Mission commune d'information sur le Mediator

Réunion du 31 mars 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous recevons aujourd'hui M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales et ancien directeur de la sécurité sociale. C'est à ce dernier titre que nous l'auditionnons mais aussi parce qu'il est l'auteur d'un rapport remarqué, paru en septembre 2007, et portant sur l'information des médecins généralistes sur le médicament. Nous lui demanderons si ses propositions ont reçu un accueil favorable du gouvernement et si, depuis, la situation s'est améliorée.

Ouverte à la presse, cette audition fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Notre objectif est de nous interroger sur la politique publique d'évaluation et de contrôle du médicament.

En 1999, la commission de la transparence classe « insuffisant » le service médical rendu (SMR) du Mediator. Le Comité économique des produits de santé (Ceps), sur indication des ministres, diminue le prix des médicaments à SMR insuffisant.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le Ceps a agi sur indication des ministres ou les ministres ont-ils pris la décision sur indication du Ceps ? On peut se poser la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Pour le Mediator, cette baisse s'effectue en trois étapes entre 2000 et 2002. Dans le même temps, la direction de la sécurité sociale, que vous dirigez alors, propose aux ministres une baisse du taux de remboursement du Mediator par note du 24 décembre 2001. Selon le rapport de l'Igas, vous n'obtenez pas de réponse à la nouvelle note du 8 août 2002 qui rappelle le caractère nécessaire de cette baisse compte tenu du montant des dépenses de remboursement de ce produit. Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont contribué à retarder cette baisse ? Y a-t-il eu de tels retards pour d'autres médicaments ? Et comment s'effectue une baisse de remboursement d'une manière générale ?

L'Igas considère que la proposition de déremboursement de 65 à 35% « n'aurait toutefois pas eu de conséquence en matière de prescription et de consommation, contrairement à une décision de déremboursement ». Partagez-vous cet avis ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Je commence par la baisse des prix puisque, avant d'être directeur de la sécurité sociale, j'étais au cabinet de Mme Martine Aubry. La ministre a décidé que tous les médicaments à SMR insuffisant devaient être déremboursés dans un délai de trois ans, mais non immédiatement pour tenir compte des habitudes des patients et des prescripteurs ainsi que des intérêts des industriels. On a donc commencé par diminuer le taux de remboursement des vasodilatateurs et à abaisser certains prix. Ensuite, en 2001, la direction de la sécurité sociale a préparé un passage du remboursement de 65 à 35% pour les médicaments à SMR insuffisant pour lesquels les laboratoires ne feraient pas d'observations. Or, les laboratoires Servier ont fait des observations, ce qui a entraîné une nouvelle réunion de la commission de la transparence à la suite de laquelle, le 24 décembre, la direction de la sécurité sociale a proposé au ministre de faire passer le remboursement du Mediator de 65 % à 35 %. Cette note n'a pas eu de réponse. Une relance de mon adjoint faite en août 2002 non plus. Quand il a pris ma succession, il a encore fait deux rappels sans recevoir davantage de réponse.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quelle appréciation portez-vous sur la complexité et la longueur de la procédure de déremboursement ? Ne concernent-elles que le Mediator ou bien tous les médicaments en général ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

A l'époque, nous n'en étions pas au déremboursement mais seulement au passage du remboursement de 65 % à 35 %. En général, ce passage n'a pas d'incidence sur le volume des ventes parce que les complémentaires prennent ces médicaments en charge à 100 %. Il est vrai que les laboratoires, lorsqu'ils sont procéduriers - et avec Servier, c'était le cas - peuvent se défendre efficacement contre les décisions de l'administration. Avant de faire entrer les nôtres en vigueur, nous étions soumis à un véritable parcours du combattant juridique. Par exemple, certaines de nos décisions sur les vasodilatateurs ont été annulées.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le premier arrêté de Mme Aubry avait été annulé....

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

De lourdes procédures contradictoires nous étaient imposées avant de pouvoir prendre une décision.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Donc, vous aviez eu connaissance du dossier Mediator bien avant d'autres experts.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Le Mediator était un des 835 médicaments à SMR insuffisant. Mais insuffisant ne signifie pas inutile et encore moins dangereux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Comment un médicament insuffisant peut-il être utile ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Lorsque le rapport bénéfice-risque est positif, il obtient l'AMM. C'est une présomption basée sur des études cliniques. Et en France, il y a un deuxième obstacle à la vie du médicament qui est la possibilité de le dérembourser.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Oui, car on a, quand même, depuis déremboursé les 835 médicaments à SMR insuffisant.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

On peut ne pas rembourser un médicament, même s'il a l'AMM, dès lors que la commission de la transparence le considère comme insuffisant. Insuffisant ne veut pas dire inutile puisque l'AMM garantit son utilité. C'était la norme à partir de laquelle nous fonctionnions à l'époque. Nous ne disions pas a fortiori qu'ils étaient dangereux.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

En tant que directeur de la sécurité sociale, disposiez-vous d'éléments sur les prescriptions hors AMM du Mediator ? Et déplorez-vous ces prescriptions hors AMM ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Pour le Vastarel, nous avions des remontées sur ses prescriptions hors AMM et j'avais proposé au ministre de le dérembourser. Ces données venaient du système Doréma, outil informatique dont dispose l'industrie pour suivre l'impact de ses visites médicales et les habitudes de prescription des médecins.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous aviez écrit à la ministre votre « intention de radier le Vastarel de la liste des spécialités remboursables ». Dommage que vous n'ayez pas été suivi...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quelle est, selon vous, l'influence de la visite médicale sur les prescriptions des médecins ? Disposent-ils des outils suffisants pour exercer leurs avis critiques sur les informations délivrées par les laboratoires ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

L'industrie pharmaceutique reste prépondérante dans l'information des généralistes, sauf pour la minorité qui résiste et ne reçoit pas les visiteurs médicaux. Les visites ont une incontestable influence sur les prescriptions ; sinon les laboratoires n'investiraient pas dans ces visites. En 2007, l'effort marketing de ces derniers se montait à 3 milliards d'euros, la visite médicale représentant 25 000 euros par an pour chaque généraliste. Si l'on consacrait seulement le dixième de ces sommes à la formation continue des généralistes, le progrès serait déjà considérable. Les laboratoires consacrent donc une débauche de moyens à la visite médicale. Celle-ci peut être utile quand il est nécessaire de développer l'usage d'un médicament novateur. Mais l'information délivrée par ces visiteurs médicaux est biaisée parce qu'ils sont rémunérés en fonction de leurs résultats en termes de prescriptions et parce que la rivalité entre laboratoires les fait se limiter à déplacer la prescription d'un produit A vers un produit B qui n'est pas meilleur. Il y a là une grande perte de temps, et d'argent pour la collectivité puisque c'est nous qui payons la visite médicale : c'est la collectivité, qui, en fixant le prix des médicaments, octroie aux laboratoires leurs ressources. La visite médicale est donc un mécanisme d'information pervers - puisqu'il n'est pas objectif - et extrêmement coûteux. Mais c'est un mode d'information gratuit, pratique, valorisant et agréable pour le médecin qui, entre ses nombreux malades, reçoit une personne en bonne santé et pleine d'attention à son égard. De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les médecins ne vont pas rechercher ailleurs - par exemple sur les sites de la HAS ou de l'Afssaps - une information plus objective mais plus difficilement accessible. Ils sont une majorité à apprécier l'information des visiteurs médicaux, même s'ils sont conscients qu'elle n'est pas objective. Cette ambivalence tient au fait qu'on se pense toujours capable de résister à une influence marchande. Mais toutes les études montrent l'impossibilité d'un regard critique face à l'argumentation d'un commercial.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Si les médecins avaient 25 000 euros annuels à leur disposition, où iraient-ils se former ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Il est vrai que les pouvoirs publics n'assurent pas cette fonction d'information sur le médicament. Notre rapport proposait que ce soit là une mission claire de la HAS mais nous considérions aussi qu'il fallait aller au-delà de l'information, jusque dans l'univers de la stratégie d'influence des laboratoires. Face à une telle stratégie, un organisme qui ne délivrerait que de l'information pure a perdu d'avance. Nous disions que les pouvoirs publics devaient se donner les moyens d'informer les médecins et, aussi, de développer une stratégie de promotion du bon usage du médicament ; c'est-à-dire que la HAS doit avoir un organisme de veille sur la stratégie des laboratoires. Diffuser l'information, sans se préoccuper des possibilités de son détournement par l'industrie, c'est insuffisant. Je peux citer l'exemple d'un médicament nouveau dont une fiche de bon usage de la HAS avait averti qu'il s'agissait d'un médicament de deuxième intention. La stratégie du laboratoire a été de le faire passer en première intention : des leaders d'opinion sont intervenus dans la presse pour dénoncer la timidité de la HAS et dire que ce médicament méritait d'être prescrit en première intention. La HAS doit donc développer une capacité de veille sur ces stratégies des laboratoires, et y répondre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Vous me faites là une réponse d'ordre général. Mais, concrètement, si je suis médecin, où vais-je me former avec mes 25 000 euros annuels ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

L'information sur le médicament doit provenir du site de la HAS qui doit être complet et ergonomique. Pour la formation continue, une réforme est en cours et je ne sais pas où on en est puisque les décrets ont été bloqués - notamment en ce qui concerne les organismes agréés - après l'affaire du Mediator. Pour moi, la référence, c'est ce que faisait l'assurance maladie. Elle finançait...

