La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Nous abordons un nouveau cycle de nos travaux consacré au volet « compétitivité » de l'impact des allègements de cotisations. Considérée dans un premier temps comme un faux problème, la question de la compétitivité a pris une place croissante dans le débat public, le rapport Gallois de 2012 ayant suscité une forme de consensus, au moins sur les constats : dégradation de la part de marché de la France dans le commerce mondial, déficits records de la balance commerciale, y compris hors énergie, baisse continue de l'emploi industriel, déficit d'investissement et d'innovation. Le niveau des prélèvements sur le travail a été au coeur des débats, non plus seulement pour lutter contre le chômage mais avec un objectif d'amélioration des performances de l'économie française. Quelle est selon vous la part de cet élément dans les déterminants de la compétitivité française ? Il est parfois fait grief aux allègements de cotisations d'avoir perpétué une mauvaise spécialisation de notre économie. Quelle est votre analyse, quels seraient les bons outils ?

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

La particularité de la DGCIS est de regrouper des services du ministère spécialisés dans la micro-économie, qui s'intéressent au secteur industriel, aux services - commerce, tourisme, artisanat, services aux entreprises - et à l'innovation au sens large. Notre vision est moins quantitative, plus qualitative et plus large que celle d'autres administrations. La compétitivité ne se mesure pas seulement par le coût du travail, mais en considérant un ensemble de déterminants qui sont interconnectés - alors que le débat public a tendance à les opposer. Pour les entreprises, notamment les plus soumises à la concurrence internationale - dans l'industrie et de plus en plus dans les services - nous évaluons la compétitivité prix et la compétitivité hors prix. La première tient compte du coût des facteurs et de la productivité. Nous mesurons le coût utilitaire de chaque facteur et la quantité de facteurs nécessaires pour produire ; nous considérons également le coût du travail et les coûts de l'énergie. La productivité est intéressante à étudier afin que nos entreprises parviennent à des procédés plus économes en termes d'énergie ou de coûts, en améliorant l'organisation des mécanismes de production, ou en travaillant à valoriser le produit - sa qualité, son design, la quantité d'innovation technologique mise en oeuvre. Une voiture dont les fonctionnalités sont innovantes et le design attrayant sera plus compétitive et se vendra plus chère. Nous encourageons l'innovation grâce à des outils qui s'adressent à toutes les entreprises, le crédit impôt recherche, les aides à l'innovation pour les PME, les aides au capital-risque, la coopération entre le public et le privé en matière de recherche. Une forme d'innovation non technologique a également un rôle à jouer, celle du marketing qui améliore la compétitivité des produits en les rendant attrayants.

Le diagnostic partagé par toutes les études est que la compétitivité coût s'apprécie comme un phénomène relatif, par rapport à la situation des pays voisins. Il est difficile d'établir un diagnostic absolu. Cependant, lorsque l'on constate une dérive des coûts, à gamme comparable, entre un pays et un autre, on en déduit aisément une perte de compétitivité. Au cours de la dernière décennie, les Allemands ont consenti un effort important pour maîtriser leur coût du travail, mais ces dernières années, les évolutions ont été plus dynamiques en Allemagne qu'en France. Le décalage de la France par rapport aux autres pays est ancien sur les charges sociales, mais des politiques d'allègements ont été mises en oeuvre. Le Cice et les nouveaux allègements annoncés seront un bol d'air aux entreprises, les feront gagner en compétitivité, et leur permettront d'investir et de se développer.

Sur quelles plages de salaires faire porter les exonérations ? Les allègements sur les bas salaires ont relancé la dynamique de l'emploi. En incluant des plages allant jusqu'à 2,5 Smic pour le Cice et 3,5 Smic pour les nouveaux allègements, on a étendu les mesures d'aide à un plus large éventail d'entreprises industrielles, dont le personnel souvent très qualifié perçoit des salaires plus élevés que dans les services - les usines d'aujourd'hui ne sont plus celles d'antan. L'équilibre obtenu est satisfaisant. Je précise que les entreprises exportatrices achètent des services. Si les entreprises de services non soumises à la concurrence internationale bénéficient des mesures, la modération des prix des services achetés - gardiennage, nettoyage, logistique, transport - se retrouve, incorporé dans le prix des produits exportés.

L'articulation entre la compétitivité coût et la compétitivité hors coût passe par la capacité à investir dans la recherche et le développement, ainsi que dans l'appareil industriel. Récemment, en France, on a constaté une pression sur les marges des entreprises, qui a amoindri leur capacité à investir. Le vieillissement de l'appareil productif crée des écarts de compétitivité importants entre les entreprises. L'indicateur d'investissement sera un élément essentiel pour mesurer la réussite du pacte de responsabilité. Chaque entreprise doit trouver un équilibre : baisser ses prix pour acheter de la part de marché à court terme ou augmenter son investissement pour en acheter à long terme. Les situations sont diverses selon les secteurs. Quand les produits sont peu différenciés, les entreprises font le choix de baisser leurs prix d'abord pour augmenter les ventes ; elles investissent une fois qu'elles ont reconstitué leurs marges. La dynamique du temps est importante.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Quel a été l'impact du Cice sur le comportement des entreprises ? Il est certainement trop tôt pour le dire, mais peut-être aurez-vous des prévisions à nous livrer. Est-il possible de mesurer précisément ce que les exonérations sur les bas salaires dans les services ont apporté aux entreprises industrielles en compétitivité ? Comment expliquer le déficit d'investissement de nos entreprises ? N'est-il pas dû aux exigences de rémunération de leurs actionnaires ? On parle beaucoup de la politique de l'offre. Pouvez-vous la détailler en fonction de la taille des entreprises et des secteurs ? Certains secteurs devraient être plus soutenus que d'autres et pourtant aucune politique de ciblage ne les prend en compte. Travaillez-vous sur cette question ? J'ai parfois l'impression que la macroéconomie est à mille lieues de la réalité. La microéconomie s'en rapproche davantage.

