Au nom des commissions de l'économie et des affaires européennes, je souhaite la bienvenue à l'ancien président de la SNCF qui, depuis juillet 2007, est président d'EADS. Pourriez-vous, Monsieur le Président, nous présenter les différentes activités de votre groupe et ses perspectives au niveau mondial ?
M. Louis Gallois :
Je me réjouis d'échanger avec la représentation nationale sur des sujets qui touchent certes à mon entreprise, mais la dépassent aussi. EADS a un chiffre d'affaires de 43 milliards d'euros. Le groupe est composé à 65 % d'Airbus, à 35 % des autres activités, c'est-à-dire Eurocopter, spécialisé dans la fabrication d'hélicoptères, Astrium, dédié à la construction de lanceurs spatiaux, de missiles balistiques et de satellites. DS regroupe les activités de défense classiques avec MDBA, le premier missilier mondial, des activités de défense liées à l'aéronautique -nous sommes le 1er partenaire de l'Eurofighter- ou encore des activités de sécurité, par exemple la surveillance des frontières de l'Arabie Saoudite dont nous avons remporté le marché l'an dernier. Autrement dit, Airbus est une composante essentielle d'EADS, sans être la seule. Le cauchemar financier de l'A400M, avion de transport militaire promis à un grand avenir, explique les résultats négatifs de l'an dernier. Nous souhaitons qu'Airbus, qui a longtemps porté le groupe et qui supporte les surcoûts de l'A380 et de l'A400M, redresse sa situation. En la matière, les perspectives s'améliorent.
De fait, la crise a eu un effet relativement limité sur le secteur des avions commerciaux car nous réalisons près de 70 % de nos ventes en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine, zones qui ont bien résisté à la crise. Nous avons livré plus d'avions en 2009 que jamais -même si cela n'est pas autant que nous l'aurions souhaité. Après une année 2010 qui sera du même ordre, la production augmentera en 2011. Si les commandes massives, comme celle annoncée par la compagnie Emirates au salon de Berlin il y a quinze jours, seront l'exception, la reprise du trafic aérien, sensible partout sauf en Europe, permettra aux compagnies de reconstituer leur situation financière et de procéder à de nouveaux achats, à partir de 2011-2012. Pour l'heure, notre carnet de commandes est suffisamment rempli. L'important est, pour nous, d'avoir de solides perspectives de reprise, ce qui est le cas. En revanche, le secteur des hélicoptères civils a davantage souffert de la crise. Ce marché, actuellement plat, ne se dégrade plus. Il se redressera lorsque les 500 hélicoptères récents actuellement sur le marché de l'occasion seront écoulés. Bref, la crise a été gérée, la reprise est devant nous, au moins hors des frontières européennes.
Quelques mots sur les programmes. Les retards de livraison de l'A380, notre « super gros bébé », s'expliquent par les perturbations du processus de mise en oeuvre industrielle dues aux exigences des compagnies aériennes quant à l'individualisation de la cabine dont elles ont fait leur porte-drapeau. Pour autant, la situation s'est nettement améliorée depuis neuf mois : nous avons livré sept avions depuis le début de l'année, et nous en prévoyons d'en livrer vingt au total en 2010 contre dix en 2009. Nous poursuivrons cet effort en 2011. Après avoir maîtrisé les incertitudes liées à un processus industriel très complexe, nous devons maintenant travailler à réduire le coût de fabrication de cet avion.
L'A400M représente, pour EADS, une rude épreuve : nous avons déjà provisionné 4 milliards sur le contrat de cent quatre-vingts avions à livrer aux sept pays européens clients, soit une perte de 20 %. D'autant que, contrairement à nos concurrents américains qui bénéficient d'un système de prix dit « cost plus » selon lequel le Pentagone prend en charge le coût de production et paie une marge aux entreprises, nous travaillons avec un système de prix fixe qui nous impose de prendre en charge le surcoût des avions. Au terme de négociations, nous sommes parvenus à un accord en mars avec les sept États acquéreurs : un effort de 2 milliards des États, soit une augmentation de 10 % du prix de l'avion, et 1,5 million d'avances remboursables sur les exportations. Les négociations pour transformer cet accord en contrat se déroulent dans un climat difficile : le diable est dans les détails, disent nos amis anglais, et surtout l'heure est au serrage de vis pour les budgets de la défense. Néanmoins, le respect de cet accord est sur la bonne voie. Au plan technique, les essais se poursuivent -deux avions volent, un troisième volera dans les prochains jours. Cependant, certains défis techniques demeurent : le système de contrôle de vol ou le système de gestion des charges.
Autre point positif, le retour de l'euro à un niveau raisonnable. Contrairement à nos concurrents américains qui travaillent uniquement avec le dollar, nous achetons en euros et vendons en dollars. Un euro fort avantageait donc Boeing. Pour nous, le taux moyen de l'euro qui correspond à une parité de pouvoir d'achat doit être de 1 euro pour 1,15 à 1,20 dollar. Nous sommes à 1,24 actuellement. Une augmentation du cours de l'euro de dix centimes représente une diminution d'1 milliard de résultat net pour EADS : il conditionne donc les résultats de l'entreprise. L'inverse est également vrai. Ayant pris des couvertures de change pour nous protéger d'un dollar faible, nous ne bénéficierons des effets d'un euro plus raisonnable qu'en 2013-2014. Quoi qu'il en soit, la baisse de l'euro, si elle est durable, bouleverse le paysage pour une industrie de long terme comme la nôtre.