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Parce que, avec la réforme, ce n'est plus elle qui gèrera les crédits de la formation conventionnelle. Elle les gèrera de façon tripartite avec l'Etat et la profession. Je ne critique pas ce tripartisme car la formation ne doit pas dépendre que d'un organisme dont l'objectif principal est la maîtrise des dépenses. Dans le dispositif que pilotait la Cnam, les médecins étaient subventionnés pour aller dans des programmes agréés après avis d'un conseil scientifique : c'est une garantie car il ne faut pas se contenter d'agréer des organismes, il faut aussi agréer des programmes, même si c'est une lourde procédure. Comme la réforme a rebattu toutes les cartes et que les décrets ne sont pas encore parus, je ne peux aller plus loin dans l'appréciation de ce que sera l'organisation de la formation. Il faut reconnaître que c'est depuis 1996 qu'on rebat les cartes. La dernière réforme date de la loi HPST, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Dans votre rapport, vous faites sur la visite médicale des propositions un peu différentes de celles qu'avance la députée Catherine Lemorton dans son rapport de 2008. Les délégués de l'assurance maladie (les Dam) visitent les médecins pour tenter de rééquilibrer leur information mais, comme ils sont sous la responsabilité de l'assurance maladie, les médecins considèrent qu'ils ne sont pas indépendants. Vous, vous proposez de ne pas confier à la HAS la totalité de la gestion des Dam mais d'en sous-traiter une partie, sur certains sujets, à l'assurance maladie. Catherine Lemorton propose de transférer tous les Dam à la HAS, tandis que Martin Hirsch, plus radical, veut supprimer toute visite médicale. Que pensez-vous de sa proposition et de celle de Mme Lemorton ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Les Dam sont un moyen de contrer la visite médicale des laboratoires en employant la même méthode qu'eux. Nous n'avions pas proposé de les transférer à la HAS parce que cette structure, nouvelle, ne dispose pas des capacités de management suffisantes pour gérer un tel réseau, et parce que les Dam travaillent en lien étroit avec les médecins conseils de l'assurance maladie. La difficulté est que nous avons d'un côté une industrie pharmaceutique qui promeut la prescription et, d'un autre côté, une assurance maladie qui promeut la restriction de la prescription. Or il ne faut promouvoir ni l'un, ni l'autre ; il faut promouvoir le bon usage des soins. L'actuelle division du travail n'étant pas saine, nous avions proposé un compromis : permettre à la HAS d'utiliser le réseau des Dam pour certaines campagnes thématiques. Cela n'a pas été fait parce que cet organisme n'a pas été doté des moyens, ni chargé de promouvoir le bon usage des soins. Quant à la radicalité de M. Martin Hirsch, je la salue.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Moi aussi. Il m'a dit que cette suppression radicale était possible. Mais cela pose un problème politique. Cela ne peut se faire qu'en transférant les 18 000 visiteurs médicaux vers la HAS ou l'assurance maladie. Aucun ministre ne peut envisager une mesure aussi radicale sans compensation.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Plus prudemment, nous nous étions bornés à dire que les pouvoirs publics devaient programmer le désarmement de la visite médicale. Pour des raisons sociales et humaines évidentes, cela ne peut qu'être étalé dans le temps. Mais pour ce faire, encore faut-il que ce soit une option politique affichée.

Ensuite pour financer cela, nous proposions d'utiliser la taxe sur la promotion. Plus cette promotion est taxée, moins les visites médicales sont rentables et moins il y en aura.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Cette taxe qui existe depuis longtemps n'a pas atteint son objectif et on a restreint son assiette. Il est anormal que la presse médicale n'y soit pas incluse. Je doute de la vertu de cette taxe pour faire diminuer la visite médicale.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

L'assiette de cette taxe a été progressivement érodée. On peut s'interroger... Elle n'est pas dissuasive ? Comme pour toute taxe, son effet dissuasif dépend de son taux. Si ce taux augmente, la visite médicale deviendra moins rentable. Je ne sais pas quel taux serait nécessaire. Il suffit de tester.

Le problème, c'est que l'effort de promotion sera seulement déplacé. Il se déplace déjà des généralistes vers les spécialistes et les hospitaliers, vers les « leaders d'opinion clés » (les Kee Opinion Leaders, les Kol). Dans la presse pharmaceutique on voit déjà la publicité d'agences qui se vantent d'avoir des réseaux de ces leaders d'opinion. Ces agences se constituent des « cheptels » de Kol. Actuellement ces leaders d'opinion sont à l'hôpital. Il convient donc de se poser maintenant la question des visites médicales à l'hôpital. Il faudrait leur appliquer les principes que s'imposent les hôpitaux américains les plus vertueux : pas de visite individuelle ; on reçoit les visiteurs en groupe pour pouvoir opérer des comparaisons et c'est l'équipe médicale entière qui les reçoit. Ils doivent venir sur rendez-vous et sur invitation. Tous les contacts doivent être tracés et documentés. Un visiteur médical n'a rien à faire dans l'hôpital, rien à faire auprès des internes. J'ai la faiblesse de penser que ceux-ci doivent être formés par leurs maîtres, non par ces visiteurs.

Que l'hôpital n'ait pas les moyens d'assurer cette information et cette formation alors que l'industrie pharmaceutique les a, cette idée me choque, parce que c'est nous, c'est la collectivité qui, en fixant le prix des médicaments, fournit à cette industrie ses moyens. L'argent est quelque part et, pour rendre à l'hôpital public ce qui devrait être une politique publique, il faut prendre l'argent là où il est, dans les entreprises privées, et le rendre au public, en diminuant le prix des médicaments. Actuellement, l'hôpital ne finance que 10% de la formation hospitalière ; l'industrie pharmaceutique finance le reste...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

Puisque, dites-vous, la visite médicale ne fait que déplacer la prescription d'un produit vers un autre, globalement, la dépense médicale ne devrait pas augmenter. Les divers laboratoires viennent-ils voir tous les médecins ou bien se partagent-ils le territoire ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

La visite médicale a pour effet de déplacer les marges entre produits similaires mais aussi d'augmenter la prescription. Au total, le marché est globalement soutenu.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Encore une concurrence qui ne fait pas baisser les prix !

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Traditionnellement, l'industrie pharmaceutique corrélait parts de voix et parts de marché. Maintenant, avec les génériques, ce n'est plus aussi simple.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

L'équipe hospitalière, dont vous recommandiez qu'elle reçoive collectivement les visiteurs médicaux, est-elle interdisciplinaire ? Que faire en cas d'essais cliniques ? Et comment un interne pourrait-il contester l'avis de son chef de service ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Cela signifie seulement qu'il ne doit pas y avoir de relations individuelles. Dans un staff hospitalier il y a des praticiens capables de discuter des vertus d'un médicament avec le chef de service. J'ajoute qu'il est bon de joindre les pharmaciens à l'équipe qui reçoit les visiteurs. Si un essai clinique est en cours, il faut bien sûr en tenir compte. L'important, c'est que la décision soit collective et transparente, afin d'éliminer tout conflit d'intérêt. C'est ce qui se pratique dans les hôpitaux américains qui ont décidé de se doter d'une charte déontologique fondée sur ces principes. Tout le monde y gagnerait du temps et l'assurance maladie y gagnerait de l'argent.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le rôle du visiteur médical est, souvent de déplacer la prescription vers des médicaments nouveaux, plus chers mais pas meilleurs, au détriment des génériques. Depuis que les statines sont génériquées, la prescription se déplace vers celles qui ne le sont pas encore. La visite médicale incite à prescrire des princeps, beaucoup plus chers. Plutôt que de se ruiner à envoyer des Dam auprès des médecins, mieux vaudrait agir à la source en évitant de mettre sur le marché ces médicaments et, si on les y met, en leur fixant un prix inférieur à celui des produits existants. Or, ce n'est pas du tout la politique actuelle. Au motif de ne pas mécontenter tel ou tel laboratoire, on accorde à chacun d'eux le droit d'avoir sa statine. Chacun a obtenu satisfaction, ce qui a abouti à augmenter la consommation, à augmenter les dépenses de la sécurité sociale et à renforcer la compétition entre laboratoires sans aucun effet bénéfique sur la santé publique. La Nouvelle-Zélande ne compte que deux statines - au lieu de sept - et l'on n'y connaît pas plus de complications cardiovasculaires qu'en France.

