Monsieur le Président, mes chers collègues, le Président Carrère est actuellement à Matignon ; il va nous rejoindre d'un instant à l'autre.
Nous ne pouvons vous faire attendre plus longtemps ; il m'incombe donc de présider cette ouverture. Je vous souhaite la bienvenue et irai droit au but avec quatre questions...
Tout d'abord, quel est l'impact de la Loi de programmation militaire (LPM) sur notre base industrielle et technologique de défense ?
En second lieu, comment voyez-vous la question de la consolidation de la base industrielle de défense européenne, et en particulier dans le secteur que vous connaissez bien des industries d'armement terrestre ?
Troisièmement, comment voyez-vous le marché de l'armement à l'exportation, qui est essentiel à l'équilibre de la LPM, notamment sur les pays émergents ? Cela pourra-t-il suffire à compenser les diminutions de crédits nationaux ? Certains industriels qui, sans exportations, ont de plus en plus de mal à s'en sortir, envisagent même des cessations d'activités ou des suppressions de postes...
Enfin, pensez-vous qu'il faille améliorer la démarche stratégique française, en faisant en sorte, par exemple, que l'Etat publie sa stratégie d'acquisition, ce qui orienterait la recherche et technologie (R et T) et la recherche et développement (R et D) ?
La LPM a prévu de maintenir 730 millions d'euros par an. Chacun s'en félicite, mais il faut concentrer cette somme sur ce qui apparaît comme utile et indispensable en matière d'armement futur, en évitant de faire de la recherche pour la recherche, ce qui est hors de notre portée financière.
Il pourrait donc être intéressant que l'Etat, souvent client unique de certains industriels, fasse savoir longtemps à l'avance ce sur quoi il a besoin que les industriels travaillent, dans leur intérêt même, afin que ceux-ci n'explorent pas de voies sans garantie de marchés. Qu'en pensez-vous ? Vous parlez ici pour un certain nombre d'industries, vos fonctions de président vous amenant à assurer cette responsabilité...
Je tiens d'abord à vous remercier, au nom du CIDEF, pour votre mobilisation, au printemps, lorsque les pires scénarii ont circulé.
Le niveau budgétaire de la LPM n'est certes pas satisfaisant, mais on doit néanmoins reconnaître que vous vous êtes fortement impliqués pour essayer de diminuer l'impact que cette LPM pourrait avoir sur nos industries.
Celle-ci n'est pas parfaite ; beaucoup de mes collègues l'ont déjà exprimé devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale et, je le pense, également devant cette instance. Elle devrait toutefois, sous réserve d'être exécutée dans sa totalité -ce qui n'est arrivé à aucune LPM- continuer à assurer une continuité d'activités au sein de nos bureaux d'études et de nos lignes de production, principalement parce qu'aucun programme n'est pour l'instant annulé.
Notre industrie pèse 17 milliards d'euros, exporte 35 % de sa production, dégage un solde commercial très positif, emploie 175 000 personnes à forte valeur ajoutée, peu voire pas délocalisables. Elle est organisée autour de quelques grands systémiers, mais regroupe 4 000 petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), très largement réparties sur les territoires, qui ont un poids économique très structurant pour de nombreux bassins d'emploi -Bourges, Brest, Cherbourg, Cholet, Fougères, Lorient, Roanne, Bordeaux, Toulon...
Elles se caractérisent par un effet d'endettement technologique important, du fait de la grande technicité de nos produits, du caractère dual de certaines de nos techniques, et du lien qui existe entre les donneurs d'ordre et les entreprises sous-traitantes.
J'ai coutume de dire que l'industrie de défense demeure aujourd'hui l'un des rares secteurs qui, tout en assurant sa mission première de participation à la souveraineté, génère un volume élevé de production sur le territoire national. Je dirais même que c'est une industrie à caractère keynésien : tout investissement dans les équipements de défense a, sur l'emploi et sur les compétences, un effet d'entraînement éminent. Selon nos calculs, en France, tout euro investi dans l'industrie de défense, au titre d'achats d'équipements ou d'études, rapporte 1,30 euro à l'Etat, et 1,6 euro en Angleterre.
L'exportation a, en la matière, un effet important : quand on exporte, on crée de la richesse, on paie des charges sociales, des impôts. Chaque emploi créé génère par ailleurs des emplois induits.
Cette industrie joue également un rôle politique éminent dans la défense des intérêts de la France dans le monde.
