La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Nous auditionnons à présent Monsieur Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint du magazine Alternatives économiques. Comme il est d'usage devant une commission d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Monsieur Chavagneux, prêtez-vous serment de dire la vérité, toute la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».

Christian CHAVAGNEUX. - Je le jure.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Merci. Je vous propose d'introduire librement cette audition en dix minutes. Après cela, je donnerai la parole à notre rapporteur puis à nos collègues pour qu'ils vous posent toutes les questions qu'ils souhaitent.

Christian CHAVAGNEUX. - Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je tenterai de répondre aux questions qui m'ont été transmises. Vous me demandiez d'abord comment l'un de mes collègues avait réussi à ouvrir un compte au Liechtenstein en 13 minutes. Il a trouvé, sur internet, une société dirigée par un Français basé à Londres, qui proposait simplement de remplir un petit formulaire. Je me souvenais d'une affaire où le fisc américain avait condamné un fraudeur, cadre d'une grande société multinationale, qui percevait ses revenus dans un paradis fiscal. A sa mort, ses enfants ont cherché à récupérer l'argent.

Nous avons proposé le scénario suivant : les enfants d'un cadre d'une société américaine, payé à Jersey, devaient hériter et souhaitaient ne pas payer trop d'impôt. Nous avons reçu une réponse très rapide, nous conseillant de ne pas placer cet argent en France, sous peine d'être surtaxés mais d'acheter un bateau sans entrer dans les eaux territoriales françaises et des maisons partout dans le monde. Nous avons suggéré de placer cet argent en Suisse. La société nous a en a dissuadés, indiquant que la Suisse commençait à collaborer avec les pays étrangers et nous conseillant plutôt le Liechtenstein, un pays beaucoup plus sûr. Nous avons pris contact mais cette personne a refusé de venir en France, le démarchage étant interdit par la loi. Nous avons reçu le devis quelques jours après. Un compte numéroté anonyme nous était ouvert au Liechtenstein pour 1 000 euros. Vous pourrez retrouver toutes ces informations sur le site d'Alternatives économiques. Cette histoire se révèle à la fois amusante et inquiétante puisque les Britanniques se montrent tout à fait prêts à laisser se développer ces professionnels du droit et du chiffre, qui constituent des intermédiaires obligatoires pour procéder à des optimisations fiscales agressives. Remettre en cause la présence des acteurs économiques français dans les paradis fiscaux exige de s'attaquer à ces intermédiaires.

Les banques françaises sont présentes dans les paradis fiscaux d'abord pour elles-mêmes, pour réduire leur imposition. La première façon pour une banque comme pour une multinationale française de réduire ses impôts consiste à appliquer la loi française. Rappelons-nous les pertes de la Société générale qui, reportées sur plusieurs années, lui permettent de diminuer son imposition. Les niches fiscales, même déclassées, restent actives. Toutes les niches actives représentent un montant total de 150 milliards d'euros, dont 70 % à destination des entreprises en général et des banques en particulier. Le crédit d'impôt recherche, par exemple, profite aux banques à hauteur de 2 %.

Les banques utilisent également les paradis fiscaux pour leurs clients fortunés en gestion privée et pour leurs clients entreprises. La Barclays constitue l'exemple le plus significatif. Le fisc britannique a détecté une filiale entièrement dédiée à la création et à la promotion d'offres de services d'opacité fiscale pour elle-même et pour les clients. Pour des raisons de réputation, la Barclays a annoncé voilà quelques mois son intention de fermer cette filiale. HSBC a fait de même. Le risque de réputation s'accroît pour ces établissements. George Soros lui-même a déclaré dans les journaux financiers son agacement de voir les institutions financières dans lesquelles il investissait présentées dans la presse comme des fraudeurs fiscaux. La mobilisation des investisseurs pourrait favoriser la sortie des établissements financiers de ces territoires.

Ce tableau, réalisé dans le cadre du Conseil des prélèvements obligatoires, constitue une nouvelle estimation de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux. Toutes sont présentes, et BNP Paribas plus que toutes les autres, même si cette présence reste largement inférieure à celle des banques anglo-saxonnes. Les banques vous expliquent que pour financer des constructeurs aéronautiques ou navals, les meilleurs spécialistes se trouvent aux îles Caïman. Ce discours peut être entendu mais si la Société générale et le Crédit Agricole possèdent deux filiales sur ce territoire, BNP Paribas en détient 24.

Pourquoi les banques se positionnent-elles dans les îles Caïman ? L'explication que je vous proposerai constitue une intuition. Les statistiques publiées par la Banque des règlements internationaux sur les entrées et les sorties de capitaux dans les îles Caïman montrent que les fonds ne restent pas. A partir des années 2000, les entrées et sorties de capitaux n'ont cessé de progresser, surtout dans les années 2004-2005. Durant l'été 2008, l'équivalent de la Cour des comptes aux Etats-Unis avait publié un rapport précisant qu'une grande partie des actifs toxiques mettant à mal le système américain étaient logés aux îles Caïman. Il existe donc sans doute plus que des raisons fiscales à cette utilisation des paradis fiscaux par les banques. La courbe a commencé à plonger en 2007-2008, à la faveur de la faillite de Lehmann Brothers mais elle est ensuite remontée jusqu'à l'été 2011, où elle s'effondre de nouveau d'une manière encore plus significative.

Cette chute présente-t-elle un lien avec les banques françaises et européennes ? J'ai choisi de me concentrer sur la période courant de l'été 2011 à la fin de l'année 2012, en ajoutant les prêts consentis par les « money market funds », des SICAV américaines. A l'été 2011, la moitié de leurs investissements consistaient à acheter des titres d'endettement à court terme des banques européennes et en particulier des banques françaises. Or la courbe de ces prêts suit le même profil que la courbe des entrées et sorties de capitaux aux îles Caïman.

Les money market funds investissaient la moitié de leur épargne dans l'achat de titres d'endettement à court terme des banques européennes à l'été 2011 et en décembre 2012, l'investissement ne représentait plus que 30 %. Sur les 20 points perdus, 10 points sont dus aux banques françaises. Or contrairement aux banques européennes, les banques françaises se financent par l'endettement plus que par les capitaux propres, notamment en dollar. Lorsqu'une crise de confiance a émergé sur la zone euro à l'été 2011, les investisseurs internationaux se sont retirés. Cette période correspond d'ailleurs à l'écroulement des flux financiers internationaux dans les îles Caïman. Sans dire que la baisse des entrées et sorties de capitaux s'explique uniquement par ce phénomène, les courbes semblent corréler l'intuition que les paradis fiscaux non seulement retirent des recettes fiscales mais surtout permettent de prendre des risques extrêmement importants de manière assez opaque et nourrissent l'instabilité financière mondiale et surtout française. Le G20 d'avril 2009 avait parfaitement identifié le sujet mais rien n'a été réalisé. Une liste des paradis fiscaux nous avait été promise. Seuls la Libye et le Venezuela ont été cités. Je doute qu'une telle approche s'avère suffisante.

