Nous sommes très heureux d'accueillir au Sénat Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, en cette journée de grève qui explique l'absence de certains de nos collègues. Je vous prie de bien vouloir les excuser.
Les renouvellements de l'Assemblée nationale et du Sénat puis la reconstitution de l'Office nous ont empêchés de vous entendre plus tôt. Je tiens également à vous féliciter pour votre reconduction à la tête de l'Agence de la biomédecine, qui est intervenue le 29 janvier dernier et qui prolonge votre mandat pour trois nouvelles années. La tâche n'est pas de tout repos car l'Agence a de nombreux défis à relever. Vous nous en parlerez.
Cette audition a d'abord pour objet la présentation du rapport annuel de l'Agence pour 2016, comme le prévoit l'article 50 de la loi de bioéthique de 2011. Compte tenu du calendrier décalé, vous pourrez peut-être aussi nous faire part de certains éléments concernant l'activité de l'Agence en 2017, car ce nouveau rapport annuel doit être en voie de finalisation.
Nous souhaitons aussi que vous nous présentiez le contrat d'objectifs et de performance 2017-2021 qui fixe les grandes orientations de l'action de l'Agence en lien avec les autres acteurs institutionnels intervenant dans vos domaines de compétence.
Enfin, la révision de la loi de bioéthique de 2011 est d'actualité et nous vous interrogerons sur ce sujet. Deux de nos collègues de l'Office, la sénatrice Annie Delmont-Koropoulis et le député Jean-François Eliaou, préparent un rapport d'évaluation de la loi de 2011. Ils vous ont déjà rencontrée dans le cadre de leurs auditions.
Le rapport annuel de l'Agence de la biomédecine comporte le détail de vos actions dans quatre grands domaines de compétence : la greffe, la procréation, l'embryologie et la génétique humaines. Il expose aussi les principaux développements des connaissances et des techniques pour les activités relevant de ces missions. Pourriez-vous nous les présenter ?
Pour ma part, je retiens de votre rapport que l'Agence de la biomédecine fonde sa crédibilité et son efficacité en tant qu'autorité de référence, non seulement sur son expertise mais aussi sur les valeurs de transparence, d'équité et d'éthique qui garantissent la confiance des professionnels de santé et du grand public. En tant que parlementaires, nous sommes très attachés à ces valeurs.
Je vous remercie de nous faire le plaisir et l'honneur d'être parmi nous en ce jour où les déplacements sont plus difficiles que jamais.
Notre réunion s'inscrit à la fois dans l'actualité et dans le travail de fond de l'Office. Je vous adresse mes félicitations pour votre renouvellement à la tête de l'Agence de biomédecine, en janvier dernier, qui vous ouvre un second mandat. C'est la marque du succès de votre mission dans un poste qui n'est pas des plus aisés. Vous démontrez qu'en tant que juriste, vous pouvez bien mener la barque d'une agence opérationnelle sensible et complexe. L'Agence a la réputation d'avoir bien réussi la mission qui lui a été confiée par la loi de bioéthique de 2004, notamment dans des domaines sensibles comme les greffes ou l'assistance médicale à la procréation. Elle est considérée comme une organisation agile avec ses quelque 200 personnes. Vous pourrez nous en dire plus.
Je ne peux que souscrire aux propos de Mme Procaccia. L'article 50 de la loi de bioéthique de 2011 prévoit que l'Agence établira un rapport annuel d'activité, adressé au Parlement qui en saisira l'Office. Nous aurions souhaité procéder à cette audition plus tôt. Entretemps, l'Agence a publié, en janvier dernier, son rapport sur l'application de la loi de bioéthique de 2011, ce qui alimentera la préparation de sa révision.
Le rapport récent récapitule les principales données, ajoute des éléments de comparaison internationale et conclut en suggérant des pistes de réflexion. Il s'agit là d'une méthodologie opératoire propre à une agence à fois opérationnelle et sanitaire. L'équilibre général appelle des ajustements. L'Agence n'a pas à prendre position mais elle a un devoir d'information et produit des rapports - sur la loi de bioéthique, sur les connaissances et les techniques, sur les comparaisons internationales - qui fournissent au Parlement des informations indispensables. Nous vous en remercions.
Nos deux collègues co-rapporteurs chargés d'évaluer la loi de bioéthique sont excusés. Je crois qu'ils ont déjà rencontré le professeur Patrick Niaudet, ancien président du comité d'orientation de l'Agence et qu'ils se sont également entretenus avec vous sur le sujet des greffes de cellules souches et des greffes d'organes, sur l'embryologie, sur l'assistance médicale à la procréation et sur la génétique. Nous serons heureux d'entendre ce qu'ils auront à nous dire sur ces auditions et ce que vous pourrez vous-même nous dire sur ces sujets extrêmement sensibles.
Ce rendez-vous annuel avec l'Office nous réjouit. L'objet de cette audition habituelle est de vous présenter le rapport de l'Agence pour 2016. Nous le complèterons avec les données de 2017 et les éléments dont nous disposons sur la loi de bioéthique.
L'Agence a reçu quatre champs de compétence en héritage de l'Établissement français des greffes, du Registre France Greffe de Moelle et de quelques commissions ministérielles : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques, donc la moelle osseuse, l'assistance médicale à la procréation et, enfin, l'embryologie et la génétique humaines, qui comprennent la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Ces champs de compétence recouvrent les thérapeutiques qui font appel à des éléments et des produits du corps humain. Le fil rouge de l'Agence est de soigner l'homme par l'homme, ce qui requiert un haut niveau de technicité et une approche pluridisciplinaire à la frontière de la science, de la médecine mais aussi de l'éthique, du droit, voire de la statistique et de l'informatique.
Par rapport à une agence sanitaire classique qui encadre, évalue et accompagne, nous avons la particularité de conduire des missions opérationnelles. Nous assurons, par exemple, la répartition des organes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dans l'ensemble du territoire et nous exerçons aussi une mission de promotion des dons d'organes, de cellules et de tissus. Nous sommes très attachés aux valeurs d'humanisme et de solidarité qui fondent l'éthique du don à la française mais aussi à celles de la transparence et de l'équité, indispensables pour construire le socle de confiance sur lequel nous développons nos activités.
L'Agence est une collectivité de 160 personnes qui reçoit le concours de professionnels de santé et d'associations, d'autres acteurs institutionnels et d'autres agences. On utilise souvent l'image de la chaîne de solidarité pour qualifier le processus de la greffe : nous sommes un maillon de cette chaîne et nous ne pouvons rien faire sans les autres maillons, notamment les équipes de recherche en milieu hospitalier qui contribuent à nos travaux.
En ce qui concerne le rapport d'activité, l'année 2016 a été extrêmement importante pour l'Agence. Les chantiers structurels qu'elle a menés ont produit leurs effets en 2017 avec, notamment, l'élaboration de plans ministériels comme le troisième plan pour la greffe d'organes et de tissus, le nouveau plan sur les prélèvements et les greffes sur les cellules souches hématopoïétiques et le plan d'action sur la procréation, l'embryologie et la génétique humaines. Ces plans définissent la feuille stratégique de l'Agence pour la période 2017 à 2021 en impliquant l'ensemble de ses partenaires. Ils traduisent le maintien de la confiance des pouvoirs publics dans notre activité et constituent un outil fort de légitimation.
L'Agence a également signé un contrat d'objectifs et de performance pour la période 2017 à 2021, qui l'engage de manière ambitieuse puisque nous sommes censés atteindre l'autosuffisance en matière de dons de gamètes d'ici 2021.
