un enjeu tant économique que démocratique. C'est à cette aune qu'il faut apprécier les aides importantes, mais indispensables, dont elle bénéficiait en examinant leur évolution comme leur ciblage. Outre des dispositifs fiscaux avantageux mais non ciblés, notamment un taux « super réduit » de TVA à 2,1 % (en comparaison, je rappellerai que ce taux est nul en Grande-Bretagne), les aides directes figurent, pour 135,1 millions d'euros en 2014, au programme 180. Ces aides sont de nature diverse et poursuivent des objectifs variés :
- le soutien à la diffusion concentre les trois quarts des crédits consacrés aux aides directes avec l'aide au portage (36 millions d'euros), l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse (21,2 millions d'euros) et la contribution à la restructuration de Presstalis (18,9 millions d'euros) ;
- l'incitation à la modernisation : 12,6 millions d'euros pour les mesures d'accompagnement des salariés concernés par la restructuration des imprimeries, qui se terminent progressivement, 4 millions d'euros, très insuffisants, au bénéfice de l'équipement des commerces de presse et 30,9 millions d'euros pour le fonds stratégique pour le développement de la presse destiné à financer des projets innovants ;
- enfin la préservation du pluralisme, domaine qui a justifié initialement la création d'aides à la presse mais qui ne représente plus que 3 % des crédits, soit 11,5 millions d'euros, pour cinq quotidiens aidés en raison de la faiblesse de leurs ressources publicitaires. Le pluralisme est aujourd'hui le parent pauvre des politiques d'aide à la presse.
L'État s'est également investi dans le sauvetage de Presstalis, ce qui fut décisif pour préserver le système de distribution coopératif instauré par la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite « loi Bichet ».
À cet égard, je souhaite saluer le travail de régulation conjoint du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), qui, dès le printemps 2012, ont pris plusieurs décisions majeures afin d'éviter la faillite totale du système solidaire mis en place par la loi Bichet. Je citerai notamment l'instauration d'une péréquation entre Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) pour la contribution aux surcoûts spécifiques liés à la distribution de la presse quotidienne, mais également l'amélioration des conditions de travail et de rémunération du niveau 3. Les décisions à venir sur la mutualisation des moyens informatiques et de transport entre les deux messageries devraient, elles aussi, constituer des avancées fondamentales. Au-delà, la perspective d'une fusion des messageries est envisagée par de nombreux acteurs.
Toutefois, le dispositif français d'aides à la presse demeure aussi insuffisant qu'inadapté à la mutation profonde demandée au secteur. À ce titre, j'estime que le plan triennal issu des États généraux de la presse écrite de l'automne 2008 constitue un échec, malgré les moyens alloués.
On rappellera, à titre d'illustration, que le doublement des aides au portage à 70 millions d'euros a essentiellement profité à la presse quotidienne régionale, déjà massivement portée, et qui, dans ce cadre, a presque exclusivement bénéficié des aides au stock. D'aucuns ont d'ailleurs dénoncé un effet d'aubaine, formule que conteste la presse quotidienne régionale. En outre, le système actuel d'aide au portage ne favorise pas le portage multi-titres mutualisé.
Dans ce contexte, la remise à plat des aides à la presse, promesse de campagne du Président de la République, a suscité les espoirs de toute une profession. La réforme, annoncée par la ministre de la culture et de la communication le 10 juillet dernier, dont le présent projet de budget constitue la traduction, n'a toutefois pas répondu aux attentes : la déception est forte chez les professionnels que j'ai auditionnés.
La réforme, qui s'appuie sur les conclusions du groupe de travail confié à Roch-Olivier Maistre, président de l'ARDP, comprend quatre volets :
- le maintien du taux « super réduit » de TVA à l'ensemble des catégories de presse en contrepartie de la participation de tous au financement du système de distribution de la presse, le débat sur la possibilité de cibler cette aide ayant préalablement été tranché par la ministre même si l'on peut considérer que ce choix pose un problème de principe ;
- le ciblage des aides directes en faveur de la modernisation au sein d'un fonds stratégique au périmètre élargi ;
- le lancement d'une réflexion sur la complémentarité entre les différents modes de diffusion de la presse (postage, portage, vente au numéro), rien n'ayant été toutefois engagé à ce jour ;
- enfin, l'amélioration de la situation sociale des vendeurs-colporteurs et des photojournalistes.
