Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 29 juin 2016 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PIB
  • stabilité
  • structurel
  • trajectoire

La réunion

Source

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, et conjointement avec la commission des affaires sociales, la commission des finances entend de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

La réunion est ouverte à 15 h 05

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Les commissions des affaires sociales et des finances sont réunies pour entendre Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présenter le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui constitue un élément d'information du Parlement important en vue du débat d'orientation des finances publiques, qui se tiendra le jeudi 7 juillet prochain en séance publique.

Pour préparer ce débat, nous bénéficierons également du rapport que le Gouvernement doit, en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), remettre au Parlement avant le 30 juin. De plus, nous prendrons connaissance des communications et des rapports d'information préparés par les rapporteurs généraux de nos deux commissions. Nous retrouverons le Premier président dès demain après-midi, dans le cadre du colloque organisé conjointement par la Cour des comptes et le Sénat, qui est consacré à la comptabilité générale de l'État, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mise en place.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

La commission des affaires sociales est attentive aux rapports de la Cour des comptes, et particulièrement réceptive à ses propositions. Notre commission souhaiterait pouvoir voter non pas une loi de financement de la sécurité sociale, mais une loi de financement de la protection sociale, afin de disposer enfin d'une vue d'ensemble. Venant d'ouvrir un colloque sur la robotique et sur l'espace ambulatoire, j'ajoute que nous serons particulièrement attentifs à l'évolution du coût des soins ambulatoires lors de l'examen de la loi de financement pour 2017.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Je suis, comme toujours, très heureux d'être entendu par vos commissions pour vous présenter le rapport que la Cour des comptes a publié ce matin sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Ce rapport est établi chaque année conformément à la LOLF, pour que le Parlement puisse préparer de la manière la plus opérationnelle possible le débat d'orientation sur les finances publiques. Il examine les finances publiques françaises à l'aune des objectifs fixés et des engagements pris par les pouvoirs publics. Le rôle de la Cour des comptes est d'apprécier les résultats obtenus au regard de ces objectifs et de ces engagements mais ce n'est pas la Cour qui les détermine.

Cette publication se situe dans le prolongement du rapport sur le budget de l'État en 2015, qu'il complète. Elle concerne, en effet, l'ensemble des administrations publiques, y compris la sécurité sociale et les administrations publiques locales, et analyse la trajectoire d'évolution des finances publiques à l'horizon 2019. Il est par ailleurs tenu compte des travaux du Haut Conseil des finances publiques, notamment sur les prévisions de croissance associées au programme de stabilité d'avril dernier.

Pour vous présenter ce rapport, j'ai à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de sa préparation, Christian Charpy et Éric Dubois, conseillers maîtres, ainsi que Vianney Bourquard, conseiller référendaire.

Dans ce rapport, la Cour des comptes dresse trois constats principaux. Premièrement, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015, mais la situation des finances publiques de la France reste en décalage avec la moyenne de l'Union européenne. Deuxièmement, l'objectif de réduction du déficit public pour 2016, plus modeste qu'en 2015, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales. Troisièmement, en l'état des décisions connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste. Avant de conclure mon propos, je ferai un rapide point sur les évolutions récentes en matière de gouvernance des finances publiques.

J'en viens au premier constat du rapport : la situation des finances publiques s'est légèrement améliorée en 2015, mais cette situation reste en décalage avec celle de la plupart des autres pays de l'Union européenne.

Interrompu entre 2013 et 2014, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015. La légère amélioration observée est plus rapide que prévu dans la loi de programmation des finances publiques : le déficit public, qui devait être de 4,1 points de PIB en 2015, a finalement été de 3,6 points de PIB. La Cour des comptes observe que cette amélioration d'un demi-point de PIB avait déjà été largement acquise en 2014, avec 0,4 point de déficit en moins qu'anticipé. Cette amélioration doit en outre être nuancée à plusieurs titres. D'une part, le déficit public reste à un niveau élevé en 2015. La réduction des déficits publics est essentiellement imputable aux collectivités territoriales, qui ont significativement infléchi leurs dépenses de fonctionnement (+ 1,0 % en 2015 après + 2,7 % en 2014), et diminué de manière marquée leurs dépenses d'investissement pour la seconde année consécutive. Une situation légèrement moins dégradée des comptes sociaux contribue également de manière plus marginale à ce résultat.

D'autre part, l'amélioration des déficits publics a bénéficié de phénomènes qui ne sont pas forcément récurrents. La modération des dépenses a été facilitée par la baisse des charges d'intérêts et par la chute de l'investissement local. Or ces évolutions ne peuvent pas être considérée comme pérennes. La dette publique continue d'augmenter, ce qui conduira les charges d'intérêts accrus si les taux d'intérêt remontent. La chute de l'investissement local, qui résulte en partie du cycle électoral, devrait cesser de favoriser la baisse des dépenses en 2016.

Nous examinons chaque année la situation des finances publiques au regard de celle de nos voisins européens. Cet examen conduit à plusieurs constats. En premier lieu, le niveau du déficit public reste élevé en France relativement à nos voisins. Seuls quatre pays de l'Union européenne conservent un déficit effectif plus dégradé que celui de la France : la Grèce, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni. Cet écart touche également le déficit structurel. La France continue d'accuser un décalage par rapport aux autres économies européennes dans l'ajustement de ses finances publiques. Quatre pays seulement ont un déficit structurel plus élevé que celui de la France : le Royaume-Uni, l'Espagne, la Slovénie et la Belgique. La réduction du déficit public en France, de l'ordre de 0,5 point de PIB en 2015, est à peu près équivalente à celle observée en moyenne au sein de la zone euro et de l'Union européenne. Cela signifie que la France doit poursuivre ses efforts de réformes structurelles, si elle souhaite mettre fin au décalage observé aujourd'hui avec les autres pays européens ou a minima le réduire significativement.

