Délégation aux entreprises

Réunion du 8 mars 2018 à 10h10

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Jean Bizet

Nous devons effectivement toujours prendre en compte l'intérêt de nos entreprises quand nous voulons ajouter des normes.

Nous allons informer le Gouvernement, au travers d'un communiqué commun, que nous lui demanderons régulièrement de faire le point sur les questions que nous aurons identifiées.

La réunion est close à 10 h 05.

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente - 

La réunion est ouverte à 10 h 10.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Le Sénat examinera la semaine prochaine le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance. On l'a longtemps désigné comme le projet de loi « droit à l'erreur », car il consacre notamment un nouveau droit pour l'usager : aucune sanction administrative ne lui sera infligée s'il méconnaît involontairement une règle applicable à sa situation et s'il rectifie son erreur.

La délégation avait adopté un rapport d'information d'Olivier Cadic et moi-même qui s'intitulait Simplifier efficacement pour libérer les entreprises. Ces préconisations avaient trouvé leur traduction en septembre 2017 dans le dépôt de plusieurs propositions de loi et d'une proposition de résolution. Celle-ci appelait le Gouvernement « à orienter l'administration vers le service aux entreprises, notamment en donnant la priorité à la simplification, et à privilégier une approche tendant à fixer seulement les exigences essentielles dans la réglementation et à laisser aux entreprises le choix des moyens pour parvenir aux résultats attendus ». Elle suggérait « de passer d'une logique reposant sur la défiance et la nécessaire obtention d'autorisations à une logique fondée sur la confiance et le respect d'interdictions sous peine de sanctions ».

Nous pouvons donc nous féliciter que le projet de loi ESSOC soit largement inspiré des travaux de notre délégation. Notamment, la stratégie nationale d'orientation de l'action publique vers une société de confiance, qui est annexée à l'article 1er du texte, reprend les impératifs que notre délégation avait tracés il y a un an : une administration au service des administrés, une administration qui conseille, facilite, accompagne et prend en compte la capacité financière du contribuable ; une association des personnes intéressées aux politiques publiques ; une présomption de confiance, toute personne soumise à une obligation étant réputée s'y être conformée ; une action publique soumise à évaluations régulières quant à sa capacité à satisfaire les usagers, l'évaluation de l'administration associant les personnes intéressées ; des délais administratifs réduits ; un principe de nécessité et de proportionnalité affiché pour l'édiction de toute norme, afin de minimiser le coût et la complexité normative ; le droit, pour toute personne, de ne pas être tenue de produire à l'administration une information déjà détenue, selon le principe du « Dites-le nous une fois ».

Bref, un monde idéal. La commission spéciale, dont je suis membre comme certains d'entre vous, a naturellement souligné l'absence de portée normative de cette annexe. Il est vrai que, par exemple, la prise en compte de la capacité financière du contribuable, proclamée dans cette annexe, ne trouve pas de déclinaison concrète dans le projet de loi. Or ce serait un élément précieux pour traiter le cas des entreprises en difficulté qui peinent à s'acquitter de leurs obligations fiscales et sociales. Dénonçant son caractère purement déclaratoire, la commission spéciale n'a pas souhaité amender cette annexe. Du point de vue de notre délégation, le changement d'état d'esprit que le Gouvernement veut impulser à l'administration par ce texte, certes non normatif, ne peut être ignoré, tant il répond aux demandes que nous portons, à la suite des rencontres de terrain que nous avons faites avec des centaines d'entreprises dans plus de quinze départements.

C'est pourquoi je vous propose d'améliorer encore cette annexe à l'article 1er, par un amendement qui renforce l'objectif de simplification affiché : cet amendement prévoit que, « lorsqu'une norme nouvelle entraîne une charge supplémentaire pour les entreprises, elle ne peut être édictée que lorsqu'il est prévu simultanément l'abrogation de normes représentant une charge au moins équivalente ».