Quels sont nos principaux défis ? Le premier est de construire l'A350, le successeur de l'A330, majoritairement construit à partir de matériaux composites, y compris le fuselage. Cependant, nous avons tiré les bons enseignements du programme 787 de Boeing dont la mise au point est loin d'être une partie de plaisir pour les Américains. Nous maintenons le calendrier de la livraison d'un premier avion en juillet 2013, mais nous n'avons plus de marges calendaires. Second défi : la réduction des budgets de la défense de nos principaux clients, les pays « domestiques », soit l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne. Dans le dialogue avec les États, nous devons montrer l'importance de préserver notre capacité en recherche et développement pour l'avenir et de ne pas opérer de coupes budgétaires, en priorité, sur les programmes de coopération, sources d'économies, au bénéfice des programmes nationaux, parfois plus sensibles pour les opinions publiques nationales. Pour exemple, la France ne saurait financer seule le programme de l'A400M, un avion militaire de transport qui reste moins cher que l'avion américain à la tonne transportée, malgré la hausse des prix qui a été acceptée. En bref, depuis quelques mois, la sortie de crise, l'évolution de l'euro et la remise en ordre du processus industriel de l'A380 inscrivent l'entreprise dans une dynamique positive ressentie par le personnel, dont le moral était assez bas selon un sondage de début 2009.
EADS fête cette année son dixième anniversaire. Ce projet, conçu par deux chefs d'entreprise, le Français Jean-Luc Lagardère et l'Allemand Jürgen Schrempp, patron de Daimler, soutenus par les gouvernements français, allemand et espagnol, avait pour but de constituer un groupe européen capable de faire face aux industries américaines qui s'étaient regroupées autour de quatre géants, Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Raytheon. Ce pari est réussi. Avec une taille comparable à celle de Boeing, que nous avons devancé en 2008, nous avons réalisé un chiffre d'affaires en augmentation de 75 % en dix ans, investi 22 milliards dans la recherche et développement - soit plus que Boeing. EADS est le premier contributeur à la balance commerciale française. Nous avons créé 15 000 emplois nets dans la haute technologie en Europe, y compris durant la crise. Enfin, nous achetons en France pour quelque 13 milliards. Dans le paysage industriel mondial, nous sommes désormais placés au même rang que Boeing. Pour preuve, le Pentagone, pour la première fois, a souhaité que nous participions à l'appel d'offre concernant les avions ravitailleurs, le plus gros programme à lancer par le Pentagone pendant cette décennie, en qualité de maître d'oeuvre du programme, et non de sous-traitant comme en 2008.
Pour conclure, rappelons le succès de cette entreprise véritablement franco-allemande, qui représente l'Europe pour les citoyens à travers Airbus et Ariane. Avec une trésorerie nette de 9 milliards en cette fin d'année, nous sommes prêteurs sur le marché monétaire dans des proportions que seuls atteignent les pétroliers. Cela confirme la robustesse de notre entreprise !
Dans cette période de turbulences, EADS fait figure de modèle alors que nous en revenons au noyau dur de l'Europe, le couple franco-allemand. Comment vivez-vous les différences culturelles et salariales entre la France et l'Allemagne au sein de votre entreprise ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour d'autres projets franco-allemands ? La notion de gouvernance à 27 -j'aurais préféré une gouvernance des 16 États membres de la zone euro, mais la position allemande a prévalu- qui a émergé au cours de la crise, va-t-elle faciliter votre quotidien ? Avez-vous prévu des clés de sécurité pour prévenir les effets de l'évolution du taux de change entre l'euro et le dollar ? Pensez-vous être suffisamment protégé en matière de propriété intellectuelle ? Enfin, où en êtes-vous du contentieux avec Boeing au sein de l'OMC ?
M. Louis Gallois :
EADS est une entreprise franco-allemande, mais n'oublions pas les Espagnols ! Leur participation est essentielle à notre groupe. Les différences culturelles entre la France et l'Allemagne ne constituent pas un obstacle dans le travail. Pour la question salariale, historiquement et en traçant la situation à grands traits, l'Allemagne a fait un choix qui est à rebours de celui de la France : l'emploi plutôt que les salaires. Résultat, au cours de la crise, l'Allemagne a très peu perdu d'emplois. Par ailleurs, le système de chômage partiel très long qu'elle a mis en place lui a permis de préserver les emplois indispensables à son industrie pour la phase de reprise. Je n'ai pas d'avis définitif sur la gouvernance économique européenne, si ce n'est qu'elle serait plus simple peut-être à 16, autour de la monnaie unique, qu'à 27. Les relations franco-allemandes, celles entre la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Espagne, nos marchés d'exportation, voilà quels sont nos réels sujets d'intérêt. Pour prévenir les effets de la volatilité des monnaies qui nous atteignent sans toucher Boeing qui est naturellement déjà en dollars, notre couverture de change s'élève à 66 milliards. Le président Sarkozy veut légitimement mettre sur la table du G20 la question monétaire. Je pense qu'il a raison, même si cela suscite de fortes oppositions. Il y a là un véritable sujet. Nous nous battons à l'OMC entre Américains et Européens sur des aides publiques qui sont en fait secondaires par rapport aux effets monétaires : une variation de l'euro de dix centimes a un impact bien plus décisif sur les résultats de notre entreprise. Entre quatre grands ensembles monétaires - le dollar américain, le yen japonais, le yuan chinois et l'euro -, il faut éviter que l'euro ne soit la variable d'ajustement et freiner la volatilité des marchés, pour retrouver une certaine visibilité sur les taux de change.
Pour la propriété industrielle, le groupe dépose de plus en plus de brevets, l'inconvénient de la publicité étant compensé par une plus forte protection dans un champ plus concurrentiel. La réglementation européenne en la matière ne suscite pas de remarques particulières.
Le rapport de l'OMC, qui nous a été communiqué, ne donne droit qu'à 30 % des réclamations américaines, et il y a les bases d'un appel. Il sera rendu public le 1er juillet, soit neuf jours avant le dépôt de notre offre sur les Tanker. A l'inverse, la communication du rapport intérimaire sur Boeing, suite à la plainte de l'Europe, a été repoussée au 16 juillet, soit huit jours après cette date importante. Je ne peux que le constater et le regretter ...