En second lieu, les dépenses publiques en France ont continué d'augmenter en volume, à un rythme supérieur à celui de la plupart des autres pays de l'Union européenne. Si la maîtrise de la dépense fait désormais partie de la stratégie gouvernementale pour redresser les finances publiques, cette stratégie apparaît cependant moins marquée que dans d'autres pays, même ceux qui ont accru en 2015 leurs dépenses publiques, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne. Mais si l'on s'intéresse à l'ensemble de la période 2010-2015, l'Allemagne est le seul de ces pays à avoir connu une dynamique de la dépense publique supérieure à celle de la France depuis 2010. La situation des finances publiques y est nettement plus favorable.

En troisième lieu, la trajectoire d'endettement de la France diverge désormais non seulement de celle de l'Allemagne, mais aussi de celle de la moyenne des pays de la zone euro. Alors que le poids de la dette publique a diminué en moyenne dans la zone euro (- 1,3 point de PIB) et dans l'Union européenne (- 1,6 point de PIB), il a continué à augmenter en France (de 0,4 point de PIB).

De manière à infléchir la dépense publique, le Gouvernement a annoncé un plan de 50 milliards d'euros d'économies de dépenses sur la période 2015 à 2017, dont la Cour des comptes a examiné la mise en oeuvre pour 2015. Lors de l'annonce de ce plan, le Gouvernement avait réparti les économies sur les trois années 2015 à 2017, avec une première tranche de 21 milliards d'euros d'économies en 2015, puis deux tranches de 14,5 milliards d'euros chacune, en 2016 et 2017. Cette répartition a été modifiée progressivement au cours de l'année 2015 jusqu'au programme de stabilité d'avril 2016. Dans ce document, le montant d'économies a été révisé à la baisse pour 2015 et 2016. L'effort le plus important a alors été reporté sur l'exercice 2017 (18,7 milliards d'euros). La Cour des comptes observe que le montant des économies correspond à un effort par rapport à une évolution tendancielle des dépenses publiques. Or l'examen des hypothèses retenues par le Gouvernement révèle qu'elles conduisent à une évaluation plutôt élevée de la croissance tendancielle. Elles comportent ainsi un biais majorant d'autant les économies affichées. La première tranche d'économies de plus de 18 milliards d'euros en 2015 a été examinée dans ce rapport. Même si l'effort des pouvoirs publics est réel, la Cour des comptes estime que le montant d'économies s'élève plutôt à 12 milliards d'euros, du fait essentiellement d'une moindre contribution de l'État : ses dépenses (hors prélèvements sur recettes, hors charges d'intérêts, hors pensions) ont en effet continué d'augmenter de 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2015, alors qu'elles auraient dû diminuer de près d'un milliard. De surcroît, certaines mesures d'économies présentées par le Gouvernement ne peuvent pas être comptabilisées comme des économies réelles. En particulier, le ralentissement de la dépense des programmes d'investissements d'avenir (PIA) correspond davantage à des décalages de paiements qu'à une vraie économie. La dépense est reportée dans le temps et non pas annulée. Les crédits totaux destinés aux PIA affectés aux opérateurs restent, en effet, inchangés.

Au total, l'effort sur les dépenses publiques en 2015 a été réel, mais moindre que celui correspondant aux engagements européens. L'effort structurel qui aurait permis de respecter les engagements européens de la France est de 0,5 point de PIB par an. Or l'effort structurel tel qu'évalué par le Gouvernement est de 0,3 point de PIB hors charge d'intérêts, avec la croissance potentielle retenue par le Gouvernement, et serait de 0,2 point de PIB avec la croissance potentielle estimée par les organisations internationales.

L'objectif de réduction du déficit public pour 2016, modeste, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales.

Dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, le déficit public prévu pour 2016 était de 3,6 points de PIB. Dans le programme de stabilité d'avril 2016 transmis par le Gouvernement à la Commission européenne, cette prévision a été abaissée à 3,3 % du PIB. Les résultats, meilleurs que prévu en 2014 et en 2015, associés à une conjoncture économique orientée plus favorablement, sous réserve d'effets possibles du résultat du référendum au Royaume-Uni, permettent ainsi d'envisager une situation financière un peu améliorée en 2016. Les risques apparaissent limités sur les prélèvements obligatoires. La prévision de recettes repose sur un scénario de croissance du PIB et d'inflation jugé réaliste par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le dernier programme de stabilité. Les indicateurs de conjoncture publiés depuis cet avis le confortent, sous réserve des conséquences éventuelles du « Brexit ».

Les recettes publiques apparaissent correctement calibrées. Elles devraient progresser en 2016 au rythme d'une croissance économique, en amélioration par rapport à 2015, comme le retient la prévision du Gouvernement, toujours sous réserve des conséquences éventuelles de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Si le scénario relatif aux recettes publiques apparaît relativement prudent, la trajectoire de déficit ne saura être durablement respectée sans une maîtrise rigoureuse des dépenses. Des tensions fortes existent, notamment en ce qui concerne l'évolution des dépenses de l'État. Elles sont plus importantes en 2016 qu'en 2015. Les risques de dépassement pourraient représenter en 2016 entre 3,2 et 6,4 milliards d'euros, contre des risques estimés entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros à la même époque l'année dernière. Ces dépassements sont avant tout liés aux annonces de mesures nouvelles et aux sous-budgétisations. Les annonces nouvelles recensées par la Cour des comptes pourraient conduire à accroître les dépenses de l'État de 2,5 milliards d'euros. Cet accroissement serait principalement le fait du plan d'urgence pour l'emploi, des aides accordées aux agriculteurs et aux éleveurs et de la hausse des dépenses du ministère de la défense. Les sous-budgétisations seraient d'environ 2 milliards d'euros en 2016, soit un ordre de grandeur comparable à celui observé en 2015. Malheureusement, les sous-budgétisations sont récurrentes. Elles concernent en particulier les missions « Défense », « Travail et emploi », et « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Ces sous-budgétisations nuisent à la sincérité du vote du Parlement sur la loi de finances. Elles rognent dès le début de l'année les marges de manoeuvre nécessaires pour maîtriser l'exécution de la dépense budgétaire.