Debut de section - Permalien
François Magnien, sous-directeur de la prospective, de l'évaluation et des études économiques

Il est trop tôt pour mesurer les effets du Cice à partir des méthodes classiques, en s'appuyant sur les résultats des entreprises. Une approche par anticipation reste possible. L'Insee a récemment mené une enquête et interrogé un panel d'entreprises pour savoir comment elles envisageaient d'utiliser le Cice. Plus de la moitié d'entre elles ont déclaré leur intention de le consacrer à l'investissement.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Le Cice a été préfinancé pour certaines entreprises. Les chefs d'entreprises se sont montrés prudents, car il s'agit d'un crédit. L'avantage du Cice est d'arriver dans une conjoncture de reprise de l'investissement. Depuis quelques mois, les entreprises montrent leur intention d'investir. Le Cice agira comme un booster. Il faut dire qu'à force de repousser l'investissement, l'appareil industriel est à présent délabré dans certaines entreprises.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Pas dans l'aéronautique, évidemment.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Non, car la métallurgie s'est beaucoup modernisée, et recentrée sur l'aéronautique. En revanche, les équipementiers automobiles sont dans une situation inquiétante. Parmi les 34 plans industriels, nous avons un plan « Usines du futur » dont l'un des volets concerne le réinvestissement dans l'équipement des entreprises, avec le soutien des régions. Nous n'aurons le premier bilan chiffré qu'à la fin de l'année.

Fallait-il cibler certains secteurs pour les exonérations de charges ? La liste aurait été difficile à établir. La vigilance s'impose pour éviter que des secteurs protégés ne bénéficient d'un effet d'aubaine se traduisant par une hausse des salaires généralisée ou des dividendes exorbitants. Heureusement, de tels cas sont rares dans l'industrie où le souci des entrepreneurs est surtout de développer leur entreprise.

Dans une période où les conditions financières sont favorables à l'investissement, il faut éviter que le secteur bancaire et financier ne privilégie l'augmentation des marges. Il conviendra de surveiller les comportements et favoriser la médiation du crédit. Les banques n'affichent pas des taux très élevés mais elles refusent de prêter à tel secteur ou tel type d'entreprises, dans telle ou telle zone géographique. C'est anormal. Heureusement la Banque publique d'investissement (BPI) offre aux entreprises des garanties sur la partie bancaire, ainsi que des capitaux - ils font cruellement défaut en France. Sans la puissance publique, les entreprises innovantes ne trouveraient pas à se financer, les acteurs du financement français, assureurs, banquiers, restant très frileux sur le capital-risque.

Nous n'avons pas de statistiques sur les dividendes. La direction du Trésor est en charge du sujet. Il faut distinguer les grands groupes cotés, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME. Les premiers sont soumis à une norme quasi-internationale, car ils sont en compétition avec d'autres entreprises sur le marché mondial.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Non, mais le capital étant mobile, elles sont en concurrence avec les autres.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Oui, elles sont soumises au marché financier. Quant aux PME, tout dépend du chef d'entreprise, son âge - certains jeunes ne se paient pas ni ne se versent de dividendes, des entrepreneurs plus vieux perçoivent plus de dividendes que de salaire, etc. Dans les ETI, le taux de distribution des dividendes reste raisonnable - moins de 50 %, peut-être 30 % du chiffre d'affaires - car ceux qui les dirigent veulent en général pérenniser leur entreprise. Le problème se pose surtout dans les grandes entreprises - y compris certaines entreprises publiques qui distribuent des dividendes importants à l'Etat actionnaire, mais c'est un autre sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Ce matin, nous avons eu des informations différentes sur le niveau d'investissement des entreprises : il aurait moins baissé en France qu'en Allemagne depuis le début de la crise. Or vous nous dites que notre appareil industriel est très vieux...