Nous avons aussi travaillé à la mise en oeuvre de la loi de modernisation de notre système de santé votée en 2016. La réforme de la gouvernance de l'Agence a été le premier chantier sur lequel nous nous sommes concentrés, avec l'entrée des associations dans notre conseil d'administration. Elles étaient déjà représentées au sein du Conseil d'orientation, qui est l'instance la plus importante de l'Agence. La démocratie en santé et l'expertise des associations constituent des apports essentiels à nos travaux. Le transfert à l'Agence de la biovigilance des organes, tissus et cellules, relevant précédemment de l'Agence du médicament, nous a permis d'affiner notre regard en matière de qualité et de sécurité des soins.
La clarification des modalités d'expression du refus de prélèvement d'organes et de tissus a constitué un troisième chantier. Sur ce point, je vous renvoie à la communication du député Jean-Louis Touraine devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 20 décembre dernier, qui éclaire les premiers résultats de ce dispositif entré en vigueur au 1er janvier 2017. Ces trois chantiers guideront notre action dans les années à venir.
Les années 2016 et 2017 ont été extrêmement dynamiques pour les activités dont nous avons la charge. Toutes les données figurent dans le rapport d'activité. Le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus ont progressé de 17 % en cinq ans, avec 5 900 greffes réalisées dans notre pays en 2016. Les besoins restent importants et augmentent malheureusement plus vite que notre activité. Cette dynamique positive s'est poursuivie en 2017, puisque nous avons dépassé le seuil symbolique des 6 000 greffes en France, avec précisément 6 100 greffes réalisées.
Le programme Maastricht III autorise le prélèvement d'organes ou de tissus sur les donneurs pour lesquels une décision de fin d'arrêt de réanimation de soins a été prise, dans le cadre de la loi sur la fin de vie. Une phase pilote avait été lancée en décembre 2014, grâce à une impulsion décisive donnée par l'Office lors d'une audition de février 2013. Le programme fonctionne très bien, dans de remarquables conditions éthiques et avec des résultats qualitatifs significatifs en termes de reprise de greffes, ce qui mérite d'être salué. Plus de 230 greffes ont été réalisées dans ce cadre en 2017. Pas moins de 20 centres participent à cet exercice, tous dans le cadre d'un projet d'établissement auquel adhère l'ensemble de la collectivité hospitalière.
Bien évidemment, nous travaillons aussi sur l'organisation, en menant des travaux plus qualitatifs. Le programme de télétransmission d'images, Cristal-image, a été mis en place, au cours de l'année 2016 grâce à un financement de la Direction générale de l'offre de soins. Plus de 1 000 dossiers ont été visualisés. Le programme offre aux professionnels un outil d'aide à la décision qui leur fait gagner du temps, ce qui est particulièrement efficace dès lors que leur activité s'exerce dans l'urgence.
Nous développons un travail sur l'équité avec un score national sur le coeur destiné à assurer une répartition des organes sur l'ensemble du territoire, en tenant compte de la situation d'urgence dans laquelle se trouvent les patients ou de la nécessité de leur fournir un meilleur appariement en fonction de leur âge et de leur statut immunologique. Ce score est effectif depuis janvier 2018.
En ce qui concerne les cellules, le Registre France Greffe de Moelle a fêté ses 30 ans en 2016 et se porte bien. La semaine dernière était celle de la mobilisation nationale sur le don de moelle osseuse. En 2017, pas moins de 278 000 personnes se sont inscrites sur le registre, avec un rajeunissement certain. Il reste à mobiliser plus d'hommes jeunes et, si possible, issus de la diversité, car l'enjeu est simple : en dehors de la fratrie, on a une chance sur un million de trouver un donneur compatible, ce qui signifie que chaque donneur compte.
En matière d'assistance médicale à la procréation, l'enjeu a été de poursuivre la structuration de l'activité en actualisant les règles de bonne pratique. Un travail de concertation a été mené tout au long de l'année 2016, de sorte que les nouvelles règles ont été rendues publiques à l'été 2017.
Un travail important a été réalisé pour promouvoir le don de gamètes, compte tenu de la situation de pénurie dans laquelle nous nous trouvons, notamment sur le don d'ovocytes. L'année 2016 a été consacrée à la mise en oeuvre des nouvelles dispositions qui autorisent les personnes qui n'ont pas procréé à donner leurs gamètes, faculté qui avait été ouverte par la loi de bioéthique de 2011 mais dont le décret d'application n'a été pris qu'à la fin de 2015 pour une application en 2016.
Enfin, pour ce qui est de la génétique et de l'embryologie, l'Agence a oeuvré en soutien à la Haute autorité de santé, qui a rendu publiques en 2017 des recommandations sur le diagnostic prénatal non invasif de la trisomie 21. Il s'agit d'analyser l'ADN foetal qui circule dans le sang de la mère grâce à une prise de sang. Ce sujet très sensible nécessitait une vraie réflexion éthique.
Dans tous ces chantiers, les résultats sont extrêmement encourageants et de vrais progrès ont été réalisés. Les besoins restent extrêmement importants et continuent de croître, ce qui suppose une mobilisation sans faille autour du contrat d'objectifs et de performance et des plans sur lesquels nous sommes engagés. Encore une fois, on a recensé plus de 6 100 greffes à la fin de 2017 et l'objectif à atteindre en 2021 est de 7 800 greffes. La mobilisation est essentielle. Les acquis ne sont jamais certains. Il faut rester vigilant.
La loi sur la bioéthique est un autre chantier qui s'ouvre et qui vous concerne au premier plan. C'est une lourde responsabilité. Les lois de bioéthique, vous le savez mieux que quiconque, sont particulières car elles font société et construisent le vivre-ensemble dans des domaines sensibles et très évolutifs. Elles traduisent un équilibre social, un équilibre des connaissances et des sciences. Elles méritent un mûrissement particulier, une méthodologie spécifique que vous connaissez bien. D'où les états généraux dont le pilotage a été confié au Comité consultatif national d'éthique (CCNE). L'Office y joue un rôle éminent puisqu'il lui revient de procéder à une évaluation de l'application des lois de bioéthique.
L'Agence de la bioéthique y prendra aussi toute sa part. Elle a été créée par les lois de bioéthique qui encadrent l'essentiel de son activité. Il s'agit d'un établissement public sous tutelle, auquel il n'appartient pas de faire la loi mais de l'appliquer. Il ne lui appartient pas non plus de prendre position dans les débats de société et nous sommes tenus à une certaine neutralité dans le cadre des états généraux. Nous jouerons notre rôle d'experts et d'information auprès du Parlement et du Gouvernement. Notre expertise est pluridisciplinaire car elle se nourrit de la diversité de nos métiers, de notre expérience de terrain et de nos contacts permanents avec les associations, les professionnels de santé et les autres acteurs institutionnels. C'est aussi une expertise spécialisée sur le champ historique de la loi de bioéthique. Nous répondons aux demandes d'information du Parlement et du Gouvernement, nous appuyons les travaux du CCNE, nous rendons publics des documents pour éclairer et nourrir le débat. À ce titre, nous avons commencé à réactualiser le document qui définit l'état de l'encadrement international car, même si comparaison n'est pas raison, elle peut nourrir notre réflexion, malgré la très forte hétérogénéité qui règne en Europe et dans le monde en ce qui concerne nos activités.
En décembre dernier, nous avons rendu notre rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur l'état des connaissances et des sciences. Dans certains secteurs relativement anciens, les progrès technologiques sont considérables avec, par exemple, des machines à perfusion d'organes pour gagner en performance. La génomique est en évolution permanente, ce qui donne lieu à des ruptures technologiques ou scientifiques qu'illustre bien le fameux CRISPR-Cas9, ce ciseau moléculaire sur lequel vous avez rendu un rapport très éclairant et dont on développerait déjà, aux dernières nouvelles, la version 13.