Les paradis fiscaux ont été attaqués en ce qu'ils permettaient aux personnes à revenus élevés d'échapper à l'impôt. En 2013, un nouveau pas a été franchi puisque les Etats ont commencé à examiner la façon dont les grandes entreprises utilisent les paradis fiscaux. Pour autant, nous ne nous sommes pas encore attaqués à la façon dont ces territoires permettent de prendre des risques dans la plus grande opacité. Nous en avons pourtant déjà ressenti les effets. La banque britannique Northern Rock, dès l'automne 2007, a rencontré des difficultés. Or ses comptes au Royaume-Uni ne laissaient rien paraître. L'examen des comptes de sa filiale Granite, enregistrée à Jersey, démontrait que cette banque possédait un endettement à court terme explosif. De la même manière, la banque américaine Bernstein a fait faillite en 2008 à cause d'une prise de risque trop grande de ses filiales de fonds spéculatifs établies aux îles Caïman et à Dublin.

Le Conseil européen du 22 mai dernier a suscité beaucoup de commentaires critiques. Le communiqué final de ce Conseil présente pourtant un certain intérêt. Il reconnaît les carences de la directive épargne mise en place en 2005 et annonce qu'une nouvelle version est prête mais que sa mise en oeuvre est rejetée par l'Autriche et le Luxembourg. Elle devrait cependant entrer en vigueur avant la fin de l'année 2013. Les 27 Etats membres ont signé cette nouvelle directive épargne, qui met en place un échange automatique d'informations fiscales. Depuis janvier 2013, une autre directive a établi une coopération entre les administrations fiscales européennes. Elle prévoyait de mettre en place un échange automatique en 2015-2017. Le communiqué final du 22 mai a anticipé cette mesure pour que cet échange s'opère dès le mois de juin. Mandat a également été donné pour négocier avec la Suisse, le Liechtenstein, Saint-Marin, Andorre et Monaco. Des pays comme les îles Caïman ou les îles vierges britanniques ont signé la première directive épargne de 2005 qui prévoyait déjà l'échange automatique d'informations et pourraient être couverts par le nouveau système.

Ce communiqué souligne par ailleurs la nécessité de remettre en cause les pratiques fiscales douteuses des grandes entreprises. L'OCDE travaille actuellement sur le sujet et doit proposer un plan d'action d'ici la fin du mois avant d'être validé au G20 de Saint-Pétersbourg de septembre. La Commission préfère donc attendre les résultats de ces réflexions. Connaître les bénéficiaires réels des trusts est également inscrit dans le communiqué final du Conseil. Le premier ministre britannique David Cameron a envoyé une lettre aux paradis fiscaux, anciennes colonies britanniques, pour les enjoindre à s'engager dans l'échange automatique d'informations sur le sujet. Enfin, le communiqué évoque la mise en place d'une comptabilité par pays généralisée, s'appliquant aux banques comme à l'ensemble des entreprises mais aucun calendrier n'a été fixé pour sa mise en oeuvre.

S'agissant de la stratégie britannique, David Cameron a souligné à maintes reprises la nécessité de procéder à un échange automatique d'informations fiscales. La pression de la rue se révèle extrêmement forte au Royaume-Uni, les citoyens se révoltant contre le fait que de grandes multinationales installées dans le pays ne paient que très peu d'impôts. Dans le Guardian d'hier, 40 % des Britanniques se disent prêts à boycotter les produits des entreprises considérées comme des fraudeurs fiscaux. Les élections législatives se profilant, David Cameron se doit de prendre position politique ferme. Le Premier ministre s'est engagé dans une politique de réduction de l'impôt sur les sociétés pour les profits réalisés à l'étranger et rapatriés au Royaume-Uni. Depuis le 1er avril dernier, il a également mis en place une « patent box », une case que les entreprises peuvent cocher lorsqu'elles inscrivent leurs brevets au Royaume-Uni afin de bénéficier d'une niche fiscale. La France propose d'ailleurs une niche fiscale de ce type depuis plusieurs années, comme huit ou neuf autres pays dans le monde.

La stratégie américaine paraît aujourd'hui comme la plus forte et positive pour tous. Dès 2008, les Etats-Unis ont souligné la difficulté de négocier avec les Etats, préférant s'attaquer aux acteurs privés, au premier rang desquels UBS. Le fisc américain a obtenu de l'un de ses banquiers, Bradley Birkenfeld, le nom des 4 500 clients. Dans le même temps, les Etats-Unis ont mis en place une politique de dénonciation volontaire pour que les clients d'UBS évitent la condamnation pénale en venant se dénoncer. Le fisc a ainsi pu obtenir 15 000 noms et pu dresser une cartographie mondiale de l'évasion fiscale. Constatant que de petites banques suisses cantonales avaient récupéré des clients d'UBS de même que le Crédit Suisse, le fisc américain a sollicité ces entités en 2010. Le Parlement suisse doit se prononcer dans les prochains jours sur la validité de la transmission des informations. Une deuxième vague de dénonciation volontaire a permis, en 2011, de récolter 12 000 nouveaux noms. Pour appuyer cette démarche, la loi FATCA, adoptée en 2010, a imposé l'échange automatique d'informations des acteurs privés au profit du fisc américain. Le succès de la politique américaine dépend de ces trois leviers.

Je vous invite à regarder l'émission Cash Investigation diffusée sur France 2 ce soir, qui évoque la fameuse liste de 3 000 noms présentée par Eric Woerth. Vous verrez comment Monsieur de Montgolfier avait récupéré, à l'origine, 9 000 noms. La justice suisse avait demandé communication de cette liste. Or une note de la police suisse indique : « nous avons bien récupéré le document envoyé par la France mais nos experts informaticiens indiquent que ce document a été manipulé de manière volontaire sans que nous puissions en déterminer la cause ». Des noms apparaissent et disparaissent.

Eric BOCQUET. - Nous avions soulevé ce dossier lors de notre précédente commission d'enquête, à l'occasion de l'audition d'Eric de Montgolfier. Nos questions sont restées lettre morte. Nous y reviendrons.