La LPM, telle qu'elle nous a été présentée, aura indéniablement des conséquences en matière de suppressions d'emplois. On peut estimer celles-ci, de façon très grossière, à une vingtaine de milliers sur la période concernée. Ceci peut toutefois être atténué si l'on retarde les engagements. Mais un certain nombre de nos industriels doivent être en sous-charge dès le début de 2014, certaines s'y trouvant déjà.
Ce chiffre de 20 000 emplois est certainement contestable. Toutes choses égales par ailleurs, il nous manque un milliard d'euros par an. A raison d'environ 100 000 euros par emploi, cela représente à peu près 20 000 emplois, 10 000 directs et 10 000 indirects.
L'impact pourrait être pire ! Le budget comporte des frais de personnel très élevés. S'ils ne se réduisent pas, ce sont les achats d'équipement qui constitueront la variable d'ajustement du ministère de la défense. Les frais de fonctionnement et de personnel s'imposent. L'état-major ne sait pas encore très bien à quel rythme il va pouvoir faire baisser ses effectifs...
C'est un autre sujet...
Quels sont les points de fragilité du dispositif ? Les ressources exceptionnelles et les conditions de renégociation des contrats déjà signés nous semblent constituer un point de difficulté. Le ministère de la défense, tout comme nous, devra suivre au plus près ces vulnérabilités. Nous avons identifié trois points clés...
En premier lieu, il ne faut pas relâcher l'effort sur la R et T. Vous avez cité le chiffre de 730 millions d'euros : c'est la condition du maintien de nos bureaux d'études. Certes, il nous faudrait au moins un milliard, mais il faudrait aussi que l'industrie d'armement terrestre reçoive plus que les 50 millions d'euros qui y sont affectés, les 730 millions étant pour moitié captés par le nucléaire stratégique et par la Direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA DAM).
Le nucléaire représente environ 200 millions sur 730. Il est toujours difficile de définir précisément le nucléaire stratégique, dont font partie le Rafale, les missiles, le porte-avions et son escadre...
On ne peut avoir une définition aussi englobante ! Le porte-avions, le Rafale, etc., sont multi-rôles...
Le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT) ne reçoit que 50 millions d'euros de R et T sur les 730, ce qui est très peu pour une industrie importante, et pour une armée qui est engagée très régulièrement dans les opérations extérieures...
Vous voulez dire que l'armée de terre est moins bien lotie que les autres...
L'industrie d'armement terrestre est beaucoup moins puissante que des groupes comme EADS, ou Thales...
Thales fait partie de l'armement terrestre. EADS également...
Thales vient d'être attributaire du contrat « Contact », qui constitue un élément de Scorpion, et qui concerne les communications numériques modernes. Les activités de recherches terrestres obtiennent moins de subsides.
Ils continuent à en faire ! Les blindés de la précédente génération ne résistent pas aux menaces actuelles. On va être obligé de les surprotéger...
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) constitue un point dur, qui peut déstabiliser toute la programmation. On doit trouver ensemble les moyens de contrôler les coûts et de mieux planifier, afin d'éviter les surprises. La solution passe selon nous par une redéfinition de la relation entre l'Etat et l'industrie, dans la gestion et la mise en oeuvre du MCO. L'industrie est prête à prendre plus de travail en matière de soutien, sans pour autant aller jusqu'à une externalisation complète, qu'il serait difficile d'opérer.
L'exportation reste un point clé : la LPM rend obligatoire l'obtention de contrats à l'exportation très significatifs, afin d'éviter les conséquences sociales de l'étalement des principaux programmes d'armement. Il faut être réaliste : je ne suis pas certain que les perspectives actuelles permettront de compenser les futures baisses du marché national !
J'espère qu'il n'en sera rien ! Si tel n'était pas le cas, ce serait pire : nous serions obligés d'en acheter une partie...
Cela aura une conséquence positive sur une bonne partie de l'industrie.
Nos ventes à l'exportation sont plates. Depuis quelques années, elles n'augmentent plus.
A cause de la concurrence ! Les budgets de défense augmentent essentiellement en Asie, en Asie centrale et en Russie...
Nos produits sont excellents et au niveau de compétitivité souhaité. Les produits de très haute technologie -aéronautique et missiles- n'ont que peu de concurrence étrangère. Les Chinois viennent toutefois de vendre des missiles de défense aérienne aux Turcs. On l'a annoncé il y a deux jours... Cela doit faire réfléchir ! C'est très inquiétant.