Par ailleurs, la masse salariale de l'État, hors contributions au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », devrait progresser de 1 à 1,5 % en 2016, contre 0,4 % en 2015. Il faut remonter à 2007 pour retrouver un tel rythme d'évolution. Les trois facteurs qui avaient permis de modérer la masse salariale de l'État depuis près de dix ans contribuent maintenant à cette accélération. Les effectifs augmentent depuis 2015. La valeur du point de la fonction publique sera majorée au 1er juillet 2016 puis au 1er février 2017. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures catégorielles depuis le début de cette année.

Le Gouvernement a accentué, en début d'exercice, la réserve de précaution pour tenir l'objectif de dépense de l'État. Il a décidé de geler les reports de crédits de manière transversale, pour la première fois depuis la mise en oeuvre de la LOLF en 2006. Par ailleurs, l'élaboration, en juin 2016, du premier des trois décrets d'avance prévus dans l'année a déjà donné lieu à des arbitrages difficiles, le Gouvernement ayant renoncé à certaines des annulations prévues initialement. Au regard de l'ampleur des risques de dépassement de crédits, le respect de l'objectif de dépenses incluses dans la norme de dépenses en valeur sera particulièrement difficile en 2016, même s'il reste atteignable. À titre de comparaison, malgré des risques de dépassement moindres en 2015, la norme de dépenses n'avait été respectée que facialement, grâce à la baisse du prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne et à des contournements notables (3 milliards d'euros).

Le respect de l'objectif pourrait devenir impossible si de nouvelles dépenses supplémentaires venaient à être décidées d'ici la fin de l'année. Des risques de moindre ampleur pèsent également sur les dépenses des administrations de sécurité sociale. En particulier, l'économie de 800 millions attendue en 2016 de la renégociation de la convention de l'Unedic paraît désormais hors d'atteinte à la suite de l'échec de cette négociation.

Au total, si l'objectif, plus modeste qu'en 2015, de réduction du déficit reste atteignable, il exigera une gestion très stricte des moyens. Il ne laisse aucune place à des décisions nouvelles conduisant à des hausses de dépenses. Les annonces successives de nouvelles dépenses publiques, qui ne sont, en l'état de nos connaissances actuelles, ni financées ni gagées par des économies pérennes, font peser un risque sur les finances publiques en 2016 mais plus encore sur les années suivantes. Parmi les dépenses supplémentaires annoncées au cours de l'année 2016, celles concernant la masse salariale pèseront en effet essentiellement à partir de 2017 et continueront de monter en charge ensuite.

J'en arrive au troisième et dernier constat de la Cour des comptes : au regard des décisions d'ores et déjà connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste, au regard des nouveaux engagements pris. Pour les années 2017 à 2019, le programme de stabilité d'avril 2016 prévoit une trajectoire de redressement des finances publiques revue à la baisse par rapport à la loi de programmation. L'amélioration du déficit public est en effet moindre que celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, alors même que le déficit de 2015 est d'un demi-point inférieur. Le résultat, meilleur que prévu, n'est donc pas mis à profit pour réduire plus rapidement le déficit public et infléchir nettement la trajectoire de dette.

Le Gouvernement a, dès le programme de stabilité d'avril 2015, révisé à la hausse la croissance potentielle pour 2016 et 2017. Elle se situe désormais à un niveau sensiblement supérieur à celui retenu par les organisations internationales. Elle permet ainsi au Gouvernement d'afficher un solde structurel à l'équilibre en 2019 malgré un déficit effectif s'élevant encore à 1,2 point de PIB. Cependant, avec les estimations de PIB potentiel des organisations internationales, le déficit structurel serait d'environ un point de PIB. Sur la base d'hypothèses de croissance potentielle plus prudentes, une trajectoire plus ambitieuse de finances publiques serait nécessaire pour respecter, en 2019, l'objectif de moyen terme de solde structurel fixé à - 0,4 point de PIB par la loi de programmation.

L'analyse du programme de stabilité montre en outre que l'atteinte d'une cible de déficit effectif de 1,2 point de PIB en 2019 suppose une maîtrise sans précédent du volume de la dépense publique compte tenu de la baisse visée du taux de prélèvements obligatoires de 0,2 point par an. La dépense publique en volume (hors charges d'intérêts) devrait être stable en 2017 puis baisser légèrement en 2018 et en 2019, ce qui n'a jamais été le cas dans notre histoire budgétaire récente, sauf en 2011 compte tenu des effets des PIA. Cela devrait impliquer un effort accru par rapport à la période récente puisque cette dépense en volume a progressé en moyenne de 1,1 % entre 2010 et 2015 et de 2,6 % entre 2000 et 2009. Pour que l'objectif soit atteint, il faut donc aller au-delà, en ralentissant encore la dépense publique. Pour le moment, le Gouvernement ne présente pas de réforme nouvelle qui permette de conforter ses objectifs. Au contraire, la hausse programmée des dépenses militaires, les mesures annoncées en début d'année concernant l'emploi, la modération de l'effort demandé aux communes et intercommunalités et, surtout, la progression de la masse salariale vont pousser les dépenses à la hausse, à hauteur d'environ 0,3 point de PIB en 2017, soit de l'ordre de 6 milliards d'euros. En particulier, la masse salariale des administrations, qui représente près du quart des dépenses publiques, augmentera, dès 2017, à un rythme marquant une forte rupture avec les évolutions constatées depuis dix ans. Aucun des trois leviers - stabilité des effectifs, gel du point d'indice et limitation des mesures catégorielles - ne sera actif. De ce fait, la masse salariale de l'État pourrait progresser en 2017 à un rythme supérieur à celui enregistré au total sur l'ensemble de la période 2009-2015, soit plus de 2 %. La réforme des grilles salariales négociée dans le cadre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » va entraîner également une hausse des dépenses de personnel. Sa montée en charge progressive représenterait à l'horizon 2020 entre 2 et 2,5 milliards d'euros pour la seule fonction publique d'État, et entre 3,5 et 4,5 milliards d'euros pour l'ensemble des composantes de la fonction publique.