Christian CHAVAGNEUX. - Hervé Falciani n'a pas obtenu la protection de la police française et s'est réfugié en Espagne. Il a témoigné et a permis, d'après la justice espagnole, de récupérer des sommes importantes. Bernard Cazeneuve, dans l'émission de ce soir, se dit prêt à recevoir Monsieur Falciani. Celui-ci devrait arriver en France tout prochainement pour expliquer comment utiliser son fichier. Je pense que nous parlerons de cette affaire encore longtemps.

S'agissant du dispositif américain FATCA, 75 pays ont fait part de leur intention de signer avec les Etats-Unis. Six accords sont d'ores et déjà conclus (Royaume-Uni, Danemark, Irlande, Mexique, Norvège, Suisse) et trois sont bien engagés (Allemagne, Espagne et Italie). La France, elle, n'a pas encore signé alors qu'elle avait signifié son intérêt dès l'origine. J'ignore où nous en sommes sur ce point. FATCA présentait l'intérêt d'une réciprocité totale mais les représentants du Delaware doutent de pouvoir transmettre toutes leurs informations. Les Etats-Unis pensent également s'engager dans la comptabilité pays par pays mais semblent refuser que ces informations soient rendues publiques.

La politique des listes des paradis fiscaux ne m'apparaît pas comme une bonne solution car elle soulève trop d'enjeux diplomatiques. Voyez le cas du Costa Rica, point d'ancrage de la diplomatie économique française dans la sous-région, qui figure sur la liste de l'AFD. Il existera toujours de bonnes raisons pour intégrer ou retirer le nom de certains pays.

Les produits dérivés jouent bien sûr un rôle important. Ils relèvent à 90 % dans le monde et 80 % en Europe des marchés de gré à gré exempts de tout contrôle des régulateurs. Michel Barnier a instauré, avec le Parlement et le Conseil européens, une nouvelle loi visant à inverser cette proportion. Parmi les produits dérivés figurent notamment des produits hybrides considérés comme des actions dans un pays et comme des obligations dans l'autre et qui permettent d'éviter toute fiscalité. Dans le plan d'action qu'elle proposera début juillet, l'OCDE pourrait interdire les produits hybrides mais la négociation est toujours en cours.

Pourquoi les banques n'ont-elles pas été condamnées dans ces grandes affaires ? J'ai longuement interrogé le commissaire divisionnaire Jean-François Gayraud, ancien membre de la DST chargé des dossiers de fraude financière. Celui-ci est persuadé que l'impunité constitue toujours une incitation à la récidive en matière de fraude fiscale mais envoyer de grands banquiers en prison s'apparenterait à admettre qu'une partie des élites du pays flirte avec l'illégalité. Deux exemples vont dans ce sens aux Etats-Unis. La banque HSBC a été prise en flagrant délit de recyclage de narcodollars en provenance du Mexique et de la Colombie. Aucune poursuite pénale n'a été engagée malgré les preuves. HSBC a seulement été condamnée à une amende de 1,2 milliard de dollars. UBS a manipulé Libor, le taux d'intérêt déterminé à Londres tous les matins, qui influe sur l'ensemble des taux d'intérêt du monde. Le département de la justice américain disposait de toutes les preuves mais n'a engagé aucune poursuite pénale, condamnant simplement la banque à 1,5 milliard d'euros d'amende. Selon le procureur général, l'emprisonnement de ces dirigeants aurait pu causer un risque systémique.

Le lobby bancaire joue un rôle non négligeable même s'il ne gagne pas toujours le rapport de force. Les banques n'apprécient certainement pas la comptabilité pays par pays, élargie à cinq critères par le Sénat. Le discours du Président de la République, le 10 avril dernier, a validé vos choix. Le Parlement européen a fait de même. Il reste toutefois à déterminer l'utilisation qui sera faite de l'information recueillie dans ce cadre. Or les superviseurs ne se préoccupent pas aujourd'hui du sujet. Pourquoi ne pas demander une surcharge de capital aux acteurs demeurant dans les paradis fiscaux, dès lors que nous constaterions que cette présence est source d'instabilité financière ? La comptabilité pays par pays permettrait aussi de contrôler les prix de transfert des multinationales et des banques, qui sont fondés aujourd'hui sur une méthode insatisfaisante. Je citerai l'exemple du contentieux entre le fisc américain et le laboratoire pharmaceutique GlaxoSmithKline en 2006, où l'utilisation de la même méthode produisait des résultats très différents (15 milliards de dollars pour l'un et 3 milliards de dollars pour l'autre). Cette norme établie par l'OCDE dans les années 1920 se révèle largement obsolète aujourd'hui. Il conviendrait d'en changer au profit de comptes consolidés mondiaux. L'Union européenne a déjà tenté en vain de les mettre en place. Les Etats-Unis refusent pour l'instant de s'engager dans cette voie. Ce principe permettrait d'offrir une meilleure vision des flux et remettrait en cause le principe même de fonctionnement des paradis fiscaux. J'ai obtenu les deux premiers critères exigés par l'Assemblée nationale pour l'ensemble des filiales à l'étranger des banques françaises. Une institution publique m'a fourni le chiffre d'affaires et le nombre de personnes employées. D'après ces données, Malte, l'Irlande et Guernesey constituent les territoires les plus efficaces pour les filiales des banques françaises.

Je vous remercie pour votre exposé très complet. Je passe la parole à notre rapporteur.

Eric Bocquet. - Beaucoup de mes questions ont déjà obtenu réponse. Nous nous sommes rencontrés voilà un an lors d'une précédente commission d'enquête. Quelle évaluation faites-vous de cette année écoulée ? La lutte contre l'évasion fiscale a-t-elle avancé ?

Vous avez évoqué les îles Caïman. Pourquoi l'argent n'y reste-t-il pas ? Comment avez-vous eu accès aux données d'activité financière ? Les banques ont-elles changé d'attitude ces dernières années du fait de la crise qui nous secoue encore aujourd'hui ? A Bruxelles, près de 700 lobbyistes bancaires opèrent. Nous avons senti une volonté d'avancer. Des textes sont imminents. Des mesures se précisent. Quel est le poids du lobby bancaire ? Les banques semblent-elles avoir tiré les leçons de la crise ? J'ai souvenir d'un excellent documentaire diffusé sur France 3 voilà trois ou quatre semaines, qui laisserait penser que les banques n'ont pas changé depuis 2008.

