Un mot avant d'en venir à notre ordre du jour proprement dit sur l'audition, demain matin de Gilles Bloch, dont la nomination en qualité de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est envisagée par le Président de la République.
Comme le prévoit l'article 13 de la Constitution, les commissions compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale sont appelées à formuler un avis sur cette nomination.
Aux termes de l'article 19 bis du Règlement du Sénat, cet avis est précédé d'une audition publique. À l'issue, nous nous prononcerons par un vote à bulletin secret, sans délégation de vote.
Il s'agit d'une procédure prévue par la Constitution mais relativement formelle. Le candidat désigné par le Président de la République n'est pas connu comme chercheur universitaire. Nous aurons donc peut-être des questions désagréables à lui poser et nous aurions pu organiser un débat en amont au sein de notre commission.
Le temps imparti, en pleine période budgétaire, ne nous facilite pas les choses et cette procédure suppose en effet un minimum de préparation. Il n'y a pas de sujet tabou et toutes les questions sont bonnes.
Il interviendra à l'issue de l'audition puis nous procéderons au dépouillement concomitant avec nos collègues de l'Assemblée nationale.
Une délégation de notre commission s'est rendue en Israël et dans les territoires palestiniens du 10 au 16 octobre derniers. À l'origine, le choix d'Israël était lié à la saison croisée, moment fort des relations entre deux pays, dans le contexte des célébrations du 70ème anniversaire de la naissance d'Israël. La saison a commencé en juin et se termine demain, 22 novembre. Notre choix s'était également porté sur un pays particulièrement en pointe en matière de numérique. Dans le prolongement du rapport que j'ai établi au nom de notre commission sur la formation à l'heure du numérique, il paraissait intéressant de mieux comprendre comment Israël, start up nation par excellence, faisait face aux défis du monde numérique (soit dit en passant, nous avons appris à cette occasion que « start up nation » était une marque déposée par un franco-israélien).
Mais, en définitive, le thème de notre mission a évolué et sa géographie également car nous avons passé plus de temps qu'envisagé initialement à Jérusalem et dans les territoires palestiniens. Dans un souci d'équilibre, nous avons également évalué la politique culturelle extérieure de la France, tant en Israël que dans les Territoires palestiniens.
Dans un contexte très particulier, celui d'un des plus anciens conflits ouverts au monde, nous avons eu un rapide tour d'horizon des enjeux et des difficultés de la diplomatie culturelle de la France au sens large, et c'est pourquoi j'ai souhaité vous en présenter les conclusions, avant l'examen du rapport pour avis des crédits de l'action extérieure de l'État par notre collègue Claude Kern, membre de la délégation.
Avant d'aborder les relations culturelles et scientifiques entre la France et Israël d'une part, entre la France et les territoires palestiniens d'autre part, un mot du thème premier de notre mission, celui du numérique, notamment éducatif.
Quels enseignements tirer de l'expertise israélienne ?
D'abord que pour de multiples raisons, à la fois historiques, stratégiques et économiques, Israël est résolument tournée vers des secteurs qui nécessitent peu d'énergie et de matières premières mais un savoir-faire de pointe, ce qui explique le grand nombre de laboratoires et d'incubateurs. L'excellence en matière d'applications numériques est une des conditions de la survie du pays. Plusieurs de nos interlocuteurs ont également souligné combien était grand le rôle de l'armée, les conscrits étant nombreux à se consacrer à des activités de recherche pendant leur période sous les drapeaux.
Pour autant, il est clair que le système éducatif ne s'embarrasse pas de respecter les cycles d'enseignement. Au contraire, le recteur de l'université de Tel Aviv nous a clairement expliqué que non seulement les étudiants étaient recrutés sur concours mais que des lycéens, à travers tout le pays, pouvaient parfaitement suivre des cours de licence en ligne avant même d'avoir obtenu l'équivalent du baccalauréat.
En écho à mon rapport sur la formation à l'heure du numérique, aux dires de nos interlocuteurs, les élèves sont désormais différents cognitivement parlant. En clair, ils ne prennent plus de notes, mais des photos, avec leurs smartphones, des cours dispensés à l'université ou apprennent via des cours en ligne de dix minutes. Dans ce contexte, l'université développe la recherche en neurosciences, afin de faire émerger de nouvelles façons d'enseigner. C'est le champ de l'emergent learning, tel que l'enseignement mutuel des élèves, l'enseignant ayant pour tâche essentielle de les encourager.
Autre défi, la sélection des étudiants, qui ne peuvent plus être repérés selon les méthodes traditionnelles, à savoir le bac et des tests psychotechniques. Si l'impétrant a validé trois cours en ligne, il est dispensé des tests.