Les travaux de la Cour des comptes montrent que les risques pesant sur la réalisation de cette trajectoire sont très importants. Pour atteindre la cible du programme de stabilité, les mesures annoncées dans le cadre du plan d'économies à 50 milliards d'euros devraient être effectivement mises en oeuvre et comporter des mesures supplémentaires qui, pour le moment, font défaut.

Un mot sur la gouvernance des finances publiques : la crise financière de 2008, puis celle des dettes souveraines, ont conduit les États membres de l'Union européenne, en particulier ceux de la zone euro, à revoir leur gouvernance budgétaire. Plusieurs textes sont intervenus qui prévoient trois innovations : une règle d'équilibre structurel ; l'instauration d'un mécanisme de correction automatique ; la création d'institutions budgétaires indépendantes. Afin d'accompagner la mise en oeuvre de la maîtrise des dépenses, la Cour des comptes s'est penchée sur la mise en oeuvre de ces règles. Les textes européens imposent désormais la fixation d'un objectif d'équilibre de moyen terme, défini en termes structurels, qui ne peut pas être supérieur à 0,5 point de PIB. Le pilotage de la politique budgétaire à partir d'un objectif de solde structurel, plutôt que nominal, est, dans son principe, économiquement souhaitable : il permet de limiter le risque d'une politique budgétaire trop relâchée en période de croissance forte ou trop rigoureuse en période de récession et il permet aussi de refaire de la politique budgétaire un instrument contra-cyclique. En France, cet objectif est inscrit dans les lois de programmation des finances publiques. Révisables à tout moment, celles-ci ne lient pas le législateur financier. Le mécanisme de correction automatique, qui impose une correction en cas de déviation significative de la trajectoire de solde structurel, n'a en pratique pas fonctionné en 2014. Ce mécanisme a été déclenché au printemps 2014 mais le Gouvernement, plutôt que de revenir sur la trajectoire de finances publiques de la loi de programmation alors en vigueur, a choisi de modifier cette trajectoire en présentant une nouvelle programmation pluriannuelle.

Les nouvelles règles de gouvernance ont imposé la création d'organismes budgétaires indépendants Dans ce cadre, la France a créé le Haut Conseil des finances publiques. Les organisations internationales considèrent que ces institutions incitent les pouvoirs publics à davantage de prudence dans l'estimation des recettes publiques, élément clef pour le respect des trajectoires de solde.

Quelques améliorations pourraient renforcer la gouvernance des finances publiques. D'abord, l'objectivation de la croissance potentielle paraît nécessaire pour ne pas biaiser les cibles de solde structurel. Autant d'économistes, autant de prévisions, certes. Mais il serait intéressant de rapprocher les hypothèses de travail. Lorsque les prévisions de croissance sont révisées, il conviendrait que les comités budgétaires indépendants puissent être consultés et exprimer leur avis. Nous constatons que le programme de stabilité annuel est devenu la pierre angulaire du dialogue avec l'Union européenne et, à bien des égards, plus structurant que les lois de programmation, qui ne donnent d'ailleurs lieu qu'à un examen limité, tant par le Parlement que par le Haut Conseil des finances publiques. Plus de solennité à l'approbation des programmes de stabilité ne nuirait pas.

Ensuite, les règles européennes de gouvernance budgétaire pourraient être simplifiées. Si la référence au solde structurel permet de vérifier la soutenabilité de long terme de la politique budgétaire et doit donc être conservée dans son principe, elle gagnerait à être complétée par une règle de dépense, plus facile à expliciter ex ante et à vérifier ex post. Une telle règle pourrait prendre la forme d'un objectif de dépenses décliné annuellement pour l'ensemble des administrations publiques, fixé en euros courants, en fonction d'une cible de solde structurel compatible avec le respect de l'objectif structurel de moyen terme. Un tel schéma imposerait de réfléchir à un mode de gouvernance associant l'État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales. Il faudrait en préciser sa définition et les modalités de son suivi.

En conclusion, je rappellerai d'abord que la Cour des comptes ne méconnaît pas les efforts réalisés ces dernières années par les pouvoirs publics pour procéder au redressement des finances publiques. Pour autant, elle redoute que l'amélioration de la conjoncture conduise une nouvelle fois à interrompre ce mouvement. Les travaux de la juridiction financière, en mettant notamment en lumière les expériences de nos voisins européens, montrent au contraire que l'effort structurel ne doit pas être relâché au moment où les pouvoirs publics bénéficient d'une conjoncture économique favorable et de taux d'intérêt extrêmement bas. Les ajustements structurels des finances publiques qui doivent intervenir dans des phases de conjoncture moins favorables sont généralement beaucoup plus douloureux.

En dépit des progrès réalisés dans la période récente, la politique de maîtrise de la dépense menée jusqu'à présent a davantage visé à la contenir qu'à la réduire. Les résultats ne sont pas complètement au rendez-vous, alors que les travaux des juridictions financières soulignent les marges d'efficacité et d'efficience de l'action publique dans notre pays. Nous mettons toujours en avant le décalage qu'il peut y avoir entre le niveau des dépenses publiques et les résultats des politiques publiques.

Faire des choix explicites, s'attaquer aux principales sources d'inefficacité de la dépense, réexaminer les missions des administrations publiques prises dans leur ensemble et mieux cibler les dépenses d'intervention : tout cela aiderait à mieux maîtriser les dépenses publiques tout en permettant d'affirmer les priorités politiques voulues par les pouvoirs publics.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Votre analyse pour les années à venir rejoint malheureusement celle de la commission des finances, tant pour 2015 que pour les exercices suivants.