Sur une période de 10 à 15 ans, la rémunération du capital a-t-elle progressé en France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

L'Espagne a annoncé une baisse du coût des cotisations sociales et une nouvelle baisse des salaires. Jusqu'où peut-elle aller ? On a besoin de consommation intérieure en France et en Europe. Comment va évoluer le coût du travail chez nos partenaires et néanmoins concurrents de l'Europe du sud ? Les organisations syndicales nous indiquent que le travail représente 10 % à 20 % du coût de production des biens manufacturés ou des services liés à l'industrie. Or un impact de 4 % à 6 % sur un paramètre qui représente 10 %, est-ce déterminant pour créer un effet-prix dans les secteurs industriels et manufacturés ? Ramenons les choses à leur mesure : pour le sous-traitant automobile, le prix du balayeur ou de quelque autre service est « epsilonesque », comme les trois-quarts des autres services incorporés. Les Américains ont instauré des aides fiscales différenciées par secteur, dans le cadre d'un plan pour les produits manufacturés. Cela semble efficace ! Je me félicite que le Cice contribue à l'investissement. L'industrie française a d'abord besoin d'aide à l'investissement et à la production, par exemple pour rattraper son retard de robotisation par rapport à l'Allemagne. Quels outils aideraient à l'intensification et la modernisation de l'outil, ainsi qu'à l'investissement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

L'aéronautique est notre fleuron. Pourtant, dans un article paru dans Les Echos, un représentant de cette industrie s'inquiétait du problème de la parité euro-dollar, et suggérait la nécessité d'une compensation. Jusqu'où ira-t-on dans l'utilisation des aides publiques ? Les évaluations restent floues pour mesurer l'impact des exonérations sur l'emploi. Celles-ci arrosent tous les secteurs. Entre 200 et 800 000 emplois ont été créés ou sauvegardés de manière constante, pour un coût de 370 milliards. Est-ce bien efficace ? L'argent public ne devrait-il pas être consacré à des politiques plus ciblées ?

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

La législation européenne entrave la possibilité d'une sélectivité. Une réduction d'impôt pour l'industrie serait considérée comme une aide publique et n'est donc pas possible. La situation est différente aux Etats-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

On pourrait envisager des aides fiscales conditionnées à des accords de filières.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Le moyen que nous avons trouvé pour être sélectifs, c'est d'aider toutes les entreprises sur un sujet donné, en faisant en sorte que ce sujet concerne l'industrie. Le crédit d'impôt recherche (CIR) est un exemple. Il a la fausse réputation de servir à autre chose que l'industrie. Mais l'industrie représente 80 % de la recherche privée en France et 80 % du CIR va à l'industrie. Dans certains cas, une aide ciblée serait mieux adaptée, mais l'environnement européen ne l'autorise pas. Si l'on imitait d'autres pays en instaurant des taux bas et en les relevant pour pénaliser certains secteurs, cela en revanche ne poserait pas de problème de législation européenne...

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

et nous aurions une meilleure attractivité.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

L'industrie aéronautique fonctionne bien car elle s'est spécialisée. Dans un Airbus, beaucoup de contenu provient des Etats-Unis, dans un Boeing beaucoup d'éléments viennent d'Europe. Cet effet croisé joue le rôle d'amortisseur.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Pascal Lamy a déclaré que l'écart entre l'euro et le dollar ne posait aucun problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

La remarque est valable parce qu'il n'y a que deux constructeurs d'avions...

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Effectivement.

L'aéronautique est un domaine particulier. L'Etat y a investi depuis très longtemps. C'est une bonne chose, car les carnets de commandes explosent. Si l'Etat n'avait pas promu cette industrie, la part de celle-ci dans la valeur ajoutée nationale n'atteindrait même pas 12 %. On ne compensera pas le coût du dollar !

Les Espagnols sont allés plus loin que nous dans les inflexions sur le marché du travail, où règne toujours un chômage élevé, avec un bon niveau de qualification et de qualité de la production : une spirale à la baisse en Espagne peut être négative pour nous, mais nos voisins pourront-ils continuer longtemps sur cette voie ? En Italie, la situation ressemble à celle de la France.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

L'industrie est plus puissante qu'en France mais elle a subi des pertes de compétitivité et elle est affectée par les goulots d'étranglement dans les services. L'investissement ne s'est pas effondré, mais l'outil s'est dégradé.

Les belles usines de la vallée de l'Arve réinvestissent, mais il s'agit d'un écosystème particulier très dynamique. Dans d'autres territoires, on voit des PME dirigées par un chef d'entreprise isolé, qui font le même produit depuis vingt ans : le coût du travail n'y changera rien, à l'inverse du rachat par un chef d'entreprise plus jeune, qui a parfois lieu, heureusement.

Debut de section - Permalien
François Magnien, sous-directeur de la prospective, de l'évaluation et des études économiques

Les statistiques sur l'investissement sont parmi les plus fragiles. Leur source est une case remplie par les entreprises dans leur déclaration fiscale, dont le fisc se soucie peu. Vous verrez aussi sur le site de l'Insee des statistiques issues de la comptabilité nationale, qui donnent, comme celles sur la production, des résultats très différents. Le taux d'utilisation des capacités de productions, inférieur de dix points à ce qu'il était avant la crise, montre qu'il n'y a pas de reprise de l'investissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Lorsque l'on parle de coût financier, cela ne renvoie pas seulement aux dividendes, mais aussi aux frais financiers : tout un tissu de PME est fragilisé par les délais de paiement des grands groupes. Notre groupe de travail avait évalué cette dette à 6 ou 8 milliards d'euros. Je pense aussi aux rachats d'actions par les grands groupes.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

La France, où les principales banques des entreprises sont les entreprises elles-mêmes, est un cas unique dans le monde : aux Etats-Unis, le paiement est immédiat à réception de la facture. J'ajoute que ceux qui se plaignent de leurs clients en font autant avec leurs fournisseurs.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

La puissance publique a déjà agi sur la question avec la loi de modernisation de l'économie.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Oui, mais l'Etat lui-même n'est pas exemplaire. J'ai été étonné d'entendre les chefs d'entreprise demander que la BPI s'occupe d'affacturage. Elle le fait déjà ; c'était un des métiers historiques de la Banque de développement des PME (BDPME). Mais cela n'est probablement pas assez connu des PME.