Enfin, nous avons rendu public en janvier le bilan d'application de la loi de bioéthique dans le champ de compétences de l'Agence. Nous ne prétendons pas faire un bilan de l'application transversale de de cette loi mais expliquer le cadre issu des différentes lois de bioéthique qui se sont succédé dans le temps et tracer des pistes de réflexion pour ouvrir la discussion. Ce rapport montre que les lois de bioéthique ont globalement répondu aux attentes. Grâce à la mobilisation de tous, notamment des acteurs de terrain, elles ont réussi à encadrer le développement des activités en laissant ouvert le champ de l'innovation.
Le dispositif législatif et réglementaire français est parmi les plus aboutis en Europe et dans le monde. L'éthique est un questionnement permanent et le rapport fait ressortir les grands débats de société prégnants dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation : extension du champ de l'assistance médicale à la procréation, insémination post-mortem, principe de l'anonymat du don de gamètes, etc. Tous ces sujets sont débattus dans le cadre des états généraux et mobilisent l'attention médiatique.
À ces questionnements s'ajoutent des besoins d'ajustement nés du constat qu'un certain nombre de dispositifs fonctionnent mal. Par exemple, la loi de 2011 a ouvert la possibilité d'un don croisé d'organes pour des personnes en situation d'impasse immunologique. Les conditions posées étaient tellement encadrantes que l'activité ne s'est pas développée.
L'évolution des pratiques médicales constitue un autre type d'ajustement. En 2011, on a développé les registres permettant de trouver des donneurs de cellules souches hématopoïétiques compatibles en dehors de la fratrie et mis en place 73 registres de ce type connectés dans le monde. Cette solidarité internationale donne accès à des millions de donneurs.
Alors qu'en 2011, on avait placé beaucoup d'espoir dans le sang placentaire, c'est-à-dire le sang du cordon ombilical, les attentes ont été en partie déçues. Le sang de cordon continue à être utilisé dans la stratégie thérapeutique mais pas forcément autant qu'on avait pu l'espérer. Désormais, on privilégie la technique du semi-compatible et le don enfants-parents. Cependant, l'encadrement législatif ne couvre pas toutes les hypothèses. Faut-il, par exemple, ouvrir le champ des dérogations aux prélèvements sur les mineurs lorsque le prélèvement sur les parents n'a pas été efficace ?
Enfin, les techniques ont connu des évolutions très significatives, qu'il s'agisse du séquençage nouvelle génération, avec tout ce que cela implique sur la génomique, ou de l'utilisation du haut débit, voire du très haut débit, qui rend possibles des études génomiques de plus en plus étendues, de moins en moins coûteuses et de plus en plus rapides, de sorte qu'il est désormais moins coûteux de séquencer l'ensemble d'un génome plutôt qu'une partie ciblée. Des questions éthiques se posent, notamment celle de la durée de culture des embryons dans le cadre de CRISPR-Cas9 : la boîte noire des 7 jours ne semble plus suffire et l'on s'interroge sur la possibilité d'aller jusqu'à 13 jours, voire au-delà. Ces questions seront débattues dans le cadre des états généraux, à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Quoi qu'il en soit, il faudra veiller à bien mesurer ce qui relève de la loi et ce qui n'en relève pas, car tout n'est pas législatif. Nous devrons aussi travailler sur l'organisation des soins sous un angle éthique, en tenant compte de la relation du système de santé avec les patients.
En outre, nous évoluons dans un contexte de juridictionnalisation croissante des lois de bioéthique, tout particulièrement dans les domaines de l'assistance médicale à la procréation et de la recherche sur l'embryon et les souches embryonnaires humaines. Cela nécessitera de s'accorder sur le degré de précision que nous souhaitons donner à la loi. Par exemple, est-ce au régulateur et, in fine, au juge de fixer une limite d'âge de procréation pour les pères ? De même, le législateur avait encadré, dans la loi de 2011, les manipulations en matière d'embryon transgénique et de création de chimères. Cependant, l'évolution du contexte scientifique nécessite de clarifier ces notions.
Par ailleurs, là où on applique, en France, la même règle pour tous, les lois de bioéthique étant générales et impersonnelles, la Cour européenne des droits de l'homme regarde chaque situation individuelle et tient compte des particularités de chaque cas, selon ce que l'on appelle une approche « casuistique ».
Enfin, sous l'influence des médias, certains sujets prennent le pas sur d'autres si bien que nous devons veiller à donner leur importance à chacun. Ce n'est pas parce qu'un sujet est technique ou ardu, d'un point de vue scientifique et médical, qu'il ne doit pas être traité sous un angle éthique.
Nous vous remercions pour cet exposé. Lors d'une précédente audition sur la place des algorithmes dans la société, en plus des sujets sous le feu de l'actualité comme l'algorithme Admission post-bac désormais réincarné dans la plateforme Parcoursup, nous avions traité la question de l'utilisation des algorithmes dans la définition des critères d'attribution des greffons avec, pour conclusion, que l'algorithmique avait su remplir son office grâce aux progrès technologiques réalisés dans l'identification et l'attribution des greffons et aux liens de confiance développés au sein du corps médical. Pourriez-vous nous en dire plus sur le sujet ?
En matière d'attribution des greffons, l'enjeu est de trouver le bon point d'équilibre entre les différentes notions de priorité, qu'il s'agisse de la priorité pédiatrique ou des priorités qui peuvent résulter de l'état de santé du patient receveur - par exemple, le fait qu'il puisse décéder dans des délais rapides, mais aussi les critères qui tiennent à son statut immunologique qui lui donne plus ou moins de chances de trouver un greffon compatible. Il faudra aussi tenir compte de l'appariement en âge pour qu'un patient jeune reçoive plutôt un greffon qui correspondra à la durée de son espérance de vie. Enfin, des considérations logistiques interviendront, car la durée d'ischémie étant de 4 heures pour un coeur et de 8 heures pour un greffon hépatique, on ne peut ignorer les notions de distance et de faisabilité des transports. Tel est l'équilibre qu'il faut réussir à tenir.
Ces scores sont débattus et pondérés grâce à des simulations que des outils comme la puissance statistique rendent très efficaces. L'Agence dispose de nombreuses bases de données et d'outils cartographiques de très haut niveau qui nous aident à privilégier une répartition nationale plutôt qu'une répartition à l'équipe, en tenant compte de la situation du patient plutôt que de suivre une logique purement locale. Des discussions ont lieu au sein des groupes de travail, puis notre conseil d'orientation et notre instance éthique interviennent et les scores sont rendus publics dans un souci de transparence.
Les algorithmes ne sont ni plus ni moins que des outils qui nous aident à faire des simulations et à prendre une décision, sachant que cette décision est toujours prise de manière individuelle. L'algorithme va déterminer quel patient inscrit dans la liste d'attente est, à un instant donné, le plus compatible et le plus apte à recevoir le greffon, compte tenu de tous les critères enregistrés. On contactera ensuite l'équipe de greffe pour une décision d'acceptation, dans laquelle interviendront d'autres éléments comme la possibilité d'ouvrir un aéroport la nuit, si la durée du transport le nécessite, la possibilité pour un hélicoptère de se poser compte tenu du brouillard, la disponibilité du bloc opératoire, la capacité à réunir l'équipe de greffe ou simplement le fait que cette équipe est déjà mobilisée à ce moment-là sur une autre intervention. L'algorithme est un outil d'aide à la décision et non un outil qui prend la décision. La transparence est indispensable pour créer la confiance, de sorte qu'il faut être très clair sur les règles qu'on applique et sur les éléments qu'on prend en compte dans le cadre de cet algorithme.
Vous parlez d'une réflexion sur les greffes qui se fait au niveau national. L'Agence est territorialisée avec des délégations régionales. Quels sont les principes de son fonctionnement ? Êtes-vous satisfaite de cette organisation géographique ?