En 2015, la réduction des déficits a reposé, en grande partie, sur les collectivités territoriales. Certes, le solde structurel s'est amélioré en 2015, mais nous en connaissons les raisons, et la Cour des comptes souligne la grande différence entre la trajectoire budgétaire française et celles de nos voisins, notamment avec l'Allemagne en matière de dette.

Vous estimez qu'il existe un risque significatif de non-respect des objectifs pour 2017. Est-il déjà trop tard pour respecter nos engagements européens ? Ou bien devrons-nous réduire drastiquement nos dépenses ? Pour parvenir à l'objectif de 3 % du PIB. Quel montant d'économies supplémentaires devra être prévu dans le projet de loi de finances pour 2017 ?

Vous avez rappelé divers risques, sans parler de la dépense explosive du revenu de solidarité active (RSA) dans les départements. Des dépenses imprévues pourraient intervenir. Quels pourraient être les risques inhérents aux contentieux communautaires, comme celui concernant la CSG des non-résidents ou le précompte ? Sont-ils pris en compte ?

Le « Brexit » aura immanquablement d'importantes conséquences. Quelle appréhension la Cour des comptes a-t-elle des incidences budgétaires de ce « Brexit », dont la commission des finances a montré qu'elles pourraient être significatives, voire de ses effets sur la croissance économique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Certes, le mouvement de réduction du déficit public a repris, mais vous soulignez la moindre maîtrise des dépenses, comme notre commission le constatait ce matin en ce qui concerne les comptes sociaux.

Le programme de stabilité 2016-2019 a révisé les hypothèses de taux d'intérêt à court terme en estimant qu'ils seraient négatifs cette année et nuls en 2017. Quels traitements réserver à la dette logée à l'Acoss - soit 16 milliards d'euros aujourd'hui et près de 30 milliards d'euros en 2019 - qui est exposée au risque des taux, à la conjoncture et au « Brexit » ?

Avec le plan de 50 milliards d'économies, la part des administrations de sécurité sociale a été revue à la baisse. Quelle est la part des économies réellement acquises à la fin 2015 et celle des reports de charges ? Je pense en particulier à l'Ondam hospitalier et aux coûts de gestion des caisses.

Nous avons observé des écarts importants entre les prévisions et les résultats, notamment pour la CSG sur les revenus de remplacement, mais aussi pour les prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Quel est le sentiment de la Cour des comptes sur les prévisions de recettes affectées à la sécurité sociale ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

En 2016, nous identifions des risques plus importants qu'en 2015. En 2015, le respect des objectifs en matière de dépenses a été difficile à tenir et si le résultat affiché est facialement correct, il a été présenté au prix de quelques contournements par rapport aux règles budgétaires classiques. Nous les avons chiffrés aux environs de 3 milliards d'euros.

Pour 2016, les risques nous apparaissent plus forts qu'en 2015. Nous invitons le Gouvernement à être extrêmement vigilant afin de maîtriser la dépense. Pour respecter l'objectif, il ne faut pas en rajouter, bien évidemment. Or, certaines mesures auront déjà des effets sur 2016, notamment celles en faveur des jeunes, de l'emploi, de la masse salariale avec l'augmentation du point d'indice... L'objectif reste néanmoins atteignable.

Pour 2017, l'objectif de maîtrise de la dépense est beaucoup plus ambitieux que pour 2016, puisqu'il prévoit une stabilité en volume de la dépense. Alors même que l'on ne voit pas ce qui pourrait permettre de parvenir à cet objectif, des dépenses supplémentaires sont annoncées, sans être gagées, qui rendent encore plus difficile le respect de l'objectif de 2,7 %. Par rapport à la stabilité en volume de la dépense publique en 2017, les promesses qui ont été faites correspondent à 0,3 % de PIB, soit 6 milliards d'euros.

Nous n'avons pas pu analyser les conséquences du « Brexit » sur la croissance au Royaume-Uni, en Europe et en France, et les résultats qu'il peut avoir sur le scénario des finances publiques. Pour 2016, les effets seront sans doute maîtrisés. Pour 2017, si la croissance est entamée par une récession Outre-Manche, les recettes, et donc le scénario des finances publiques, en seront affectées. Le Haut Conseil des finances publiques avait d'ailleurs identifié ce risque. L'incertitude n'est certes pas un facteur de consolidation de la croissance. Pour le moment, personne ne peut dire avec certitude quelles seront les conséquences réelles sur les hypothèses macroéconomiques de la France.

Debut de section - Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Au moment de l'audit de 2012, nous avions constaté l'absence de prise en compte d'un certain nombre de contentieux dans le programme de stabilité du printemps 2012. Les informations entre les trois directions de Bercy qui sont co-responsables de ce sujet sont désormais plus fluides et transparentes. L'expérience a montré que les estimations étaient prévisionnelles car beaucoup dépend des décisions et du rythme de travail des différentes juridictions appelées à trancher définitivement ces contentieux. Dans les années précédentes, nous avons eu des inscriptions prudentes en programme de stabilité et de bonnes surprises en termes budgétaires liées à une dépense inférieure aux prévisions.

Le provisionnement actuel se fait dans des conditions raisonnables, solides et professionnelles, et la réalité de la dépense est fonction de paramètres extérieurs à l'administration.