Maintenez-vous les positions de votre rapport à ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Depuis la parution de mon rapport, la situation est devenue encore plus ubuesque, avec les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi), promus par la Cnam et auxquels ont adhéré 15 000 médecins. On leur impose de prescrire dans le « répertoire » la liste des princeps et de leurs génériques. Les médicaments qui n'ont pas de génériques sont hors répertoire. Les princeps non génériqués augmentent leurs parts de marché, du fait de la visite médicale. Maintenant, donc, d'un côté on laisse se développer la visite médicale et, de l'autre, l'assurance maladie paye des Dam pour vendre des CAPI aux médecins, et elle paye ceux-ci pour résister à cette visite médicale ! C'est Ubu ! Et ce n'est possible qu'à cause de l'existence de deux centres d'impulsion : le ministère et l'assurance maladie.

Les Allemands, eux pratiquent le jumbo class : en cas de médicaments équivalents, ils les remboursent sur la base du moins cher ; automatiquement, tous les laboratoires s'alignent sur ce prix remboursé.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

L'encouragement à la consommation de génériques a suscité des concurrences entre nombre de ces génériques, non indispensables, et certains excipients posent problème.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Normalement, les génériques sont bioéquivalents ; et je crains que cette histoire d'excipient ne soit une propagande anti-générique. Si un jour, il y a un problème d'excipient, on le traitera mais ce n'est pas, actuellement, le problème de sécurité sanitaire qui, dans notre pays, m'inquiète le plus.

La concurrence entre génériques vient de ce que le prix est administré. Le prix des génériques est de 45 % du princeps mais leur coût de production pouvant n'en être que de 20 %, les marges sont parfois énormes et tous les génériqueurs se jettent dans un concurrence qui ne profite pas à l'assurance maladie mais aux pharmaciens. Avec un plafond de remise limité à 17 %, ces derniers font jouer la concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le Gouvernement en est un peu responsable. On a donné aux pharmaciens un rôle qu'ils n'auraient pas eu si la prescription s'était faite en DCI (dénomination commune internationale). Maintenant, il serait difficile de leur retirer ce rôle.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Pour que cette concurrence entre génériques profite à l'assurance maladie et non plus aux pharmaciens, la Cnam a proposé de faire des appels d'offres à tous les laboratoires du monde pour les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), la HAS ayant établi que génériques et princeps étaient tous équivalents. Elle choisirait deux ou trois fabricants, pour ne pas avoir de rupture d'approvisionnement ; ils auraient l'exclusivité du remboursement en France. On aurait ces IPP au meilleur prix et, en plus, cela aurait l'avantage de faciliter le travail de l'Afssaps qui aurait moins d'entreprises à contrôler. Il faut étudier cette proposition de la Cnam. Je ferais cependant une réserve pour les statines dont la HAS a établi qu'elles n'étaient pas toutes équivalentes. Je m'en tiens à ce que dit la science...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous considérez donc que la charte de qualité de la visite médicale et les limitations imposées par le Ceps ont échoué ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

En 2007, nous disions que cette charte ne servirait à rien. En 2009 la HAS a confirmé notre intuition : ce n'était qu'une typique proposition d'autorégulation destinée à éviter la régulation.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Et la limitation du nombre de visites par classe de médicament ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

C'était dans la charte, cela a été abandonné.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Et les reversements destinés à limiter les prescriptions, par convention entre les laboratoires et le Ceps, sont-ils efficaces ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

C'est la clause de sauvegarde. C'est un outil très faible, et c'est un outil à un coup puisque chaque année la base de départ est celle du dépassement de l'année précédente. Il s'agit d'un élément du compromis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je l'avais critiqué au Sénat et n'avais pas toujours été compris.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Cela ramène un peu d'argent, c'est une petite mesure comptable mais ce n'est pas une mesure fondamentale de régulation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

Il existe une commission des médicaments dans tous les établissements hospitaliers publics, qui mène une politique de gestion maîtrisée, notamment par le biais de groupements d'achats.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Le médicament étant déjà géré à l'hôpital, ce que je propose devrait instaurer naturellement une véritable discipline à l'égard des visiteurs médicaux. Les prises de position ne seraient pas influencées par la relation, la déontologie pourrait conforter la gestion du médicament à l'hôpital public.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous proposez de réactiver l'Observatoire national des prescriptions et des consommations. Pourtant, M. Bouvenot, qui en a été le premier président, a estimé, lorsque nous l'avons auditionné, que « cet observatoire devient suranné dès lors que l'assurance maladie, qui effectue notamment des enquêtes régionales, met à disposition l'ensemble de ses données : il semble qu'elle prenne cette orientation. Désormais, le problème essentiel réside plutôt dans leur exploitation ». Pensez-vous qu'on aurait obtenu des résultats différents sur le Mediator, et la loi de 1991 sur la codification des pathologies est-elle appliquée ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Non ! Les débats n'ont jamais abouti. Rapprocher prescriptions et codage des pathologies donnerait un outil plus performant, mais il faut que ce soit acceptable par les généralistes. Depuis 1993, les sociétés savantes de généralistes ont progressé sur ce point. Je pense que cette question pourrait être réactivée. L'observatoire des prescriptions aurait plus de moyens que dans les années 2000 : on dispose de plus d'informations. Que la HAS fasse régulièrement le point par aire et par classe thérapeutique sur les comportements des prescriptions me paraîtrait utile (les rapports des années 2000 ont fait progresser les connaissances) et permettrait de promouvoir le bon usage grâce à la surveillance du marché. En effet, la politique de communication de l'HAS est indexée sur l'actualité, alors que le Mediator remonte à plusieurs dizaines d'années.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

La HAS devrait-elle être l'émetteur unique des recommandations sur le médicament ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

C'est ce qu'a dit le législateur, sauf pour les alertes sanitaires. Mais l'Afssaps veut continuer... Notre démarche doit partir des médecins généralistes, qui ont besoin d'un émetteur officiel d'information. Nous avons besoin d'un outil ergonomique pour une information officielle adaptée.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Ce serait revenir sur la loi de 2004. J'ai été sensible à la théorie du double rempart, l'Afssaps et la HAS. Celle-ci peut intervenir pour correction quand celle-là se tient tenue par les autorisations de mise sur le marché, notamment européennes. C'est devenu un enjeu important, compte tenu de l'actualité et je vois mieux qu'à l'époque l'intérêt d'un autre lieu d'expertise, d'un double rempart. J'avais consacré une annexe de mon rapport aux glitazones.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'était prémonitoire... On en a retiré une, en attendant la suite...

