Monsieur le ministre, je vous remercie infiniment d'avoir accepté mon invitation à participer à cette réunion d'urgence de notre commission sur l'offensive turque dans le Nord-Est syrien, une audition qui précède l'audition de M. Musa, ambassadeur de Turquie à Paris, qui aura lieu demain matin.
Face à la précipitation des événements de ces derniers jours, nous voulions que vous nous fassiez un point d'étape. Le bilan est plutôt catastrophique. Par une décision absolument incompréhensible, sauf à se glisser dans la logique du président Trump, les Américains ont annoncé de manière unilatérale le retrait de leurs troupes en Syrie, sans réunir la coalition, alors même que nous sommes des partenaires loyaux. Cela revient à donner à la Turquie le feu vert pour avancer au-delà des frontières de la Syrie, poursuivant un objectif beaucoup plus important encore que celui qui était initialement prévu : on parle maintenant d'une offensive sur un territoire de 30 kilomètres de profondeur sur 400 kilomètres, avec la volonté de s'attaquer aux Kurdes, au prétexte de combattre le terrorisme. Nous voilà à front renversé : les Kurdes sont lâchés par leurs soutiens, sans que nous puissions faire grand-chose, ce que je déplore. Ils se retournent donc vers le régime de Damas ; c'est le monde à l'envers.
Une fois de plus, nous avons le sentiment, monsieur le ministre, que l'Europe est singulièrement absente. Nous avons pris quelques décisions, qui ont fort peu d'impact ; je pense à la suspension des ventes d'armes, même si nous envoyons là un signal. S'ouvre malheureusement le risque de voir les camps de djihadistes libérés et ce sont des centaines, voire des milliers d'hommes et de femmes qui auront envie de nous faire payer notre engagement contre Daech.
L'Europe est donc en décalage avec les États-Unis et la Turquie. Hier, j'assistais avec quelques collègues à la réunion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Londres. Les propos du secrétaire général de l'OTAN étaient scandaleusement sidérants. Notre maison brûle et nous regardons ailleurs... Comment tolérer cette situation ? Les Turcs risquent de mettre à mal l'OTAN. Certains ont préféré parler du développement du plancton dans la mer Méditerranée orientale... C'était certainement plus important !
Monsieur le ministre, quelle est la situation de nos forces spéciales présentes sur le terrain ? Quelques centaines d'hommes très combatifs sur le terrain se retrouvent pris dans la nasse. Donnez-nous quelques lueurs d'espoir ! Qu'allons-nous faire ? Avec qui ?
Permettez-moi d'indiquer d'ores et déjà à mes collègues que, compte tenu de nos horaires contraints, ne s'exprimera qu'un seul orateur par groupe.
Il était utile que nous nous retrouvions ce matin.
L'offensive lancée par la Turquie et le retrait des forces américaines ont conduit à une situation très grave. En effet, cette offensive est de nature à remettre en cause cinq ans d'efforts contre Daech ; elle est susceptible d'élever considérablement la menace terroriste qui pèse sur l'Europe et sur la France.
Je voudrais d'abord vous dire comment évolue la situation telle qu'elle est ce matin sur le terrain, puis vous alerter sur la gravité des enjeux, avant de vous expliquer ce que nous essayons de faire.
Quelle est la situation sur le terrain ?
L'offensive lancée par la Turquie est une offensive d'ampleur - il ne s'agit pas du tout d'une incursion limitée -, par les moyens mobilisés par l'armée turque - aviation, artillerie, infanterie, chars de combat et véhicules blindés - et par le concours et le soutien de supplétifs syriens, regroupés dans une organisation baptisée « Armée nationale syrienne », lesquels sont issus de « l'Armée syrienne libre », dont nous avons parlé au début des conflits en Syrie, et qui mènent une grande partie des combats au sol.
L'ampleur de l'offensive tient aussi à son étendue géographique. Des frappes aériennes et des tirs d'artillerie ont été rapportés sur toute la longueur de la frontière, jusqu'à la frontière irakienne à l'est, avec une profondeur dépassant de loin celle de la zone dite « de sécurité ». Des bombardements importants ont notamment eu lieu à Aïn Issa. Le choix de cibler cette ville, qui abrite le siège des structures de gouvernance du Nord-Est, témoigne d'un objectif clair de combattre le projet politique porté par les autorités locales. Le président Erdogan a indiqué vouloir se limiter à sécuriser une bande de territoire comprise entre 30 et 35 kilomètres, mais nous constatons des incursions qui vont au-delà de cette limite.