J'estime pour ma part que les décisions prises ne sont pas à la hauteur des enjeux, et ce pour trois raisons essentielles :
- le fonds stratégique pour le développement de la presse, fer de lance de la réforme en matière d'innovation, voit ses crédits diminuer de plus de 8 %. Or, l'innovation est essentielle à la transition de la presse vers de nouveaux modèles économiques. En outre, le « fonds Google », à propos duquel les jugements oscillent entre « compromis acceptable » et « occasion manquée », ne règle en rien le problème structurel de modernisation ;
- aucun effort n'est fait en faveur du pluralisme, dans un contexte où certains titres sont au bord de la faillite ;
- enfin, sans étude d'impact ni concertation, le Gouvernement a annoncé la fin brutale du moratoire postal, destiné à freiner l'augmentation des tarifs postaux de la presse inscrite dans les accords Schwartz. Ce coup d'arrêt coûtera 60 millions d'euros aux éditeurs et suscite de très vives tensions entre la presse et La Poste, au point de rendre indispensable la nomination d'un médiateur, demandé par les parties depuis l'été mais non encore désigné, le flou demeurant également sur le périmètre de sa mission.
Parallèlement, l'aide au transport ferroviaire de la presse, qui sert majoritairement au Monde, (4,5 millions d'euros en 2013) est supprimée.
Certes, les différentes aides à la diffusion nécessitaient une clarification dans le cadre d'une ligne politique claire. Mais ces mesures auront des conséquences imprévisibles dès 2014. Plusieurs éditeurs auditionnés ont ainsi fait état de dépenses prévisibles insoutenables pour leur trésorerie.
Je souhaite donc qu'à l'issue de la médiation annoncée, l'État prenne ses responsabilités et assure une sortie du moratoire dans des conditions acceptables, tant pour les éditeurs que pour la Poste, dont les perspectives économiques ne sont guère brillantes non plus. Sans cela le budget annoncé pourrait être celui de la mort de plusieurs titres.
Pourtant, je ne crois pas à la fin de la presse écrite, dès lors que les moyens de sa modernisation lui sont donnés et qu'un modèle économique viable est favorisé pour ses applications numériques. J'appelle donc de mes voeux, avant qu'il ne soit trop tard, la mise en oeuvre, d'une politique ambitieuse de soutien à la presse, dans le respect des principes de solidarité entre les éditeurs et d'indépendance posés par la loi Bichet.
Cette réforme devra s'appuyer sur trois principes :
- la mutualisation des moyens de diffusion, quels qu'ils soient, par une coopération renforcée des messageries ;
- l'aide pérenne à la transition vers de nouveaux modèles économiques en assurant une rentabilité économique à la presse numérique, notamment par une application du taux « super réduit » de TVA, dans le souci constant de préserver la rémunération des créateurs de contenus ;
- enfin, le lien nécessaire entre solidarité des familles de presse et soutien au pluralisme, en ciblant les aides sur les aides à la presse d'information politique et générale. De fait, l'objectif de maintien d'une presse pluraliste d'information, particulièrement menacée par la crise, doit demeurer central, en vue de garantir l'accès de tous les citoyens au débat d'opinions. Il en va de notre démocratie.
À défaut d'une telle réforme, ambitieuse sans coût inconsidéré, les Français se contenteront à l'avenir d'informations moins qualitatives, brutes et sans analyse. Le papier deviendra un produit de loisirs réservé, compte tenu de son coût, à une classe culturellement aisée. Je souhaite, mes chers collègues, un avenir différent à la presse écrite de notre pays.
Pour ce qui concerne, dans un second temps de mon propos, l'Agence France-Presse (AFP), le présent projet de budget lui alloue 123 millions d'euros, soit une dotation équivalente à celle de l'an passé, mesure de périmètre mise à part.
À ce stade, les incertitudes qui pèsent sur le financement de l'agence depuis la procédure en cours pour aides d'État devant la Commission européenne, faisant suite à la plainte déposée en mars 2010 par une agence de presse allemande, ne sont pas levées, même si Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'AFP, s'est montré rassurant lors de son audition par notre commission.