Christian Chavagneux. - Plus que l'année passée, je pense que 2013 marque une rupture. Jusqu'à présent, présidait la logique intéressante mais largement insuffisante d'un échange d'informations fiscales à la demande. Votre confrère de l'Assemblée nationale, Yann Galut, indiquait sur la radio-télévision suisse que la France avait formulé plus de 200 demandes à la Suisse et avait obtenu entre 6 et 9 réponses. Ce système ne fonctionne pas. Les paradis fiscaux n'y répondent qu'en fournissant des données de mauvaise qualité. Dès juin 2012, au G20 de Los Cabos, au Mexique, l'OCDE a présenté un rapport enjoignant à la mise en place d'un échange automatique d'informations fiscales. Cette démarche a été validée en 2013 par le Président de la République française et le Conseil européen du 22 mai. Elle devrait être à nouveau plébiscitée au G20 de Saint-Pétersbourg de septembre. L'OCDE doit établir un nouveau standard d'échange mondial d'informations fiscales. L'échange automatique met à mal le secret bancaire à des fins fiscales.

Jusqu'à présent, la réflexion portait sur l'utilisation des paradis fiscaux par les personnes à revenus élevés mais ne s'était jamais attachée aux entreprises qui les utilisent pour payer moins d'impôts. Les grands groupes comme Google, Apple ou Amazon affichent un taux d'imposition mondial de 2-3 %/ Les entreprises du CAC 40 sont imposées à hauteur de 8 % voire de 0 % si elles n'enregistrent pas de bénéfices en France. C'est la première fois que la France s'attaque aux optimisations fiscales agressives des multinationales, par l'intermédiaire notamment du rapport Colin et Collin qui cherchait comment taxer le numérique sur le territoire français. Les informations individuelles constituent la matière première des sociétés comme Google. Elles doivent être taxées sur ce fondement. La comptabilité par pays a été validée par le Parlement dans le cadre de la loi bancaire et par le Président de la République qui a fait part de sa volonté de la mettre en place pour toutes les entreprises au niveau européen. Le Conseil européen a lui-même souhaité cette évolution. Le Royaume-Uni a même élargi cette démarche aux trusts. Le combat politique est engagé. Telle est la grande avancée de 2013.

Les sommes investies dans les îles Caïman constituent des données publiques, publiées sur le site de la Banque des règlements internationaux. Les paradis fiscaux permettent d'estampiller des droits de propriété. L'argent estampillé et taxé dans les îles Caïman ne se trouve pas forcément dans ces îles. Google a placé le droit d'utiliser sa marque dans sa filiale Google Bermudes, non taxée et peu contrôlée.

Les banques n'ont pas changé d'attitude mais j'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs hauts responsables de grandes banques françaises, qui ont pris la mesure du virage qui s'amorce au niveau politique. Si les paradis fiscaux ne constituent pas seulement pour les banques françaises une façon d'échapper à l'impôt pour elles-mêmes et leurs clients mais se trouvent aussi inclus dans leur business model, les banques ne peuvent stopper du jour au lendemain ces activités et devront trouver d'autres sources de financement. Remédier à ces pratiques prendra du temps et exigera la définition d'un nouveau business model. Utiliser ces territoires se révélant de moins en moins bien accepté, les banques se disent prêtes à évoluer. Les investisseurs eux-mêmes doivent se mobiliser et sélectionner les entreprises dans lesquelles ils investissent, remettant en cause ces politiques agressives d'implantation dans les paradis fiscaux. L'avenir nous dira si cette volonté affichée sera suivie d'effet.

Nathalie Goulet. - Je suis un peu déçue que parmi les déclencheurs vous n'ayez pas cité le travail du Sénat, qui a quand même initié un certain nombre de mouvements et d'une attention de la presse et des médias.

Christian Chavagneux. - Je le reconnais bien volontiers.

Nathalie Goulet. - Des mesures nationales doivent être prises. Quelles sont vos préconisations en matière de formation ? Il ressort d'un rapport récent de la division internationale du contrôle fiscal qu'en matière de contrôle des prix de transferts, les personnels se révèlent tout à fait incompétents. En outre, seules quelques entreprises font valider leur prix de transfert. Ne devrions-nous pas imposer une procédure de déclaration préalable obligatoire des prix de transfert ? Quelles mesures de mauvaise publicité interne, éléments de nature à freiner la fraude comme aux Etats-Unis, préconiseriez-vous ?

Jacques Chiron. - Le nouveau standard a été validé par l'Union européenne et l'OCDE. Imaginons que nous ne parvenions pas à le mettre en place. Si cinq grands pays européens (Royaume-Uni, France, Allemagne, Espagne et Italie) se réunissaient pour établir un FATCA, la démarche pourrait-elle être couronnée de succès ? Quel rôle jouent les établissements bancaires, dont nous avions ressenti le poids lors de la précédente commission d'enquête, dans l'inertie actuelle ? Enfin, sur les prix de transfert, je pense qu'il conviendrait d'inverser la preuve, en exigeant des entreprises d'apporter la preuve au lieu de demander au fisc de la rechercher.

Christian Chavagneux. - La Chine a essayé de repérer les membres de grands cabinets d'audit internationaux qui avaient conseillé les grandes entreprises pour détourner la loi et les a recrutés. Je sais que les syndicats de la fonction publique à Bercy ne sont pas très favorables, compte tenu de leur statut particulier et de leur niveau de rémunération. Margaret Hodge, membre du Comité des comptes publics du Parlement britannique, a auditionné les directeurs britanniques de KPMG, Deloitte ou Ernst&Young et leur a fait passer un très mauvais moment.

Eric Woerth avait essayé en vain d'imposer à sa majorité un renversement de la charge de la preuve pour les prix de transfert. Si la nouvelle majorité actait cette mesure, elle irait dans le bon sens, comme le souligne le rapport de l'IGF. La méthode actuelle des prix comparables ne mène à rien. Les affaires récentes ont fait apparaître des écarts d'un à cinq dans les estimations. Cette méthode ne permet pas d'aboutir à un résultat objectif mais favorise les négociations. Tant que cette méthode perdurera, nous devrons nous battre contre des multinationales bien armées. Il faut promouvoir la démarche des comptes consolidés au niveau européen voire mondial.

Il n'entre pas dans la tradition de Bercy d'effectuer du « name and shame ». Les paradis fiscaux se trouvent au coeur du fonctionnement de la mondialisation financière et les tenants de Bercy se sont toujours refusé à s'engager dans la voie de la délation. Aux Etats-Unis, force est de constater que cette politique de dénonciation volontaire s'est avérée efficace. Il revient sans doute aux parlementaires et à la société civile de se mobiliser. Au Royaume-Uni, le changement résulte d'ailleurs d'une mobilisation de la société civile. L'émission Cash Investigation de ce soir, dénonçant des pratiques très précises, contribue à la prise de conscience en France.