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

On ne savait pas ce qu'il en était à l'époque : Prescrire les excluait quand le Quotidien du médecin publiait des pages de publicité pour Aventis. Selon les recommandations officielles, on pouvait en prescrire en deuxième ou troisième intention malgré de moindres évaluations et un risque vasculaire. Quand vous interrogez l'Afssaps, elle explique qu'elle « transmet ses incertitudes » aux généralistes, lesquels ne peuvent aller plus loin que les experts. Elle se sent surtout tenue par les autorisations de mise sur le marché qu'elle a donnée, d'où ces recommandations en forme de communiqués de l'Onu. La HAS peut alors former un deuxième rempart. Je dis non à la fusion.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous dites donc non à la fusion. Un mot, si vous le voulez bien, des hospitalités, c'est-à-dire du financement de tout ou partie d'une manifestation dans le domaine de la santé et de l'accueil de participants, ainsi que de la loi anti-cadeaux de 1993. Le contrôle, qui incombe au Conseil de l'Ordre, laisse à désirer. Quelles mesures peut-on prendre et une autre instance peut-elle s'en charger ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

La jurisprudence du Conseil de l'Ordre ne nous était pas apparue très claire. La transparence, voilà l'essentiel à mettre en place, grâce à une transposition du Sunshine Act. Il importe que les laboratoires déclarent, que l'on contrôle les procédures, que tout cela soit centralisé et rendu public. Je crois que c'est l'esprit d'un article de la loi Fourcade, à cette réserve qu'il faut renvoyer cela au ministre de la santé pour rendre public « qui touche quoi », et non au Conseil.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

C'est une mission de service public.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Il n'a pas les moyens d'assurer la transparence. Aux Etats-Unis, tout est retracé : les avantages, l'hospitalité, les rémunérations, les conférences et les expertises. C'est essentiel à l'égard des leaders d'opinion.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

La transparence doit être la règle.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Bien sûr, et aussi des économistes de la santé - et des politiques. Ne stigmatisons pas les médecins.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Recommanderiez-vous de recentraliser la politique du médicament au ministère de la santé ? Certes, l'Afssaps a plus de moyens, mais il s'agit d'une mission régalienne.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

En termes fonctionnels, une agence dispose de plus de moyens, en termes politiques, réintroduire le ministre dans le processus, je ne vois pas l'intérêt. Cela n'aurait rien changé dans l'affaire du Mediator, le risque aurait été de jeter le soupçon sur la classe politique. La décision ne doit être prise que pour des raisons de santé publique ; le principe n'est pas remis en cause ; nul besoin, donc, d'accroître la confusion. Le directeur général de l'Afssaps doit, il y va de sa responsabilité, retirer un médicament dès que le rapport bénéfice-risque devient négatif. Les politiques, quant à eux, ont à assumer un rôle d'un autre ordre : fixer la règle.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Que pensez-vous de la proposition de M. Xavier Bertrand de retirer au ministre l'inscription des médicaments sur les produits à rembourser ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

L'enjeu de l'asymétrie établie par la loi entre le directeur de la Cnam pour les actes et le ministre de la santé pour les médicaments est l'homéopathie, qui relève de la tradition...

Le ministre doit organiser la prise de décision, mais ne peut prendre une décision d'ordre scientifique.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Le prix des médicaments ne se négocient pas ainsi : il est fixé par un Comité économique des produits de santé (Ceps). Puisqu'on a évoqué l'ASMR 5 de médicaments nouveaux, et plus chers, je puis dire que je n'ai jamais - quand j'étais représenté au Ceps - et que le directeur de la sécurité sociale n'a jamais fixé un ASMR 5 à un prix supérieur. Demandez des explications au Ceps. Je me rappelle que toute la complexité tient à la détermination du bon comparateur.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

N'est-ce pas la commission de la transparence qui compare ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

On peut par exemple débattre du dosage le plus proche. Si j'entends vos critiques, je n'ai pas le sentiment d'avoir toléré de telles pratiques et mon successeur pas plus que moi. Que l'on vide cette querelle en posant la totalité du problème ! Ce dossier doit être instruit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

On ne m'a jamais donné le montant des économies réalisées.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Une ASMR 5 est toujours fixée en-dessous du comparateur de référence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Une note de la sécurité sociale explique pourtant que l'augmentation des remboursements résulte pour moitié de médicaments nouveaux à ASMR 5.

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Il faut purger la question.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le directeur général de l'assurance maladie est très gêné ; le Ceps est placé sous la tutelle du ministre ; il y a les intérêts des patients et aussi ceux des industriels. Quel est le bon comparateur ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale

Le Ceps, qui se renvoie la balle du comparateur avec la Cnam, vous doit une réponse car cela fait peser des suspicions...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il nous faudrait plus de temps, mais nous avons déjà beaucoup prolongé cette audition, dont je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous avons souhaité entendre M. Louis-Charles Viossat, inspecteur général des affaires sociales, parce qu'il a été directeur de cabinet de M. Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées de 2002 à 2004, que nous avons déjà reçu.

Cette audition, qui est publique et ouverte, sera diffusée sur le site du Sénat et sur Public Sénat.

Vous n'êtes plus, je crois, dans la fonction publique ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Membre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) depuis 1992, j'ai été mis à la disposition du ministère des affaires étrangères et ambassadeur de 2007 à 2009. Je suis actuellement en disponibilité et j'exerce les fonctions de directeur des affaires gouvernementales pour l'Europe d'Abbott, un groupe qui produit des traitements, des dispositifs médicaux et des spécialités pharmaceutiques.

Lorsque Jean-François Mattei m'a proposé de diriger son cabinet en 2002, j'avais passé trois ans à la Banque mondiale, aux Etats-Unis, avant de rejoindre la filiale française du laboratoire pharmaceutique américain, Lilly.

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

J'ai demandé à l'époque au ministre d'être déchargé des décisions concernant les médicaments. Ces questions ont été traitées par Jacques de Tournemire, conseiller technique chargé du médicament, et par le ministre lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Auriez-vous pu être membre du cabinet du ministre actuel qui a fixé des règles très strictes en ce qui concerne les liens d'intérêt ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Je ne me suis pas posé la question. J'avais demandé à ne pas traiter ces questions, à être déchargé des relations avec les laboratoires pharmaceutiques pour éviter toute suspicion et garantir l'impartialité des décisions du ministre. Cela a été suffisant. Au cours de cette période, je n'ai donc jamais été informé ni saisi de la moindre question concernant le Mediator.

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Les décisions relatives au remboursement relevaient aussi du conseiller en charge du médicament. Je tiens à souligner à ce sujet que la baisse du taux de remboursement et le déremboursement pour service médical rendu insuffisant ne constituent pas une réponse adaptée lorsque la sécurité sanitaire des patients est en jeu. Dans ce genre de situation, la seule réponse valables est l'arrêt de la commercialisation du produit suspect, une décision qui relève soit du laboratoire soit de l'Afssaps.

Pourquoi le taux de remboursement n'a-t-il pas été abaissé entre 2002 et 2004 ? Je n'ai pas d'élément à ajouter à ce que Jacques de Tournemire vous a déjà dit. Le rapport de l'Igas décrit très bien la politique de déremboursement en trois phases, imaginée par M. Mattei. Selon ce schéma, le Mediator, à propos duquel rien n'avait été signalé sur le plan sanitaire, faisait partie de la troisième vague. La complexité de la procédure de déremboursement résultait de décisions du Conseil d'Etat rendues notamment à la requête des laboratoires Servier. Dans ce contexte, Jacques de Tournemire a, à mes yeux, bien fait son travail.

Le ministre se préoccupait de renforcer la sécurité sanitaire. L'Afssaps était alors en phase de construction. Aussi avons-nous cherché à la renforcer en nous appuyant notamment sur les préconisations des rapports d'audits de l'Igas et de l'IGF. Un rapport d'information du Sénat a souligné par la suite le travail accompli dans le domaine de la pharmacovigilance.

Que faire pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ? Nous devons bien entendu attendre les conclusions et les recommandations des travaux d'expertise en cours. Mais les réformes envisagées devront prendre en compte avant tout l'intérêt du patient - j'ai une pensée pour les familles qui ont perdu un des leurs ou pour ceux qui craignent aujourd'hui pour leur santé. Il est clair que nous devons ensuite tenir compte de la réalité européenne et de la réglementation de l'Union dans le domaine du médicament. De nombreuses réformes sont en cours au niveau de l'Union européenne mais aussi dans certains Etats membres, dont il est possible de s'inspirer. Elles portent tantôt sur l'expertise, tantôt sur la réévaluation de la balance bénéfice-risque, le suivi post-AMM ou encore sur le remboursement. Soyons attentifs au réalisme des solutions : méfions-nous des solutions miracles ! Mieux vaut d'abord améliorer la gestion interne de l'Afssaps ; confrontée, comme les autres agences, à une croissance rapide, elle a besoin de financements adéquats et pérennes. Nous devons ensuite réévaluer le rôle, le statut et la rémunération des experts. Il convient encore de renforcer le rôle des lanceurs d'alerte et de mieux prendre en compte à l'avenir les signalements spontanés y compris les signaux faibles. Il faut aussi être plus strict dans la détection contre les conflits d'intérêts, poursuivre dans le sens des progrès déjà accomplis tout en continuant à attirer les meilleurs experts. Nous devons en outre accroître la transparence en faisant connaître les opinions dissidentes, en rendant les auditions publiques, en révélant les subventions de l'industrie aux associations de patients ou de professionnels de santé, dans l'esprit du Sunshine Act. Il s'agit enfin de former et d'informer : de former les médecins à la prescription et d'informer les patients et l'opinion publique sur le bon usage des médicaments.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Sachez que nous avons appris, à notre grande surprise, que le Sunshine Act n'oblige pas les laboratoires à rendre publics les liens d'intérêts avec les associations. Nous sommes donc en avance sur ce point, en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Plutôt que de vous interroger sur le Mediator, je vous demanderai si, à votre avis, il faut recentraliser cette mission régalienne qu'est la sécurité sanitaire ou en laisser la charge à une agence.