Je salue votre flegme et votre pragmatisme en ces temps difficiles. Je salue en vous le visionnaire qui met l'accent sur la recherche et développement quand la réflexion à moyen et long termes manquent tant à l'industrie française. Pourriez-vous en dire plus sur la question des nouveaux carburants. Au sein de la commission de l'économie, nous nous interrogeons sur l'opportunité de réserver des surfaces agricoles à la production de ces carburants. En outre, en tant que sénateur de Haute-Garonne, je désire savoir comment vous comptez assurer le développement d'Astrium à Toulouse et préserver ainsi un équilibre entre les régions françaises ?
La réussite de ce projet européen montre tout l'intérêt qu'il y aurait à développer des projets industriels européens, par exemple, dans le secteur de l'automobile. Pour rester compétitif face à la Chine et à l'Inde, il faudrait sortir un Airbus et un métro d'avance sur eux. Soit, vous avez investi 22 milliards dans la recherche et développement, mais quid de la clause de transfert de technologie qui accompagne la signature des contrats ? Nous avions adressé la même question à la présidente d'Areva, car la problématique est la même pour les centrales nucléaires. Ce transfert technologique ne nous condamne-t-il pas à terme ?
Enfin, si nous n'avons peut-être pas assez sauvegardé l'emploi au niveau macro-économique, permettez-moi de souligner que, pour entreprendre des comparaisons entre la France et l'Allemagne, il faut tenir compte de la productivité -nous n'avons pas à en rougir si j'en crois les échos que j'ai eus du travail dans les usines Volkswagen, y compris avec un temps de travail de 35 heures.
Comment se passera la coopération et le transfert technologique avec la Chine, le Brésil et l'Inde ? La réévaluation du yuan aura-t-elle des effets positifs sur EADS ?
Vous n'avez pas évoqué le plan « Power 8 » qui n'est pas étranger aux bénéfices dégagés par votre entreprise. En outre, si le moral des salariés connaît une embellie, rappelons tout de même que les salariés d'Airbus ont organisé une grève sur tous les sites français, inquiets de leurs conditions de travail et de salaire et de la stratégie industrielle d'Airbus. De fait, ils ont été les premiers touchés par les problèmes liés à l'A380 et l'A400M. Si Toulouse va bénéficier de l'augmentation des ventes de l'A380 et fabriquera l'A350, reste que l'A320 reste le produit phare d'Airbus et que les Allemands comptent produire son successeur. Toulouse ne veut donc pas lâcher la proie pour l'ombre... Ajoutons à cela que, en matière d'aérostructure, une filiale française Aerolia ne présente pas les mêmes garanties que l'allemande Aerotec : elle externalise d'ailleurs une petite partie de sa production en Tunisie. Enfin, sept ou huit sous-traitants sont regroupés autour de l'entreprise en Allemagne ou en Espagne, contre une vingtaine en France. Cet éparpillement constitue un handicap. Preuve est faite qu'un changement de braquet est nécessaire pour rationaliser les moyens humains, intellectuels et financiers. Enfin, vous n'avez rien dit du rôle du principal actionnaire de votre entreprise, l'État français, dans la défense de nos intérêts stratégiques. EADS n'est pas une entreprise comme les autres. Or notre gouvernement est parfois muet, souvent absent, ce qui tranche avec la position du gouvernement allemand où une personne est spécifiquement chargée de l'aéronautique. Enfin, les parlementaires devraient être mieux informés sur le dossier de l'A400M !
En ces temps de réduction des budgets de la défense, quel avenir pour les projets de coopération si les États adoptent des stratégies différentes ? Comment maintenir la capacité en recherche et développement ?
Votre trésorerie de 9 milliards est le signe de la qualité de votre gestion. Pour autant, la situation des sous-traitants est plus difficile. Comment, dans ce contexte de concurrence accrue et de délocalisation, garantir la pérennité de la sous-traitance ?
L'Allemagne n'a pas opté pour l'emploi contre les salaires -il s'agit d'un raccourci-, elle a eu depuis longtemps une ambition industrielle quand la France a préféré les services, mis à l'honneur dans des théories fumeuses qui nous ont conduit dans l'impasse. Or la réussite économique s'appuie toujours sur un socle industriel fort, une stratégie de filière pour les sous-traitants qui nous fait cruellement défaut, et la conservation sur le territoire national du coeur de métier. Il n'est jamais trop tard pour revenir à une politique industrielle cohérente. La France n'a pas fait le choix des salaires contre l'emploi, elle a opté pour le « ni salaire ni emploi ». Enfin, la croissance doit également s'appuyer sur l'investissement, une offre et une demande fortes que risque d'étouffer la politique de rigueur salariale du Gouvernement. Je tenais à ces observations en ces temps de campagne contre les salaires et les retraites. Tout à coup, les salariés sont quasiment qualifiés de nantis ! La France a besoin de salariés qui gagnent leur vie !
Pouvez-vous nous donner des informations sur l'évolution de l'actionnariat de votre groupe après les bruits sur un éventuel retrait de Lagardère ? Où en est-on de l'A400M ? Le ministère de la défense a fait des déclarations il y a quelques semaines. Qui mène la danse, vous ou le Gouvernement ? Où en est le partenariat ? Quand le premier A400M verra-t-il le jour ?
N'oublions pas qu'il existe en France une petite industrie de matériaux de production de matériaux composites, telles les aciéries Aubert et Duval pour la production de l'A350 ou les forges qui fabriquent des pièces détachées pour Airbus dans le centre de la France. Comment voyez-vous l'avenir de ces entreprises, implantées dans des régions peu tournées vers l'aéronautique ? Ensuite, quel rôle entend jouer EADS pour le programme Ariane et la réalisation des vecteurs spatiaux ?
M. Louis Gallois :
Dans l'industrie aéronautique, il est indispensable d'avoir une vision de long terme quand nos programmes ont une durée de vie de 30 à 40 ans. Mon métier est de regarder à long terme. Pour m'en tenir à un seul exemple, les avions de transport militaire ont une durée de vie moyenne de 40 ans. Et Ariane 6 est à un horizon 2025-2030. Autrement dit, 2013-2014, moment où nous commencerons à ressentir les effets bénéfiques d'un euro raisonnable, pour nous, c'est demain !