Je vous propose ainsi de reprendre l'exigence que nous avions souhaité promouvoir dans la proposition de loi constitutionnelle n° 721 déposée par plusieurs d'entre nous en septembre dernier. Celle-ci prévoit que les projets et propositions de loi, ainsi que les amendements tendant à introduire des charges supplémentaires pour les entreprises, ne sont recevables que s'ils prévoient simultanément la suppression de charges équivalentes. Cela me paraît cohérent avec le vote intervenu hier au Sénat, lors de l'examen de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi, présentée par les membres du groupe socialiste et républicain : les sénateurs ont en effet adopté l'amendement que j'ai défendu au nom de plusieurs d'entre nous et qui vise à préciser, dans les études d'impact, les économies de charges résultant de l'abrogation de normes proposée pour toute création d'une norme nouvelle.

Si je crois important d'accompagner le changement d'état d'esprit que notre délégation appelle de ses voeux depuis longtemps, cela ne doit pas nous empêcher d'être lucides sur le caractère largement incantatoire de l'ensemble du projet de loi ESSOC. Diverses dispositions, apparemment séduisantes, sont décevantes à l'examen : par exemple, l'article 2 bis, que le Gouvernement a introduit par amendement à l'Assemblée nationale, prévoyait que l'absence d'une pièce non essentielle à l'appui d'une demande d'attribution de droits ne peut conduire l'administration à suspendre l'examen du dossier. Cette bonne intention manque assurément sa cible : la bonne question à se poser me semble plutôt de savoir pourquoi cette pièce est demandée par l'administration si elle n'est pas essentielle ! Mieux vaudrait donc revoir la liste des pièces demandées que d'introduire ce nouveau principe. La décision de la commission spéciale de supprimer cet article 2 bis me semble donc tout à fait opportune.

Plusieurs autres dispositions présentées comme des avancées ne traitent pas les véritables sujets : la promotion du rescrit, par exemple. Aujourd'hui, le rescrit permet de garantir le contribuable contre un changement de doctrine de l'administration fiscale : l'administration répond à la question précise d'un redevable par une réponse écrite et elle se trouve liée par cette réponse. L'article 4 du texte propose de consacrer la procédure du rescrit contrôle pour permettre à un redevable, lors d'un contrôle fiscal, d'obtenir la validation expresse de l'administration sur certains points. C'est sans doute utile, mais le vrai progrès ne serait-il pas de simplifier le code général des impôts pour qu'il ne puisse pas donner lieu à diverses interprétations ?

De même, le certificat d'information, créé à l'article 12 pour permettre aux porteurs de projets de connaître leur environnement normatif avant de se lancer, n'apporte pas de solution de fond à la complexité des normes et à leur instabilité.

Enfin, le droit au contrôle, instauré à l'article 2, peut prêter à sourire : les entreprises que nous avons rencontrées ne nous ont pas paru en manque de contrôle ! Je me souviens d'un entrepreneur qu'à l'initiative d'Olivier Cadic, nous avions rencontré à Londres en 2015 et qui nous disait qu'il avait actuellement plus de contrôles fiscaux pour ses 20 entreprises françaises que pour la totalité de ses 60 sociétés britanniques.

En outre, de nombreuses avancées prévues dans le texte sont soumises à des conditions ou à des expérimentations qui réduisent considérablement leur portée. On se demande souvent, à la lecture des articles, quand cette loi sera véritablement applicable !

De nombreuses obligations sont ainsi exclues du droit à l'erreur ; le certificat d'information, comme la « cristallisation » des normes créée par l'article 12 bis pour interdire de remettre en cause pendant douze mois des règles applicables à une activité, ne concerneront que les activités dont le Conseil d'État dressera la liste ...

Je pense aussi à l'article 21, qui devrait faciliter enfin l'application du fameux principe « Dites-le nous une fois » déjà consacré par la loi. L'article prévoit d'expérimenter, pendant quatre ans et avec les entreprises qui y consentent, l'échange d'informations entre administrations pour éviter aux entreprises de communiquer une information que l'administration détient déjà ou peut obtenir d'une autre administration. Non seulement il s'agit d'une expérimentation sur quatre ans, mais le champ des données concernées sera fixé par un décret en Conseil d'État ! Or, comme le rappelle le rapport de l'Assemblée nationale, ce sont 10,7 millions de pièces justificatives qui sont sollicitées chaque année par l'administration : la simplification est donc urgente et cette expérimentation réduite ne paraît pas à la hauteur de l'enjeu...