Nous avons, dans le domaine des plates-formes terrestres, par rapport à des pays émergents comme la Turquie, la Corée du Sud, l'Afrique du Sud, le Brésil ou Israël, des produits certes excellents et compétitifs, sûrement meilleurs que les leurs, mais qui ne font pas la différence compte tenu de l'écart de prix ! A tonnage équivalent, à puissance moteur équivalente, à niveau de protection équivalent, ils sont deux fois moins chers que les nôtres !
On vient de perdre le marché turc, qui a préféré les missiles chinois...
Cela a été annoncé ! On a indéniablement un problème de compétitivité : nos coûts horaires sont élevés.
Quand on vend de l'aéronautique, la barrière d'entrée est très élevée. Les concurrents sont donc moins durs, mais sur des produits où la technologie est plus facile à acquérir, on a face à nous des pays très compétitifs et dangereux, qui freinent nos exportations. C'est un constat que l'on est obligé de faire.
Il faut donc vous assurer des commandes minimales, ne pas exiger trop à l'export parce qu'on est moins bons que les autres et, en outre, que le niveau de rémunération soit le plus bas possible !
Je suis fondamentalement en désaccord avec vous ! Vous vous trompez ! Plus la masse salariale est basse, avec des gens peu formés, moins vous serez compétitifs et performants !
Nos personnels sont très bien formés, et ont de très bons salaires...
Vous nous expliquez depuis un quart d'heure qu'il ne faudrait pas que ce soit le cas : c'est insupportable !
Non ! J'ai expliqué que d'autres n'avaient malheureusement ni ces salaires, ni ces conditions de travail, mais que, dans certains cas, leur productivité pouvait être comparable.
L'exportation est vitale pour nos industries et la préservation de notre savoir-faire. Nous demandons que la réforme de la gouvernance du ministère de la défense, dans son volet consacré aux relations internationales, ne désorganise pas ce mécanisme. Les grands contrats font l'objet d'une mobilisation forte du Gouvernement, du ministère de la défense et de la représentation nationale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
L'effort doit être maintenu, car tous les systémiers sont concernés par les étalements de programmes, avec un impact direct sur leurs fournisseurs.
Je tiens à saluer à nouveau ici l'investissement des parlementaires, au travers des missions conduites dans des pays disposant d'un Parlement, qui participent à l'effort national au service des exportations de la défense. La poursuite de cette mobilisation personnelle des plus hauts représentants de l'Etat et du Parlement est vitale, face à une concurrence acharnée, dont les tenants se mobilisent très largement auprès des autorités étatiques et politiques.
Je voudrais plaider également pour un effort particulier en faveur des PME, ainsi que des contrats de taille moyenne. Les très grands contrats bénéficient du soutien des instances gouvernementales, mais le degré de mobilisation n'est pas aussi important pour les contrats de taille moyenne.
La mesure n° 15 du pacte de défense des PME, présenté il y a près d'un an par le ministre de la défense, va dans ce sens, puisqu'elle crée un label « DGA testé » permettant aux PME de garantir qu'un de leurs produits a été testé selon les processus en vigueur à la Direction générale de l'armement (DGA). Ce label est destiné à permettre à nos PME et ETI de gagner de nouveaux marchés. Le premier label a été délivré en juin dernier. J'espère qu'il y en aura d'autres, car cela correspond aux besoins de nos PME.
La mesure n° 16 du pacte annonce que le réseau international du ministère sera mobilisé pour accompagner les PME à l'exportation, faciliter leur positionnement et leurs contacts. Afin de rendre cette mesure pleinement opérante, il conviendrait que le dispositif soit renforcé, notamment à l'échelle des postes d'attachés d'armement, qui sont peu nombreux...
Tout cela représente des impôts supplémentaires ! Le ministre des affaires étrangères, que nous avons entendu ce matin, nous disait qu'il comprimait des postes et les mutualisait...
Il nous faut des exportations !
D'autre part, l'une des spécificités de la défense réside dans le fait que les étrangers ne veulent pas être le client de lancement d'un produit. Ils n'achètent que ce qui est déjà utilisé par le client national. C'est pourquoi le rôle de soutien des armées à nos actions à l'exportation est fondamental. Nous apprécions tout particulièrement les prêts de matériels pour des démonstrations à l'étranger, ainsi que la participation à des missions à l'étranger, sous réserve que les coûts laissés à la charge des industriels soient raisonnables, notamment pour les PME.