Nous croyons beaucoup au développement des nouveaux carburants à partir de produits non alimentaires, telles les algues qui présentent l'avantage d'une forte capacité énergétique et d'un bilan carbone excellent. S'ils ne remplaceront pas le kérosène du jour au lendemain, il faut y réfléchir dès aujourd'hui. Nous avons fait voler un petit avion alimenté par un tel carburant au salon de Berlin. Boeing vient à son tour d'annoncer le lancement de recherches sur les carburants à base d'algues...
Toulouse a effectivement subi deux déconvenues : Galileo pour lequel nous examinons notre gestion de l'appel d'offres ; Météosat pour lequel notre responsabilité m'apparaît moins évidente. Pour autant, une entreprise ne peut pas remporter toutes les compétitions auxquelles elle participe ! A court terme, il n'y a pas de raison de s'inquiéter.
Nous avons besoin de projets industriels européens. Hélas, avec la crise, l'heure est plutôt au repli sur soi alors que nous devrions lancer des projets concrets et valorisants, incarnation de l'Europe aux yeux de nos concitoyens, en matière de véhicule électrique, ou de génétique, pour ne pas parler que de l'aéronautique et de l'espace !
Les pays émergents représentent un marché très important grâce auquel nous avons pu faire face à la crise. Si nous voulons vendre chez eux, nous devons accepter la coopération industrielle. Ne nous faisons pas d'illusions : il y aura transfert de technologies, malgré toutes les précautions prises et leur propre niveau est de plus en plus élevé. La Chine a lancé un homme dans l'espace, pas l'Europe ! En 2016, la Chine sortira son premier avion, concurrent de l'A320. Pour faire face à cette nouvelle concurrence qui mettra fin au duopole Airbus-Boeing, trois mots : innovation, qualité et service. Le différentiel auprès des compagnies aériennes s'opérera sur notre niveau de qualité de service, notre capacité, par exemple, à dépêcher une équipe sur place en cas de problème, dans les délais les plus brefs et cela durant 30 ans après l'acquisition de nos appareils.
Si nous n'avons pas à rougir de la productivité en France, convenons que le nombre d'heures travaillées en France, où l'on entre tard sur le marché du travail pour le quitter tôt, se situe dans le bas de la fourchette européenne. Ce problème mérite d'être étudié de près. Pour avoir longtemps travaillé à la SNCF, je sais qu'il faut offrir des contreparties dans une négociation, en matière par exemple de droits des salariés au sein de l'entreprise. Le système de co-détermination en Allemagne, s'il n'est sans doute pas transposable tel quel en France, me semble, dans son principe, une piste intéressante.
La coopération avec les pays émergents peut être très productive : je pense à la fabrication de l'hélicoptère avec les Chinois dont les coûts sont partagés également entre nous et qui nous donne accès à leur marché où nous sommes leur principal fournisseur pour le marché civil. La réévaluation du yuan n'a pas d'impact sur EADS. L'installation d'une chaîne d'assemblage en Chine n'avait pas pour objectif de faire des économies -cela nous coûte même plus cher qu'une production en France ou en Allemagne-, mais de faciliter notre accès au marché chinois, le premier du monde. Nous vendons aujourd'hui 20 % de nos avions en Chine et sommes passés de 10 à 40 % de parts de marché !
Hambourg se plaint que Toulouse concentre tous les pouvoirs d'Airbus. Je vous rappelle que Toulouse assemble l'A380, soit l'équivalent en charge de travail par avion de la production de huit A320, et on va y assembler l'A350, soit l'équivalent par avion de 5 A320. Nous avons 530 commandes d'A350, soit l'équivalent de 2 500 A320, dont l'assemblage est partagé entre Hambourg et Toulouse. Est-il raisonnable de conserver deux chaînes d'assemblage pour un avion ? Je ne crois pas que cela soit compétitif. Je défends le choix industriel, fait en 2001 lorsque l'A380 a été lancé, d'assembler le successeur de l'A320 à Hambourg car Toulouse n'est pas lésée. Sans la contribution financière des Allemands, Airbus n'existerait pas, même si la capacité technique était principalement française. Conservons un équilibre. Quant à la grève à Airbus, j'estime que le blocage des approvisionnements de l'usine par un groupe limité de salariés n'est pas acceptable. Les personnels ont obtenu de substantielles augmentations de salaires. Bref, le sacrifice supposé de Toulouse au bénéfice de Hambourg relève d'un procès d'intention récurrent et commode.