Au sol, des combats violents ont lieu à Tell Abyad, au nord de Aïn Issa et, surtout à Ras al-Aïn, une localité qui fait l'objet d'une manoeuvre d'encerclement. Les milices pro-turques ont atteint la route M4, une autoroute reliant l'est à l'ouest. Des combats à proximité de cet axe se poursuivent en ce moment.
Je rappelle que la co-présidente kurde du Parti du Futur de la Syrie, Hevrin Khalaf, a été violentée, puis tuée le 12 octobre dernier. On craint des exactions de la part des éléments syriens pro-Turcs.
On parle aujourd'hui de 160 000 déplacés. Le Nord-Est syrien regroupait quelque 2 millions d'habitants avant le conflit, contre à peu près 3 millions aujourd'hui, dont quelque 700 000 personnes dans la partie visée, avec un risque d'afflux de réfugiés au Kurdistan irakien.
Parallèlement, les forces démocratiques syriennes (FDS) indiquent qu'elles ne sont plus en mesure de donner la priorité à la lutte contre le terrorisme, au contrôle des camps et à la surveillance des prisons. À l'heure actuelle, la situation de ces sites n'apparaît pas hors de contrôle, à l'exception significative du camp d'Aïn Issa au nord de Raqqa .
Au cours des dernières quarante-huit heures, l'offensive turque s'est doublée de l'accélération du mouvement de retrait américain, annoncé dimanche par le secrétaire à la défense, Mark Esper. Les États-Unis ont d'ores et déjà annoncé le retrait de plusieurs de leurs avant-postes depuis dimanche.
Je voudrais insister sur un point, contrairement à ce qu'affirment les Américains, le retour du régime syrien et de la Russie dans le Nord-Est syrien n'est pas la cause de leur départ ; c'est sa conséquence.
Que s'est-il passé depuis dix jours ?
Dimanche 6 octobre au soir, au cours d'un entretien téléphonique, le président Erdogan a averti le président Trump de ce qu'il comptait faire, à savoir engager cette offensive, et il lui a demandé son soutien. Le président américain a indiqué qu'il n'approuvait pas cette offensive, mais qu'il ne s'opposerait pas à ses plans et, le lendemain, il a ordonné à une cinquantaine de soldats présents sur la zone de se retirer, laissant l'opportunité aux forces turques d'entrer sur le territoire syrien, trois jours plus tard, le 9 octobre, et de le faire sans prendre le risque de menacer la sécurité de soldats américains. C'est ainsi que l'offensive a commencé.
Par la suite, l'avancée des forces turques a conduit au retrait par les Américains de certains avant-postes vendredi et samedi dernier. Samedi soir, les FDS ont dit aux Américains qu'ils devaient choisir entre une action permettant d'empêcher les actions aériennes de la Turquie ou un retrait, afin de permettre au régime et à la Russie de s'interposer entre les FDS et les forces turques. Le président Trump a choisi le retrait, et cette décision a été annoncée, sans aucune coordination avec la coalition dimanche à la télévision américaine par le ministre de la défense américain. Voilà la réalité de ce qui s'est passé depuis dix jours.
Pour ma part, j'ai eu mon collègue Pompeo vendredi soir au téléphone, avant ce second train de décisions : la logique était alors de tout faire pour enrayer la progression turque et mettre en oeuvre des mesures très fortes afin d'éviter que l'offensive ne se poursuive ; le lendemain, la position inverse était retenue.
La conséquence logique de la décision américaine de retrait, c'est le retour du régime syrien et de la Russie dans le Nord-Est syrien. Les modalités de ce retour sont en train de se dessiner. Après être entrés dans la ville de Manbij, ils se rapprochent de plusieurs villes importantes comme Raqqa, Aïn Issa et Tal Tamr.
Le président Trump et le président Erdogan portent donc la responsabilité de ce qui est in fine une victoire des parrains d'Astana : Turcs, Russes et Iraniens, amenés à se partager le Nord-Est selon une forme qui reste à déterminer.
C'est évidemment un tournant majeur dans le conflit syrien, et il conviendra d'en apprécier les conséquences, y compris sur le plan politique. Ce sont les faits.
Je voudrais maintenant vous dire pourquoi cette offensive pourrait avoir des conséquences dramatiques, à la fois pour la région et pour l'Europe.
J'évoquerai d'abord les enjeux sécuritaires. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, l'action menée par la Turquie pourrait remettre en cause cinq ans de lutte contre Daech. Je ne ferai pas le bilan de Daech sur le sol français et sur le sol européen. Je rappellerai simplement publiquement que trente-cinq attaques de Daech se sont produites sur le sol turc, causant environ 400 morts et près de 1 500 blessés depuis 2013.