Etablir un FATCA à cinq en cas d'échec de la démarche au niveau européen constituerait une bonne idée. La Commission européenne s'est montrée plutôt rusée. La directive épargne prévoit en effet l'application de la clause de la nation la plus favorisée. Accorder un avantage à quelque pays que ce soit dans le monde exige de l'accorder aussi à tous les pays européens. Les pays qui ont signé l'accord FATCA devront donc procéder à un échange automatique d'informations avec les pays européens, au titre de cette clause, sous peine de poursuite devant la Cour de justice européenne.

Eric Bocquet. - Avez-vous pu analyser la contribution au résultat des plus grandes banques françaises des opérations réalisées à partir des paradis fiscaux ? Avez-vous estimé les titres de dette publique localisés dans ces pays ? Enfin, dans quelle mesure les produits dérivés pourraient-ils déstabiliser les marchés des valeurs sous-jacentes ?

Christian Chavagneux. - Seules les banques disposent de l'information sur cette contribution. En 2009-2010, des syndicats bancaires ont demandé à leur direction de fournir au moins partiellement cette information. Certains en disposent même si cela n'a jamais été rendu public. La comptabilité pays par pays permettra d'opérer ces calculs à partir de notre propre liste de paradis fiscaux. La loi européenne interdit de désigner un pays européen comme paradis fiscal. Il convient donc de disposer d'une information brute pour opérer ce calcul. Le Parlement européen a demandé la mise en place de cette comptabilité en 2015 sur les résultats 2014. Si l'Assemblée nationale valide le projet de loi bancaire et vos cinq critères, nous pourrons effectuer ce calcul pour les banques françaises.

La dette publique est vendue par des spécialistes en valeurs du Trésor (SVT). Ces grandes banques internationales contactent les investisseurs mondiaux pour placer de la dette publique. Patrick Artus, le Chief economist de Natixis, les investisseurs achetant de la dette publique française passent principalement par le Luxembourg, les îles Caïman et le Royaume-Uni. Quant aux produits dérivés, Paul Krugman estime que l'on ne peut jouer sur les prix du pétrole ou du blé sans détenir du stock physique. A l'inverse, les rapports de la CNUCED démontrent que les échanges papier influent aussi sur les prix.

Nous vous remercions pour votre intervention. Si d'aventure nous avions des suggestions ou vérifications à effectuer, nous nous permettrions de revenir vers vous.

Debut de section - Permalien
Christian Chavagneux

Je me tiens à votre disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Nous allons maintenant auditionner Monsieur Gérard Rameix, le Président de l'Autorité des marchés financiers. Devant une commission d'enquête, vous vous devez de prêter serment. Prêtez-vous serment de toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je vous remercie. Je vais vous laisser le temps d'une présentation liminaire, avant de passer la parole à notre rapporteur, Eric Bocquet et aux membres de la Commission.

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Je rappellerai brièvement les missions de l'Autorité des marchés financiers définies par la loi :

veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et les actifs offerts au public ou admis aux négociations sur un marché ;

veiller à l'information des investisseurs ;

veiller au bon fonctionnement des marchés ;

concourir à la régulation des marchés aux échelons européen et international ;

prendre en compte les objectifs de stabilité financière.

L'AMF compte 450 collaborateurs, principalement des cadres, répartis entre les services chargés de l'information financière et comptable, de la gestion d'actifs, de la surveillance, du contrôle et de l'enquête, des équipes qui interviennent a posteriori et sont dotées de pouvoirs d'investigation. Ces contrôles débouchent sur des lettres de suite voire sur des procédures de sanction en cas de manquement. Les enquêtes sont ouvertes par le secrétaire général de l'Autorité. Je préside la formation du Collège qui décide de notifier les griefs aux personnes présumées avoir manqué à leurs obligations, la Commission des sanctions décidant ensuite de l'attribution ou non de sanctions. Ces actions tendent à progresser. En 2012, 58 sanctions ont été prononcées pour un montant de 18 millions d'euros d'amende. 6 interdictions d'exercer ont été infligées. 7 compositions administratives ont été réalisées pour des manquements qui ont fait l'objet d'une transaction, suivant une procédure nouvelle introduite par la loi en 2010, plus rapide et très transparente.

Les missions visant les instruments et marchés financiers ne nous octroient pas un rôle direct dans la lutte contre l'évasion des ressources financières et l'évasion fiscale. En revanche, travaillant sur la matière financière sous un angle particulier, nous pouvons repérer des faits qui relèvent de ces problématiques. Si tel est le cas, les textes prévoient que nous les signalions au parquet et/ou à Tracfin. Chaque année, nous envoyons une vingtaine de dossiers au parquet et depuis 2009, nous avons transmis 12 dossiers à Tracfin (6 dossiers d'enquête et 6 dossiers de contrôle). Au plan international, nos enquêtes reposent pour une grande majorité d'entre elles sur une coopération internationale. Cette coopération s'effectue, le plus souvent, dans le cadre d'un MOU (memorandum of understanding) négocié bilatéralement avec chacun de nos homologues sur un modèle arrêté par l'Organisation internationale des commissions de valeurs (IOSCO). Ce dispositif fonctionne relativement bien, malgré quelques lenteurs ou restrictions dans certains secteurs ou pays.

Le parquet est informé soit dans le cas prévu par la loi, lorsque nous notifions des griefs pour des manquements qui peuvent être qualifiés en parallèle par le code pénal puisqu'entrant dans le champ de l'un des trois délits boursiers (manipulation de cours, diffusion de fausses informations ou utilisation d'informations privilégiées). Nous pouvons également informer le parquet sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale ou de l'article L. 621-20-1 du code monétaire et financier quand nous détectons des faits que nous ne pouvons poursuivre directement, comme un abus de bien social ou une présomption d'un délit fiscal. Cette coopération avec le parquet s'avère fréquente et perdure depuis plusieurs années. Historiquement, nous sommes les héritiers de la Commission des opérations de bourse (COB) qui possédait à l'origine un pouvoir d'enquête. Toutes ses enquêtes étaient systématiquement transmises au parquet. Ce n'est qu'à la fin des années 80 que Pierre Bérégovoy, alors ministre de l'économie et des finances, a proposé au Parlement de conférer un pouvoir de sanction à la COB. Une même infraction peut d'ailleurs faire l'objet d'une sanction pénale et d'une sanction de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers.