J'en viens aux sous-traitants. Aerolia construit une usine en Tunisie, mais Premium Aerotech en prépare une en Roumanie. Nous devons effectivement conserver les points critiques et les compétences-clés du processus industriel en Europe tout en étant présents dans le monde entier, car une entreprise comme la nôtre exporte 75 % de sa production. Mais, dans le même temps, Airbus investit 200 millions d'euros cette année à Méaulte, autant à Nantes, et l'A350 représente 1,4 milliard d'euros investis en France entre Toulouse, Nantes, Saint-Nazaire et Méaulte. Nous ne sommes donc pas en train de quitter la France ! En matière de sous-traitants, Airbus a fait son devoir envers le groupe Latécoère via des avances de trésorerie, ou le préfinancement d'investissements et le maintien de nos commandes. Nous ne pouvons pas prendre en charge nos sous-traitants, mais nous y sommes très attachés pour une raison simple : nous réalisons 15 % de la valeur ajoutée d'un avion en interne, 85 % provient de la chaîne des fournisseurs. D'où les énormes progrès d'Airbus depuis environ quatre ans pour éclairer les sous-traitants sur l'évolution des plans de charges, celle des technologies nécessaires et les conditions de la concurrence. Notre fonds Aerofund, que nous avons mis en place avec Safran et la Caisse des dépôts et consignations, vise à les aider à se regrouper. L'application de la loi de modernisation de l'économie a également impliqué un transfert de centaines de millions de trésorerie vers les fournisseurs. Au cours de la crise, nous avons soutenu nos sous-traitants par nos commandes de sorte qu'aucun n'est resté au bord de la route, contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, lors de la crise de 1993 qui avait frappé plus durement encore notre secteur. J'ai eu autrefois une expression malheureuse mais réaliste : « nous ne pouvons pas être le Père Noël de la chaîne des sous-traitants ». Cependant, nous pouvons les aider à être plus compétitifs. Reste que l'aérostructure est effectivement trop dispersée en France : la question devra un jour être traitée. Enfin, EADS a des interlocuteurs au sein du gouvernement français, Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, comme Hervé Morin ou Christine Lagarde, et a bénéficié d'un soutien constant de notre pays. Les parlementaires ont obtenu des informations sur l'A400M avec la publication du rapport des sénateurs Gautier et Masseret. Je suis moi-même venu devant le Sénat expliquer la situation. Au plan technique, nous avons procédé à des essais de vol. Reste à régler les deux problèmes techniques que sont le système de contrôle du vol et le système de gestion de la charge. Le premier avion sera livré en 2013 avec quatre standards selon les logiciels donnant les performances de vol, notamment pour les vols de basse altitude. L'A400M a connu un surcoût de 7,6 milliards, dont 4 pris en charge par EADS, 2 par les États clients et 1,5 par des avances remboursables sur les exportations au terme de l'accord de mai qui doit être maintenant traduit dans un contrat.
L'avenir est effectivement aux projets de coopération. Il faut également veiller à ce que les coupes budgétaires ne touchent pas prioritairement les programmes de nouveaux matériels au bénéfice des plans de livraison de matériel existants que les ministères de la défense ont tendance à privilégier en temps de crise : leurs révisions budgétaires doivent s'attacher à préserver un bon équilibre, supportable pour nos bureaux d'études.
Pour l'ambition industrielle, je vous renvoie à l'article que j'ai publié dans la revue Commentaire. L'industrie française se trouve dans une situation préoccupante. La part de l'industrie dans le PNB a reculé de 22 à 16 % entre 1998 et 2010, quand elle a progressé de 28 à 30 % en Allemagne. La France manque de ces entreprises moyennes de 2 à 5 000 employés, qui font la solidité du socle industriel allemand, capables d'exporter et de s'implanter à l'étranger en conservant leur coeur de métier sur le territoire. Nos entreprises moyennes souffrent d'un problème de financement. Comment orienter l'épargne française vers l'industrie ? Une portion négligeable des 1 200 milliards de l'assurance-vie s'oriente aujourd'hui vers l'industrie. Un dernier mot sur le problème des salaires et de l'emploi : l'augmentation du pouvoir d'achat est une revendication compréhensible, mais ne profite-t-elle pas surtout aux biens importés ?
L'actionnariat d'EADS est constitué à 22,5 % de Daimler, à 22,5 % de SOGEADE (Etat français 15 % et Lagardère 7,55 %), 5 % de SEPI (société d'Etat des participations industrielles, espagnole) et à 50 % de flottant sur le marché. Les rumeurs de retrait vont et viennent. En tant que président d'EADS, je n'ai jamais eu confirmation d'un retrait de Lagardère ou de Daimler.
Les aciéries Aubert et Duval ainsi que les forges sont des fournisseurs très importants pour EADS. Nous avons avec Aubert et Duval, très présente à Toulouse, un dialogue proche et technique très régulier. Le lanceur Ariane 5 est extrêmement fiable, mais peu souple : il exige le lancement de deux satellites ou d'un gros satellite. D'où l'idée d'abord d'améliorer l'étage supérieur d'Ariane 5 pour lui permettre des mises en orbite plus diversifiées et de lancer Ariane 6, en complément d'Ariane 5, d'une taille plus réduite. Aucune décision n'a été prise sur Ariane 6, mais nous avons proposé le financement via le Grand emprunt, d'un intégrateur de technologies, préparant la voie pour Ariane 6.
M. Pierre Lellouche :
Je veux d'abord vous dire, et c'est un résultat dont je me réjouis, que les conclusions de ce Conseil ont - très largement - repris les positions communes de la France et de l'Allemagne, qu'il s'agisse de mettre en place un gouvernement économique européen, de préparer une position forte de l'Europe sur la taxation des transactions financières en vue du prochain G20, ou encore de mettre en place une stratégie ambitieuse pour la croissance et l'emploi.
Ceci illustre, une nouvelle fois, l'importance et la force du couple franco-allemand dans l'impulsion politique et la prise de décision au niveau européen. Je veux d'ailleurs vous dire qu'après avoir participé la semaine dernière à la première audition conjointe devant le parlement français avec mon collègue Werner Hoyer, je me rendrai avec lui en Grèce cette semaine : c'est notre première visite conjointe dans un pays de l'Union, et nous voulons, à cette occasion, rappeler le message de solidarité vis-à-vis de la Grèce, premier pays touché par la tourmente financière dans laquelle est plongée la zone euro depuis des mois, et dire tout notre soutien aux nécessaires mesures d'austérité budgétaires prises par le gouvernement de M. Papandréou afin de répondre à ses obligations européennes et internationales.
Venons-en maintenant aux résultats de ce Conseil, qui a été dominé par les questions économiques et financières. Je vous ferai également un retour rapide sur les autres résultats de ce Conseil, notamment sur l'Iran.
1 - Questions économiques et financières
Premier résultat : le Conseil européen a confirmé sans ambigüité l'importance des stratégies de retour à l'équilibre des finances publiques.
J'ai eu l'occasion de vous dire, la semaine dernière, toute l'importance que le Gouvernement attachait au respect de ses obligations européennes au titre du Pacte de Stabilité, qui lui imposent de revenir à un déficit public de 6% du PIB en 2011, 4,6% du PIB en 2012 et 3% en 2013, tout en préservant les capacités de croissance de notre économie.