Les organisations syndicales parlent d'un coût du travail qui représenterait 15 % à 20 % dans le prix. Cela est vrai pour une entreprise ; mais si l'on prend en compte ses sous-traitants, comme dans l'automobile, c'est différent. Nous pourrons vous envoyer des chiffres d'ici fin mai ou début juin ; mon intuition est que le coût du travail direct et du travail induit chez les sous-traitants atteindrait environ 50 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Alors l'impact de la baisse du coût du travail doit avoir un impact important sur les prix !

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Pour un impact important, il faudrait que tous les producteurs de la chaîne baissent leur prix au prorata de la baisse de charge, sauf pour des secteurs comme la raffinerie ou l'aluminium, où la matière première représente 80 % du prix.

La stratégie allemande de baisse des coûts est passée par un rationnement interne, mais aussi par une délocalisation vers les pays d'Europe centrale et orientale.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Cela nous met mal à l'aise : nous ne pouvons encourager nos entreprises à délocaliser...

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Les caractéristiques de l'économie allemande sont très différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Des économistes regrettent que nous n'ayons pas passé d'accord-cadre avec les pays du Maghreb, laissant à ceux-ci certaines activités à faible valeur ajoutée. Faute de l'avoir fait, toutes nos entreprises partent, forte ou faible valeur ajoutée.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

La main d'oeuvre qualifiée des pays d'Europe centrale et orientale ne se trouve pas partout.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Dans le débat sur les modulations des baisses de charges, notre direction a plaidé pour que la baisse de charges ne s'applique pas seulement aux bas salaires, car la création de valeur ajoutée est importante aussi. On ne va tout de même pas détruire de la productivité pour créer de l'emploi !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Le discours du Gouvernement est confus : on ne sait pas si l'objectif est l'emploi ou la compétitivité.

Debut de section - Permalien
Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la Direction de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

Quand on reprend des parts de marché à l'exportation, on finit par créer des emplois... Il faut cependant aller chercher l'activité là où il y a de la croissance. C'est la source du succès allemand, qui a creusé le différentiel d'innovation avec les pays voisins. Mais un rattrapage est possible grâce à un cercle vertueux.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Nous conclurons avec ce cercle vertueux. Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Je souhaite la bienvenue à M. Olivier Passet. Le ciblage des allègements est au coeur de nos interrogations : l'impact maximum semble être obtenu avec un ciblage sur les bas salaires, avec un seuil de sortie plus élevé pour éviter les effets de seuil. Avez-vous une analyse différente ? Quel est selon vous le bon ciblage, quels sont les bons instruments ?

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Nous avons beaucoup de connaissances sur ce sujet délicat, mais aussi beaucoup de méconnaissances et de subjectivité. Il y a des preuves empiriques, que j'ai décortiquées, presque torturées, pour en déceler les failles ; et suffisamment de travaux convergents pour adhérer à certains consensus. La question est de savoir si l'efficacité des allègements, prouvée pour certains secteurs, pour les TPE et pour les faibles qualifications, ne pénalise pas à long terme la croissance et la compétitivité de l'économie française.

Le long terme est difficile à appréhender : il est hors champ pour les spécialistes du marché de l'emploi et aucune maquette n'est fiable pour explorer cet horizon. Le groupe Xerfi travaille quant à lui avec les entreprises, ce qui lui donne un point de vue différent, une idée de la dynamique économique dans le temps. Pour ce qui est de l'évaluation de l'effet des exonérations, le travail de 2012 de la Dares est équilibré, dans un débat où l'idéologie suscite des surenchères : ainsi l'élasticité de l'emploi au coût du travail, autrefois évaluée à 0,7, serait maintenant de 2 ou 3 selon Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo ! Il est prudent de rester au milieu de la fourchette. Les travaux extrêmes ont des biais, ils procèdent d'analyses purement statistiques, portant sur des sous-périodes précises qui ne sont pas replacées dans le cycle économique.

Il est vrai que les baisses de charges ont un impact sur l'emploi, en particulier sur l'emploi peu qualifié. Mais ce qui est moins convaincant, c'est l'analyse qui sous-tend ces travaux, selon laquelle le chômage ne concernerait que les salariés en deçà d'1,3 Smic ; au-delà, la France serait au plein emploi. Cela est faux, caricatural, trompeur et nous éloigne de notre cible, le rétablissement du plein emploi et de la compétitivité.