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

La création d'une telle agence, en France, a marqué un progrès significatif. On série ainsi clairement les responsabilités tout en professionnalisant la fonction et en évitant les interférences.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

N'y a-t-il pas de professionnels dans une administration centrale ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

C'est une affaire de moyens. L'ancienne DPHM (Direction de la pharmacie et du médicament) n'aurait jamais eu les moyens de l'Afssaps. Tous les Etats européens ont créé des agences ; le seul contre-exemple doit être la Belgique. Je vois plus d'inconvénients à un retour au statu quo ante qu'à une amélioration du fonctionnement de l'Agence existante.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Que pensez-vous de la proposition du rapport Debré-Even sur la création d'une commission indépendante des contrôles et de la méthodologie d'évaluation des essais cliniques ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Je n'ai pas encore lu ce rapport. Ce qui compte, c'est que le travail de l'Agence soit bien fait, pour le reste, je ne crois pas en l'efficacité du Meccano institutionnel : il ne modifie pas fondamentalement les choses.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

La Commission européenne propose de donner aux laboratoires pharmaceutiques la possibilité de communiquer au grand public des informations sur les médicaments, sans que cela puisse être considérer comme de la publicité. Ne considérez-vous pas que l'Etat doit être le seul à produire de l'information sur les médicaments ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Vous faites allusion au projet de directive sur l'information des patients inclus dans le « paquet » pharmaceutique. C'en est d'ailleurs le point le plus discuté de tous bords et la présidence espagnole a présenté un nouveau projet que le Parlement européen a amendé. Cela reste encore flou. Il y a une multiplicité de sources d'informations, qu'il convient d'organiser.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

J'ai été agréablement surprise de vos préconisations. L'on doit être à l'écoute des lanceurs d'alerte, qu'on a refusé de prendre en compte pour le Mediator, et être sensible aux signaux faibles, dites-vous, mais selon quel protocole et par quelles méthodes ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Cela dépend d'abord de la législation européenne. La directive sur la pharmacovigilance, qui sera transposée en 2012, constitue un élément de réponse. Le développement de la base de données européenne Eudravigilance permettra de relayer davantage les informations ; elle sera d'autant plus utile que les médicaments ne sont pas commercialisés partout, et que les éléments d'information à cet égard sont rares et anciens. Grâce à un portail Internet, les patients pourront également signaler les problèmes qu'ils rencontrent. L'on gagnera aussi à associer aux dispositifs de pharmacovigilance des personnes qui ne le sont pas aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Les études post-AMM sont aujourd'hui financées par l'industrie. Ne devraient-elles pas l'être sur fonds publics ?

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Cela représente 15 % des dépenses de recherche et développement des laboratoires. Faut-il faire évoluer les sources de financement ? Aux Etats et aux laboratoires de s'entendre si, par exemple, les exigences en matière d'études vont croissant.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Sur 120 études post-AMM demandées depuis 2004, 20 à 25 sont terminées... La moitié n'est même pas commencée.

Debut de section - Permalien
Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

Leur nombre va augmenter dans le cadre des plans de gestion des risques mis en place par l'Agence européenne du médicament et, si les exigences s'accroissent, il ne serait pas illogique qu'il y ait des partenariats. Libre à chaque Etat de retenir un mode de financement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Au moment d'ouvrir l'audition de MM. Daniel Vittecoq et Jean-François Bergmann, président et vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de l'Afssaps, je rappelle qu'elle est publique et ouverte à la presse et qu'elle donnera lieu à une diffusion sur le site du Sénat ainsi que sur Public Sénat.

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Ma déclaration publique d'intérêts figure sur le site de l'Afssaps.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Celle que j'ai consultée date du 1er octobre 2009. J'y lis l'acronyme de GlaxoSmithKline, laboratoire bien connu.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

J'actualise très régulièrement ma déclaration de liens d'intérêts - je l'ai encore fait il y a deux ou trois mois. Tous les membres de la commission le font chaque année et nous sommes également tenus de déclarer tout nouveau lien d'intérêts.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ce que je constate, c'est que celle figurant sur le site de l'Afssaps date du 1er octobre 2009 et qu'elle fait apparaître un lien d'intérêts.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Effectivement, j'avais alors participé à une étude épidémiologique, mais ce n'était pas un lien d'intérêts majeur.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Le site de l'Afssaps fait apparaître les déclarations d'intérêts une fois seulement publié le rapport de l'année : celui de 2010 ne l'est pas encore, ce qui explique le décalage dans le temps. J'ai avec moi les déclarations d'intérêts de tous les membres de la commission à la date de sa dernière réunion : les intérêts ne sont pas majeurs, dans la hiérarchie établie par l'Afssaps.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Votre propre déclaration du 11 décembre 2009 fait apparaître un lien avec Sanofi-Aventis, sous la forme d'une rémunération personnelle : ce lien d'intérêts est-il mineur ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Oui.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Que faut-il donc, pour qu'un intérêt soit qualifié de majeur ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Il faut avoir des parts dans un laboratoire, ou faire partie de son conseil d'administration, intervenir dans la décision. Les liens que j'entretiens avec Sanofi-Aventis tiennent à une étude thérapeutique internationale auprès de 9 000 patients, destinée à la prévention de la mortalité en médecine interne. Je me suis battu pour que cette étude soit réalisée et je suis fier de faire partie de son comité scientifique de suivi. Les résultats de cette étude seront présentés prochainement lors d'un congrès pharmacologique à Kyoto et je ne peux compter ni sur l'Afssaps, ni sur l'AP-HP, ni encore sur mon université pour m'envoyer à ce congrès.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Tandis que vous pouvez compter sur l'industrie pharmaceutique et que vous acceptez même son invitation !

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Oui, je n'ai guère d'autre choix... C'est nécessaire à la recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Mais comment donc font les autres disciplines ? Par exemple les sociologues ou les philosophes, pour se réunir en congrès ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Ils comptent sur les éditeurs...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Vous-mêmes quand vous vous déplacez pour le Sénat, c'est bien le Sénat qui paie votre voyage...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Oui, parce que je suis sénateur. Vous-même, avant d'être employé par l'industrie pharmaceutique, vous êtes professeur d'université et salarié de l'hôpital : tout comme le Sénat paie mes voyages professionnels, ce devrait être à votre université ou à l'AP-HP de vous défrayer, mais en l'occurrence, c'est l'industrie pharmaceutique ! Un groupe agroalimentaire m'a récemment invité à visiter la plus grande fabrique de chocolat du monde, à La Haye, j'ai refusé d'y aller, même si certains de mes collègues ont fait le voyage, parce que j'ai estimé qu'il y avait un conflit d'intérêts.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

L'université nous fait obligation de faire de la recherche, qui entre dans notre évaluation en points, mais elle ne nous en donne pas les moyens. Je serais ravi que mon université ou l'AP-HP finance l'essai thérapeutique international auquel je suis associé, mais cela n'a pas été possible et je n'avais pas d'autre choix que de me tourner vers l'industrie pharmaceutique, en l'occurrence Sanofi-Aventis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je ne vois aucune objection à ce que vous participiez aux essais financés par Sanofi-Aventis et que vous en fassiez bon usage. Le problème vient simplement du fait que vous participiez également à la commission chargée d'autoriser la mise sur le marché de médicaments produits par le même laboratoire pharmaceutique. Le règlement de l'Afssaps est très clair, contre les conflits d'intérêts. Or, ce que je constate, c'est que les quatorze membres de votre commission qui ont des liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis, ont pris part à des décisions sur des médicaments fabriqués par ce même laboratoire : c'est violer le règlement de l'Afssaps, voilà où est le problème ! C'est arrivé en septembre 2010.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Je peux témoigner qu'à chaque fois qu'une décision a concerné Sanofi-Aventis, M. Bergmann est sorti de la salle.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