C'est le sens du plan de maîtrise des dépenses présenté par le Premier ministre, qui prévoit une économie de 100 milliards d'euros d'ici 2013, qui passe par la maîtrise des dépenses publiques de l'État (45 milliards d'euros), la suppression de niches fiscales (5 milliards d'euros), le retour de la croissance (35 milliards d'euros) et la suppression des mesures temporaires liées au plan de relance (15 milliards d'euros).
C'est également le sens de la réforme des retraites, impulsé par le Président et le Premier ministre, et mis en oeuvre par Éric Woerth, et qui passe notamment par le relèvement de l'âge légal de droit commun à 62 ans en 2018, le développement de l'emploi des seniors, l'amélioration de nos mécanismes de solidarité et le renforcement de la convergence entre régimes public et privé, pour atteindre l'équilibre des régimes de retraite en 2018.
Cette approche responsable des finances publiques, tant vis-à-vis de nos partenaires que vis-à-vis des générations futures, est une démarche commune à tous les États membres : regardez les mesures annoncées par l'Allemagne, l'Espagne et, ce matin encore, par le Royaume-Uni.
Le Conseil européen a accompagné cette démarche en soulignant que « les États membres sont déterminés à assurer la viabilité des finances publiques et à atteindre sans tarder les objectifs budgétaires. [...] Tous les États membres sont prêts, s'il y a lieu, à prendre des mesures supplémentaires pour accélérer l'assainissement budgétaire. Il convient d'accorder la priorité aux stratégies d'assainissement budgétaire favorisant la croissance et principalement centrées sur la limitation des dépenses»
Deuxième résultat du Conseil européen : le gouvernement économique européen est désormais une réalité.
Le Président de la République l'a dit à l'issue de ce Conseil, et c'est un message très important : « les mots « gouvernement économique » ne sont plus des mots tabous ».
S'agissant de la composition et de la nature de ce gouvernement, les choses sont très claires. Le Président de la République et la Chancelière avaient dégagé, en début de semaine dernière, un accord plein et entier pour reconnaître la nécessité d'un gouvernement économique de l'Europe, à 27 États membres. Ils avaient précisé qu'en cas de nécessité, les 16 chefs d'État et de gouvernement de la zone euro peuvent se réunir de façon pragmatique et opérationnelle sur les sujets propres à la zone euro. Cette approche a été partagée par le Conseil européen.
Sur le fond, il s'agit de mettre en place, à travers ce gouvernement, une véritable fonction de pilotage économique au niveau européen, notamment pour assurer la coordination des mesures prises par les gouvernements nationaux en matière de réduction des déficits publics et d'assainissement budgétaire, favoriser la convergence des économies et contribuer, dans le cadre d'une stratégie globale, au redressement de la croissance dans toute l'Europe. Le Président l'a dit et répété : « la stratégie économique doit être portée par les chefs d'État et de gouvernement qui, seuls, ont l'interministérialité pour prendre les décisions ».
Ce gouvernement économique est d'autant plus nécessaire que l'Europe s'est dotée, à l'issue de ce Conseil européen, d'une stratégie pour la croissance et l'emploi à l'horizon 2020.
Je suis heureux de souligner, à ce sujet, que la France, de concert avec l'Allemagne, a obtenu gain de cause sur les points essentiels de cette stratégie :
la reconnaissance de la contribution à la stratégie économique européenne de toutes les politiques communes, y compris la politique agricole commune, et la politique de cohésion. Ceci figure désormais explicitement dans les conclusions du Conseil européen, qui précisent même qu' « un secteur agricole durable, productif et compétitif apportera une contribution importante à la nouvelle stratégie, compte tenu du potentiel de croissance et d'emploi que possèdent les zones rurales, tout en assurant des conditions de concurrence loyales » ;
le développement d'une « nécessaire politique énergétique commune » et d'une « nouvelle politique industrielle ambitieuse » figurent également dans les conclusions ;
la reconnaissance de la dimension externe de la stratégie Europe 2020 est affirmée noir sur blanc, le Conseil européen soulignant qu' « il convient d'utiliser pleinement la dimension extérieure de la stratégie, notamment par le biais de la stratégie commerciale que la Commission présentera d'ici la fin de l'année » ;
la nécessité de faire franchir un nouveau cap au marché intérieur, à partir des travaux de Mario Monti. Le Conseil européen reviendra sur ce point en décembre.
Comme j'avais eu l'occasion de vous le dire, les demandes franco-allemandes sur la politique industrielle et la politique énergétique ne figuraient pas, à l'origine, dans le projet de conclusions initialement soumis au Conseil européen. Les conclusions sont désormais beaucoup plus fortes sur ces deux points, ainsi que sur la politique agricole.
Troisième résultat : le renforcement du Pacte de Stabilité, tant dans son volet préventif que correctif, est un acquis, et les modalités concrètes de ce renforcement seront précisées d'ici octobre prochain.
Les 27 chefs d'État et de gouvernement se sont mis d'accord sur plusieurs « grands principes » destinés à renforcer le Pacte, et notamment :
le renforcement des sanctions en cas de non-respect des règles du Pacte de Stabilité. Le Président de la République a précisé, à ce propos, que « les sanctions devaient être plus fortes, plus immédiates et la surveillance plus sévère » pour les États membres de la zone euro ;
la meilleure prise en compte de la trajectoire de la dette publique et pas seulement du déficit ;
l'examen, à partir de 2011 et dans le cadre d'un « semestre européen », des programmes de stabilité et de convergence pour les années suivantes, dans le respect des procédures budgétaires nationales ;
le renforcement de la qualité des données statistiques, qui devraient être établies en toute indépendance par les instituts de statistique nationaux ;
la prise en compte des facteurs de compétitivité dans l'examen des politiques budgétaires nationales. Le Conseil européen retient l'idée d'un « tableau de bord » permettant d'évaluer l'évolution des déséquilibres en matière de compétitivité.