Après sa défaite territoriale, l'organisation a choisi de se reconstruire selon une organisation plus diffuse, plus clandestine. Elle va maintenant chercher à tirer parti du chaos - il s'agit bien d'un chaos ! - créé par l'offensive d'Ankara pour reprendre son oeuvre de destruction et de mort.
Car la fin du califat, obtenue après un combat très dur où, je le rappelle, les FDS se sont illustrées par leur bravoure et leur détermination aux côtés de la coalition, n'a pas permis d'éradiquer Daech. Elle a permis de mettre fin à l'organisation territoriale de Daech en Irak, puis en Syrie. On l'oublie, la fin de Daech dans le Nord-Est syrien est très récente, elle date de mars 2019. Les éléments de Daech n'ont pas disparu : soit ils sont dans la clandestinité, soit ils sont prisonniers dans des camps. La résurgence de Daech me paraît tout à fait probable : un attentat a eu lieu à Raqqa le 9 octobre dernier - souvenez-vous, c'est de cette ville que sont venus les ordres pour commettre les attentats qui ont meurtri notre pays en 2015 - ; et une autre attaque à Qamichli voilà deux jours. Le drapeau de Daech a recommencé à flotter, même si ce fut provisoire.
Occupées à se protéger de la Turquie et soucieuses de ne pas s'exposer de manière trop visible sur le terrain, les FDS ne peuvent plus traquer les cellules clandestines de Daech ni contrôler le territoire dans une perspective de lutte contre le terrorisme. C'est là le premier facteur de risque.
Autre facteur de risque : au milieu des combats et des bombardements, certains djihadistes détenus dans les prisons des FDS pourraient trouver des occasions de s'évader. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, mais c'est une hypothèse qu'il faut prendre en considération. Dans certains camps, la situation est très confuse, notamment à Aïn Issa.
C'est évidemment la sécurité des Français et la sécurité de l'Europe qui sont en jeu.
La deuxième conséquence, c'est une dégradation de la situation humanitaire.
Comme je l'ai dit, 130 000 personnes ont été jetées sur les routes de l'exode, dans un pays qui compte déjà 6,6 millions de déplacés internes et 5 millions de réfugiés. La Syrie est un pays dont plus de 50 % de la population est déjà réfugiée ou déplacée. Les hôpitaux sont saturés et la situation pourrait également déstabiliser la région autonome du Kurdistan irakien, qui se relève également de l'emprise de Daech. Les ONG présentes dans l'extrême nord-est de la Syrie sont obligées de suspendre leurs opérations. Pour notre part, nous avons décidé de renforcer notre aide humanitaire d'urgence : avec le centre de crise, nous avons débloqué 10 millions d'euros immédiatement. Nous avions déjà mobilisé des aides financières pour contribuer à l'achat de tentes, de nourriture et d'eau.
À ces conséquences humanitaires directes s'ajoute une conséquence migratoire indirecte, puisqu'Ankara a brandi la menace d'un afflux massif de réfugiés syriens - ce n'est pas la première fois que le président Erdogan reprend cette antienne. Cette manière d'instrumentaliser le malheur des gens est, pour nous, inacceptable. Il faut l'affirmer avec force, nous ne céderons pas à ce chantage.
Le troisième enjeu concerne la stabilité régionale.
Cette offensive nous éloigne d'une solution politique à la crise syrienne, dont dépend à la fois notre sécurité, l'avenir du pays et la sécurité de ses voisins. Elle pourrait, à court terme, pousser le régime syrien et ses soutiens à chercher à reprendre le contrôle du Nord-Est. Nous le voyons déjà au travers de la conclusion d'accords locaux avec les FDS à Kobané et Manbij.
Hier, lors d'une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Pedersen a fait état des avancées constatées dans la composition du comité constitutionnel pour aboutir à un processus constitutionnel.
Que peut-on faire ?