L'organisation territoriale de l'Agence est un héritage de l'Établissement français des greffes et de l'époque de France Transplant avec ses ramifications régionales. L'idée sous-jacente qui demeure valable était de pouvoir assurer, par notre présence, un appui aux équipes sur tout le territoire. Cette territorialisation joue un grand rôle dans l'activité de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus et concerne parfois aussi les cellules souches hématopoïétiques. Pour le reste, l'Agence est présente sur le territoire en appui aux équipes de terrain. Tous les établissements hospitaliers sont censés participer à l'effort de prélèvement, ce qui constitue une activité très contraignante en termes d'organisation et de réanimation, sans compter l'activité des laboratoires. D'où l'importance d'être présents sur le territoire en appui aux équipes pour intervenir à la moindre difficulté et pour assurer la promotion du don d'organes.
Cette territorialisation a évolué dans le temps. Autrefois, notre service de régulation et d'appui comprenait sept antennes ; désormais, nous disposons de quatre services territoriaux qui regroupent une cinquantaine de personnes, avec un secrétariat et un médecin chef, que viennent appuyer des médecins et des infirmiers nomades qui se déplacent sur l'ensemble du territoire. Nous veillons à développer un maillage territorial le plus cohérent possible pour répondre aux préoccupations et aux besoins des équipes sur le terrain.
Les acquis des nouvelles technologies font évoluer notre réflexion et nous avons inscrit dans notre contrat d'objectifs et de performance la nécessité d'une concertation interne pour redéfinir nos missions, en tenant compte du fait que les coordinations hospitalières de prélèvement dans les hôpitaux ont sans doute gagné en maturité depuis les années 2000 et ont surtout besoin de nous en matière de formation présentielle.
Nous continuerons aussi à développer notre action sur la greffe car l'objectif de 7 800 greffes en 2021 suppose que l'on soit efficace. Tout se joue à l'hôpital, où la rotation des équipes est de plus en plus importante, notamment sur les coordinations hospitalières de prélèvements, qui opèrent parfois avec des équipes renouvelées intégralement du jour au lendemain. L'abord des proches n'en devient que plus difficile alors qu'il requiert une expertise et un savoir-faire délicat. Il est essentiel d'être présent auprès des familles en deuil.
Au sujet de la clarification de la procédure d'acceptation ou de refus de don d'organes après le décès, vous avez mentionné l'intervention de notre collègue Jean-Louis Touraine. Comment voyez-vous la situation ? Les objectifs ont-ils été atteints ?
C'est un sujet qui a beaucoup occupé les acteurs du domaine de la transplantation en 2015 et 2016. Un amendement à la loi de modernisation de notre système de santé a conforté le régime du consentement présumé qui existe dans notre droit positif depuis 1976 grâce à la loi Caillavet. Chacun d'entre nous est un donneur potentiel d'organes sauf s'il a fait savoir de son vivant qu'il était opposé à tout prélèvement. On défend là l'intuition que la fraternité républicaine et la solidarité vont au-delà de la mort.
L'enjeu est de s'assurer que les modalités d'expression du refus de prélèvement sont loyales et les plus claires possible. Chacun est en droit d'être contre le prélèvement, mais dans la mesure où il intervient dans des situations d'urgence et de détresse psychologique pour les proches, il est indispensable de clarifier les modalités d'expression de ce refus.
Le législateur a fait le choix de privilégier le registre national des refus, tenu par l'Agence de la biomédecine, comme moyen principal d'expression de ce refus. Ce dispositif, jusqu'alors périphérique, joue désormais un rôle majeur et l'on a enregistré une augmentation importante du nombre des inscrits. Il constitue un moyen simple et efficace mais pas exclusif d'autres modalités.
À ce sujet, il y a eu une concertation pour l'élaboration d'un décret comportant des règles de bonnes pratiques. On y a défini la possibilité de remettre à un proche un document écrit dans lequel on fera valoir son refus, pour qu'il puisse le transmettre à la coordination hospitalière de prélèvement si la question se pose. Il est aussi possible d'informer oralement ses proches, qui devront ensuite retranscrire ce refus et signer un document lorsque le prélèvement sera envisagé. L'objectif est de clarifier le plus possible la procédure.
Un important travail de formation des professionnels a été mené, notamment auprès des coordinations hospitalières de prélèvement qui doivent s'adapter aux nouvelles modalités. L'Agence a lancé des campagnes de communication renforcée, au nombre de deux en 2016, pour faire connaître la loi. En effet, 7 % des Français seulement savaient qu'on était en régime de consentement présumé, d'où les difficultés sur le terrain.
L'actualité médiatique a également joué un rôle favorable, avec la sortie du film Réparer les vivants. Je remercie les médias qui ont répondu présents en multipliant les reportages sur l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
La mise en oeuvre des nouvelles dispositions s'est passée dans la sérénité. Pour les professionnels, ce fut l'occasion de réfléchir à nouveau à leurs pratiques. Nos règles de bonnes pratiques sur la mort des proches fixent un cadre qui ne vise volontairement pas à uniformiser, mais à harmoniser, en valorisant ce qui fonctionnait bien sur le terrain. Cette démarche a été bien perçue. Il y a eu beaucoup d'échanges avec les familles sur la loi. Nos campagnes d'information ont porté leurs fruits. Aujourd'hui, la majorité de la population connaît la loi sur le don d'organes. On a aussi constaté une légère baisse du taux d'opposition : traditionnellement autour de 33 %, il est passé à 30 %, ce qui explique les bons résultats de 2017 et la hausse des prélèvements, y compris sur donneurs en état de mort encéphalique. Ces résultats sont donc encourageants mais nous devons continuer nos efforts de formation, de pédagogie, de communication car la confiance est fragile et le taux de refus peut vite évoluer. Il importe que tous les professionnels répètent les mêmes messages de manière régulière et convergente. Nous devons aussi continuer à améliorer les pratiques en nous fondant sur les retours d'expérience des professionnels. C'est pourquoi, lors du bilan d'application de la loi de bioéthique, nous avons recommandé de conserver le cadre législatif existant pour capitaliser sur le travail réalisé depuis trois ans et continuer à travailler dans la durée. C'est essentiel si l'on veut modifier les états d'esprit.
Où se situe la France par rapport aux autres pays en ce qui concerne le taux de refus ?
En France, historiquement, le taux de refus est supérieur à 30 %, en moyenne autour de 33 %. Ce chiffre masque des hétérogénéités entre régions - dans certaines, il s'établit à 20 %, dans d'autres, il est supérieur à 40 % -, et des hétérogénéités infrarégionales, voire entre établissements, où le taux peut aussi fluctuer d'une année à l'autre. Ainsi, en outre-mer, un simple événement ou la parution d'un article peut avoir un retentissement immédiat sur le taux de refus. Cette hétérogénéité a des raisons culturelles ou historiques. Mais nous ne voulons pas en rester là. Nous travaillons ainsi beaucoup sur l'accueil à l'hôpital car nous avons remarqué que la manière dont le patient est accueilli et suivi à l'hôpital influe fortement sur l'attitude à l'égard du don d'organe.
Toutefois, 30 % de refus, cela signifie tout de même 70 % de oui ! Il faut saluer ces donneurs altruistes. Il est difficile de faire des comparaisons avec les autres pays car l'activité y est organisée de manière différente, tout comme les recensements d'activité. Dans les pays à consentement explicite, le taux de refus est plus élevé. Il est, en effet, plus difficile de faire la démarche pour s'inscrire sur un registre pour manifester son accord au prélèvement d'organes. C'est pourquoi le consentement implicite tend à se développer, comme au Pays de Galles ou aux Pays-Bas récemment. La France est très bien placée pour les prélèvements et les greffes en Europe.