J'ai devant moi le compte rendu de la réunion du 9 septembre 2010, il n'est nulle part indiqué que M. Bergmann soit sorti, alors que le sort de médicaments de Sanofi-Aventis comme le Lovenox ou le Maalox a été décidé. Le seul qui soit sorti, c'est M. Jean-Roger Claude, en raison d'un conflit d'intérêts important sur le dossier du Bufexamac.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Je dois préciser ici que les comptes rendus de réunion n'étaient pas aussi détaillés qu'aujourd'hui, en particulier sur les « sorties de salle ». Ce n'est que depuis cette année que nous publions un véritable verbatim de nos réunions. Mais cela n'enlève rien à l'information que je vous ai donnée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous reconnaissez cependant que, le 9 septembre 2010, votre règlement n'a pas été respecté ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Non, je n'ai pas avec moi le détail des « sorties de salle », qui n'étaient pas portées alors au compte rendu.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Nous avons changé notre procédure et désormais, tous les membres de la commission qui ont un conflit d'intérêts majeur sont prévenus à l'avance des dossiers lors de l'examen desquels ils devront sortir de la salle. Il faut savoir aussi que les médicaments peuvent être examinés par groupes, par exemple les antitussifs, et qu'il s'agit parfois de changer une ligne au registre des caractéristiques du produit (RCP). Et si nous devons sortir systématiquement quand nous avons un lien d'intérêts avec un laboratoire, pourquoi ne devrions-nous pas aussi sortir quand il s'agit d'un concurrent de ce laboratoire ? A ce jeu, nous sortirions tous à tout moment...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

N'apportez-vous pas ici la preuve que le système actuel ne peut pas fonctionner ? Pourquoi ne pas plutôt faire de l'absence de tout lien d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, une condition de participation à la commission d'autorisation de mise sur le marché ? Ce serait plus clair !

Ensuite, nous avons appris incidemment que le Leem, c'est-à-dire le syndicat professionnel des entreprises du médicament, était systématiquement présent aux réunions de la commission d'autorisation de mise sur le marché. Ici encore, la réglementation n'était pas respectée : cela ne vous posait pas un problème ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Personnellement, si, et je m'en suis ouvert au directeur général de l'Afssaps.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

De fait, le Leem avait le statut d'invité permanent lorsque je suis arrivé à la tête de la commission, et je m'en suis inquiété auprès du directeur général de l'époque.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Rien, dans le règlement de votre commission, n'autorise une telle présence, et votre règlement ne comporte nulle trace d'un statut d'invité permanent ! L'article 4-7 précise quelles personnes non-membres de la commission peuvent participer à ses réunions. Outre les évaluateurs, qui peuvent y assister en tant que de besoin, cet article dispose que toute autre présence devra être dûment autorisée, en particulier par le président de la commission. Et j'y lis encore ceci : « Exceptionnellement, des personnes extérieures à l'Afssaps, notamment des stagiaires, pourront assister en nombre restreint à une séance de la commission avec l'accord préalable du directeur de la DEMEB et du président de la commission. Il sera fait état de la présence de ces personnes en début de séance afin de s'assurer qu'elle ne suscite pas d'objection de la part des membres de la commission. Ces personnes signent un engagement de confidentialité avant la séance. »

Etait-ce le cas avec le Leem ? Assurément non ! C'est donc que cet article de votre règlement intérieur n'a pas été respecté ! L'Igas a dit vrai, dans son rapport, en parlant d'une « coproduction » de la politique du médicament entre les industriels et les experts ! Il faudrait peut-être mettre fin à de telles pratiques si l'on veut rétablir la confiance de nos concitoyens dans leurs autorités de santé !

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

En 2003, je m'en étais inquiété auprès du directeur général de l'époque, M. Philippe Duneton, j'ai recommencé auprès de son successeur, M. Jean Marimbert. On m'a opposé des raisons techniques, en m'affirmant que cette présence était un gage d'efficacité pour mieux répercuter les décisions de l'Agence auprès des industriels. Je n'avais guère de moyens de m'y opposer, sauf à démissionner, mais cette présence du Leem ne m'est pas apparue nocive à ce point et j'avais obtenu que les membres de la commission sortent de la salle en cas de conflit d'intérêts. Le nouveau directeur général, M. Dominique Maraninchi, a accepté de mettre fin à la présence du Leem, c'est une bonne chose.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Etiez-vous convaincu par les motifs qu'on vous présentait pour justifier la présence des représentants du Leem ?

M. Daniel Vittecoq. - Non.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Je crois entendre vos sous-entendus, monsieur le président...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Que nous serions des vendus, des pourris...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Une certaine presse l'a dit et des parlementaires lui ont emboîté le pas ! Quoi qu'il en soit, je veux préciser que le Leem n'a jamais pris part à nos débats et que sa présence répondait à un souci d'efficacité pour l'Afssaps elle-même, s'agissant de faciliter certaines démarches réglementaires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous est-il venu à l'idée, par exemple, d'inviter à votre commission des associations de malades ? Cela est-il arrivé ? Ceci même occasionnellement, je ne parle pas, bien sûr, de ce « statut d'invité permanent » que vous réserviez aux laboratoires...

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Les associations de malades n'ont jamais participé à notre commission, je le regrette et mon combat de longue date pour faire prendre en compte leur point de vue, atteste de ma bonne foi. Je crois que vous surestimez notre pouvoir d'influence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Non, je vous reproche seulement de ne pas avoir bien appliqué la réglementation ! Je ne mets pas en doute votre intégrité, je constate seulement que vous n'appliquiez pas l'article de votre règlement intérieur relatif à la participation à vos réunions. Comme sénateur, il est de mon devoir de contrôler l'action de l'administration !

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Je peux témoigner de ce que M. Vittecoq s'est engagé de longue date pour faire connaître le point de vue des patients ! Vous paraissez méconnaître nos conditions d'intervention. Savez-vous que nous sommes parfaitement bénévoles ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Si nous participons aux travaux de l'Afssaps, ce n'est pas pour l'argent, mais uniquement parce que nous croyons à l'évaluation, à la santé publique. Pourquoi croyez-vous que nous acceptons de lire le dimanche des rapports de 900 pages et de passer des matinées en réunion ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Nous faisons bénévolement tout ce travail en plus de nos fonctions de recherche et d'enseignement, alors acceptez que nous ne connaissions pas dans le détail toute la réglementation relative à l'Afssaps !

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Remplissez-vous ces fonctions bénévoles à côté, ou bien sur votre temps de travail ? Ensuite, je ne vous parlais que du règlement intérieur de votre commission, pas de toute la réglementation relative à l'Afssaps.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Notre participation aux réunions elles-mêmes compte sur notre temps de travail, au titre de nos missions de pharmacovigilance, mais pas le travail préparatoire, qui est souvent très important.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Vous nous dites que le Leem était présent en permanence, que ses représentants ne participaient pas au débat de fond mais qu'ils n'étaient pas muets non plus. Ces représentants, étaient-ils toujours les mêmes ? Combien étaient-ils ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Il y avait deux représentants, toujours les mêmes. Ils n'intervenaient pas sur le fond, mais sur des questions réglementaires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

S'ils étaient là, vous ne leur refusiez pas non plus la parole...

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Cependant, lorsqu'une décision devait être prise en équité, je leur demandais de sortir de la salle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

Comment votre commission décide-t-elle son avis ? Par un vote à main levée ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Les groupes de travail examinent les rapports, souvent volumineux, y compris l'évaluation interne et les expertises externes. La décision elle-même est généralement consensuelle, mais on vote à main levée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Sous les yeux, donc, des représentants des laboratoires pharmaceutiques !