Nous possédons par ailleurs une compétence spécifique en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Il ne s'agit plus d'enquêtes générales qui pourraient nous conduire à détecter des délits ou infractions relevant d'incriminations pénales. Nous devons, pour les personnes que nous régulons, c'est-à-dire essentiellement les sociétés de gestion de portefeuilles et les conseillers en investissements financiers, vérifier qu'elles se conforment à l'ensemble des règles professionnelles, au premier rang desquelles, depuis la loi de 2009, la mise en place d'un dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Nous procédons de plus en plus fréquemment à ces vérifications suivant deux approches différentes. Nous pouvons conduire des investigations ciblées pour vérifier le dispositif du prestataire. A l'occasion d'un contrôle plus général mené sur une société de gestion de portefeuilles, les équipes peuvent également opérer une revue des procédures de lutte contre le blanchiment. Voilà peu, nous avons notifié des griefs à la commission des sanctions après avoir constaté l'absence de procédure de lutte contre le blanchiment chez un conseiller en investissements financiers. L'affaire est en cours d'instruction devant la commission des sanctions. Cette mission tend à se développer, les obligations devenant de plus en plus précises en la matière.

Une coopération internationale s'opère entre les régulateurs de marché au niveau européen et international. L'autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et l'OICV (IOSCO) au niveau international rassemblent les régulateurs de marché qui, selon les principes de l'OICV et comme l'AMF, constituent des régulateurs indépendants et spécialisés. Les accords de coopération sont signés entre ces régulateurs dans les limites de leurs compétences. Ces accords prévoient que les informations sont communiquées pour le bon exercice du métier de régulateur de marché. Nous sommes habilités par la loi à nouer ces échanges. Nous émettons des demandes nombreuses et recevons des demandes de nos homologues étrangers. Nous avons ainsi formulé 382 demandes d'assistance et reçu 159 requêtes de nos homologues étrangers l'an dernier. Ces échanges ont concerné 35 pays, signe d'une coopération active.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je vous remercie pour ce propos introductif. Je donne la parole à notre rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Nous souhaiterions que vous communiquiez les réponses à nos 36 questions par écrit. J'en extrairai certaines pour alimenter nos échanges. Au préalable, je m'étonne du faible nombre de dossiers (6) transmis à Tracfin. Toutes les requêtes que vous adressez à vos homologues étrangers reçoivent-elles une réponse ? Ces réponses vous paraissent-elles satisfaisantes et éclairantes ?

Concernant la gouvernance de l'AMF et la composition du collège, certains membres sont nommés par le Ministre. Parmi eux figurent d'anciens directeurs financiers de grandes entreprises. L'indépendance de l'Autorité des marchés financiers est-elle malgré tout garantie ?

Quelles mesures ont été prises au niveau national et international pour s'assurer que les marchés financiers ne servent pas à une évasion fiscale abusive ou au blanchiment ? Avez-vous réalisé des études pour identifier les effets des flux financiers qui transitent par des circuits financiers mal régulés ? Les marchés financiers des zones offshores vous apparaissent-ils comme des menaces réelles pour la stabilité financière mondiale ? Quels progrès réglementaires vous semblent nécessaires pour assurer une plus grande transparence des marchés et de leurs acteurs ? Quelles réflexions vous inspirent la localisation d'une proportion considérable de hedge funds et d'autres fonds tels les SICAV luxembourgeoises ou les captives de réassurance dans les zones offshore ? Enfin, l'AMF considère-t-elle que certaines opérations de financement des entreprises ou rachats d'actions résultent de préoccupations exclusives d'optimisation fiscale ? Le financement intragroupe constitue-t-il un objet d'interrogation fréquent ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Dans l'ensemble, nous obtenons une réponse à nos requêtes. Certaines questions relèvent de simples vérifications et visent, par exemple, à connaître l'origine d'un ordre. Le régulateur russe considère ainsi qu'il ne doit nous répondre que si nous présentons des éléments prouvant une infraction en droit russe. La Russie n'a pas signé le MOU de l'IOSCO. Nous avons durant longtemps connu des problèmes avec Israël mais, désormais, le régulateur israélien nous répond. Nos relations se sont également améliorées avec la Suisse. Tout dépend du pays et de la question posée.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Certains pays se montrent-ils plus réticents ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

La principauté d'Andorre ne répondait pas jusqu'à présent. Elle change actuellement ses règles. Nous avions noué une coopération avec Monaco et j'avais insisté pour que la Principauté adopte des règles internes prévoyant de transmettre les informations lorsqu'une banque monégasque était à l'origine d'un ordre. Il n'existe pas de réponse générale et absolue mais le dispositif fonctionne globalement bien et la coopération enregistre des progrès notables.

Sur la gouvernance de l'AMF, je crois tout à fait à ce système de régulation, qui repose sur des services nombreux et compétents, placés sous l'autorité du Secrétaire général. Seul le Président représente un membre permanent du Collège, également composé de membres de provenances diverses. Un tiers d'entre eux proviennent de la fonction publique, nommés par le premier président de la Cour des comptes, le premier président de la Cour de Cassation et le vice-président du Conseil d'Etat. A cela s'ajoutent des personnalités nommées par les présidents de chaque assemblée parlementaire, qui choisissent le profil qu'ils souhaitent en toute indépendance. Enfin, le Ministre désigne une série de personnalités, sur proposition des organisations de place représentant les gérants, les banquiers, les émetteurs, etc. Je crois beaucoup à la collégialité, à ce travail en groupe qui s'appuie sur des services établissant des notes très précises. Il peut exister des conflits d'intérêts mais si le Collège doit examiner une affaire dont l'un de ses membres a pu avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions, celui-ci se retire. Cette composition nous permet en outre de disposer de membres compétents, connaissant bien les problématiques que nous traitons.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Comment le retrait éventuel des membres est-il garanti ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Nous avons défini un dispositif que je détaillerai par écrit. Chacun doit déclarer ses intérêts et pour chaque dossier, les services identifient les personnes qui doivent se retirer. Nombre de nos décisions peuvent faire l'objet de contentieux. Si un avocat sait qu'une personne potentiellement impliquée a participé à l'élaboration de notre décision, celle-ci pourrait être annulée. Nous faisons donc preuve d'une grande vigilance sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Les risques de conflits d'intérêt se révèlent-ils fréquents ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Il s'en produit à chaque réunion du Collège ou presque. Les membres du Collège ont longuement exercé dans le domaine financier. Ils ont forcément eu à connaître des dossiers que nous traitons. C'est l'un des reproches qu'a formulés le FMI à notre encontre. Son rapport, public, se montre plutôt favorable au dispositif de régulation français mais le FMI développe plutôt une approche américaine, favorisant un modèle plus politique avec des membres nommés à temps plein qui n'exercent pas d'autres fonctions durant leur mandat et une organisation qui ne comprend pas de commissaire du Gouvernement. En France, un représentant du Ministère de l'économie siège sans voix délibérative. Le FMI considère cette présence comme une atteinte à l'indépendance de l'Autorité. Nous estimons au contraire qu'elle permet au Ministre de l'économie de rester informé de notre travail. Sur le plan politique, notre organisation apparaît bien plus neutre. En outre, avec une quinzaine de membres juristes, directeurs financiers, banquiers ou gérants, avec des points de vue différents, nous bénéficions de compétences très élargies et cette pluralité nous offre une certaine forme d'indépendance.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Les membres rédigent-ils des déclarations sur l'honneur de conformité fiscale ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Je ne crois pas pour l'instant.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Lors de notre première commission d'enquête, nous avions recueilli un témoignage allant dans ce sens. Nous vous transmettrons cette information.