Pour se conformer à la législation communautaire, il revient à l'État de distinguer, dans cette dotation, ce qui relève de la compensation des missions d'intérêt général de l'AFP, la France ayant obtenu leur reconnaissance par les autorités européennes, et ce qui concerne le paiement des abonnements souscrits par les administrations. Cette distinction n'est pourtant pas faite dans le présent budget. Elle constituera un enjeu du prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence.
La clarification des modalités de financement de l'Agence doit également s'accompagner, à mon sens, d'une réflexion sur la pérennisation de ses moyens d'investissement. De fait, la situation économique actuelle de l'AFP, découlant de la crise de la presse française qui représente la moitié de son chiffre d'affaires, est particulièrement préoccupante à l'heure où la modernisation des outils et le maintien d'effectifs de qualité sont essentiels eu égard à la concurrence. Un désengagement de l'État serait, sur ce point, dramatique pour l'avenir de l'AFP.
Enfin, je serai particulièrement attentif aux conclusions de la négociation, qui s'est ouverte le 7 novembre entre les syndicats et la direction, concernant la création d'un contrat d'entreprise.
L'AFP représente un actif stratégique pour la France qu'il convient de préserver grâce à un soutien public adapté.
Mon exposé ne laissant guère de doute sur la conclusion de mon propos, vous l'aurez compris, mes chers collègues, je ne puis vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse » au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
Au regard des débats que nous avons eus les années précédentes et des conclusions du rapport de notre collègue député Michel Françaix sur les aides à la presse (rationalisation des aides à la distribution, ciblage en faveur de la presse d'information politique et générale, conditionnement des aides au respect de la déontologie, alignement des taux de TVA pour la presse en ligne, etc.), le groupe écologiste est déçu par la réforme présentée par la ministre de la culture et de la communication au mois de juillet dernier. Les critiques relatives à la redondance des aides et leur absence de ciblage n'ont pas été entendues. Pourtant, la situation économique de la presse d'information politique et générale est source de grandes inquiétudes. Dans ce cadre, le maintien du taux « super réduit » de TVA pour l'ensemble de la presse, qui bénéficie en volume majoritairement aux magazines, constitue une aberration.
À peine un tiers des journalistes encartés travaillent aujourd'hui pour la presse d'information et générale alors que ces rédactions fournissent l'essentiel du travail d'investigation. En vue de maintenir la qualité du travail journalistique dans le domaine de la presse en ligne, il convient d'inciter les « pure player » et les rédactions numériques des titres à engager de véritables journalistes.
À l'avenir, la fermeture de nouveaux titres serait dramatique. Dans ce cadre, la fin annoncée du moratoire postal alors que la substitution de la distribution par le portage n'est pas au point, notamment dans les zones rurales, est dangereuse.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste est extrêmement réticent à donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180.
Les problèmes soulevés par notre collègue Pierre Laurent sont essentiellement d'ordre structurel. C'est pourquoi, si la réforme annoncée au mois de juillet n'est pas exactement à la hauteur des attentes, le présent budget préserve malgré tout l'essentiel. Dans la situation actuelle, la remise à plat du système d'aide à la presse pourrait, en outre, se révéler défavorable du secteur. En effet, les aides de l'État à la presse posent le problème de l'indépendance des rédactions, dans la mesure où, abondant les trésoreries, elles permettent également de payer les salaires des journalistes. Pour ma part, j'ai toujours plaidé pour que les investissements de l'État dans la presse soient essentiellement de nature fiscale, c'est-à-dire indirects.
La crise actuelle prend sa source dans le choc technologique auquel est confrontée la presse. Afin de trouver un modèle économique rentable à la presse numérique, il convient de porter à nouveau, dans le cadre du débat sur le projet de loi de finances, l'application d'un taux identique de TVA pour la presse numérique et la presse papier. Les deux supports, dont la mixité constitue l'avenir de la presse, ne doivent en effet pas s'opposer économiquement.