En effet, la France n'a pas un problème de chômage plus aigu que les autres économies développées. L'écart entre le taux de chômage des non-diplômés et le taux de chômage général est de 6,5 points, mais on retrouve un tel écart partout. Ce sont toujours les derniers entrants, les jeunes, et singulièrement des moins qualifiés, qui sont les plus touchés. Les jeunes sont mieux protégés uniquement dans les pays où prévalent l'éducation duale et l'apprentissage.

Considérons le taux d'emploi des salariés peu qualifiés dans la tranche des 25-59 ans (au-delà, l'âge plus bas de la retraite est un biais, et en deçà, le système éducatif est en cause). Avec 63,2 %, le taux français est de 5,7 points au-dessus de la moyenne européenne et surpasse celui du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Les jeunes, en revanche, y compris les plus diplômés, ont un taux d'activité singulièrement faible, ce qui demande des solutions spécifiques. Toucher au salaire ne suffit pas et ne donne pas d'effets automatiques, comme le montre le fait que des dérogations existent déjà, telles que l'apprentissage, les stages, les emplois aidés. Ce qu'il faut, c'est un système stable et cohérent comme en Allemagne, en Suisse ou aux Pays-Bas, au lieu de dispositifs qui changent d'un gouvernement à l'autre. De la simplicité : les entreprises rechignent aujourd'hui en France à recourir à l'apprentissage à cause de sa complexité, notamment réglementaire, et de son coût.

Il faut tordre le cou à l'idée que le chômage serait toujours situé en bas de l'échelle des salaires. Les Etats-Unis ont la même distribution que la France entre les différentes qualifications : la file d'attente en bas, universelle, se situe dans les mêmes secteurs, commerce, distribution, hôtellerie, construction. C'est qu'il y a des obstacles qui dépassent l'enjeu du salaire minimum, très bas aux Etats-Unis, en particulier le profil des personnes, difficulté à les intégrer. En France, nous constatons un déclassement qui concerne 30 % des emplois non qualifiés. Les emplois rémunérés jusqu'à 1,3 Smic sont occupés par des diplômés. Qu'on ne nous fasse pas croire qu'il n'est pas utile de créer des emplois qualifiés ! Les files d'attente sont en réalité partout, mais nous ne pouvons les mesurer qu'en bas de l'échelle. Le marché du travail est déséquilibré : il n'y a pas deux marchés du travail, dont un fonctionnerait bien et l'autre mal.

Une autre idée que l'on entend beaucoup est que la France n'a pas suffisamment développé d'emplois dans le commerce, la distribution, l'hôtellerie, dans les services à faible valeur ajoutée. Une étude de Thomas Piketty il y a quelques années montrait un décalage, ramené à notre population, de 2 à 3 millions d'emplois dans ces secteurs par rapport aux Etats-Unis ; on en a conclu qu'ils recélaient un gisement d'emplois et pourraient devenir la voiture-balai du chômage. J'ai donc refait l'exercice pour chaque pays européen. La comparaison avec l'Allemagne montre un décalage, ramené à notre population, de 2,5 millions d'emploi dans l'industrie, de 450 000 dans les services aux entreprises et de 200 000 dans la santé et l'action sociale. La comparaison avec le Royaume-Uni, pays des petits jobs, montre un décalage de 700 000 emplois dans le commerce, l'hôtellerie, la restauration, de 1 million dans l'enseignement et de 400 000 dans la santé et l'action sociale.

L'homothétie avec les Etats-Unis est une fausse évidence. La source principale de ces écarts réside dans l'usage important que ces secteurs font du temps partiel et des mini-jobs. Les écarts ne sont pas si grands si on les ramène à leur équivalent temps plein. Ces emplois peuvent être un appoint, notamment pour les jeunes, et je ferais volontiers mienne l'affirmation de Peter Hartz, selon laquelle il vaut mieux un petit job que rien. La France n'a pas ouvert la possibilité de travailler six à huit heures. Néanmoins, ces emplois d'appoint, fragmentés, n'empêchent nulle part les difficultés d'insertion des jeunes. Or ces idées sont nuisibles : on en déduit que la solution est de développer des emplois non qualifiés dans certains secteurs... Ainsi les dernières études qui concluent à une élasticité de l'emploi au coût du travail peu qualifié de 2 à 3 doivent être prises avec des pincettes. La part de l'emploi non qualifié dans l'emploi total en France s'est stabilisée, voire a augmenté, puis a diminué avec la crise. La politique de réduction des charges a modifié l'architecture de l'emploi en France.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Je ne dis pas cela, mais simplement qu'elle ne règle pas tout. Le résultat empirique est là, mais la conception du modèle productif français qui sous-tend ce type de mesures est inquiétante. Le chômage peut toucher à 17 % un métier comme la communication où le salaire excède facilement 3,5 Smic.