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Sur certaines questions sensibles, nous votons par écrit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le proposez-vous systématiquement, pour le cas où l'un des membres de la commission le souhaiterait ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Pourquoi est-il si facile d'obtenir une AMM - accordée dans 95 % des cas - et si difficile de la retirer ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Pourquoi est-il si difficile de retirer une AMM ? C'est notre douleur... Je dirais qu'il y a d'abord le risque contentieux, que le laboratoire se retourne contre la décision de retrait, c'est arrivé récemment.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Le risque est bien réel, les laboratoires recourent à des avocats très avisés et puissants. Il est certain que, plus les procédures seront transparentes, plus nous gagnerons en capacité d'action.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Il faut distinguer entre les années 1970-80, où l'obtention d'une AMM était sans difficulté pour les laboratoires, du fait d'un contrôle sanitaire insuffisant, les années quatre-vingt-dix, où l'AMM a fait l'objet de règles nationales strictes, et la période actuelle, où l'AMM est devenue européenne et d'obtention moins contraignante que sous l'empire des règles nationales. De fait, les règles européennes sont plus souples et il suffit que la majorité des Vingt-Sept valide, pour que l'AMM vaille en France, alors même que nous ne l'aurions pas accordée en appliquant nos critères nationaux. Or, certains de nos voisins ne sont pas aussi stricts que nous, pour des raisons diverses. Aux Pays-Bas, par exemple, l'Autorité de santé est plus souple, mais parce qu'elle sait pouvoir compter sur la prudence des médecins hollandais.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Les médecins hollandais seraient plus prudents que les médecins français ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Non, c'est plutôt qu'ils auraient moins tendance à prendre une AMM pour une recommandation... En Europe orientale, la souplesse tient à ce qu'on ne veut pas donner l'impression d'être en retard dans la pharmacopée, même si l'on sait pertinemment que l'assurance maladie ne remboursera pas les nouveaux médicaments autorisés.

Pour retirer une AMM, il faut des éléments nouveaux, qui démontrent une moindre efficacité que prévu, ou encore une nocivité qui apparaîtrait. Mais pour établir ces éléments, il faut des études précises, et les laboratoires ne se précipitent pas toujours pour réaliser ces études, alors qu'ils sont les seuls à disposer des ressources nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Si vous disposiez de plus de moyens, réaliseriez-vous ce type d'études ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Bien sûr, même si, évidemment, l'efficacité du système dépend de la pharmacovigilance. Il faut pouvoir identifier les liens de causalité, chercher là où l'on a une chance de trouver, l'arbitrage entre priorités est essentiel. On l'a vu par exemple avec les statines : une seule a été retirée du marché, parce qu'elle avait un effet musculaire plus important que les autres - encore fallait-il bien l'identifier. Or, notre système de recueil des effets indésirables est encore bien trop poreux pour que la collecte soit efficace sur ce plan.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions l'AMM du Mediator a été délivrée aux laboratoires Servier ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

C'était en 1974, autant dire sinon dans le désert, du moins dans la brousse...

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Effectivement, nous n'étions guère organisés... Cependant, les autorités sanitaires n'ont pas rien fait puisqu'elles ont demandé des études post-AMM en 2000, alors que le risque de valvulopathie n'était pas identifié. Mais l'étude a démarré tardivement et elle n'a livré ses résultats qu'en 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est particulièrement long, en effet ! D'autres études post-AMM sont bien plus diligentes !

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Certes, mais il faut réaliser aussi que le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) n'avait pas identifié le risque de valvulopathie.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Pas dans le cas du Mediator. Les experts ne peuvent être tenus pour responsables de tout, il faut prendre en compte les outils dont nous disposions !

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

L'efficacité des laboratoires force l'admiration... J'aimerais pouvoir en dire autant des autorités de santé...

M. Daniel Vittecoq. - Je ne vois pas en quoi un laboratoire qui traîne à faire une étude qu'on lui demande, force l'admiration... Ensuite, je crois que, si les effets indésirables avaient été mieux collectés, en particulier par les médecins, il aurait été plus facile d'y voir clair.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ce qui est admirable de la part de Servier, c'est d'avoir pu maintenir pendant trente ans un médicament inutile et toxique, sans que les autorités de santé l'en empêchent ! Il a fallu qu'Irène Frachon déploie une énergie colossale pour faire admettre la toxicité du Mediator ! Cependant, je sais que vous attribuez cette découverte non pas à son travail acharné mais à l'étude Regulate... Je le lis dans un mail que vous avez envoyé à Mme Nancy Claude, chargée des relations avec la presse de Servier et qui est tout à fait explicite sur ce point !

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Vous évoquez un mail privé que j'ai envoyé à M. Jean-Roger Claude, dont l'épouse travaille effectivement pour Servier.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous me l'apprenez, mais cela ne change rien à l'affaire...

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Puisque vous m'en donnez l'occasion, je tiens à dire mon admiration pour Irène Frachon, qui a su déceler ce qu'aucun d'entre nous n'avait vu, en particulier les chirurgiens cardiologues...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Comment auraient-ils pu l'être, si les risques du Mediator pour l'hypertension et la valvulopathie étaient dissimulés ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Le Mediator produit une forme atypique de valvulopathie, d'aspect bourgeonnant, qui aurait dû frapper les chirurgiens, mais ceux-ci ont pu avoir du mal à repérer le lien de causalité. Cependant, si le système de pharmacovigilance avait bien fonctionné, ce lien aurait pu être établi bien plus tôt.

L'étude que nous avons demandée a démarré tardivement, heureusement qu'Irène Frachon avait avancé de son côté, en réalisant un travail de très grande qualité auquel je rends hommage puisqu'elle a comparé les données cliniques avec celles du PMSI. Dans mon établissement, j'ai réalisé une étude comparant, à partir du PMSI, la tolérance aux anticancéreux et leurs effets secondaires, en m'appuyant sur le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et je n'ai pas trouvé grand-chose. Irène Frachon, elle, a frappé dans le mille.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Dès 1999, le professeur Georges Chiche, de Marseille, alertait les autorités sur les dangers possibles du Mediator, il faisait donc le rapprochement, mais tout le monde lui est tombé dessus !

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Je l'ai appris tardivement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il y avait donc au moins un cardiologue qui avait vu quelque chose, mais personne ne l'a pris au sérieux, on lui a fait une réputation de farfelu !

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Nous sommes au coeur du problème. On peut certes regretter de ne pas avoir fait nous-mêmes le travail décisif d'Irène Frachon, mais aussi que les premières alertes, dont celle du professeur Chiche en 1999, n'aient pas déclenché une procédure, pour qu'au moins le RCP soit modifié, ce qui aurait facilité le recueil d'information pertinentes. Pourquoi ce recueil de données est-il si difficile ? J'étais récemment au congrès de la société française de pharmacologie et de thérapeutique à Grenoble...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Non, j'ai payé moi-même mon billet de train, ce qui n'est guère normal, vous en conviendrez. Et lors de ce congrès, chacun pouvait se rendre compte du nombre très important d'alertes de pharmacovigilance. Idem pour tout lecteur de la revue Prescrire, que je connais bien pour avoir participé à son comité de rédaction pendant des années...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Non, j'en ai été chassé le jour où je suis devenu maître de conférences à l'université, ce qui ne m'a pas empêché de continuer à la lire et à l'aimer... Dans chaque livraison, on trouve au moins quarante avis de pharmacovigilance !

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je le lis également et je trouve que vous exagérez ce chiffre...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

En tout cas, les alertes sont en nombre bien plus grand que celui des études que nous pouvons lancer, et si nous avons manqué de génie scientifique, c'est dans la sélection des priorités. Il faut aussi coupler les informations avec celles du PMSI et avec celles de la Cnam, laquelle a mis beaucoup de temps à accepter de coopérer.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il faudrait aussi joindre l'Insee, pour la mortalité...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Encore que les statistiques de la mortalité soient réalisées à partir d'actes de décès rendus anonymes... Ce que je veux dire, c'est que le système public d'information est lourd à mettre en place, que les résistances au partage des sources y sont nombreuses, mais qu'en face, les laboratoires disposent de moyens très importants pour bloquer les informations pertinentes. Dans l'affaire du Mediator, j'ai été étonné de la rapidité avec laquelle Servier a lâché du lest, alors qu'il avait fallu trois ans au professeur Gérald Simonneau pour obtenir le retrait de l'Isoméride.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

L'interdiction de l'Isoméride aux Etats-Unis n'y était pas étrangère.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

C'est vrai, mais pour le Mediator, trois mois, cela a été rapide.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Ce que je vous accorde volontiers, c'est que le système sanitaire a été lent, trop lent, empêtré dans ses habitudes et qu'il a été particulièrement inefficace face à la mauvaise volonté de Servier.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