S'agissant de la distribution, l'État a parfaitement joué son rôle en matière financière comme dans le domaine de la médiation. Il lui reste à trouver un moyen de mieux cibler les aides en faveur de la presse d'information politique et générale. Par exemple, un taux de la TVA plus élevé, bien que réduit, applicable aux magazines permettrait de disposer de quelques marges de manoeuvre en faveur des aides au pluralisme. En tout état de cause, la presse française est particulièrement favorisée en termes d'aides publiques par comparaison à la situation qui prévaut dans d'autres pays.
Pour ce qui concerne l'AFP, si je considère important de maintenir une agence de presse française au niveau mondial, ce ne peut être sous la forme d'une agence d'État. Il faut au contraire encourager l'AFP à développer ses ressources propres.
En conclusion, il convient de poursuivre la réforme des aides à la presse, notamment pour ce qui concerne le ciblage de la TVA même s'il n'est pas si simple de distinguer ce qui relève ou non de la presse d'information politique et générale. Pour autant, dans un contexte de contrainte budgétaire, je souhaite que notre commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse ».
Comme l'ont dit mes collègues, la crise de la presse est tant structurelle, en raison des mutations technologiques et économiques du secteur, que conjoncturelle.
En revanche, je ne considère pas, comme le fait notre collègue David Assouline, que le projet de budget pour 2014 préserve l'essentiel. De fait, la fin du moratoire fiscal, sans étude d'impact préalable, est particulièrement malvenue. Dans l'attente d'une solution de substitution pérenne pour la distribution de la presse, il convient au contraire de maintenir les dispositifs existants. Il est également indispensable de poursuivre les discussions, au sein des instances européennes, afin que soit autorisée l'application d'un taux de TVA unique pour la presse, quel qu'en soit le support.
Le groupe UDI-UC ne donnera donc pas un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180.
L'État ne doit pas laisser mourir la presse écrite, qui représente un instrument essentiel de notre démocratie. Il faut donc réfléchir ensemble à des solutions pérennes de financement.
Les détracteurs d'un ciblage des aides indirectes par une différenciation des taux de TVA applicables à la presse ont également des arguments solides. En effet, le taux unique constitue la contrepartie de la solidarité entre familles de presse. En outre, tous les secteurs sont désormais en crise. Malgré tout, je persiste à penser, comme Michel Françaix et Roch-Olivier Maistre, qu'un ciblage est nécessaire.
S'agissant de l'application d'un taux de TVA identique à la presse papier et à la presse numérique, je vous rappelle que la ministre de la culture et de la communication a pris l'engagement devant notre commission que cette réforme serait votée en 2014, quel que soit l'état d'avancement des négociations avec la Commission européenne. En réalité, de nombreux titres appliquent déjà, sans autorisation, le taux « super réduit » sur le chiffre d'affaires réalisé en ligne. Cette question devra être abordée, dès cette année, lors du débat budgétaire.
Pour ce qui concerne le moratoire postal, tous mes interlocuteurs, sans exception, m'ont indiqué que, sans atténuation, la mesure aurait des conséquences catastrophiques pouvant aller jusqu'à la fin de certains titres déjà en grande difficulté, à l'instar de Libération ou de L'Humanité. Là encore, le débat budgétaire devra a minima permettre de trouver une solution pour atténuer les conséquences de la fin du moratoire postal sur la presse d'information politique et générale. Il est également extrêmement urgent que le médiateur promis soit nommé, afin de proposer une issue au conflit entre les éditeurs et La Poste mais également d'envisager une solution pérenne pour la distribution de la presse par une amélioration de la cohérence entre portage, postage et vente au numéro. Ces difficultés structurelles n'ont, en effet, pas été réglées par les États généraux de la presse écrite de l'automne 2008, qui ont massivement renforcé les aides sans réformer le système. L'accord avec Google, comme la réforme de juillet 2013, ont également constitué des occasions manquées de réformer en profondeur les aides à la presse. Il convient désormais d'agir rapidement.
Enfin, pour ce qui concerne l'AFP, nul ne souhaite en faire une agence d'État, mais il est nécessaire de clarifier les relations financières qu'elle entretient avec lui comme de lui donner les capacités d'investir et de se moderniser.
Le vote de l'avis sur les crédits est réservé.