Abordant des terrains moins solides, cette zone de subjectivité et d'incertitude que j'évoquais au début de mon intervention, il faut dire quels sont les objectifs et le diagnostic. Le problème de compétitivité que rencontre la France est dû selon moi à une base productive fragilisée et à un problème d'insertion sur le marché mondial. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, les forces déflationnistes, défensives, d'ajustement des coûts de production par le niveau des salaires, continueront à l'emporter. Si l'on admet qu'il s'agit d'un problème d'offre, cela change les outils pertinents pour régler le problème du chômage. Lionel Fontagné met l'accent à juste titre sur la démographie des entreprises, les problèmes de taille, de positionnement de gammes, de spécialisation. Aucune étude sur le coût de travail ne parle malheureusement de l'influence de la structure de l'économie sur la croissance, comme si toutes les économies réagissaient de la même façon.

Suivant le modèle de la croissance endogène, je suis favorable au développement des secteurs à forte valeur ajoutée, capables de diffuser leur fort contenu en savoir, en compétence, sur l'ensemble des autres secteurs par des effets d'entraînement. On ne peut attendre un tel entraînement des emplois peu qualifiés du commerce ou de la restauration. En revanche, si vous avez une plate-forme comme Amazon sur votre territoire - même si ce n'est pas forcément une bonne affaire d'un point de vue fiscal - cela crée à la fois quelques emplois d'ingénieurs hyper-qualifiés et beaucoup d'emplois dans la logistique ou l'entreposage. Les économistes manquent souvent de cette vision dynamique, au risque de promouvoir un subventionnement systématique des emplois peu qualifiés par la ponction des plus qualifiés.

J'aurais préféré un ciblage plus neutre que celui retenu par le Gouvernement. Je ne vais pas jusqu'à considérer qu'une baisse de 10 % des bas salaires, donc de 4 % du coût du travail global, ne représentant une baisse qu'1 % à 2 % de la valeur ajoutée, n'équivaut à une dévaluation que de quelques centimes. Une baisse de 4 % du coût du travail est extrêmement importante, et, contrairement à une dévaluation monétaire, elle n'est pas compensée en partie par une hausse du coût des achats importés. Cela peut être un choc extrêmement important sur les secteurs à forte valeur ajoutée, d'autant plus qu'il modifie la compétitivité par rapport à l'ensemble des marchés extérieurs, y compris européens. Il s'agit donc d'une dévaluation fiscale, dont la France a besoin. C'est une arme conjoncturelle utile, une bouffée d'oxygène utile pour les entreprises, même si des politiques structurelles doivent l'accompagner, notamment concernant l'investissement. Une baisse des charges uniquement sur les bas salaires équivaut à une relance par la consommation. Une baisse des charges plus diffuse a un rôle à jouer.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Votre intervention change un peu du refrain que l'on entend communément, et bouscule le schéma consensuel sur lequel le Gouvernement s'appuie pour justifier ses mesures - certaines en tout cas.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

En effet, car plusieurs cartes ont été jouées simultanément.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Mais l'impression donnée est celle de la confusion plutôt que d'une logique cohérente.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

La promotion de la compétitivité et de l'emploi ne sont pas antinomiques.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

La baisse du coût du travail existe, et l'argument de la transmission par les services est recevable. Quant à moi, je plaide surtout pour que nous réfléchissions à la spécialisation française, et pas seulement en termes quantitatifs. Ce n'est pas parce que l'on crée rapidement des emplois peu qualifiés que la solution est là !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

J'apprécie aussi votre mention des emplois peu qualifiés occupés par des personnes qualifiées. Il n'y a aucune recherche sur cette question !

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Il y a des études sur le déclassement, je vous les transmettrai.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Vous arrivez à la conclusion que les petits jobs ont fait entrer certaines personnes dans le monde du travail... Mais les Allemands en reviennent : cela a créé des poches de pauvreté très pénalisantes. Dans la vie, l'autorisation de créer des petits jobs a pour effet que les vrais jobs deviennent des petits jobs. Et quel impact pour l'intégration ? En France, nous avons le travail intérimaire : il n'a jamais favorisé l'intégration. Que préconisez-vous ? Les allègements de charges ne sont-ils pas trop chers au regard des emplois créés ? Existe-t-il d'autres solutions efficaces ?

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Une trajectoire ascendante des exonérations fluidifie le marché du travail et réduit les files d'attente.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Considérant que la file d'attente du chômage est soumise à un effet domino d'un niveau de qualification à l'autre, vous concluez qu'il faut baisser le coût du travail sur l'ensemble de ces niveaux. Mais tous les secteurs en ont-ils besoin ? En quoi une telle diminution dans la grande distribution pourrait-elle améliorer la productivité française ? J'ai critiqué le rapport Gallois sur ce point, car il faut à mon sens une sélectivité par secteurs. La modification du calcul des cotisations, par exemple, permettrait de faire payer certains secteurs plus que d'autres.

Pour augmenter la productivité par l'investissement, pourquoi ne pas préférer une politique industrielle reposant sur l'intervention publique dans des secteurs hauts de gamme ? Des allégements fiscaux pour encourager la robotisation ne seraient-ils pas mieux employés ? Il existe des secteurs entiers où le chef d'entreprise n'investit pas. Et l'histoire industrielle française est marquée par les grands projets.

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Nous ne pouvons pas différencier les cotisations sur des critères sectoriels sans contrevenir aux lois de la concurrence. Le crédit impôt recherche est tout de même un peu cela : une subvention à l'emploi qualifié.