Pour ma part, ma priorité tient à l'impérieuse nécessité de réunir la coalition contre Daech. Nous sommes rentrés dans cette coalition en 2014 - exerçant d'autres responsabilités, j'ai fait partie de la première réunion constitutive -, nous avons été solidaires, nous avons remporté des victoires, nous n'avons pas lésiné sur les moyens, ni sur les forces, ni sur les sacrifices, ni sur les engagements financiers - nous avons été le deuxième pays contributeur. Aujourd'hui, il importe que la coalition se réunisse sous la responsabilité du leader de la coalition, que sont les États-Unis d'Amérique, avec l'ensemble des acteurs, dont la Turquie, en vue de mettre les choses à plat pour savoir ce que nous voulons faire contre Daech. Cette proposition que j'ai évoquée vendredi soir avec mon collègue Pompeo a fait hier l'objet d'un accord unanime des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne pour demander la réunion de la coalition dans les plus brefs délais. J'espère qu'il en sera ainsi, pour que chacun assume ses responsabilités ; des engagements doivent être pris. L'urgence l'exige au vu des enjeux en matière de sécurité pour l'Europe, mais aussi face au risque de résurgence de Daech.
Par ailleurs, la France a saisi le Conseil de sécurité jeudi dernier, avant le retrait américain. Les Européens se sont exprimés en tant que tels - les cinq membres aujourd'hui titulaires et l'Estonie qui y entrera au début de l'an prochain.
En outre, nous avons engagé hier la suspension de l'ensemble de nos exportations de matériels militaires vers la Turquie. Nous avons aussi obtenu la condamnation unanime de la Turquie, ce qui n'était pas acquis d'entrée de jeu.
Nous avons pris hier trois décisions : la demande de la réunion de la coalition dans les plus brefs délais ; la condamnation et l'engagement de suspension de l'ensemble des exportations d'armements vers la Turquie.
Nous allons poursuivre notre coopération, en ayant une approche européenne quant aux décisions qui seront prises. Nous avons également pris une décision concernant les forages turcs dans la zone économique exclusive chypriote. Les Turcs ont engagé une action de forage dans les eaux sous souveraineté chypriote. Nous avons décidé de mettre en place un régime-cadre de sanctions si, d'aventure, la Turquie poursuivait ces opérations. Nous allons prévoir une présence militaire dans cette zone.
Pour terminer, permettez-moi de faire un point sur les combattants.
Même si je comprends les préoccupations concernant les combattants français, le sujet d'aujourd'hui est celui de l'ensemble des combattants de Daech. Les combattants français ainsi que les combattantes, sont en nombre relativement limité. Le problème tient aux 10 000 prisonniers issus des combats menés par Daech. N'ayons pas l'illusion que seuls les combattants français seraient susceptibles de venir commettre des actes sur le territoire européen. La question se pose pour tout le monde, y compris pour les Russes, les Tunisiens, les Marocains, les Irakiens, etc., et elle doit être soumise à la coalition.
Le président Trump a fait de nouvelles déclarations cette nuit : il a accepté quelques avancées, un peu tardives, sur la condamnation, et les États-Unis ont décidé de réimposer des droits de douane, d'arrêter les négociations commerciales et de mettre en oeuvre des sanctions individuelles - gel d'avoirs, visas, etc. - à l'encontre des ministres turcs de l'énergie, de l'intérieur et de la défense.
Telle est, dans la plus grande transparence, la situation actuelle à l'heure où je vous parle.
J'ai deux questions : tout d'abord, les États-Unis servent-ils encore à quelque chose ? On a vu leur inaction suite à l'attaque en Arabie Saoudite le 14 septembre. Le retrait des forces américaines de Syrie est un cadeau fait à la Russie et à l'Iran, et cela envoie un message très inquiétant aux Saoudiens ou aux Israéliens.
Quant à la position de la France, je dois vous faire part de ma déception. L'annonce de la suspension des exportations a peu de portée, vu qu'il s'agissait d'un montant de l'ordre de 45 millions d'euros seulement. Cette séquence démontre malheureusement que la France n'est plus un acteur qui pèse dans cette région.
Je dois vous faire part de notre vive inquiétude. Comment comprendre que les suites prévisibles de la forfaiture américaine n'aient pas été anticipées ? Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il prendre contre la Turquie ? Malheureusement, ces événements arrivent à un moment où notre pays a été extrêmement fragilisé en Europe par le rejet de sa candidate à la Commission européenne. Dans ces conditions comment la France pourra-t-elle peser lors du conseil européen de jeudi prochain ?
Malheureusement, la formule qui figurait dans un journal paraît être la bonne : « une Union européenne sans voix et sans voie »...
Cette offensive turque met en lumière la fragilité de l'alliance transatlantique et pose la question de l'unité de l'OTAN, puisque la décision américaine d'abandonner le peuple kurde a été prise sans aucune concertation. Mais il faut aussi réfléchir à l'incapacité de l'Union européenne à anticiper ces développements et à y faire face, pour faire cesser les conflits. Les eurosceptiques ont beau jeu de dire que les décisions importantes se prennent à Washington, Moscou ou Pékin, mais en aucun cas à Paris ou Bruxelles.