Il s'agit, à ce stade, de grands principes ; tout est loin d'être arrêté dans le détail et, de ce point de vue, le Conseil européen peut être qualifié, comme l'a fait le Président de la République, de « Conseil européen d'étape ». Sur tous ces sujets, le groupe présidé par Herman Van Rompuy fera des propositions définitives en vue du Conseil européen d'octobre.
Quatrième résultat : le Conseil européen a « donné un coup d'accélérateur » à la régulation financière européenne.
Le Conseil européen a confirmé toute l'importance qu'il attache à la régulation financière en Europe, en appelant à l'adoption rapide du « paquet supervision », actuellement en discussion entre le Conseil et le Parlement européen, en préconisant une adoption avant l'été de la directive sur les hedge funds, ainsi que l'examen rapide de la proposition de la Commission sur la supervision des agences de notation.
Suite à la lettre commune adressée par le Président et la Chancelière le 8 juin dernier, le Conseil attend également les propositions de la Commission sur les marchés de produits dérivés, s'agissant notamment des ventes à découvert sans contrepartie et des contrats d'échanges sur défaut (CDS).
Mais le Conseil européen est allé plus loin encore :
en matière de transparence et de résilience bancaire, il a convenu que des tests de tension (stress tests), c'est-à-dire des tests de résilience en cas de crise, seraient réalisés sur les banques par les contrôleurs bancaires dans tous les pays de l'Union européenne, et que les résultats seraient rendus publics avant la fin juillet.
Le Conseil a également convenu que « les États membres devraient instaurer des systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers afin d'assurer une répartition équitable des charges et d'inciter les parties concernées à contenir les risques systémiques ». Le Président a précisé que cette taxe sur les banques alimenterait un fonds qui aurait une double fonction : une fonction assurantielle (il s'agit de garantir au contribuable ou à l'épargnant que ce qui s'est passé ne se produira plus) et une fonction redistributive (pour les pays où le plan de sauvetage des banques a coûté de l'argent au contribuable, et qu'il s'agit de rembourser - ce qui n'est pas le cas de la France, où le plan de sauvetage a rapporté 2,4 milliards d'euros).
Cinquième résultat : le Conseil européen a adopté une position commune dans la perspective du G20 de Toronto
La position dégagée en format européen sur les taxes bancaires est reprise dans la perspective du G20 de Toronto, puisque le Conseil européen estime que l'Union devrait jouer un rôle de premier plan pour définir une stratégie à l'échelle de la planète « visant à l'instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers, en vue de maintenir des conditions égales pour tous au niveau mondial ».
Là encore, le Conseil européen est allé plus loin, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, en précisant qu' « il conviendrait de réfléchir à l'introduction d'une taxe mondiale sur les transactions financières et de faire avancer les travaux dans ce domaine ».
Les débats sur ce sujet n'ont, certes, pas été faciles au niveau du Conseil européen, certains États craignant une délocalisation des activités financières vers les autres places mondiales n'ayant pas institué une telle taxe, mais c'est un point fondamental pour la France et l'Allemagne.
Le Président de la République a précisé, à ce sujet, que l'Allemagne et la France faisaient de cette taxe un enjeu majeur de discussion au prochain G20. Dans la lettre qu'ils ont adressée le 21 juin au Premier ministre canadien Stephen HARPER, le Président et la Chancelière ont indiqué « souhaité travailler sur un accord international sur une taxe mondiale sur les marchés financiers, telle que la taxe sur les transactions financières. Cette taxe constituerait un élément complémentaire de la contribution du secteur financier ».
2 - Autres résultats du Conseil européen
Je vous confirme, très brièvement, les six décisions prises par le Conseil européen, et dont je vous avais parlé la semaine dernière :
ouverture des négociations d'adhésion avec l'Islande, avec le rappel d'une négociation fondée selon les mérites propres de l'Islande, et dont le rythme dépendra des progrès accomplis pour respecter les critères fixés par le Conseil (notamment en remédiant aux faiblesses relevées par la Commission, y compris dans le secteur financier) ;
accord pour une entrée de l'Estonie dans la zone euro le 1er janvier 2011, ce qui prouve toute l'attractivité de la zone euro ;
constat des progrès réalisés sur la mise en oeuvre du Pacte européen sur l'immigration et l'asile ;
dans le cadre de la réunion plénière de l'ONU sur les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), résolution du Conseil européen visant à atteindre d'ici 2015 les objectifs fixés en matière d'aide au développement, et à réexaminer annuellement ce sujet ;
adoption de la décision permettant la création de 18 sièges supplémentaires au Parlement européen (dont 2 reviennent à la France), jusqu'au terme de la législature actuelle (2009-2014) ;
mention de la communication de la Commission sur le changement climatique qui retient, à titre d'option, la perspective d'un mécanisme d'inclusion carbone, comme le souhaitait la France.
S'agissant de l'Iran, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 9 juin 2010 une nouvelle résolution de sanctions contre l'Iran, la résolution 1929, qui souligne les profondes inquiétudes de celle-ci à l'endroit du programme nucléaire iranien. A la suite de cette résolution, le Conseil européen a demandé aux ministres des affaires étrangères de préparer, pour le Conseil des affaires étrangères du 26 juillet, des mesures d'accompagnement dans des domaines qui sont précisément identifiés, fixant ainsi une feuille de route pour les travaux européens. Sont ainsi mentionnés les relations commerciales, les banques, les assurances, les transports, l'énergie, les Gardiens de la révolution...
La France reste fidèle à la double approche, constamment promue par les Six, et qui repose à la fois sur le dialogue et la fermeté. Ce sont les refus répétés de l'Iran d'engager le dialogue avec les Six, en dépit des nombreuses offres de ceux-ci, et les poursuites de son programme d'enrichissement, mené en violation des résolutions du Conseil de sécurité et en l'absence de tout objectif civil identifiable, qui nous amènent à renforcer les sanctions contre l'Iran. Celles-ci ne visent pas le peuple iranien, mais leurs dirigeants dont nous espérons qu'ils feront enfin le choix de la coopération. Le Président l'a exprimé clairement : « il faut absolument, maintenant que nous avons les sanctions, que l'on fasse les sanctions et le dialogue. Ce n'est pas les sanctions et l'absence de dialogue, c'est les sanctions pour renforcer les chances de dialogue ».