La part du chômage des non-diplômés en France était très importante en 1993 : la baisse des cotisations a répondu à un énorme problème et avait une réelle utilité, alors. Mais maintenir une différenciation, cela peut favoriser le déclassement. Je ne dis pas qu'il faut supprimer brutalement un système qui est un instrument de redistribution entre les emplois qualifiés et non qualifiés. Mais il convient d'infléchir la courbe, de rendre le dispositif plus neutre. La France a la progressivité la plus forte des cotisations.

L'investissement public est indispensable à la politique industrielle. Baisser les charges oxygènera les entreprises. Vous évoquez la robotisation : le Commissariat général à l'investissement (CGI) est un outil pertinent. L'Etat, dans le fourmillement des innovations, sélectionne les projets selon des thèmes prioritaires, avec cohérence et sérieux. Cet outil « bottom up » devrait être mieux doté.

Je ne fais pas la promotion des mini-jobs, mon obsession est l'apprentissage, le pivot de toute insertion. Le débat s'est focalisé sur les dérogations au Smic : celles-ci sont tout à fait acceptables si elles impliquent une contrepartie de formation. La constance est essentielle, on en voit les résultats en Allemagne et en Suisse.

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Les entreprises ont besoin d'incitations qui peuvent prendre la forme de subventions. Elles se plaignent des conditions imposées - aménagement de vestiaires, etc. L'obstacle n'est pas le coût du travail, mais les capacités que doivent mettre en oeuvre les entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Peut-être devrait-on faire obligation aux entreprises d'avoir un quota d'apprentis.

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Les PME se heurtent à la difficulté de recruter des personnes compétentes.

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Le problème n'est pas là, mais les grandes entreprises et l'Etat sont servis avant elles. Offrir aux PME le moyen de former elles-mêmes de futurs salariés est une bonne idée.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Dans les années 1970, de grandes entreprises comme Massey-Ferguson avaient leurs propres lieux de formation d'où l'on sortait avec un CAP, et souvent un contrat d'embauche.

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Je suis parvenu à une conclusion que j'ai vérifiée et revérifiée. Après la crise, on a surestimé toute une série de modèles d'emplois, celui de l'Espagne ou d'autres pays. Que de références différentes brandies alors... Il n'en reste que deux éléments : les mini-jobs, qui ont résolu la question quantitativement, mais ont des effets sociaux nocifs ; et l'apprentissage. En France, l'existence du Smic est source de culpabilité et l'on se focalise donc sur le coût de l'emploi. Au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, le taux d'emploi est élevé, car on a multiplié les emplois fractionnés sur des horaires atypiques - dans le commerce, notamment. Aucune étude n'atteste que ce type d'emplois est un tremplin. Je reste convaincu que la vraie passerelle est l'apprentissage. Dans certains pays comme la Suède, les soft skills sont valorisants pour le jeune, et appréciés par les employeurs, qui y voient une expérience de discipline, une démonstration de la capacité de travail.

En parlant de « politique industrielle », je voulais surtout désigner des outils de financement de l'investissement. L'Etat doit agir comme un capital-investisseur, accompagner les changements de l'économie et intervenir pour trouver des solutions en cofinancement dans les situations difficiles. En Allemagne, la légalisation des mini-jobs a fait sortir du flou un certain nombre d'emplois informels. J'appartiens au camp de ceux pour qui la politique industrielle est le socle de la politique de l'emploi.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Lorsque les exonérations s'appliquent aux salaires les plus élevés dans une entreprise, les sommes ne sont pas toutes réutilisées en faveur des créations d'emploi : une partie sert à augmenter les salaires.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Sortons des modélisations pour prendre en compte la situation réelle des entreprises. Prenons le secteur informatique. Les SSII qui sont des sociétés à capital humain n'ont pas bénéficié de la baisse des charges. Elles sont en difficulté, leurs marges sont comprimées. Si elles avaient bénéficié des exonérations, les salariés n'auraient pas été en position d'en tirer profit. Et pourtant ils sont qualifiés. Certaines entreprises ont des positionnements de marché qui leur permettent d'octroyer des hausses de salaires, d'autres non. Une étude de Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, a montré que les écarts de coûts sont plutôt du côté des emplois à fort contenu intellectuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Les emplois qualifiés coûteraient plus cher en France ?

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Oui, dans certains secteurs à fort contenu intellectuel. Les petites entreprises qui recrutent des salariés très qualifiés ne fixent pas leur prix, elles sont des price takers. Elles considèrent cette dépense contrainte comme un investissement. Baisser les charges sociales sur ce type de main d'oeuvre les aiderait beaucoup. Il faut sortir d'une vision binaire du coût du travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Avez-vous l'écoute du ministère du travail ? Les exonérations de charge évoluent-elles dans le bon sens ? Les entreprises robotisées et mécanisées ne sont-elles pas dans une course sans fin au travail moins cher ? Je pense aux Chinois qui délocalisent leurs usines au Bangladesh.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Je ne prétends pas être écouté au ministère du travail. Mon travail est en cours et n'est pas encore publié.