Même par rapport aux autres pays à consentement présumé ?
Nous manquons de données pour faire des comparaisons. Nous sommes capables, en revanche, de comparer l'efficacité globale du système de prélèvements et de greffes. Le système français est globalement efficace même s'il reste des progrès à faire, en particulier sur le taux de refus, pour réduire les hétérogénéités. On se compare beaucoup avec l'Espagne, pays à consentement présumé. Le taux de refus y est, en apparence, inférieur mais c'est parce que, là-bas, l'entretien de formalisation est la concrétisation de démarches anticipées préalables, le terrain a été sondé avant.
En effet. Le don est gratuit en Europe. De manière générale, lorsqu'il y a des annonces anticipées, le taux de refus est moindre. Il en va de même dans le programme Maastricht III sur la fin de vie car l'abord des proches est facilité et ceux-ci ont eu le temps de préparer le décès - en tout cas, l'état de sidération devant le décès est moins important. L'objectif est de parvenir à un taux de refus de 25 % d'ici à 2021. C'est un vrai défi. Pour y parvenir, il faudra actionner tous les leviers : la formation, la pédagogie, l'organisation de l'hôpital, etc.
Les thérapies géniques commencent à aboutir après 20 ans de recherches. Pensez-vous que la technologie permettra d'avancer sur l'utilisation thérapeutique du sang de cordon ombilical ? En France le don de sang de cordon est considéré comme un don ; on ne peut le verser dans une banque de données, comme en Angleterre ou en Suisse, et celles-ci démarchent d'ailleurs en France...Vu le faible taux de compatibilité, ne serait-il pas opportun de faire évoluer les règles sur le don anonyme et l'anonymat dans les banques de stockage du sang ombilical ?
La question du sang de cordon est un sujet très débattu, y compris scientifiquement, et qui a donné lieu à des contentieux lorsque certains particuliers ont voulu exporter leur sang de cordon dans des banques étrangères pour le conserver à des fins privées. Le conseil d'orientation de l'Agence a rendu public un avis. Le sang de cordon n'offre encore aucune perspective thérapeutique démontrée, à l'exception du traitement de certaines maladies graves du sang nécessitant des greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Donc, les banques privées ne vendent aujourd'hui que de la science-fiction ! De plus, rien ne garantit que les conditions de prélèvement ou de stockage du sang permettront de l'exploiter un jour ni que sa richesse sera suffisante. Enfin, quid des données susceptibles d'être récupérées à la suite d'une analyse du sang ? Nous jugeons ainsi souhaitable de conserver le principe du don anonyme, gratuit et altruiste.
L'enjeu est de définir la place du sang de cordon dans les stratégies thérapeutiques. Le sang de cordon est moins utilisé. C'est pourquoi nous avons revu les objectifs de collecte et de stockage en France : l'objectif du ministère est de collecter 1 000 cordons par an mais très riches en cellules. Nous attendons l'aboutissement des protocoles scientifiques en cours, menés sous l'égide de la Société française de greffe de moelle et thérapie cellulaire (SFGM-TC), qui visent à définir les stratégies thérapeutiques de demain en matière de cellules souches hématopoïétiques, notamment avec le développement des greffes haplo-identiques(1(*)). Il s'agit d'évaluer les greffes « haplo-identiques » par rapport aux greffes 10-10 à compatibilité maximale, aux greffes 9-10, moins compatibles, et par rapport au sang de cordon. En 2011, beaucoup d'espoirs avaient été placés dans le sang de cordon, qui n'ont pas été satisfaits.
Il a fallu 20 ans pour parvenir à des résultats en matière de thérapie génique !
Le sang de cordon garde sa place pour les greffes de CSH allogéniques. Les hypothèses nées en 2011 n'ont pas été confirmées. Les banques privées à l'étranger proposent des stockages dans des conditions opaques, sans garantie sur l'avenir ni sur l'utilisation des données. C'est pourquoi nous préférons le don de sang de cordon gratuit et altruiste.
Il faut trouver le bon équilibre entre biomédecine et bioéthique. La France a toujours eu de mauvaises habitudes en matière de bioéthique. Nous avons longtemps interdit les dissections sur cadavre. Les étudiants devaient aller s'exercer en Italie ou aux Pays-Bas. Aujourd'hui, alors que les enjeux alimentaires et climatiques sont immenses, nous sommes réticents à l'égard des OGM...
Les avancées en biologie cellulaire, grâce au système CRISPR-Cas notamment, ouvrent de nouvelles perspectives, pour retrouver la plasticité cérébrale par exemple. Quand peut-on espérer voir des expérimentations, évidemment encadrées, sur des patients en état végétatif ou gravement cérébro-lésés ? La biomédecine relève du principe de subsidiarité en Europe. Avez-vous des homologues à Bruxelles ? Existe-t-il d'autres agences similaires dans d'autres pays ? Quels sont vos rapports avec elles ? Enfin, jugez-vous vos lignes de crédit suffisantes ?
Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur les patients cérébro-lésés. L'Agence est compétente pour la recherche sur l'embryon et les cellules souches humaines. Les cellules souches humaines ne font l'objet de recherches en France que depuis 2006. La France s'est vite placée au tout premier plan. Les études s'inscrivent dans le temps et réclament des équipes très structurées. On arrive au stade des essais cliniques : 18 essais cliniques sont en cours dans le monde, dont celui du professeur Philippe Menasché, en France, pour traiter l'insuffisance cardiaque sévère. Les autres essais en cours portent, en particulier, sur la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). En France, des essais cliniques pourraient être engagés sur la drépanocytose, car les phases préalables ont déjà eu lieu, et éventuellement sur la DMLA. D'autres thèmes de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines se développent, où l'on se rapproche du stade des essais cliniques avec des perspectives thérapeutiques.
Le système CRISPR-Cas9 est utilisé en thérapie génique ; il peut être employé sur les cellules souches embryonnaires humaines. La question éthique qui se pose aujourd'hui, qu'il vous faudra trancher, est celle de son utilisation sur l'embryon. Il faudra déterminer s'il est permis de faire des recherches sur l'embryon en utilisant ce système, et dans quelle mesure. En France, si j'en juge d'après les travaux de l'Inserm, de l'Académie nationale de médecine ou de l'Office, l'enjeu est d'apprécier si cette technique est maitrisée, fiable, efficace, avec une valeur ajoutée, sans effets secondaires ou nocifs, tout en évaluant les enjeux éthiques sous-jacents. Il s'agit de savoir s'il y a matière à mener une recherche sur l'embryon sans gestation. C'est ainsi que la question se pose au législateur en France. Ce n'est pas le cas partout. Il semble ainsi que la Suède ou l'Angleterre puissent autoriser de telles recherches sur l'embryon avec le CRISPR-Cas9.
Cela pose la question du cadre européen. La France fait figure d'exception avec une agence unique, transversale, regroupant toutes les expertises sur la biomédecine. Il en va de même pour l'assistance médicale à la procréation, qui est organisée de manière très différente selon les pays d'Europe. La France a fait le choix d'une structuration à l'activité avec une régulation publique ; dans d'autres pays, la régulation est privée. Cela ne facilite pas les rapprochements. Le domaine où le rapprochement est le plus abouti est le plus ancien, celui de l'organe et du tissu.
