Je laisse notre collègue Nelly Tocqueville nous présenter les enseignements de la journée riche que nous avons passée, à son initiative, à la rencontre des entreprises de Seine-Maritime lundi 11 juin dernier. Je propose juste avant de visionner le petit reportage vidéo que le service de la communication du Sénat a réalisé sur ce déplacement.
Visionnage de la vidéo.
Je suis très heureuse que la délégation aux entreprises ait accepté mon invitation à venir découvrir le dynamisme et la capacité d'innovation des entreprises de la Seine-Maritime. Je remercie particulièrement la présidente ainsi que nos collègues qui nous ont accompagnés : Jackie Deromedi, Michel Canevet, Jackie Pierre, ainsi qu'Agnès Canayer et Sébastien Meurant qui nous ont rejoints sur place. Céline Brulin, qui est sénatrice du département depuis le 1er juin dernier en remplacement de Thierry Foucaud, s'est également jointe à nous au cours de la journée.
Malgré un léger retard de train, nous avons pu accomplir tout le programme prévu pour cette journée, soit la visite de trois entreprises - Nutriset, AMN et EcoTechnilin - ainsi que la participation à une table ronde pour échanger avec des entrepreneurs du département.
Nous avons tout d'abord été accueillis chez Nutriset, dans la commune de Malaunay (6 000 habitants). Lors de sa fondation en 1986, cette entreprise s'est fixé un objectif unique : nourrir les populations vulnérables dans les pays du Sud. Elle a commencé en produisant des laits thérapeutiques mais s'est trouvée confrontée à la mauvaise qualité de l'eau sur le terrain et aux difficultés de réfrigération. Depuis 1996, l'entreprise développe une pâte d'arachide, Plumpy'Nut, qui permet de lutter contre la malnutrition sévère des enfants. Ce produit fait l'objet d'un approvisionnement massif par l'UNICEF, le Programme Alimentaire Mondial et de nombreuses ONG. 100 % de la production de Nutriset (60 000 tonnes par an) est exportée. L'entreprise élargit aussi sa gamme de produits, pour couvrir par exemple les besoins des femmes enceintes. En 2016, Nutriset a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros et comptait plus de 200 collaborateurs. En 2017, ce sont plus de 10 millions de bénéficiaires qui ont été pris en charge par les produits fabriqués par Nutriset.
Afin de fabriquer et de diffuser localement les produits dans les pays affectés par la malnutrition, Nutriset a créé en 2005 le réseau PlumpyField, permettant de répondre plus vite aux situations de crises humanitaires. Présent dans une dizaine de pays, notamment en Guinée, en Haïti, au Burkina Faso, ou au Soudan, PlumpyField est aussi un vecteur de la valorisation des filières agricoles et donc du développement de ces pays. Ce réseau a permis de créer plus de 600 emplois directs, et encore plus d'emplois indirects.
Mais Nutriset, c'est d'abord de la recherche avant d'être de la production : l'entreprise a noué 60 partenariats de recherche dans le monde. Aujourd'hui, Nutriset est le leader mondial en matière de recherche pour prévenir la malnutrition et a déposé plus de 50 brevets.
Dans le cadre de la visite de l'usine de Nutriset, nous avons découvert la chaîne de production et de conditionnement des différents produits, ainsi que l'engagement qualité porté par l'entreprise. Nutriset innove également en matière de gouvernance : elle est devenue la première entreprise française à s'être dotée d'un Objet social étendu, dont l'objectif est « d'apporter des propositions efficaces aux problématiques de malnutrition ». Cet objectif est décliné en neuf engagements : par exemple, mener des activités de recherche et de développement. Ces engagements résument les valeurs qu'entendent porter les actionnaires, et font l'objet d'une évaluation annuelle par une commission.
Nous avons ensuite pu échanger avec des entrepreneurs du département lors d'une table ronde à Yvetot (commune de 12 000 habitants), qui a réuni une trentaine de chefs d'entreprises, de secteurs d'activité aussi divers que le prêt-à-porter, l'expertise de cavités souterraines, les maisons d'hôtes ou encore la vente de produits monastiques.