Les deux derniers documents de l'EMA-RI devraient apporter une meilleure cohérence des procédures et réglementations de mise à disposition des moyens des armées aux industries de défense, mais il ne faudrait pas que l'application à la lettre de ces réglementations génère une rigidité excessive du dispositif, nuisible aux industriels, notamment les PME de la défense. Il faut en fait comprendre que les prix de ces interventions vont considérablement augmenter.
D'autre part, le CIDEF recommande et appelle de ses voeux depuis assez longtemps la création, au sein des armées, d'une cellule apte à assurer la présentation des équipements utilisés en opération, comme le font les Britanniques. On s'est rendu compte, à l'usage, qu'un certain nombre de présentations de matériel, surtout dans le domaine terrestre, étaient ratées, dont des présentations importantes à la presse, l'état-major n'ayant pas mis les meilleures compétences en ligne pour assurer la démonstration. Lors de l'Eurosatory, l'année dernière, Caesar a fait trois fois long feu, les militaires l'utilisant étant équipés d'AuF1 et ne connaissant pas ce matériel. Devant la presse étrangère, c'est du meilleur effet !
Les Britanniques sont très efficaces dans ce domaine : c'est une brigade spécialisée qui réalise les démonstrations ; elle s'entraîne dans cette optique, et soutient les industriels régulièrement. Si on le fait artisanalement, on manque d'efficacité.
Je pense qu'ils sont payés par les impôts et, en partie, par les industriels. Les industriels veulent bien payer des prestations, à condition qu'elles soient de qualité. Dans le domaine aéronautique, cela se passe très bien. L'armée de l'air est très efficace, et les essais en vol très performants.
L'attribution de subventions via les groupements professionnels est un élément très important pour les PME. Les exposants du pavillon France aident beaucoup les entreprises à exposer à l'étranger, de façon qu'elles puissent promouvoir leurs produits. Les subventions que l'on reçoit sont donc essentielles pour accompagner les PME sur les salons de défense internationaux, et je souhaite que l'on protège ces dépenses, qui ont un rôle important d'entraînement et de multiplication.
En matière de contrôle, nous nous félicitons de la mise en oeuvre prochaine des nouveaux outils et procédures de contrôle, prévus avant la fin de l'année ; ceci devrait permettre de remédier à un certain nombre de difficultés que nous rencontrons encore trop souvent, et accélérer les procédures de contrôle pour les entreprises. Cette mise en oeuvre devra faire néanmoins l'objet d'une vigilance toute particulière, afin de prévenir tout dysfonctionnement d'un système qui a pour objectif de permettre aux industriels d'exporter dans de meilleures conditions, tout en garantissant le strict respect des principes fondamentaux de contrôle des exportations de la France.
Nous allons changer de système informatique : il ne faudrait pas qu'un blocage intervienne à cette occasion. Je ne reviens pas sur les problèmes de Chorus, ou de Louvois. Cela peut induire des délais néfastes pour nos exportations. Nos autorisations d'exportation sont toujours sur le fil du rasoir. On est souvent obligé de demander des dérogations et une accélération de la procédure. Il faut rester très vigilant...
Absolument. Nous réalisons en ce moment des tests à blanc, mais je rappelle qu'il existe 600 à 700 commissions interministérielles pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMMG) par mois. Un système administratif se grippe assez vite lorsqu'il est soumis à de tels chiffres. Une CIEMMG est une instance assez complexe, qui implique beaucoup de ministères et de fonctionnaires...
C'est l'une des questions que M. Jacques Gautier m'a posée.
Nos industries n'ont pas toutes besoin d'être consolidées de la même manière. Dans le domaine aéronautique, elles ont à présent la taille critique ; le domaine naval est un sujet complexe, où les choses restent sûrement en partie à réaliser, mais DCNS a indéniablement une taille européenne, voire mondiale. Elle dispose de beaucoup de produits, dont certains très performants. L'urgence est donc moindre par rapport au domaine terrestre, où rien n'a été fait -ou pas grand-chose, en dehors de ce qu'ont réalisé les industriels privés, comme Renault Trucks, en consolidant ACMAT et Panhard, et quelques autres.
La question de Giat et de Nexter est ouverte, mais nécessite une décision politique. Tant que celle-ci ne sera pas prise, rien ne se passera. Cela fait plusieurs années qu'on en parle. La décision politique ne venant pas, le dispositif est bloqué.