Toutefois, il y a une réflexion au niveau européen. Dans le cadre de l'Union européenne, tout d'abord, avec des textes sur la sécurité et la qualité des produits mais aussi des recommandations. Un travail est également mené au sein du Conseil de l'Europe ; c'est dans ce cadre qu'avait été élaborée la convention d'Oviedo, reconnue par la loi de 2011, et qui fonde le principe du don d'organe anonyme et gratuit. C'est aussi un lieu de discussions informelles, d'échanges de pratiques. On peut ensuite décliner les discussions sur un plan bilatéral : nous avions ainsi fait alliance avec les pays du Sud sur l'organe et la transplantation. Il est vrai qu'il était plus facile d'avancer sur ce sujet. La réflexion sur la recherche sur l'embryon et les cellules souches en Europe sera plus complexe car chaque pays a son organisation, son histoire. Il convient aussi de travailler avec les sociétés savantes. Les chercheurs ne doivent pas être déresponsabilisés.
Et votre budget ?
L'Agence, comme tous les opérateurs publics, participe à l'effort de maîtrise budgétaire. Nous avons réfléchi aux moyens d'améliorer notre efficience. Nous avons revu notre structure territoriale, renégocié notre bail, développé le recours à la dématérialisation ou à la mutualisation avec les autres agences pour les marchés ou la formation. Nous avons pu faire face à la hausse de l'activité liée à la hausse des dons d'organes, qui accroit mécaniquement la charge de travail de notre plateforme de répartition des organes et le travail de régulation de nos services territoriaux.
Dans sa délibération du 8 juin 2017 concernant les réflexions sur l'âge de procréer dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, le conseil d'orientation de l'Agence considérait que l'âge limite pour avoir recours à ce dispositif était de 43 ans pour les femmes et de 60 ans pour les hommes. Avez-vous connaissance de cas de certains de nos concitoyens qui seraient partis à l'étranger pour contourner ces limites d'âge ? Combien sont-ils ? Comment appeler nos concitoyens à la raison ?
Ma question porte sur la bio-impression. On peut désormais imprimer des cellules souches pluripotentes induites - Induced pluripotent stem cells (IPS) - qui peuvent permettre de reconstituer des organes en évitant les problèmes liés à l'immunologie. Quelle est la position de l'Agence à ce sujet ?
Les greffes d'organe augmentent en France grâce à la générosité des donneurs. Celle-ci est entretenue par la communication de l'Agence. C'est une de ses missions. Elle a ainsi lancé des campagnes de sensibilisation en direction des jeunes sous la forme de vidéos humoristiques sur Youtube et sur des plateformes internet. Quelle a été l'efficacité de ces campagnes de communication ?
Pourriez-vous nous indiquer les pistes d'évolutions législatives qui vous paraitraient utiles dans la perspective d'une éventuelle révision des lois de bioéthique ?
Les limites d'âge en matière de procréation médicalement assistée, qui sont évoquées dans l'avis du conseil d'orientation, sont fondées sur les limites d'âge appliquées par les médecins. Les femmes de plus de 43 ans qui se sont vu refuser une prise en charge pour une procréation médicalement assistée en France peuvent cependant aisément partir à l'étranger. Il est difficile de savoir combien de femmes sont concernées. Sans doute pourrions-nous avoir une idée à travers le nombre des femmes de plus de 43 ans prises en charge à l'étranger par la Sécurité sociale. Pour les hommes de plus de 60 ans, la situation est différente. Souvent, en effet, il s'agit d'hommes qui ont dû suivre une procédure de conservation de fertilité avec stockage des gamètes, notamment s'ils ont eu un cancer de la prostate ou de la vessie. Pour aller à l'étranger, ils doivent faire une demande d'exportation de gamètes. Or celle-ci n'est pas autorisée si la prise en charge n'est pas possible en France. C'est ce qu'a confirmé la Cour administrative d'appel de Versailles. La question est de savoir s'il appartient aux médecins de déterminer l'âge limite, avec un risque de contentieux, ou si c'est à la loi de le fixer. Il est, en tout cas, difficile de fournir des chiffres des départs à l'étranger car nous ne connaissons que les prises en charge en France.
Malgré tout, le phénomène est-il significatif ?
Il est très marginal pour les hommes de plus de 60 ans et marginal pour les femmes. Les gynécologues sont très vigilants à l'égard des grossesses tardives. Il y a eu des cas de grossesses difficiles et c'est comme cela que l'on sait que le phénomène existe.
S'agissant de la bio-impression et des IPS, nous en sommes encore au stade de la recherche. Ces cellules reprogrammées soulèvent un certain nombre de questions quant à leur stabilité ou à l'effet-mémoire. Un seul essai clinique a été lancé sur l'homme et le protocole a dû changer, passant d'autologue à allogénique, ce qui est différent d'un point de vue immunologique. En tout cas, nous suivons ces pistes avec un grand intérêt. Notre souhait le plus cher est que les progrès de la science rendent notre activité inutile, à l'exception de la régulation. Nous souhaitons tous que la greffe d'organe puisse être traitée d'une autre manière. L'idéal serait évidemment que, grâce à une politique de prévention efficace, les cas où des individus se retrouvent en insuffisance terminale d'organe disparaissent ! Si les progrès de la science permettent d'envisager un jour des organes imprimés, nous nous en réjouirons !
« Un jour », dites-vous. Mais à quel horizon ?
Je me garderai bien de toute prévision. Lorsque la loi de bioéthique a été votée en 2011, les manipulations transgéniques relevaient encore du domaine de la science-fiction ! La science-fiction est devenue très vite de la science. Le temps de la science accélère parfois. Ce sujet suscite, en tout cas, un grand intérêt.
Nous testons nos campagnes de communication avant de les lancer et les évaluons toujours après. Nos films à destination des jeunes ont un fort impact car ils se sont propagés de manière virale sur les réseaux sociaux. L'enjeu est de transformer cet impact en conscience et en action. Pour réellement faire évoluer les mentalités, il faut communiquer de manière constante. Une campagne one shot n'a pas d'efficacité. Nous devons aussi sans cesse nous adapter : c'est pourquoi, pour cibler les jeunes qui sont saturés d'images et méfiants à l'égard des messages institutionnels, nous avons volontairement adopté un ton décalé.
D'éventuelles évolutions législatives ? Beaucoup de sujets sont sur la table : le don du vivant d'organes, le don croisé d'organes, le statut du donneur vivant. On attend beaucoup d'une réflexion du législateur sur les sujets liés au génome car les techniques évoluent très vite : il faut revoir les problématiques liées au consentement d'information, à la gestion des découvertes incidentes ou à la gestion des données car leur volume va augmenter et ces données, sensibles, ont la particularité de concerner non seulement la personne mais aussi ses proches. Ce sujet devient majeur et prend une grande ampleur.
Je constate le grand décalage entre le petit nombre de sujets, essentiellement la procréation médicalement assistée, qui ont percé sur la scène médiatique dans le cadre de cette réflexion sur une révision des lois de bioéthique, et le grand nombre de sujets moins médiatisés, plus techniques mais tout aussi importants, qu'il est urgent d'examiner. Il faudra veiller à ne pas les oublier dans le débat à venir.
Je vous remercie pour vos réponses. Nous avons constaté que l'Agence de la biomédecine était une agence qui fonctionnait bien, qui a su prendre la mesure de ses fonctions, occupant à la fois les terrains médiatique, technique et éthique. La proximité entre l'Office et votre Agence est précieuse. L'Office suivra de près l'évolution du débat sur la loi de bioéthique et nous poursuivrons nos échanges.
Nous avons été saisis d'une demande émanant de la mission d'information conjointe des commissions des affaires économiques, des finances et des lois de l'Assemblée nationale sur le sujet des chaînes de blocs (blockchains), et nous devons désigner des rapporteurs à cet effet.
Le calendrier étant serré, j'ai proposé que l'Office prépare, pour la première quinzaine d'avril, une note courte de quatre pages à vocation pédagogique décrivant le fonctionnement de ce système, et qu'il produise une note plus développée pour le mois de mai. Cette démarche a été très positivement considérée par le président et les rapporteurs de la mission commune d'information, nos collègues députés Julien Aubert, Laure de La Raudière et Jean-Michel Mis.