Par ailleurs, nous avons été très impressionnés par l'entretien que nous avons pu avoir avec les jeunes femmes responsables d'une association d'encouragement de l'orientation des filles vers les études du domaine du numérique, ce qui souligne combien cette dimension, clairement identifiée dans notre rapport sur la formation à l'heure du numérique est importante.
De même, nous avons pu constater l'importance que nos interlocuteurs accordent à la valorisation de la recherche. En Israël, transformer un résultat de la recherche fondamentale en produit mis sur le marché est très courant. La politique générale du Gouvernement, mise en oeuvre notamment par l'autorité de l'innovation, agence indépendante sous tutelle du ministère de l'économie, consiste à ne pas orienter les choix des acteurs concernant les domaines et technologies sur lesquels concentrer les investissements. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'innovation israélienne soit financée à plus de 85 % par des fonds privés, avec une part prépondérante d'investisseurs internationaux. Ainsi Mobileye, fournisseur de systèmes d'aide à la conduite que nous avons visité a désormais atteint une taille mondiale, son rachat par Intel l'ayant valorisé à plus de 15 milliards de dollars. Si vous avez récemment acheté une voiture équipée d'un tel système, obligatoire depuis 2013 en Israël, vous êtes très probablement équipé d'un système Mobileye, comme le seront à l'avenir les véhicules de transport en commun dans le cadre des villes intelligentes, avec des bénéfices très sensibles en termes d'accidentologie ou de fluidité de la circulation.
Malheureusement, et cela me fournit une transition pour aborder les relations franco-israéliennes, la France n'est pas perçue comme un partenaire d'importance en matière technologique, même si des partenariats et échanges avec les grands organismes français de recherche existent bel et bien et que la France est le 5e partenaire scientifique d'Israël. D'autant que les entreprises israéliennes sont très courtisées au plan international.
Preuve en est la place de la France dans les échanges universitaires : notre pays n'arrive qu'en douzième position. C'est dérisoire, surtout dans un pays dont 20 % de la population parle français et qui compte une communauté française forte de 130 000 personnes, soit la plus importante après l'Europe et l'Amérique du Nord ! Pour autant, selon le président du groupe d'amitié Israël-France, que nous avons rencontré à la Knesset, ce résultat serait même inespéré, ce qui nous renvoie à l'image de la France, souvent perçue comme hostile à Israël. Elle ne peut donc capitaliser sur l'importance de la communauté francophone. Au contraire, les parents récemment arrivés souhaitent avant tout scolariser leurs enfants dans le système scolaire israélien, gage d'une intégration réussie. Dans ces conditions le français n'apparaît que comme un « plus », dont le nombre d'apprenants a rapidement décliné, passant de 40 000 à 15 000 en quelques années.
Sur le plan symbolique, le slogan de l'institut français, « et en plus je parle français », est, d'une certaine manière, révélateur de la place du français : un plus... après tout le reste. Une option parmi d'autres, tout comme d'ailleurs dans les territoires palestiniens où il se trouve en concurrence avec les enseignements professionnels. De même, très concrètement, l'entrée de l'institut français de Tel Aviv, pourtant installé dans un bel immeuble ancien de l'avenue principale, est masquée par le restaurant installé au rez-de-chaussée. De même, événement phare de la saison croisée, l'exposition consacrée à Christian Boltanski au musée d'Israël est une exposition temporaire parmi d'autres et n'est que très mal signalée en tant qu'événement de la saison croisée. D'ailleurs, tant les crédits consacrés à la saison que le nombre de manifestations montrent un déséquilibre entre la mobilisation côté français et celle de la partie israélienne, soulignant que la visibilité française demeure en-deçà de ce qu'elle pourrait être. Notre ambassadrice l'a d'ailleurs déploré.
Saluons néanmoins une initiative phare de la saison croisée, l'organisation d'un hackathon sur l'apprentissage du français, qui a rencontré un grand succès auprès des lycéens israéliens. Sans oublier la déclinaison de la Folle journée de Nantes, qui a permis de mettre en valeur le talent des musiciens français.
À l'image de l'institut français ou de la publicité donnée à la saison croisée, la diplomatie culturelle française en Israël reste discrète, ce qui ne remet nullement en cause l'implication des personnels. Signalons toutefois le lancement de plusieurs initiatives prometteuses dans des domaines de compétence qui relèvent directement de notre commission : un satellite civil d'observation et une résidence d'artistes spécialisée dans l'écriture de séries, gros point fort de l'audiovisuel israélien.