Les entrepreneurs ont fait part des principaux écueils qui freinent la croissance de leur activité. Nombre d'entre eux sont régulièrement mentionnés, comme encore lors de notre dernier déplacement en Creuse. En effet, les seuils, les surtranspositions (en matière d'exposition aux composés organiques volatils), les rigidités du droit du travail (notamment l'ouverture le dimanche), le poids et la complexité des normes - qui entravent plus particulièrement les petites entreprises ont encore été dénoncés. Les entrepreneurs ont exprimé des craintes renforcées en raison des nouvelles règlementations qui risquent d'accroître leur charge de travail, avec la mise en place du prélèvement de l'impôt à la source, ou de la règlementation sur la protection des données. Une entreprise d'abattage de volailles s'est ainsi demandé pourquoi elle devait garder 5 ans des papiers relatifs à un poulet qui doit être mangé dans les 9 jours.
Même si c'est moins prégnant que ce que nous avons pu constater dans la Creuse, les difficultés de recrutement sont apparues fortes, dans les métiers de bouche, la chaudronnerie aussi bien que le transport. Plusieurs entrepreneurs ont fait observer que la formation dans l'entreprise prenait un temps considérable aux salariés formateurs et que ce temps, qui ne rapporte rien directement à l'entreprise, devrait être valorisé, par exemple par un crédit d'impôt formation, sur le modèle du Crédit Impôt recherche (CIR).
La question des délais de paiement, de même que la difficulté pour accéder à un crédit bancaire, sont apparus encore comme des sujets de préoccupations qui ont été plusieurs fois signalés. La législation apparaît favorable au mauvais payeur, et les pratiques bancaires sont jugées défavorables aux entreprises puisqu'elles réservent les jours de valeur à l'encaissement des crédits et n'en appliquent jamais au décaissement des débits.
D'autres difficultés plus sectorielles rencontrées par différents chefs d'entreprise nous ont été signalées : d'abord, le manque de soutien à la filière bois et au recyclage du bois selon une logique d'économie circulaire. Ensuite, une entreprise spécialisée dans les marnières nous a sensibilisés au frein que représente pour elle l'application de taux différenciés de TVA entre les travaux de fondation qui bénéficient d'une TVA réduite et ceux de comblement. Enfin, un journal local nous a indiqué la nécessité de revoir les clauses de cession dans le secteur du journalisme : en effet, un journaliste peut partir avec 30 mois de salaire en cas de cession, ce qui constitue une ponction lourde pour le repreneur et menace la survie de la presse indépendante.
Après ces échanges constructifs, nous avons fait la visite d'une deuxième entreprise, AMN (ou Application Mécanique Normande), dans la commune de Port-Jérôme-Sur-Seine (10 000 habitants). AMN est l'un des principaux acteurs sur le marché français de l'outillage de granulation, étape décisive du processus de transformation des matières plastiques. Au cours de ce processus, le pétrole est craqué dans les raffineries, comprimé sous forme de gaz, ces gaz étant ensuite portés à l'état de pâte plastique. Cette matière est hachée en granulés à l'aide de trois outils : la filière, c'est-à-dire une plaque ronde par laquelle passe la matière plastique, les couteaux et enfin les porte-couteaux rotatifs. La société AMN se positionne sur deux marchés : celui des filières et celui des couteaux.
Créée en 1979, l'entreprise familiale a très vite été approchée par des sociétés de pétrochimie du bassin industriel local qui rencontraient des problèmes de granulation des matières plastiques. Grâce à un savoir-faire et une capacité d'innovation uniques, en associant des matériaux tels que l'inox et le carbure de tungstène, AMN a pu développer des outils haut de gamme qui augmentent la productivité et la qualité de la coupe de plastique. Forte du succès et de la technicité de ses produits, AMN s'internationalise à partir des années 1990 et développe une filiale commerciale au Texas. Quelques années plus tard, AMN est récompensée par le Premier ministre pour sa participation au rayonnement de la France sur les marchés extérieurs. Aujourd'hui, l'entreprise fournit les plus grandes sociétés pétrolières mondiales.