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

D'autres que moi partagent les idées que j'ai exposées. Hélas ce sont toujours les économistes du même cercle qui occupent les médias, par un effet de connivence académique. Suggérer des baisses de charges au-delà des 1,3 Smic, c'est presque une hérésie ! Les gens de Rexecode sont sensibles à mes idées, ainsi que ceux de Terra Nova, bref ceux de l'économie appliquée, moins ceux du monde académique. J'attends le prochain rapport de Lionel Fontagné pour le Conseil d'analyse économique.

La philosophie d'action qui se développe à partir d'une vision faussée du monde du travail me dérange plus que les arbitrages du Gouvernement. La politique menée actuellement est une politique de soutien déguisé à la consommation. Quand on réduit les dépenses publiques, utiliser la baisse des charges sociales là où elle crée de la masse salariale et du pouvoir d'achat peut avoir du sens. On achète ainsi la baisse de la dépense publique. Pourquoi pas, car personne ne souhaite une croissance négative !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Quid de la course sans fin au coût du travail moins cher ?

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Nous sommes dans une course à la robotisation où le coût du travail devient marginal. En automatisant, nous pouvons faire revenir des pans entiers de la chaîne de valeur sur le territoire. Cela développera les services de proximité. A défaut des emplois, faisons au moins revenir le revenu.

Avec l'obsession de la baisse du coût du travail, ne perdons-nous pas du temps dans l'autre course : celle, dangereuse et déstabilisante, de l'automatisation ? Les débats sur la question sont très avancés aux Etats-Unis, où l'automatisation a fait des ravages, avec une baisse de 7,8 % du taux d'emploi. La numérisation, l'automatisation et l'impression 3D raccourcissent la chaîne de valeur ; 42 % des emplois sont menacés, et nous ne savons pas où ils se recréeront.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Le modèle français est suffisamment redistributif à travers la protection sociale et le service public pour bien diffuser la valeur rapatriée. Qui peut dire aujourd'hui quels emplois vont se développer autour des nouvelles chaînes de valeur ?

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

C'est bien pourquoi la redistribution est aujourd'hui au centre des débats américains, qui recherchent un compromis fordiste perdu. Les Etats-Unis savent faire revenir de la valeur mais ne savent pas comment la diffuser. C'est un sujet majeur. L'économie fait preuve d'une capacité d'innovation incroyable pour inventer des métiers. Dans les commerces, demain, on remplira peut-être un caddie virtuel par quelques clics sur son smart phone, en passant devant des présentoirs. On ne portera plus rien. Que de jobs non qualifiés on pourra créer, dans la catégorie des petits emplois de servage...

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

C'est terrible : cela a commencé avec les drives, très pratiques, mais épouvantables pour ceux qui y travaillent. Les préparateurs de commandes s'épuisent très vite.

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Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Plutôt que de baisser le coût du travail pour développer des petits jobs dans le commerce, tentons d'inventer le commerce tel qu'il sera en 2020 et ses métiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Ces métiers sont d'autant plus valorisables que la valeur ajoutée est sur le territoire. Sans production sur le territoire, nous serons pris dans la course effrénée à la dégradation des conditions sociales. Il est dramatique que la France ne fasse pas le choix de la politique industrielle, alors que nous n'avons pas, culturellement, de crispation sur la robotisation comme les Etats-Unis : moins nous travaillons, mieux nous nous portons...

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

Le cas américain mérite d'être observé avec attention car cette économie sans contrainte sur le salaire minimum vit en ce moment un séisme sur l'emploi. Nous débattrons des mêmes choses que les Américains... dans dix ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Le coût du travail est moins élevé en Europe de l'Est, en Chine, mais ce pays délocalise aujourd'hui au Bangladesh. C'est une course sans fin ! Le jour où le Bangladesh aura les mêmes salaires que la France, le problème sera réglé mais on a encore de la marge !

Debut de section - Permalien
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi

En réalité, nous avons été moins perturbés par la Chine que par l'Allemagne et les Etats-Unis. Il est intéressant de voir que les pays industrialisés qui s'en sortent sont ceux qui ont su internaliser les faibles coûts des pays émergents : nos chaînes de valeurs nous permettent de bénéficier aujourd'hui des faibles coûts de tous et c'est l'adoption d'un bon positionnement par rapport à ces phénomènes qui est la clé du succès. A l'inverse, c'est à cause de son absence de stratégie industrielle que la France est laminée dans toute une série de domaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Il y a quand même eu l'effet des privatisations. Nous avions une culture historique de capital public pour nos entreprises et notre stratégie industrielle était adossée à de grands groupes publics. Quand on les a privatisés, ces groupes ont cessé d'être des moteurs pour la stratégie industrielle française et n'ont pas du tout lutté pour rester sur notre territoire contrairement aux entreprises allemandes, même si celles-ci ont délocalisé certaines de leurs activités dans les Peco. J'y vois une source majeure de la dépression française dans le domaine de l'industrie et je suis convaincue qu'il faut vraiment tout faire pour réindustrialiser notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur Passet, nous vous remercions pour la qualité de votre exposé et des échanges que nous avons pu avoir avec vous aujourd'hui.

La réunion est levée à 18 h 50.