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Les textes actuels ne prévoient pas un tel dispositif. En revanche, chaque membre du Collège déclare son portefeuille de titres et ainsi que ses intérêts, ses fonctions et ses mandats dans les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 621-4 du code monétaire et financier et du règlement général de l'AMF (articles 111-1 et s.) mais il ne fournit pas d'informations sur sa situation fiscale.

Un marché financier constitue un lieu d'échanges et n'est pas, en lui-même, un facteur d'évasion fiscale. On y échange des titres, on y place des produits financiers. Les opérations sont retracées selon les règles du pays dans lequel elles ont lieu. Il existe toutefois de nombreuses situations où, analysés sous un autre angle, ces mouvements peuvent engendrer des incidences fiscales. Nous relevons peu de cas de ce type car tel n'est pas notre angle d'approche. La principale mesure pour lutter contre les risques d'évasion fiscale ou de blanchiment à travers la sphère financière consiste à impliquer les professionnels qui tiennent les comptes bancaires ou gèrent les fonds, en leur imposant des procédures de connaissance du client et d'analyse des risques.

Lorsque nos équipes de surveillance analysent les transactions au quotidien, elles n'identifient pas forcément des faits fiscaux. Deux types d'opérations peuvent toutefois attirer leur attention. Les premiers concernent les transactions qui sont réalisées par des personnes dans le but de ne plus être propriétaires du titre au moment où le dividende se détache. Pour déterminer le caractère fiscalement condamnable de ces opérations, il convient ensuite de mener une approche purement fiscale. Le second type d'opérations tient dans l'utilisation de marchés très étroits où des écarts de cours peuvent se produire très facilement. Nous avons ainsi eu l'occasion de repérer des personnes qui faisaient passer de l'argent d'un compte sur un autre, en faisant gagner l'un et perdre l'autre. Une telle opération peut être assimilée à du blanchiment. Si nous détectons de tels cas, nous les dénonçons aux autorités compétentes.

Votre question sur les effets des flux mal régulés se révèle extrêmement vaste et porte plus largement sur la problématique des excès des marchés, des emballements, de la diffusion de produis capables de perdre de la valeur. Nous pourrions regretter qu'une régulation plus stricte ne parvienne pas à éviter toutes ces opérations. Des efforts nombreux sont consentis aujourd'hui pour tenter de discipliner davantage les acteurs bancaires et faire en sorte que les produits dérivés de gré à gré passent désormais par des chambres de compensation pour réduire le risque systémique qui leur est attaché. Cette réforme présente une grande importance. Elle commence à être mise en oeuvre aux Etats-Unis et au sein de l'Union européenne.

A cela s'ajoutent les mesures visant à améliorer le contrôle interne des positions. Il existe de nombreux exemples où, malgré les contrôles, des établissements pourtant réputés découvrent des positions gravement perdantes. Les régulateurs tentent d'analyser ces échecs de la régulation. Le dernier cas le plus connu concerne JP Morgan. L'une de ses unités, chargée de gérer et couvrir les positions pour protéger l'établissement contre des risques de taux de change, tenait en fait des positions spéculatives massives qu'elle avait cherché à masquer. Lorsque les premiers faits ont été révélés, la Direction a minimisé la situation. Or en débouclant ces positions, la banque a finalement perdu 6 milliards de dollars. Nous consentons de nombreux efforts, dans la lignée des G20 qui se sont réunis depuis 2008, pour essayer, dans les différents pays, de limiter les risques, même s'il n'est pas du tout évident que nous parvenions à les réduire à néant. Ce problème dépasse très largement la question de l'évasion fiscale et du blanchiment et touche aux failles du système.

La question du rôle des zones offshore dans l'instabilité mondiale peut recevoir plusieurs réponses différentes. Sur le terrain purement fiscal, l'une des raisons d'être de ces places offshore résulte de leur fiscalité avantageuse. Le mouvement relativement ancien de lutte contre les paradis fiscaux semble aujourd'hui s'accélérer, notamment par l'effet d'un changement de position des Etats-Unis, qui possèdent les moyens ad hoc pour durcir la lutte. Nous devrions obtenir à terme plus de transparence sur ce sujet mais ces zones ne constituent pas le seul facteur de déséquilibre.

Les zones offshore se révèlent attractives aussi pour des raisons juridiques. Elles offrent souvent, en effet, un droit plus souple et permettent d'échapper aux contraintes des régulateurs en termes, par exemple, de limitation de l'effet de levier. Dans les crises les plus récentes, ce ne sont toutefois pas les zones offshores qui se sont trouvé à l'origine des emballements les plus forts. La crise des subprimes, par exemple, dont les conséquences économiques ne sont pas toutes épuisées aujourd'hui, ne présente aucun lien avec les zones offshores. Les produits ont été conçus aux Etats-Unis, dans un secteur parfaitement régulé et ont été vendus à d'autres instances elles-mêmes parfaitement régulées. Les zones offshore présentent un risque d'inégalité et d'obscurité et peuvent même présenter, à certain moment un risque systémique. Pour autant, elles ne constituent pas le seul facteur d'instabilité financière.

Quant à la transparence des marchés, je doute que le terme revête pour tous la même acception. Pour le régulateur de marché, la transparence signifie que l'information disponible sur les titres échangés s'avère correcte. A cela s'ajoute la transparence du fonctionnement du marché lui-même. La France possède une tradition de marchés centralisés, gérés par les ordres, remontant au XIXème siècle. Nous recherchons donc toujours la transparence sur les ordres de vente et d'achat, avec une formation des prix sans tricherie. De ce point de vue, nous nous inquiétons de voir que l'évolution des dernières années sur les marchés européens n'est pas allée dans le sens de cette transparence. Au contraire, une grande partie des transactions ne passe plus par ce système, du fait notamment de la directive européenne sur les marchés dinstruments en financiers (MIF), en cours de révision.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Par transparence, je fais référence notamment à l'identité des acteurs.