Une opportunité se dessine avec le lancement de Scorpion, pour ce qui concerne les plates-formes terrestres, certaines parties étant déjà lancées, comme la communication, ou les systèmes d'information. On a devant nous deux très gros lancements, celui du véhicule blindé multi-rôles (VBMR) et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC). C'est sur la base de ces projets qu'il faudrait assurer une consolidation industrielle.
Malheureusement, il n'existe jusqu'à présent aucune industrie de défense européenne, ni de politique européenne de défense des industries d'armement. En effet, on n'a pas été capable d'harmoniser les demandes des différents états-majors, de façon à pouvoir faire converger les consolidations industrielles sur des programmes multilatéraux. Il existe actuellement en Europe onze programmes de 8 x 8...
Il s'agit du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI). Aux Etats-Unis, il n'y a qu'un seul programme. Au total, il devrait y avoir en Europe environ 4 000 8 x 8. Cela en fait très peu par programme : 600 VBCI pour la France...
Le Giat avait été doté de statuts qui lui permettaient d'évoluer, il y a de cela une douzaine d'années. Il n'a pas su prendre le tournant qui a accompagné la fin de la guerre froide, et s'est retrouvé avec le char Leclerc sur les bras, une réduction de cible, etc.
Du point de vue de l'artillerie, un certain nombre de matériels ont bien sûr évolué, comme l'AuF1, ou le Caesar. Qu'est-ce qui explique l'atrophie de l'industrie française d'armement terrestre par rapport à l'industrie allemande ?
La taille de l'armée allemande n'est pas tellement supérieure à la nôtre. La force des groupes allemands, comme Krauss-Maffei et Rheinmetall, vient des liens qu'ils entretiennent entre eux, et d'une volonté politique de les maintenir. Je suis surpris que notre industrie d'armement terrestre s'étiole au fil des ans. Giat Nexter est toujours en activité, mais les groupes allemands prospèrent, et il en va de même dans l'industrie navale allemande. Il y a là quelque chose qui m'échappe...
L'industrie navale allemande ne va pas aussi bien que cela. La situation de ThyssenKrupp n'est pas si bonne...
Pour ce qui est de Krauss-Maffei Wegmann et de Rheinmetall, ce que vous dites est juste. Ce sont des entreprises prospères. Krauss-Maffei est un « single player » de l'armement terrestre, alors que Rheinmetall est un « dual player ». Son activité civile automobile lui permet de jongler élégamment avec les contracycliques.
Ces industries sont fortement soutenues par leur Gouvernement, en particulier à l'exportation ; elles ont réussi à vendre le Leopard à quatorze pays. Krauss-Maffei, qui est une entreprise légèrement plus grosse que Nexter, qui représente environ un milliard d'euros de chiffre d'affaires, a plus de 4 milliards d'euros de carnets de commande, ce qui lui assure plusieurs années de plan de charge...
Le problème de Chorus et de Louvois vient du fait qu'ils ont été conçus par des sociétés privées qui n'étaient pas des entreprises de premier plan. Nous avons appris hier qu'on allait lancer un appel international. Il semble qu'il n'existe que deux entreprises étrangères capables de livrer un nouveau logiciel d'ici à deux ou trois ans. L'Etat n'est donc pas toujours le seul à se tromper. Il arrive parfois que ce soit le cas des entreprises privées !
Un certain nombre de représentants de l'industrie, persuadés que leurs produits sont bons, semblent faire preuve de suffisance, et ne se posent pas les bonnes questions. Les exemples du char Leclerc ou du Rafale montrent une certaine limite de nos compétences !
Par ailleurs, comment les entreprises de grande taille pourraient-elles aider les PME à l'exportation ? Les choses sont tellement compliquées qu'on a le sentiment que ces dernières ne savent pas comment faire. Comment améliorer la situation ?
Les grandes entreprises exportatrices emmènent très souvent les PME et leurs sous-traitants sur leurs marchés à l'exportation, notamment ceux qui demandent des compensations locales.
Parmi les 4 000 PME et ETI du secteur de la défense, il existe des compétences originales. Celles-ci sont, dans une certaine mesure, protégées, les grands groupes en ayant besoin. Ce sont les entreprises qui fournissent des ressources qui sont les plus menacées. Lorsqu'on réduit la taille du gâteau, les grandes entreprises, assez naturellement, ont tendance à charger leurs propre personnel et à moins sous-traiter. On ne peut le leur reprocher.