Pour 2016 et 2017, le programme de stabilité prévoit respectivement 2,6 milliards et 1,7 milliard d'euros de décaissements. C'est significativement plus que pour 2014 et 2015. Le montant n'est donc pas sous-estimé, même si les aléas restent importants.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Nous reviendrons sur la dette sociale lors de la présentation du rapport sur la loi d'exécution de la sécurité sociale. Nous rappellerons que l'existence d'une dette sociale est, en soi, une anomalie, car cela traduit l'accumulation de déficits sociaux qu'aucun de nos voisins n'accepte à ces niveaux et sur cette durée, car cela consiste à reporter sur les générations futures le financement de simples dépenses de transfert. La Cour des comptes a toujours attaché une grande importance à la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, dont l'horizon avait initialement été fixé à 2017 et a été décalé au-delà de 2019. Nous sommes préoccupés par la persistance d'une dette sociale et nous recommandons que son amortissement intervienne au plus vite. Fin 2016, la Cades aura saturé sa capacité de reprise de dettes pour un amortissement complet prévu à l'horizon 2024. Dans ces conditions, la dette résiduelle portée par l'Acoss se monte à près de 16 milliards d'euros fin 2016 et potentiellement à 30 milliards d'euros fin 2019. Cette dette ne peut être reprise par la Cades sans nouvelle disposition législative et sans y associer des ressources nouvelles permettant son amortissement complet aux termes prévus. Nous avons déjà recommandé dans le passé l'organisation de la reprise par la Cades des dettes constituées à l'Acoss en prévoyant, bien sûr, les recettes nécessaires à l'amortissement complet de la dette sociale. Cette recommandation s'applique, en particulier, aux 16 milliards d'euros de dette résiduelle portée par l'Acoss. La situation est fragile car nous sommes exposés à l'évolution des taux d'intérêt. Certes, ils peuvent rester bas encore un certain temps du fait du « Brexit », mais une remontée n'est pas à exclure alors même que la croissance resterait atone. Nous devons nous mettre à l'abri d'éventuels retournements.

Debut de section - Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Le tableau d'estimation des mesures d'économie pour 2015 a été établi sur la base des schémas du Gouvernement. Nous avons comparé le réalisé aux objectifs du programme. Le montant affiché par le Gouvernement était de 18 milliards d'euros ; notre estimation est de 12 milliards d'euros. Les deux principales zones d'écart sont le budget général de l'État - 3,3 milliards d'euros d'économies pour un affichage à 7,4 milliards d'euros - et le décalage de l'engagement des crédits des programmes d'investissements d'avenir (PIA), qui est un report dans le temps et non une économie.

Les économies réalisées au titre de l'Unédic et du respect de l'Ondam n'appellent pas d'objection ; en revanche, une certaine opacité subsiste sur les économies réalisées dans la catégorie des autres dépenses des organismes de sécurité sociale, dont l'analytique ne nous a pas été fourni. Nous avons essayé de reconstituer l'impact des mesures prises dans le champ du régime général, parvenant à un total de 1,6 milliard d'euros identifié pour 2,6 milliards d'euros affichés. Ce décalage d'un milliard d'euros s'ajoute aux cinq milliards d'euros d'écart dans le réalisé des dépenses de l'État. Au total, nous sommes aux deux tiers des économies annoncées au titre de 2015 - 12 milliards d'euros pour 18 milliards - sur la base d'évaluations qui demeurent fragiles et conventionnelles.

L'effort structurel sur la dépense, plus facilement objectivable, est estimé par le Gouvernement à 0,4 point de PIB. Déduction faite de la baisse liée à la charge d'intérêts, qui n'est pas attribuable au Gouvernement, ce total est ramené à 0,3 point voire, d'après les estimations des organisations internationales, à 0,2 point. C'est un effort réel, mais inférieur à l'objectif de 0,5 point fixé par la Commission européenne pour la maîtrise des dépenses publiques.

Concernant le pilotage, la Cour des comptes constate un écart entre les prévisions et le réalisé dans le champ du régime général, somme de légers décalages affectant des fractions de recettes de CSG. C'est simplement un point d'attention.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

J'apprécie vos analyses percutantes et pertinentes. Je vous remercie d'avoir rappelé que la réduction du déficit public est imputable, pour près des deux tiers, aux collectivités territoriales en 2015.

Ne peut-on sortir d'une logique d'examen des économies réalisées fondée sur le tendanciel d'évolution des dépenses, qui complique inutilement les discussions autour des finances publiques ? Le tendanciel est plus difficile à expliquer à la personne de la rue que les économies réelles.

Dans le rapport présenté voici deux semaines, vous évaluiez ces économies à 1,7 milliard d'euros, pour 7,4 milliards annoncés. Or le chiffre ici présenté est de 3,3 milliards. Pourquoi cette différence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les rapports de la Cour des comptes sont une mine d'informations précieuses. L'effort important demandé aux collectivités territoriales a été évoqué ; mais le discours sur les économies à réaliser fait peser un risque sur les politiques sociales, et notamment sur les plus fragiles. Il y a de l'humain derrière ces chiffres. La négociation sur la convention d'assurance chômage aurait dû permettre de dégager 800 millions d'euros d'économies ; tous les syndicats réunis ne demandaient qu'une augmentation de 0,5 % de la cotisation patronale. Cet échec va encore affaiblir les plus fragiles. La réduction des dépenses finit par poser la question de la limite, et de l'impact de ce mouvement sur les politiques sociales ; elle nous renvoie aussi à celle des nouvelles recettes, qu'il faudra nécessairement aborder. Quel objectif veut-on atteindre vis-à-vis des populations destinataires de ces politiques ?

Il conviendrait également d'évaluer l'impact réel, en termes d'activité et de créations d'emplois, des aides aux entreprises accordées sous la forme du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du crédit d'impôt recherche (CIR).

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Je salue le sérieux et l'objectivité de votre rapport, tout en observant que la partie consacrée aux satisfecit est toujours beaucoup plus courte que celle des critiques... Reste que les efforts portent leurs fruits et que, comme vous le reconnaissez, l'objectif d'un déficit inférieur à 3 % en 2017 est atteignable. Ceux qui ont creusé ce déficit rivalisent de zèle, désormais, pour le combler... Chacun doit prendre sa part des efforts à consentir. Les résultats sont meilleurs que prévu.

Quelles mesures suggérez-vous de prendre en matière de réduction du déficit structurel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Vous parlez de ralentissement de l'augmentation de la dépense ; il serait plus clair, pour l'homme normal que je suis, de dire que la dépense continue à augmenter...