Autre avancée du texte dont la portée apparaît finalement bien réduite : la limitation de la durée des contrôles pour les PME. L'article 16 prévoit à titre expérimental de limiter cette durée des contrôles, mais seulement dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes et pour quatre ans. Cette limitation de durée ne serait pas opposable lorsqu'il existe « des indices précis et concordants de manquement à une obligation légale ou réglementaire ». Or l'objet d'un contrôle est précisément de repérer les éventuels manquements aux obligations en vigueur. Il importe donc que la limitation de sa durée reste opposable, même quand des indices laissent supposer de tels manquements. Je vous propose donc un amendement à cet article 16 qui vise à prévoir que la durée de tout contrôle soit effectivement limitée pour les PME. Cela incitera l'administration à cibler ses contrôles en mettant fin, d'une part, à l'intermittence de la présence des contrôleurs et, d'autre part, à « l'ignorance de ce qu'ils cherchent », pour reprendre les mots du rapporteur de l'Assemblée nationale.

Finalement, on peut se demander si ce projet de loi facilitera vraiment la vie des entreprises. En matière de surtranspositions, par exemple, le Gouvernement avait annoncé, lors de la présentation à la presse de ce projet de loi, la fin des surtranspositions qui pénalisent nos entreprises. Or, dans ce texte, il ne s'attaque, aux articles 32 et 35, qu'à quelques cas mineurs de surtranspositions, dans les domaines financier et environnemental.

En outre, on peut constater que les dispositions de surtranspositions, sur lesquelles le projet de loi revient en matière environnementale, ont été introduites par ordonnances en août 2016 et janvier 2017. Cela prouve que la tendance à surtransposer reste une tendance lourde de l'administration qui élabore les ordonnances. Ce retour en arrière, quelques mois après l'adoption de la règle trop sévère, nourrit l'instabilité législative...

Autre point qui ne faciliterait assurément pas la vie des entreprises : le durcissement des sanctions existantes en cas de réitération d'un manquement à certaines dispositions du code du travail, après un premier avertissement que le texte permet de prononcer. À l'article 8 en effet, une disposition a été introduite par un amendement du groupe Nouvelle Gauche à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'en étant remis à la sagesse des députés, qui majore de 50 % le montant de l'amende lorsque l'employeur a déjà reçu un avertissement au cours de l'année écoulée. La commission spéciale du Sénat a proposé de préciser que cette majoration de 50 % ne serait applicable qu'en cas de nouveau manquement « de même nature ». Je crois que nous devons aller plus loin et je vous propose un amendement pour supprimer cette disposition, sans quoi les entreprises se trouveraient encore plus sanctionnées demain qu'aujourd'hui en cas de manquement à certaines dispositions du code du travail.

Au total, la volonté du Gouvernement de faciliter la vie des entreprises apparaît timide : c'est pourquoi je vous propose deux amendements pour aller plus loin. Le premier, qui prend la forme d'un article additionnel après l'article 7, est inspiré par nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart puisqu'il reprend l'une des préconisations de leur rapport sur la transmission d'entreprise, que notre délégation a adopté il y a un an : il tend à instaurer une évaluation des services de l'administration qui tienne compte de la qualité de leurs relations avec les entreprises et du degré de satisfaction de ces dernières en matière de conseil. Cette évaluation reposerait notamment sur des enquêtes relatives au degré de satisfaction des entreprises. Cela donnerait une traduction concrète à la déclaration de principe qui figure dans l'annexe à l'article 1er du texte et qui prévoit des évaluations régulières de l'administration, associant les personnes intéressées.

Le second amendement que je vous propose, sous forme d'article additionnel après l'article 43, vise à nous doter d'un outil dédié à la simplification du droit pour les entreprises. Lors de l'examen de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, la députée du groupe La République En Marche, Alice Thourot, avait déposé un amendement n° 696 tendant à la création d'un Conseil d'amélioration du droit pour les entreprises. Elle l'a retiré en séance en échange de l'engagement du Gouvernement - pris par un amendement qu'il a lui-même déposé et qui a donné lieu à la création de l'article 40 bis - de remettre au Parlement un rapport sur les surtranspositions de normes européennes d'ici au 1er juin 2019. Or cet engagement avait déjà été pris par le Gouvernement, pour une date d'ailleurs plus rapprochée, et la commission spéciale a supprimé à juste titre l'article 40 bis, comme d'ailleurs tous les articles prévoyant des rapports inutiles.