Les grandes entreprises prennent soin de leurs partenaires qui ont des compétences critiques, mais une bonne moitié peut servir de variable d'ajustement en période de crise. C'est humain, et l'on peut difficilement aller contre.
J'étais avec le Premier ministre pour essayer de faire accélérer la procédure d'instruction de la LPM, car je pense que plus on la diffère, plus on risque de pénaliser ce secteur. Je ne suis pas sûr d'avoir obtenu gain de cause, mais j'espère y être parvenu...
Tous les bancs partagent ici la même analyse, et nous avons évité de faire preuve de sectarisme. Quelle est la ligne de conduite d'une commission comme la nôtre pour essayer d'aller vers la moins mauvaise solution budgétaire ? Nous nous sommes battus, dans une période objectivement complexe, pour essayer d'imposer, par le biais des arbitrages du chef des armées, un budget qui ne condamne pas la défense de notre pays, ni ses industries. Nous avons considéré le format des armées, l'état des risques, la nécessité de mettre en chantier des matériels qui assurent à notre armée une plus grande performante. Nous avons pris en compte les 160 000 et quelques emplois de l'industrie de la défense. Nous nous sommes battus sur tous les fronts, avec une convergence absolue.
Nous sommes arrivés à un arbitrage -je vous le dis sans détour- qui ne nous agrée pas, mais que nous considérons comme le moins mauvais possible...
Je vous en ai d'ailleurs rendu hommage dans mon introduction...
On est maintenant à la croisée des chemins. La LPM est ce qu'elle est, mais c'est la moins mauvaise déclinaison possible du Livre blanc. Nous nous sommes, dès lors, attelés à son instruction.
On peut, considérant que cette loi comporte trop d'insuffisances, la refuser. On a aussi la possibilité, sachant que l'on peut difficilement infléchir son volume, de la sécuriser au maximum, de travailler sur les ressources exceptionnelles, les OPEX et le contrôle, afin qu'il y ait le moins possible de lissage et de prélèvements momentanés.
J'ai écouté avec grand intérêt toutes les personnes que nous avons auditionnées. On peut se demander si on ne se trompe pas en voulant sécuriser cette LPM. C'est la question que je pose -et que je vous adresse...
Je ne sais pas y répondre. Vous avez choisi de préserver l'ensemble des programmes ; c'est très bien d'une certaine façon, mais cela présente un risque de sous-criticité de l'ensemble. A force de délayer, on finit par n'avoir que des programmes déliquescents. Les coûts unitaires montent, et la compétitivité globale en pâtit. C'est le choix du père de famille qui préserve tous ses enfants. Ce n'est pas toujours le choix économiquement le plus viable...
S'il avait fallu faire le choix de la criticité, quels programmes auriez-vous supprimés ?
Je ne sais pas. Il y a en ce moment beaucoup de débats autour de la composante aérienne nucléaire, etc. C'est une décision politique...
Le choix que vous avez fait s'inscrit dans la continuité ; il essaye de préserver l'ensemble des programmes et l'équipement de l'ensemble des forces.
Le véhicule de l'avant blindé (VAB) a plus de quarante ans de service, et va encore être en service durant une dizaine d'années. Il aura alors un demi-siècle. Pour un camion blindé, c'est très long ! Nos industriels gardent leurs camions trois ans !
Il était quasiment indispensable de tout maintenir. Si on n'avait pas agi ainsi, qu'est-ce qui prouve qu'on n'aurait pas pioché plus encore dans l'armée de terre ?
Cela dépend aussi de la capacité de ceux qui ont la charge de la mettre en oeuvre de le faire !
Oui, mais la DGA est très performante en matière d'organisation des programmes, tout comme nos états-majors le sont en matière de définition de besoins.
Un général avec qui j'ai récemment discuté dans les Landes, qui n'est plus en exercice, mais qui a commandé une base stratégique importante, m'a posé la question : pourquoi ne réduit-on pas ou n'abandonne-t-on pas notre effort en matière de dissuasion nucléaire, quitte à avoir un format d'armée de nature différente ?