La nouvelle taxe d'aménagement annoncée lundi dernier devrait rapporter 600 millions d'euros ; c'est une résultante de la loi NOTRe, puisqu'elle financera la dépense supplémentaire des régions. N'est-ce pas une création de taxe ?

Vous évoquez, dans votre rapport, un plan de 50 milliards d'euros d'économies, dont la réalisation est progressivement repoussée dans le temps : cela revoie la part la plus importante de l'effort à 2017. Puisque vous jugez cela insuffisant, à combien estimez-vous l'effort nécessaire pour un budget équilibre ? Cent milliards d'euros ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Je remercie la Cour des comptes de ce travail de grande qualité qui nous interpelle. Vous avez mis en évidence un décalage entre le chiffrage des économies par le Gouvernement et vos propres estimations. Il y a toutefois un seuil au-delà duquel on ne peut plus réduire les moyens humains, indispensables au fonctionnement des administrations. Comment appréhendez-vous cette problématique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Permettez-moi d'être pessimiste. L'effort d'économies a surtout concerné les collectivités territoriales à travers la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; on ne voit pas où sont les réductions des dépenses de santé. Au total, les économies sont de 12 milliards d'euros, mais sans aucune réduction réelle de dépenses. Au contraire, on multiplie les dispositifs inefficaces : contrats aidés, aide médicale d'État (AME), prime d'activité... Quant aux réductions d'impôts pour les moins favorisés, c'est gentil pour eux, mais cela représente quelques milliards de recettes perdues. L'objectif d'un déficit ramené à 3 % du PIB ne sera pas tenu parce que rien n'est fait pour. Regardons la vérité en face.

L'Europe nous surveille de près : nous sommes exposés au risque d'une augmentation des taux d'intérêt, parce que nous perdons la confiance des prêteurs. Or ces augmentations vont aggraver le poids de la dette... Les candidats à l'élection présidentielle ne semblent pas se rendre compte de la très mauvaise situation dans laquelle nous nous trouvons.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Entré optimiste dans cette salle, j'en sortirai pessimiste ! Je me disais qu'à 1,6 %, la croissance repartait, qu'avec un déficit à 3,6 % du PIB au lieu des 3,8 prévus, l'objectif des 3 % - fétichisme des chiffres... - devenait atteignable pour 2017. Vous remettez ce beau scénario en cause. Excès de pessimisme ? La prévision est un exercice délicat, et nous sommes tout de même sur la voie du rétablissement. Mais certains trouvent que 50 milliards d'euros, ce n'est pas assez, et parlent de 100 milliards... Notre créativité est sans limites.

La croissance potentielle fait partie, comme le semestre européen, de ces notions floues que la Commission européenne nous fait utiliser. D'abord, c'est difficile à cerner : une sorte de croissance idéale dans un monde sans inflation ni interférences extérieures. De plus - sans critiquer la Cour des comptes qui ne fait qu'appliquer les règles européennes - le mode de calcul est sujet à caution, à commencer par la prise en compte des deux années passées. Nombre d'économistes estiment qu'il faudrait davantage quatre années. Nous avons écrit, avec d'autres parlementaires, à Pierre Moscovici pour l'alerter sur ce sujet.

La Cour des comptes relève l'existence d'une différence significative entre l'estimation de l'écart de production retenue par le Gouvernement et celle avancée par la Commission européenne. Toutefois, la réalisation de nos objectifs budgétaires en retenant l'hypothèse de la Commission conduirait à tuer la croissance, comme le docteur Diafoirus qui, en tuant le malade, prétend l'avoir guéri ! Nous avons raison de lisser notre effort et d'avancer progressivement vers la résolution des déficits, la croissance et la création d'emplois.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Avec 8 %, la réserve de précaution a atteint un niveau record cette année. L'usage qu'en fait le Gouvernement s'inscrit-il dans une logique de gestion des aléas d'exécution ? La Cour des comptes a-t-elle des préconisations quant au niveau qu'elle estime convenable ?

Le mois dernier, vous avez relevé dans votre rapport sur le budget de l'État en 2015, le trompe-l'oeil qu'est le désendettement par l'émission d'obligations sur des souches anciennes, qui aura pour conséquence d'accroître le service de la dette. Au-delà du constat, cette politique vous semble-t-elle relever d'une bonne gestion des deniers publics sur le long terme ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques, c'est rassurant, tout comme le fait que les anticipations du Gouvernement pour 2016 sont jugées réalistes. Enfin, les apports de la rénovation de la gouvernance des finances publiques, en particulier le Haut Conseil des finances publiques et les lois de programmation, sont à saluer : ils permettent une analyse plus satisfaisante de la situation et des perspectives.

Vous estimez que des efforts plus importants sont nécessaires pour améliorer durablement la situation de la France en comparaison des autres pays européens. Une baisse conséquente des dépenses publiques devrait être annoncée et bientôt précisée. Quel est, à vos yeux, l'équilibrage le plus pertinent ? Les 50 milliards d'euros d'économies de la loi de programmation sont répartis entre les dépenses de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales. L'augmentation que vous préconisez devra-t-elle porter davantage sur l'une ou l'autre de ces composantes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Le rapporteur général de la commission des finances présentera prochainement un « consensus » de la croissance potentielle, notion certes abstraite et très débattue mais essentielle - je songe aux apports de Jean-Pierre Caffet à la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques de 2012. Avez-vous une idée de l'« épure » de la trajectoire de PIB potentielle qui devrait être retenue pour construire la prochaine loi de programmation ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Au niveau européen, des élus ont demandé à la Commission européenne d'être plus transparente sur ses hypothèses de croissance potentielle et de les confronter à celles d'autres organisations internationales ou pays. Mais nous constatons un accroissement de l'écart entre les hypothèses du Gouvernement français d'un côté, et celles de la Commission et des organisations internationales de l'autre. Le Haut Conseil des finances publiques a fait des observations en ce sens. Nous sommes prêts à poursuivre les échanges, mais il convient de conserver l'idée, avancée par la France et d'autres pays, qu'en période de récession il ne suffit pas de raisonner en termes de déficit nominal. La notion de croissance potentielle vise justement à dépasser l'analyse conjoncturelle.