Trois membres de l'Office ont manifesté un intérêt particulier pour cette question : les députés Claude de Ganay, co-auteur d'un rapport fondateur sur l'intelligence artificielle, et Valéria Faure-Muntian, ainsi que le sénateur Ronan Le Gleut. Je propose que l'on retienne la candidature de ces trois personnes.
Mme Valéria Faure-Muntian et M. Claude de Ganay, députés, et M. Ronan Le Gleut, sénateur, sont nommés rapporteurs sur la saisine de la mission commune d'information de l'Assemblée nationale relative aux chaînes de blocs (blockchains).
Le calendrier est très tendu : la qualité de notre travail n'en pâtira-t-elle pas ?
C'est évident, on ne peut pas faire, en une semaine, un travail aussi approfondi qu'en un mois ni faire, en un mois, le même travail qu'en trois ; toutefois, il faut aller vite pour répondre à la demande de nos collègues, sans quoi, nous arriverons après la cavalerie. C'est pourquoi j'ai proposé ce travail en deux temps. Nos collègues députés membres de cette mission commune d'information ont accepté, eux aussi, de travailler très vite pour rattraper le retard des pouvoirs publics sur cette question et nous les soutiendrons dans cette démarche au moyen de cet effort, qui est important, je le reconnais.
Je précise qu'il s'agit d'une mission d'expertise pour laquelle on nous demande moins une prise de position stratégique que des explications techniques, afin que la mission puisse avancer. Les membres de cette instance temporaire ont commencé immédiatement leur travail dans tous ses aspects techniques, et leur vision s'affinera en même temps que nous les aiderons.
Ne risque-t-il pas d'y avoir redondance dans les auditions ? Les spécialistes sur cette question ne sont pas très nombreux et ils ne sont pas toujours disponibles...
Il faut se coordonner avec la mission d'information, mais je ne pense pas qu'il soit gênant que les mêmes personnes soient auditionnées deux fois. J'ai pu discuter avec Georges Gonthier et d'autres scientifiques à la sortie de leur audition devant la mission d'information et ils ont trouvé la durée de celle-ci très courte. Ils ne se formaliseront pas du tout d'être auditionnés deux fois ; ce sera même, au contraire, la preuve de notre volonté d'entrer dans le détail.
Ce travail pour la mission d'information sur les blockchains manifeste notre volonté de travailler en appui des autres missions et commissions. Notre souci d'investir le temps court, calé sur le temps politique, se traduit aussi par l'instauration des notes courtes, dont nous allons maintenant examiner les premières.
Nous inaugurons maintenant l'examen des notes courtes, nouveau format que j'ai fortement appuyé à mon arrivée au sein de l'Office. Il s'agit de travaux plus concentrés et plus rapides qui nous permettent de nous inscrire dans le temps court du monde politique. Cela n'a, bien sûr, pas vocation à se substituer aux rapports qui ont fait la réputation de l'Office et continueront à être élaborés.
Nous nous sommes inspirés des notes courtes du Parliamentary Office of Science and Technology, le POST, du Parlement britannique. Je remercie nos trois vice-présidents qui se sont prêtés à ces premiers travaux en s'appuyant, avec les deux secrétariats de l'Office, sur les membres du conseil scientifique de l'Office, sur des experts et sur des correspondants d'ambassades.
La maquette a déjà été présentée et discutée ; chaque note courte comprend quatre pages et, éventuellement, un feuillet rassemblant les références, les notes infrapaginales et les noms des personnes et des organismes consultés. Certaines de ces notes courtes peuvent constituer, bien évidemment, le cas échéant, le point de départ de travaux plus longs, même si ce n'est pas leur vocation principale.
Nos trois collègues vont présenter succinctement leurs notes, en rappelant le contexte, les objectifs, la méthodologie, l'état de l'art et les recommandations.
Des notes plus développées - une quinzaine de pages - ont également été produites sur deux de ces trois sujets. Il est difficile de les publier en tant que rapports ou d'en faire des éléments de communication. Je propose donc de les publier sur la page internet de l'Office, dans un dossier complémentaire d'approfondissement, et d'y associer les réponses des ambassades, des académies et des experts.
À la suite de mon rapport intitulé « De la Biomasse à la bioéconomie : une stratégie pour la France », publié voilà deux ans, j'ai voulu approfondir les relations entre les sols et le carbone.
Les sols jouent un rôle important mais longtemps sous-estimé en matière de réchauffement climatique et de sécurité alimentaire. Ils sont d'importants réservoirs de carbone, sous la forme de matière organique. Ainsi, loin d'être de simples surfaces, ce sont des volumes aux propriétés physicochimiques complexes et nécessaires à la vie.
Leur préservation est importante car des évolutions, même faibles, des stocks de carbone du sol ont des effets majeurs sur leur fertilité, donc sur la productivité agricole et, à l'échelon global, au travers du cycle des gaz à effet de serre. Le sol émet du dioxyde de carbone, gaz à effet de serre, lors de la dégradation des matières organiques, mais il contribue aussi au stockage du carbone.
Le sol peut stocker, dans certaines conditions, plus de carbone qu'il n'en émet ; il y a d'ailleurs plus de carbone dans le sol - 1 500 milliards de tonnes de carbone dans le monde - que dans la végétation et dans l'atmosphère réunies. Les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre sont d'environ 9 milliards de tonnes ; la photosynthèse en absorbe environ 3 milliards de tonnes et les océans 2 milliards de tonnes, le solde restant dans l'atmosphère. Avec l'initiative « 4 %o », on pourrait accroître le stockage de carbone dans le sol, contrebalançant ainsi ce surcroît d'émission de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
En outre, le climat influe sur la teneur en carbone des sols, tant par les entrées que par les sorties. Le sol fait donc figure d'acteur-clé dans les cycles biogéochimiques du carbone. Les flux de carbone dans les sols dépendent de nombreux facteurs : la nature des écosystèmes, la quantité et la nature des apports de matière organique et l'activité biologique. Antoine Becquerel, ancêtre de Henri Becquerel, avait déjà étudié, en 1853, l'incidence des sols boisés ou non boisés sur le climat ; on est toujours sur ce chantier... Les sols sont marqués par une grande diversité et la quantité de matière organique fluctue selon les facteurs évoqués ; entre les tourbières, les zones forestières, les zones agricoles et les zones artificialisées, voire imperméabilisées, les écarts sont très importants.
La durée de résidence du carbone dans le sol est de quelques décennies en moyenne, mais elle s'étend de quelques heures à plusieurs millénaires. Cette durée est allongée par l'association de la matière organique aux particules minérales du sol, en particulier à l'argile.
Ce processus est complexe et il est difficile de déterminer l'impact du labour sur ce phénomène. Dans les zones tempérées, on laboure tous les deux ou trois ans, mais le labour, comme les retournements de prairie, favorisent les émissions de dioxyde de carbone et empêchent l'accumulation et la résidence du carbone. La dégradation des sols réduit donc la capacité de stockage du carbone.
J'ai identifié trois recommandations principales que l'Office pourrait formuler. En premier lieu, il faut poursuivre et amplifier l'initiative 4 %o à l'échelon international, en éclairant les mesures à mettre en oeuvre. Par exemple, il faut mettre fin à la déforestation, au retournement des prairies, à l'artificialisation des sols et encourager la couverture permanente des sols agricoles pour viser, disons, 11 mois par an.
En second lieu, il convient de concevoir une politique agricole incitative au stockage de carbone dans les sols. Cela implique de rémunérer les services écosystémiques des agriculteurs et d'éviter de laisser les sols à nu. Il faut estimer le coût de la nouvelle PAC au regard de son bilan carbone. Ainsi, l'octroi d'une prime de trente euros par tonne de carbone stocké coûterait 3,5 milliards d'euros, soit 6 % de la PAC actuelle, si l'on s'appuie sur un potentiel maximal de stockage de 115 millions de tonnes dans l'Union européenne.