J'en viens maintenant à la partie de notre mission consacrée à Jérusalem et aux territoires palestiniens. Maintenir une diplomatie éducative et culturelle suppose une bonne volonté de tous les instants. Ainsi, chaque matin, un minibus part de Jérusalem avec à son bord un diplomate français pour aller chercher la douzaine d'élèves du lycée français habitant Bethléem, de sorte qu'ils franchissent le mur de séparation plus rapidement. De même, nos interlocuteurs de l'institut français de Jérusalem Est nous ont expliqué quelles sont les contraintes de sécurité inhérentes à toute activité, un débordement pouvant toujours survenir. Dernier élément en matière éducative, qui fait écho à une remarque de Claudine Lepage de la semaine dernière, à propos des frais de scolarité : très clairement les parents du lycée français de Jérusalem, établissement conventionné par l'AEFE, ont fait le choix de limiter les frais de scolarité payés par les familles en-deçà de ce qui avait été convenu. Ce sous-financement chronique se traduit, très concrètement, par des difficultés pour renouveler le matériel et même pour mettre en oeuvre un système de bourses locales.
Autre exemple de la fragilité de l'édifice, nous avons eu la chance de pouvoir visiter le lycée français international de Ramallah, superbe établissement ouvert à la rentrée 2017 avec une petite section de maternelle et destiné à accueillir progressivement tous les niveaux jusqu'au baccalauréat. Cet établissement est intégralement financé par un jeune homme d'affaires palestinien fortuné, désireux d'offrir un accès aux enfants non seulement à la langue mais aussi à la culture française. Cependant, comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un établissement « français international », en clair un établissement français mais dont le promoteur souhaite également qu'il permette de scolariser les enfants en anglais, en contradiction éventuelle avec la reconnaissance des enseignements par l'éducation nationale.
À Ramallah toujours, nous avons eu une bonne illustration de ce que nous avions relevé il y a un an lors de l'examen des crédits puis lors de notre débat en séance consacré à la situation de l'Institut français. Dans cette ville où sont implantés les différents services de l'autorité palestinienne, au coeur d'une agglomération qui compte plus de 200 000 habitants, l'institut est partie intégrante du centre culturel franco-allemand... mais principalement allemand tant sont sans commune mesure les moyens mis en oeuvre pour, notamment, former une jeunesse désireuse de poursuivre des études à l'étranger. De la même manière, à Bethleem, lors de notre visite de l'Alliance française, nous avons été frappés par l'extrême modestie des moyens dont elle dispose.
Pourtant, la France dispose de réels atouts, ne serait-ce que son implantation ancienne, sous des formes qui peuvent parfois surprendre en ce début de 21e siècle. Nous avons ainsi été fortement impressionnés par l'école biblique et archéologique française de Jérusalem, établissement de renommée mondiale fondé au 19e siècle et aux collections archéologiques, photographiques et livresques de toute première importance. Et nous ne pouvons qu'être fiers et heureux de constater que cet établissement poursuit ce travail et continue d'accueillir des chercheurs du monde entier. Mais tout cela a un prix que la France doit être prête à payer faute de voir sa présence s'étioler. Si la rénovation des tombeaux des rois, domaine français, vient de s'achever, comment la France compte-t-elle financer, si ce ne sont les chantiers de fouille, du moins les travaux urgents de consolidation du site de l'église Sainte-Anne, autre domaine de la France ?
L'histoire nous a confié une responsabilité particulière dans cette petite mais ô combien symbolique partie du monde et nous ne devons pas l'oublier.
Comme vous l'avez compris, mes chers collègues, nous sommes tous rentrés de cette mission enrichis d'une expérience particulière mais avec un sentiment partagé quant au sens profond de l'action de la France en matière culturelle.
Je terminerai en vous disant qu'au cours de cette mission, nous avons également vécu des moments très forts, en particulier lors de la visite du mémorial Yad Vashem et du dépôt d'une gerbe au nom du Sénat. En matière d'archives, comment ne pas être sensibles à la présentation des rouleaux de la Mer morte ? Enfin, un entretien à bâtons rompus avec la responsable de l'Agence française de développement (AFD) dans les Territoires palestiniens nous a fourni une illustration très concrète des difficultés que tous rencontrent au quotidien.
Cette mission a été particulièrement riche. Je soulignerai un point particulier, celui de l'attractivité de notre système universitaire. Alors qu'on pourrait penser que la perspective du Brexit susciterait un intérêt supplémentaire pour mener des études en France, en réalité les étudiants israéliens se tournent davantage vers les États Unis ou le Canada. Le montant des frais d'inscription ne constitue pas un obstacle ; au contraire, selon nos interlocuteurs, cela donne une crédibilité au système d'enseignement.
Lorsqu'on franchit les frontières, les clivages politiques tombent et nous avons effectivement partagé des moments très forts. Je pense, en particulier, aux chants entonnés par les élèves de l'école de Ramallah, d'abord en français, puis en arabe.
Je partage pleinement l'avis de mes collègues ; cette mission restera comme la plus marquante que j'ai accomplie.
La réunion est close à 10 heures.