Après s'être déplacée dans plusieurs pays voisins, notre délégation a été convaincue que le plus efficace serait de confier à un organe ad hoc le soin de simplifier et d'améliorer le droit pour les entreprises, notamment en traitant les problématiques de surtranspositions que nous venons d'évoquer. Cet organe ferait pendant au Conseil national d'évaluation des normes, créé en 2013 sur une initiative parlementaire et chargé du contrôle et de l'évaluation des normes applicables aux collectivités locales.

L'amendement que je vous propose reprend donc l'essentiel du dispositif de la proposition de loi n° 723 que plusieurs d'entre nous avions déposée en ce sens en septembre 2017, à la suite du rapport d'Olivier Cadic et moi-même sur la simplification. Il s'agit de réactiver le Conseil de la simplification pour les entreprises, qui a existé pendant trois ans de 2014 à 2017, mais en renouvelant ses missions et sa composition, pour qu'il assure une contre-expertise indépendante des études d'impact produites par l'administration. En consultant plus régulièrement les acteurs économiques, cet organisme permettrait une meilleure prise en considération de l'avis des entreprises et des organisations professionnelles sur les projets de normes les concernant. Nous avons été impressionnés par l'action d'un tel organe en Allemagne, le Normenkontrollrat (NKR), qui a permis d'alléger la charge administrative dans ce pays de 14 milliards d'euros en cinq ans. Peut-être que si un tel organe existait déjà en France, il se serait assuré que la création, par ce projet de loi ESSOC, de dizaines de nouveaux articles de loi était compensée par la suppression d'au moins autant de dispositions existantes, afin de ne pas alourdir le fardeau administratif des entreprises. Ce n'est malheureusement pas le cas...

Voilà les propositions d'amendements que je vous soumets pour que ce texte soit vraiment utile aux entreprises. Comme le délai limite de dépôt des amendements est fixé aujourd'hui à midi, je vous remercie de vous faire connaître maintenant si vous souhaitez les cosigner.

Mme Martine Berthet, MM. Olivier Cadic, Michel Canevet et René Danesi, Mme Catherine Fournier, M. Daniel Laurent, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Jackie Pierre et Michel Vaspart cosignent les amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

S'agissant du rescrit, il faut protéger le contribuable du fait que la loi peut changer. En effet, l'administration qui avait donné son accord à une certaine pratique peut se retourner contre le contribuable en cas de modification de la loi. Il faudrait aussi prévoir que l'absence de réponse de l'administration dans un délai de 90 jours équivaut à un accord tacite, afin d'éviter toute zone « grise ». On constate, en effet, que les entreprises ont l'impression d'être dans le brouillard en raison du nombre trop important de normes.

En matière de contrôle fiscal, le contribuable est toujours suspect. Fixer une limite dans le temps est une bonne chose, mais il faudrait également limiter les moyens que peut utiliser l'administration. Aujourd'hui, le contrôle fiscal est extrêmement intrusif. Je suis étonné de la résilience des Français face à la complexité : nous avons pris l'habitude d'accepter des demandes incroyables ! Nous devrons faire preuve de fermeté sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Des dispositions ont déjà été prises par Pascale Gruny, qui est rapporteur du projet de loi et membre de notre délégation. Des avancées devraient être réalisées.

Je vous rappelle que la Journée des entreprises se tiendra le jeudi 29 mars prochain. Une centaine d'entreprises se sont déjà inscrites. Les deux tables rondes porteront sur le cycle de vie des entreprises et sur la rencontre entre offre et demande d'emplois.

Nos deux prochains déplacements auront lieu le 9 avril en Seine-Maritime, dans le département de Nelly Tocqueville, et le 25 mai dans la Creuse, chez notre collègue Éric Jeansannetas.

La réunion est close à 10 h 30.