Toutefois, dans l'intérêt de la transparence et de la simplification, nous proposons, in fine, l'instauration d'une règle fondée sur l'évolution de la dépense. Cela permet de couper court aux débats sur une évaluation de l'économie à partir de l'évolution tendancielle - une notion à distinguer de la croissance potentielle. Là aussi, l'estimation du Gouvernement nous semble élevée.

Les hypothèses retenues ont une influence importante sur le solde structurel et la réalité des économies. Le Parlement doit être associé à la définition de ces paramètres.

Vous m'interrogez sur le montant d'économies à réaliser et l'effort supplémentaire à demander à l'État, à la sécurité sociale ou aux collectivités territoriales ; nous ne souhaitons pas nous élever au-dessus de notre condition. Il ne nous appartient pas de faire des choix politiques : nous raisonnons à partir de vos choix et de vos objectifs, en mesurant l'écart éventuel entre ceux-ci et les mesures mises en oeuvre pour les atteindre.

J'ai toujours considéré l'équilibre des comptes sociaux comme une priorité absolue. Un déficit sur une ou deux années est concevable, mais sur une période aussi longue cela devient dangereux et injuste, puisqu'il incombera aux générations futures de financer notre dette.

Les collectivités territoriales ont certes contribué à la réduction du déficit public, mais leurs dépenses de fonctionnement continuent à augmenter - même si cette augmentation se ralentit.

Nous ne sommes ni fétichistes, ni dogmatiques. Il est vrai que la réduction de la dépense a des conséquences humaines, mais il faut plutôt prendre en compte le décalage entre le niveau de la dépense et le résultat. Beaucoup de politiques publiques ont des effets d'aubaine. Il convient de s'interroger, comme le Sénat le fait, sur la réalité de l'exécution. Certaines politiques ne sont-elles pas insuffisamment ciblées ? Il faut faire des choix clairs, mettre fin aux politiques inefficaces avant de mettre en place de nouveaux dispositifs, réexaminer les missions des administrations publiques... Chacun de nos rapports met en évidence un décalage qui soulève en France une relative indifférence : un niveau de dépense publique objectivement très élevé pour des résultats jugés médiocres ou passables. Notre pays possède des marges d'efficience élevées. Plus l'on est attaché à l'action publique, plus l'on devrait s'attacher à bien identifier les besoins et à apporter les bonnes réponses, y compris en matière d'investissement. Certains projets ne sont pas pertinents au regard du critère coût/efficacité de la dépense publique, par exemple deux gares TGV ou deux stations d'épuration très proches l'une de l'autre.

Le problème n'est pas tant le niveau de la réserve de précaution que les sous-budgétisations récurrentes, de l'ordre de deux milliards d'euros, bien souvent identifiées dès le vote du budget. Cela met en doute la sincérité des inscriptions budgétaires et complique l'exécution. Ce n'est pas satisfaisant.

Tenir vos engagements réclame par conséquent un effort supplémentaire. L'effort de maîtrise de la dépense est réel, mais pas en ligne avec l'objectif affiché dans le pacte de stabilité.

Debut de section - Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Nous présentons dans notre analyse les estimations de croissance potentielle du Gouvernement et celles de l'OCDE et du FMI, qui sont proches de celles de la Commission européenne. La politique budgétaire a un rôle pertinent à jouer dans la compensation des creux économiques. Ainsi, en 2007-2008, l'Allemagne, grâce à des marges de manoeuvre que nous n'avions pas, a pu mener une politique de stimulation budgétaire. La croissance potentielle est une boussole pour le pilotage de la politique budgétaire, à condition de mener des politiques vertueuses en période de croissance. La question du quantum est un autre sujet.

Vincent Delahaye nous a interrogés sur le décalage entre l'estimation des économies réalisées sur le budget de l'État, fixée à 1,7 milliard d'euros puis à 3,3 milliards d'euros. Ce sont deux manières de lire l'économie : au regard de la dépense sous norme telle que fixée en loi de finances initiale ou révisée dans la loi de finances rectificative. En 2015, le Gouvernement a modifié la norme en fin d'année. Nous avons considéré que pour rendre la démonstration incontestable, il fallait retenir la norme telle que réalisée en fin d'année ; mais les deux approches sont défendables.

La réserve de précaution a vocation à financer les aléas de gestion et les décisions nouvelles en court d'année ; l'utiliser pour pré-financer des dépenses est un dévoiement. Des huit ou neuf milliards mis en réserve, trois ou quatre sont ainsi annulés ; les deux milliards de sous-budgétisation assumée dès le début de l'exercice représentent ainsi la moitié de l'utilisation possible, en moyenne période, de la réserve.

Notre analyse vis-à-vis de l'émission d'obligations sur souches anciennes est de nature technique. C'est une pratique ancienne et constante, même si ces émissions ont beaucoup progressé en 2015 ; de plus, la situation de marché se caractérise par des taux d'une faiblesse inhabituelle. Dans le cadre de sa logique de réponse aux demandes des investisseurs, l'Agence France Trésor a estimé que ces émissions constituaient la meilleure gestion possible de la dette publique. Il ne nous appartient pas de le confirmer ou de l'infirmer. Cela n'a pas d'effet en solde maastrichtien ; mais en comptabilité budgétaire, ce qui a été encaissé sous forme de primes d'émission donnera lieu à décaissement sous forme de charge d'intérêts dans les prochaines années. Enfin, le niveau de la dette aurait été supérieur en fin d'année si l'on avait moins recouru aux primes à l'émission.

La réunion est levée à 16 h 50.