Il s'agit d'une fausse économie, qui représente 300 millions sur 3 milliards. La composante nucléaire a été refaite à neuf. Elle est composée d'avions multi-rôles. J'ai cru comprendre que certains missiles embarqués dans les sous-marins ne fonctionnaient pas toujours. Il est donc utile d'avoir deux composantes crédibles modulables. En outre, ces économies ne s'appliqueront qu'en 2025 ou 2030... Cela ne solutionne donc pas immédiatement nos problèmes.
Vous avez souligné l'effort particulier en faveur des PME. Je crois qu'il est bon de les aider à se diversifier, même les moins fragiles. Certes, cela concerne la LPM, mais pas seulement. Peut-être y a-t-il des actions à mener à l'échelon européen et régional. Comment les choses se passent-elles ailleurs ?
En Allemagne, la structure industrielle est différente de celle que l'on trouve en France. Il existe moins de grandes croupes et plus d'ETI. D'autre part, la structuration des grandes industries est assez différente de la structuration française. Elle s'appuie sur les Länder, avec l'aide des Konzern. Les grandes entreprises allemandes vivent avec un tissu de PME qui leur sont attachées, qui font partie de leur territoire et de leur famille. Ces PME ont pour caractéristique de ne pratiquement travailler que pour les groupes auxquels elles sont attachées.
La structuration anglaise est plus proche de la nôtre. Les PME anglaises ont une caractéristique que n'ont pas nos sociétés, le marché américain leur étant pratiquement ouvert. Les entreprises françaises ont beaucoup plus de difficultés à le pénétrer.
Vous représentez les industries de la défense. Nous avons rencontré les représentants et quelques patrons de PME de la défense à l'occasion de cette LPM. Tous se félicitent de ce pacte européen de défense, mais souhaitent que les choses soient mises en oeuvre. Ils souhaitent toutefois savoir comment contrôler ce sujet. Votre organisme a-t-il mis en place un observatoire de la bonne application de cette charte ?
Non, mais cela fait partie des suggestions à étudier. On a beaucoup de mal à suivre les PME. Nos organisations professionnelles comptent des spécialistes. Je suis président du GICAT, où des permanents s'occupent spécifiquement de suivre les PME. 220 sont adhérentes, ainsi qu'une quinzaine de grands groupes et d'ETI.
Il est très difficile de suivre 200 PME. L'un de mes collaborateurs est chargé d'avoir un contact par an avec chacune d'elles, soit un par jour ouvrable, pour connaître leur état d'esprit, en tirer une synthèse, et être à l'affût des difficultés qu'elles peuvent rencontrer, afin de les aider. On essaie de faire remonter ces informations ; parfois, on réussit à faire en sorte que certaines sociétés soient reprises, fusionnent ou soient absorbées par d'autres. On évite ainsi qu'elles ne disparaissent. Une PME peut disparaître très vite, sans que personne ne s'en émeuve, mis à part le député ou le sénateur.
Les 20 000 emplois dont je parlais se trouvent en grande partie dans les PME. Les grands groupes ont bien souvent des activités duales, qui leur permettent d'équilibrer les charges entre le civil et le militaire, et bénéficient de variables d'ajustement. Les PME, qui sont en bout de chaîne, sont très vulnérables, réparties sur vos territoires, et peuvent disparaître sans qu'on s'en rende compte.
Ma question allait au-delà des emplois. Elle était liée à la relation entre la PME et la grande entreprise. Il y a une relation de sujétion entre l'une et l'autre, qui comporte parfois des excès et, en même temps, l'incapacité pour les PME d'exprimer réellement les choses, craignant en permanence de se voir exclues du système. Nous suggérons donc la mise en place d'une sorte d'observatoire, afin qu'il existe un lieu permettant d'éviter le face-à-face.
Nous allons suggérer à la DGA ou au ministère de la défense de créer une structure qui permette de suivre ce sujet et de dresser un bilan réel de l'efficacité de l'action.
Je pense que c'est la moins mauvaise que l'on pouvait espérer. Malheureusement, je crois que vous êtes obligés de la voter à peu près en l'état.
Cela pourra être une production française, mais probablement sous licence industrielle européenne. On n'a plus de petits calibres en France. Tout a été arrêté, même la fabrication de munitions, depuis que l'usine de Tulle a été fermée. On n'a plus de produits...
C'est un choix qui a été arrêté en son temps, en concertation entre l'état-major, la DGA et l'industrie.
Monsieur le président, je vous remercie et vous promets que nous essaierons de prendre en considération l'essentiel de vos observations. Nous en tiendrons compte au moment de notre débat, et lors du vote de la LPM.