Durant la visite de l'usine AMN, nous avons découvert un impressionnant outil industriel, ainsi que la plus grande filière construite à ce jour dans le monde. Positionnée sur un marché de niche, AMN emploie aujourd'hui 37 collaborateurs et a réalisé en 2016 un chiffre d'affaires de plus de 5 millions d'euros, dont 90 % à l'export, dans 43 pays. Annuellement, l'entreprise produit entre 40 000 et 50 000 couteaux ainsi qu'une soixantaine de filières dont le prix peut dépasser les 150 000 euros.
La dernière usine que nous avons visitée, à la demande de la présidente, ce dont je la remercie, est EcoTechnilin, dans la commune de Valliquerville (1 400 habitants). EcoTechnilin est le leader français pour la fourniture de produits non tissés à base de fibres naturelles. Les principales fibres utilisées par EcoTechnilin sont végétales - telles que le lin, le jute ou le chanvre - mais elle emploie aussi des fibres de verre. La quasi-totalité des produits est destinée au secteur automobile (pour réaliser par exemple des tablettes arrière, des panneaux de portes, ou des fonds de coffre), et l'entreprise réalise 70 % de son activité à l'export. EcoTechnilin cherche de plus à se diversifier vers des produits haut de gamme.
Créée en 1995 par des coopératives agricoles, l'entreprise a connu des débuts mouvementés, et a déposé le bilan en 2008 avant d'être reprise par le négociant en céréales britannique Driftwell. EcoTechnilin s'est ensuite redressée pour devenir l'un des principaux acteurs européens de son secteur. L'année dernière, l'entreprise a rejoint le groupe Cap Seine, renouant avec ses origines coopératives et un ancrage territorial, au coeur de la première région productrice de lin d'Europe. La Seine-Maritime cultive à elle seule 19 000 hectares de lin sur les 60 000 que compte l'Hexagone. EcoTechnilin vient en outre d'investir 7 millions d'euros dans la construction d'une usine en Pologne pour desservir l'Europe de l'Est. C'est un secteur promis à un bel avenir : selon un rapport de l'Union Européenne, les biocomposites devraient représenter 30 % du marché européen des composites à l'horizon 2020, contre 15 % en 2010. EcoTechnilin est également une entreprise très innovante, qui a mis au point un filtre en lin capable de retenir les métaux lourds dans l'eau sur les chantiers de bâtiments ou de génie civil.
Nous avons fait la visite de l'outil industriel d'EcoTechnilin qui réalise le cardage, le nappage et l'aiguilletage des fibres. L'entreprise emploie aujourd'hui près de 50 salariés pour un chiffre d'affaires avoisinant les 15 millions d'euros. Entre 2016 et 2017, le total du bilan a augmenté d'environ 60 %.
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai présenté à mes collègues ces trois entreprises, qui sont toutes de véritables réussites industrielles, ultra innovantes et particulièrement tournées vers l'export. Elles témoignent du dynamisme et de l'ambition du département, que nous devons soutenir pour créer un véritable tissu de PME. J'espère que mes collègues auront comme moi apprécié les échanges avec nos différents interlocuteurs, qui se sont illustrés tant par la qualité de leur accueil que par leur capacité à nous faire partager leur savoir-faire. Sachez que le succès de cette journée, qui a donné lieu à de bonnes reprises dans la presse locale, me vaut d'être déjà sollicitée pour l'organisation d'une nouvelle visite sénatoriale !
Merci encore. Les trois entreprises que nous avons visitées étaient de beaux exemples de réussite, chacune atypique : Nutriset, au service de la malnutrition, AMN sur un créneau méconnu mais essentiel, celui des couteaux pour plastique, et Ecotechnilin qui exporte des productions à base de lin depuis la région française spécialisée dans cette culture.
On trouve dans les territoires des niches et des entreprises qu'on ne soupçonnerait pas, avec des capacités d'innovation extraordinaires. C'est l'un des intérêts majeurs de ces déplacements.
En tout cas, nous avons pu échanger de manière nourrie avec les entreprises réunies à Yvetot autour d'une table ronde particulièrement garnie. J'ai aussi relevé les questions spécifiques que les marnières soulèvent pour les entreprises locales.