M. Robert del Picchia :
Les Allemands étaient jusqu'à présent plus que réticents devant la notion de « gouvernement économique ». Qu'ils acceptent désormais cette notion est un pas en avant très important et un effort en direction de la France.
Vous avez évoqué la perspective d'une taxe bancaire. Quelle est la position des États-Unis à ce sujet ?
Comment voyez-vous la présidence belge compte tenu de la situation intérieure complexe de ce pays ?
Enfin, pourquoi ne pas faire élire par les Français de l'étranger les deux députés européens supplémentaires attribués à la France ? J'ai, pour ma part, déposé une proposition de loi en ce sens.
M. Jean Bizet :
La notion de « gouvernement économique » est certainement importante, mais sa mise en oeuvre sera déterminante. À cet égard, je comprends mal la volonté allemande de se placer essentiellement dans le cadre des Vingt-sept, plutôt que privilégier celui de la zone euro. Quelle est la raison de cette attitude ?
Mme Annie David :
Je m'interroge sur le contenu et la portée de la taxe envisagée sur les banques. Quelles en seraient les modalités ? J'espère qu'il ne s'agit pas d'un faux-semblant : le président d'EADS, que nous entendions juste avant cette réunion, soulignait lui-même la nécessité de canaliser les marchés financiers, relevant en particulier les inconvénients de la volatilité des taux de change.
Je voudrais manifester le plus grand scepticisme au sujet de la Stratégie UE 2020, compte tenu des politiques d'austérité qui se généralisent.
Enfin, vous n'avez pas évoqué la situation à Gaza, devant laquelle l'Europe ne peut rester inactive.
M. Pierre Fauchon :
Pouvez-vous confirmer que l'Allemagne retient effectivement les mots de « gouvernement économique » ? Cela me paraît, à moi aussi, un pas significatif. Mais ce que j'aimerais surtout, c'est que ce « gouvernement » fonctionne. Et je ne comprends pas non plus les réticences allemandes à se placer dans le cadre de la zone euro. Votre homologue Werner Hoyer nous disait pourtant il y a peu qu'il était très favorable à la notion de coopération renforcée, évoquant même l'idée du « noyau dur » lancée il y a plus de 15 ans par MM. Lamers et Schäuble.
Cela dit, on a du mal à concevoir ce que pourrait être un mécanisme de sanctions efficace pour faire respecter le pacte de stabilité et de croissance. Retirer le droit de vote à un État n'est pas possible. Des pénalisations financières seraient contre-productives. Je crois qu'il faudrait voir les choses sous un autre angle. Le risque pour un gouvernement d'être mis en cause publiquement par les autres gouvernements n'est-elle pas une incitation suffisante à la vertu budgétaire ?
M. Jean Bizet :
On me dit que les négociations sur le futur cadre financier de l'Union risquent d'être particulièrement difficiles. Le confirmez-vous ?
M. Pierre Lellouche :
L'Allemagne a bien accepté le terme de « gouvernement économique ». Le concept est acquis. Naturellement, beaucoup reste à faire pour le concrétiser.
Il est encore trop tôt pour connaître la position américaine sur la taxation bancaire. Il y aura probablement une sensibilité aux risques de délocalisation de certaines activités.
Pour la présidence belge, il faut souligner que, conformément au traité de Lisbonne, la présidence stable prend une importance croissante. Le rôle de la présidence tournante est donc moins déterminant. Et puis M. Van Rompuy est belge ! Il ne devrait pas y avoir de problème majeur.
Il est vrai que le président de la République était favorable à une plus forte structuration de la zone euro, avec des réunions régulières des chefs d'État ou de gouvernement de la zone et un secrétariat propre. Mais si l'on voulait parvenir à une capacité normative, il fallait une base dans les traités ; or, elle n'existe pas aujourd'hui pour la zone euro. C'est pourquoi nous sommes parvenus à un compromis pragmatique. Le cadre juridique actuel n'interdit pas de se réunir à 16 chaque fois que nécessaire afin d'agir de manière cohérente et coordonnée. Certes, il n'y a pas d'institutionnalisation plus forte de la zone euro, mais cela ne signifie pas que les problèmes propres à la zone euro ne pourront pas être abordés de manière appropriée. Pourquoi les réticences allemandes ? Je crois qu'elles tiennent en partie au souhait d'éviter une situation de confrontation Nord/Sud au sein de la zone euro.
Sur la taxation bancaire, notre position est que les banques doivent contribuer à la sortie de la crise et pas seulement profiter de celle-ci.
En ce qui concerne la situation à Gaza, on observe un début de levée du blocus. Israël commence à se rendre compte que son attitude est contre-productive. Il faut donc plus que jamais maintenir le dialogue pour favoriser les évolutions positives.
Enfin, le mode d'élection des deux députés européens français supplémentaires est un serpent de mer. L'élection par les Français de l'étranger était une option possible : le Gouvernement l'a écartée compte tenu du coût d'un tel scrutin, pour élire deux députés qui vont siéger trois ans. Une deuxième option était de retenir les suivants de liste, mais il y avait un sérieux risque d'inconstitutionnalité. C'est pourquoi nous avons retenu l'élection par l'Assemblée nationale. Les réactions très négatives que ce choix a suscitées chez certains de nos partenaires et au sein de certains groupes politiques me paraissent un peu disproportionnées. Il n'y a naturellement aucune volonté de notre part de remettre en cause l'élection directe du Parlement européen, cela va de soi.
M. Robert del Picchia :
J'espère que pour la prochaine élection - nous avons le temps -, la situation des Français de l'étranger sera prise en compte.
Cette réunion est en commun avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.