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Avec l'internationalisation des marchés, l'identification des intervenants n'est plus immédiate. L'ordre est passé sur un marché ou une plate-forme par un professionnel mais le donneur d'ordre n'est pas renseigné dans les systèmes. L'initiative actuelle du LEI - Legal Entity Identifier - permettrait d'attribuer un numéro international à tous les intervenants sur tous les marchés et, de ce fait, de favoriser le repérage des acteurs à l'origine des transactions. Ce changement nous apparaît souhaitable.

Les régulateurs cherchent par ailleurs à lutter contre l'atomisation des marchés par l'intégration des données dans un seul lieu qui permette de reconstituer un marché unique sur informatique. Dans une enquête, une personne X qui apprend une information Y sur un titre Z va chercher à se dissimuler au maximum pour acheter le titre, en brouillant les pistes et en utilisant par exemple un compte offshore.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je pensais également à l'origine des fonds. Parmi les six dossiers transmis à Tracfin, existe-t-il des cas relevant d'un manque de transparence dans l'identité de l'intervenant ou l'origine des fonds ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Je ne les connais pas personnellement mais je suppose que tel est le cas. Le dossier du CIF, par exemple, a été envoyé en commission des sanctions parce que l'établissement n'avait mis en place aucune procédure et que nous avons repéré des clients pour lesquels l'origine des fonds pouvait susciter quelques doutes. Nous vous transmettrons les détails de ces enquêtes et contrôles par écrit.

Nous avons repéré 70 milliards d'euros gérés par des gérants français dans des zones offshore. Ceci représente une part infime des OPCVM (1 200 milliards d'euros). Les îles Caïman sont plus particulièrement plébiscitées, en particulier par les clients américains. Les sociétés de gestion françaises s'engagent dans ces zones surtout parce que les clients le demandent. Leur présence peut aussi répondre à des préoccupations fiscales ou à des habitudes prises dans certains pays. Ainsi, les îles Caïman constituent une destination habituelle pour les épargnants américains. Nous avons pour rôle de vérifier que la société de gestion en France s'avère correctement organisée pour gérer les risques afférents. Nous ne pouvons pas, en revanche, nous pencher sur les actions entreprises aux îles Caïman, sauf à utiliser les procédures de coopération.

D'une manière plus générale, les hedge funds constituent à l'origine des fonds d'arbitrage ou de couverture. Par extension, le terme recouvre aujourd'hui tous les fonds qui utilisent des techniques de gestion plus spéculatives, qui reposent sur des techniques quantitatives ou des arbitrages. Ces fonds utilisent souvent des produits à effet de levier, ce qui peut receler des risques. C'est ainsi que LTCM, voilà quelques années, a dû être consolidé par une intervention de la FED de New York tant les risques sur les marchés de taux étaient devenus importants. La régulation bancaire constitue la meilleure manière d'appréhender et limiter ces risques car ces fonds travaillent tous avec des banques, qui assurent leur financement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

La loi bancaire en cours de discussion répond-elle selon vous à cette préoccupation ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Elle devrait effectivement limiter le risque que les banques prennent sur ces fonds, en interdisant les financements non couverts. Pour autant, la loi n'interdit pas aux banques de travailler avec ces fonds. D'ailleurs, il est de notoriété publique que les banques françaises ont milité pour leur maintien, faisant valoir qu'une interdiction viendrait limiter considérablement leur activité.

Debut de section - Permalien
Benoît de Juvigny, Secrétaire général de l'AMF

La directive AIFM qui entrera en vigueur en juillet 2013 comporte des règles de sécurité sur l'usage obligatoire des dépositaires, une obligation qui s'appliquera désormais aux sociétés de gestion françaises ou européennes qui souhaitent gérer des hedges funds ou fonds d'investissements alternatifs situés en France, en Europe ou dans d'autres pays du monde. Ces règles vont contribuer au renforcement de la sécurité puisque très souvent les fonds de droit étranger utilisent des banques dépositaires dans les pays européens. Les 70 milliards d'euros évoqués par le Président de l'AMF recouvrent tous les fonds d'OPCVM non français, en particulier les fonds luxembourgeois qui utilisent des statuts assez attractifs, y compris sur le plan fiscal, mais parfaitement légaux pour nous.

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Les rachats d'actions consistent à réduire les fonds propres et bénéficier ainsi d'un effet de levier plus important. Ils peuvent s'avérer fiscalement avantageux dans certains cas. Au lieu de verser un dividende, l'entreprise va verser des intérêts sur son emprunt et diminuer ainsi son impôt. La comparaison entre la fiscalité des revenus et des plus-values peut également jouer même si un rapprochement de ces deux fiscalités tend à réduire la pertinence de ce mécanisme. Les rachats dépendent des pays mais aussi des moments. Si les sociétés souhaitent réduire les leviers, elles effectuent peu de rachats. Nous ne jugeons pas l'opportunité économique de ces opérations mais veillons à leur régularité.

Nous n'examinons pas les financements intragroupes car ils ne relèvent pas de nos compétences. La norme IFRS 12, en exigeant des sociétés qu'elles expliquent l'écart entre le taux théorique et le taux effectif d'impôt, induira plus de transparence. Je n'ai pas connaissance de poursuites de l'AMF en raison d'un non-respect de cette norme.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quels enseignements tirez-vous de votre participation à la supervision des agences de notation, sur les conflits d'intérêts éventuels et sur leur considération pour les règles fiscales et de lutte contre le blanchiment ?

Debut de section - Permalien
Gérard Rameix

Nous ne régulons plus aujourd'hui les agences de notation, cette mission ayant été transférée voilà deux ans à l'ESMA. Celle-ci vérifie que leurs procédures de gestion des conflits d'intérêts et de séparation entre les actions commerciales et les notations s'avèrent correctes. Lorsque nous examinions ces agences, nous avions repéré la progression anormale de leur chiffre d'affaires au profit de la notation de nouveaux produits structurés, des produits dont certains sont devenus des subprimes. Il existait là un conflit d'intérêts évident. Si nous avions eu pleinement conscience du phénomène, je pense que nous aurions pu éviter certains dérapages. Il s'agit là sans doute du plus gros échec des notateurs, lié à des erreurs techniques et à des tentations financières. Les régulateurs et le management des agences de notation n'ont pas perçu le changement complet d'approche, les agences ne notant plus le risque que l'entité ne rembourse pas mais la solidité d'un produit financier. Ces conflits d'intérêts et ces erreurs techniques ont engendré des conséquences gravissimes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Nous vous remercions pour l'éclairage que vous nous avez apporté. Nous attendons avec grand intérêt les réponses écrites aux questions que nous n'avons pu aborder au cours de cette audition.