En troisième lieu, il faudrait se doter d'une stratégie nationale sur les sols et mettre en oeuvre l'initiative 4 %o selon une approche territoriale, en veillant à la cohérence des actions grâce à l'association du ministère de l'agriculture et du ministère de la transition écologique et solidaire.
Notre approche méthodologique a été simple : elle s'est fondée sur la recherche documentaire et l'audition de scientifiques et d'industriels en faisant appel, autant que possible, à des entreprises françaises, qui sont très nombreuses dans ce secteur.
Ce sujet n'est pas nouveau ; il s'est développé depuis 1999, surtout dans les secteurs industriel et agricole, avec comme vocation initiale la surveillance industrielle. Son importance s'accroît avec l'émergence des big data et du cloud.
Selon le cabinet A.T. Kearney, ce secteur a fait l'objet d'investissements représentant 700 milliards d'euros en 2017. On dénombrait 8 milliards d'objets connectés en 2017, soit une progression de 31 % par rapport à 2016. Gartner estime qu'il pourrait y en avoir 20 milliards en 2020, dont 13 milliards détenus par le grand public.
On observe de fortes disparités géographiques en France puisque 42 % des objets connectés « grand public » sont situés en Île-de-France. Cela montre sans doute que ces objets sont encore perçus comme des gadgets.
Dans le domaine professionnel, cela concerne des activités comme la maintenance prédictive, mais il existe aussi des applications quotidiennes, notamment dans la médecine. Ainsi, le Loiret a expérimenté, avec l'entreprise française Sigfox, un bracelet connecté à destination des allocataires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), pour surveiller la présence de personnes âgées dans leur logement et lancer, en cas d'absence, en lien avec la famille, une alerte. Autre exemple, le développement de cabines de télémédecine. Quand on est loin d'un hôpital, une telle cabine connectée peut s'avérer utile pour prendre une vingtaine de mesures afin d'avoir un diagnostic médical sans se rendre aux urgences.
Ce secteur présente un paradoxe autour des enjeux énergétiques. Les objets connectés sont très présents dans la smart city, dans les bâtiments intelligents, et permettent de faire d'importantes économies d'énergie grâce aux données collectées. Néanmoins, leur multiplication est aussi une source majeure d'augmentation de déchets. Il faut que les industriels prennent soin, dès la conception, de leurs produits et en prévoient le recyclage.
Je formulerai trois alertes en guise de conclusion. Tout d'abord, l'objet connecté en soi va perdre de sa valeur au profit des données qu'il produit. Les grands acteurs de type GAFA l'ont bien compris et on ne doit pas perdre les données personnelles au profit de ceux-ci. Nous avons adopté des éléments de protection des données personnelles au niveau européen (règlement général sur la protection des données), déclinés par un projet de loi en cours de discussion. C'est un enjeu important, qui est souvent peu connu et mal compris.
Ensuite, il y a un fort enjeu d'acceptabilité sociale. On l'a vu, les compteurs communicants pour l'électricité et le gaz sont l'exemple type d'un projet industriel considéré uniquement sous l'angle du déploiement chez les particuliers, sans expliquer à ces derniers ce que l'on va en faire. Il faut expliquer l'utilité de ces compteurs à nos concitoyens, leur montrer que les données collectées permettront de mieux consommer l'électricité et d'économiser l'énergie. Or cela relève, à mon sens, de la responsabilité des industriels.
Enfin, il risque d'y avoir un embouteillage technologique. Le spectre hertzien arrive déjà à saturation ; les objets connectés devront-ils alors se connecter via la 5G, qui porte tant du haut que du bas débit, ou faut-il, au contraire, privilégier le bas débit, réseau mondial avec des coûts faibles, comme le fait Sigfox, que je citais tout à l'heure ?
En toute hypothèse, il faut bien avoir à l'esprit que le modèle industriel est fondé sur les données et non plus sur l'objet lui-même.
Les objets connectés, de même que l'intelligence artificielle que nous évoquions précédemment, entrent en synergie avec les blockchains ; il y a bien des éléments communs aux trois domaines.
L'impression en 3D était présentée par l'administration Obama comme une solution pour préserver les industries et l'emploi, et le Président de la République en a souvent parlé aussi dans ces termes.
Cette technologie est issue des travaux de recherche de trois chercheurs français - Alain Le Méhauté, Olivier de Witte et Jean-Claude André -, mais cette invention est attribuée aux Américains, car ces chercheurs n'ont pu conserver leur brevet ; ce n'est pas toujours l'auteur d'une invention qui en bénéficie...
Contrairement à l'usinage traditionnel par enlèvement de matière, l'impression en 3D opère par ajout de matière, couche par couche. C'est une technologie largement utilisée pour le prototypage des produits ; cela ne nécessite pas d'outillage particulier et permet de réduire les coûts et les délais. On peut ainsi construire, à un coût limité, des pièces complexes uniques ou produites en petite série. Cela présente donc des avantages tant pour les industriels que pour le consommateur final. Cette technologie est très utilisée dans le BTP, l'industrie automobile, l'électronique grand public ou encore dans la bio-impression, qui permet de produire des structures cellulaires vivantes et ainsi de créer des organes artificiels.
Ce marché croît de 20 % par an et devrait atteindre 18 milliards d'euros en 2020. Les États-Unis sont en avance puisqu'ils possèdent 40 % du parc mondial d'imprimantes, quand la France n'en détient que 3 %.
J'en arrive à mes préconisations. Il faut tout d'abord soutenir la recherche et les investissements en la matière, à cause de notre retard en ce domaine. Il faut également structurer cette filière et renforcer la formation, puisque l'impression en 3D exige une modélisation en 3D.
J'ajoute, pour conclure, que je me rendrai, la semaine prochaine, au salon Global Industrie à Villepinte, pour visiter les stands relatifs à l'impression en 3D.
En effet, rien ne vaut la visite de terrain.
Nous arrivons au terme de notre réunion. Avant d'accueillir les journalistes, je vous rappelle que notre prochain rendez-vous a été fixé au 5 avril prochain, à 9 h 30, dans les locaux de l'Assemblée nationale, conjointement avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. J'y présenterai mon rapport sur l'intelligence artificielle, que je dois remettre au Gouvernement le 29 mars. Je précise que, comme nous l'avons fait pour l'audition publique sur les compteurs communicants en décembre dernier, nous collecterons et traiterons, lors de notre prochaine réunion, les questions que les internautes poseront en direct.
Les notes sur les objets connectés (n° 1), sur l'impression 3D (n° 2) et sur le stockage du carbone (n° 3) seront publiées sur les pages internet de l'Office.
La réunion est close à 11 h 40.
* (1) Les médecins greffeurs cherchent d'abord un donneur intrafamilial et, s'il n'y en a pas, un donneur «sur fichier» parfaitement compatible (HLA 10/10). Dans 30 % des cas, la recherche reste infructueuse et les médecins se tournent vers des greffes alternatives. Il peut s'agir d'un donneur sur fichier dont la compatibilité reste tolérable (9/10), ou d'une greffe de sang de cordon ombilical, récupéré lors des naissances et stocké dans des «banques». Ce sang placentaire est moins riche en cellules souches hématopoïétiques que la moelle osseuse mais donne un peu moins de réactions indésirables. La greffe haplo-identique est une autre alternative, compatible seulement à 50 % car le donneur est un parent ou un enfant du malade. Longtemps infaisables car trop risquées, elles sont désormais possibles grâce à une nouvelle technique et se pratiquent de plus en plus depuis quelques années.