Je ne peux que souligner, avec mes collègues qui étaient avec moi à la réunion de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, la faiblesse et l'absence de stratégie de l'alliance. Le Secrétaire général de l'OTAN n'a su apporter que des réponses évasives et dilatoires à nos questions précises, cherchant à ménager la chèvre et le chou. C'est tout à fait problématique.
L'appel des Kurdes à Damas sacrifie probablement leur rêve d'autonomie. L'alliance entre les Kurdes et le régime de Damas est-elle durable ? Représente-telle un tournant dans le conflit ? Y aura-t-il une médiation de la Russie ?
J'ai trois questions. Comment l'Union européenne se prépare-t-elle à l'accueil des réfugiés éventuels ? Sommes-nous prêts à accueillir un certain nombre de ces familles ? Les familles de djihadistes français multiplient les appels au rapatriement : comptez-vous réagir à ces appels ? Quel sera le rôle de la Russie dans ce nouveau conflit ouvert ?
Comme vous l'avez dit, la situation est catastrophique, avec les risques de relance du conflit, de réorganisation de Daech, les risques terribles pour le peuple kurde... L'action des supplétifs turcs est particulièrement inquiétante. J'ai deux questions. Sur les sanctions, je me félicite de l'embargo sur les armes, même s'il est de portée limitée. Il devra être pérenne. Figurera-t-il dans les conclusions du Conseil européen ? Trump annonce maintenant des sanctions contre trois ministres, avant nous, ce qui est un comble. Pourquoi pas des sanctions directement contre Erdogan ? Quelle autre type de sanctions économiques est envisageable ? Vous avez parlé des forages à Chypre ; y a-t-il d'autres mesures envisageables pour faire cesser cette offensive ? Je suis très sceptique sur votre objectif prioritaire de réunir la Coalition, dont les Etats-Unis et la Turquie sont membres. Aurons-nous un jour un vrai débat sur le sens de notre engagement dans l'OTAN, alors que nous semblons nous reposer sur les Etats-Unis pour notre sécurité, alors même que là encore les Etats-Unis et la Turquie en sont membres ? Il faudra à un moment avoir un débat de nature politique sur le sens de notre appartenance à l'OTAN.
Concernant notre souhait de réunir la coalition internationale contre Daech, c'est d'abord une question de principe. Il y a une trentaine de pays acteurs principaux de cette coalition. Deux pays ont semé le trouble dans la solidarité de cette coalition : il nous faut en tirer des conclusions ensemble. Soit la coalition est morte, soit elle se reprend. Si le combat commun contre Daech continue, sous quelle forme ?
Je dois dire que j'ai vécu, dans des fonctions différentes, deux renoncements américains, le 31 août 2013 et le 13 octobre 2019. A deux reprises, les Américains ont renoncé à assurer la sécurité collective. Cela pose la question du lien transatlantique.
Concernant le manque d'anticipation par les Européens et la France de cette évolution, il faut avoir conscience que nous avions reçu des assurances des Etats-Unis. Il y a eu un revirement soudain qu'il était difficile d'anticiper.
Quant à la nature de la nouvelle relation entre les Kurdes et le régime de Damas, il me semble que les Kurdes s'efforcent surtout de parer au plus pressé, et ils se tournent vers ceux qui peuvent les protéger rapidement.
Concernant la perspective d'un afflux de réfugiés vers l'Europe, je ne suis pas inquiet pour l'instant. Naturellement, la situation pourrait changer.
Pour ce qui est des djihadistes français, ceux qui sont partis là-bas savaient pourquoi : ils sont partis faire la guerre. Lorsque nous le pouvons, nous rapatrions les enfants, ce que nous avons fait pour 17 d'entre eux. Mais il faut se souvenir qu'il s'agit de zones de guerre, et ces rapatriements sont difficiles et dangereux.
Concernant la suspension des exportations de matériels de guerre, il s'agit d'une décision collective des membres de l'Union européenne. Le Conseil européen abordera naturellement ce sujet.
Les Etats-Unis adressent des signaux contradictoires. A l'inaction après l'attaque des raffineries de l'ARAMCO a suivi la décision d'envoyer 3.000 soldats américains en Arabie saoudite. Il est certain qu'il va falloir réfléchir à la relation transatlantique. Il faudra aussi que les Russes assument leur responsabilité dans la situation.