En trente-cinq ans d'expertise, je n'ai jamais rien vu de tel.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Deux génériques du Mediator ont été mis sur le marché en 2009, deux mois avant la suspension du Mediator : pourquoi ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Parce que la procédure était déjà lancée et que l'AMM d'un générique se contente de la bioéquivalence. Nous nous sommes focalisés sur le princeps, et pour les génériques, la bioéquivalence suffit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le doute sur le médicament n'était-il pas suffisant ? L'Igas n'a-t-elle pas raison de dire que le doute profite toujours aux labos et jamais aux patients ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Faut-il refuser de « génériquer » tous les médicaments sur lesquels nous avons des doutes ? La règle, c'est la bioéquivalence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ne peut-on surseoir, dans l'attente de la décision sur le princeps ? Avez-vous à ce point peur du contentieux, que vous préférez prendre de tels risques pour la santé des patients ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Il est toujours plus facile de se positionner a posteriori... Cependant, sur ces deux génériques, nous ne sommes pas fiers...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous ne recommencerez donc pas, comme on le dit aux enfants qu'on vient de gronder ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Nous avons à examiner trente à soixante-dix génériques tous les quinze jours, nous nous contentons de la bioéquivalence : les experts ne peuvent pas refaire le travail des études cliniques, s'il y a bioéquivalence, le générique suit le princeps ! Si la réglementation ne convient pas, ce n'est pas à nous de la changer...

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Cependant, il y a bel et bien un problème spécifique avec les génériques, notamment pour ceux dont le princeps a été retiré du marché, parce que la pharmacovigilance est moins efficace pour les génériques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

L'AMM est accordée d'après un préjugé favorable, qui résulte d'études sur des populations ciblées, tandis que le retrait d'AMM exige la démonstration d'un échec, par l'accumulation d'informations apparemment difficiles à recueillir : n'y a-t-il pas un décalage entre les deux procédures ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Le retrait peut également résulter d'une étude qui fasse apparaître un rapport bénéfice-risque- défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ce que Mme le rapporteur souligne, c'est que pour une AMM, il suffit d'une présomption, alors que pour un retrait, il faut une preuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

De plus, lors de la mise sur le marché, on a testé le médicament en fonction de normes pasteuriennes, alors que dans la réalité, les malades susceptibles de prendre le médicament sont souvent atteints de maladies chroniques, ce qui constitue un tout autre environnement, avec des risques d'effets indésirables bien plus nombreux, et non testés avant l'AMM.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Il est vrai que l'étude préalable à l'AMM, qui établit si la balance avantage-risque est favorable ou non, ne se déroule pas dans la vraie vie, mais en laboratoire, ou bien auprès de populations ciblées, avec tout le talent que l'on sait des laboratoires pour bien cibler les populations en fonction des résultats désirés. L'Afssaps met en place des plans de gestion des risques, qu'il faudrait évaluer. Ensuite, dès lors que les pathologies évoluent, les médicaments ont eux-mêmes un cycle de vie, leur efficacité n'est pas constante, ni le spectre de leurs effets. Tout ceci doit être mieux pris en compte dans les alertes.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Les laboratoires, de leur côté, en sont à demander - et ils ont des chances de l'obtenir des autorités européennes - une AMM conditionnelle, c'est-à-dire une mise sur le marché autorisée avant que toutes les études ne soient terminées.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Non, c'est une nouvelle procédure, qui est en cours d'instruction. Il ne faut pas perdre de vue que l'autorisation résulte d'un arbitrage de santé publique entre bien des considérations. Un industriel peut faire valoir que le traitement réussi de plusieurs dizaines de milliers de patients peut justifier quelques accidents, une mortalité très limitée. Des associations de malades sont allées dans ce sens, s'agissant de la sclérose en plaques. Et la nocivité d'un médicament peut se réduire avec le temps. L'arbitrage est complexe, souvent très difficile à faire : nous sommes parfois bien incapables de dire où est le juste.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Dans cet ordre d'idées, j'ai demandé, et obtenu, de pouvoir inviter des associations de patients pour assister à certaines de nos commissions, pour mieux faire connaître leur position et qu'elles soient mieux informées de notre travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Etes-vous saisis des dispositifs médicaux ? Quid des produits technologiques innovants ?

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Les dispositifs médicaux n'entrent pas dans nos compétences et les produits technologiques innovants ne font pas l'objet d'essais randomisés, c'est un vrai problème, surtout que ces produits peuvent servir dans le cadre d'essais comparateurs.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Ils sont systématiques, sauf pour les maladies orphelines, quand l'essai comparateur n'est guère possible.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Quand un industriel développe un nouveau médicament, il espère toujours qu'il sera meilleur que ceux qui se trouvent sur le marché. Aussi fait-il des études fondées sur des études dites de « non-infériorité » aux médicaments disponibles, ce qui n'est pas de la plus grande exigence quant à l'amélioration du service médical rendu (AMSR).

Et ces essais de non-infériorité sont, pour des raisons méthodologiques, très faciles à biaiser. On leur demande de faire des essais qui ne sont pas forcément une garantie absolue de non-infériorité. D'autre part, avons-nous vraiment besoin d'élargir notre arsenal avec des produits qui sont au mieux non inférieurs ? On l'élargit parce les industriels espèrent, au départ, que leur produit est meilleur et parce que nous sommes dans une économie libérale où rien n'interdit de créer un 24ème bétabloquant alors qu'il en existe déjà 23 sur le marché. Et nous n'avons pas le droit de l'interdire dès lors qu'il a montré sa non-infériorité.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Et pourquoi n'exigez-vous pas qu'il soit plus efficace ?

Debut de section - Permalien
Jean-François. Bergmann

Si un jour, vous législateurs, décidez qu'on ne donnera l'AMM qu'au meilleur médicament, nous appliquerons cette règle. Mais vous ne prendrez jamais cette décision ; ce serait la mort de la recherche et de l'industrie pharmaceutiques.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Pourtant, de plus en plus, les laboratoires se séparent de leurs centres de recherche.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Non. Seul Abbott a fermé son centre d'Angleterre pour s'installer en Russie où c'est moins cher....

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

En tout cas, ils investissent moins dans la recherche que dans le marketing. A mettre sur le marché des médicaments pas plus efficaces que les anciens, on tue la recherche. Nous avons besoin de médicaments, non pour faire vivre la recherche, mais pour soigner les patients. Je ne dis pas qu'il ne faut plus financer la recherche ; il faut le faire mais par d'autres moyens.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Dans les années quatre-vingt, ce fut l'âge d'or de la recherche, où l'on a découvert beaucoup de produits nouveaux. Nous voudrions tous avoir encore de belles AMM pour de nouveaux produits et de bonnes ASMR à 1, 2 ou 3. Mais que faire face à l'industriel qui se lance, investit 2 milliards, développe un produit, puis n'aboutit qu'à un résultat de non-infériorité ? On lui refuse la mise sur le marché ? Si vous prenez des décisions législatives en ce sens, il nous sera facile de les appliquer. La Finlande a fait cela il y a quelques années. Résultat ? Il n'y a plus là-bas aucun laboratoire qui ait développé quoi que ce soit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Les médicaments bénéficiant de l'AMM sont automatiquement remboursés. C'est donc l'assurance maladie qui finance la recherche par le biais de ces médicaments que vous mettez sur le marché uniquement pour que l'industrie puisse continuer à faire de la recherche mais aussi rémunérer grassement ses actionnaires.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Jusqu'à nouvel ordre nous sommes dans une économie libérale et, dans notre pays, on n'a pas encore décidé d'administrer la recherche pharmaceutique. Et si, demain, on la limite à l'Inserm et au CNRS, les laboratoires iront ailleurs, aux Etats-Unis, en Suisse ou au Japon qui regroupent déjà 65 % de l'industrie pharmaceutique.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Les laboratoires cherchent, mais trouvent de moins en moins. On continue de mettre sur le marché des médicaments inutiles, à seule fin de perpétuer une recherche qui ne trouve pas grand-chose d'utile.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Il y a quand même des nouvelles spécialités qui sont utiles. Et lorsque vous commencez une recherche, vous espérez mais ne savez pas d'avance ce que vous trouverez.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est la même chose pour n'importe quelle industrie où il arrive de mettre au point une nouveauté que le consommateur n'apprécie pas.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Dans ce monde du médicament, le libre choix ou le plaisir du consommateur n'existent pas et c'est là la difficulté. On peut avoir l'impression qu'un médicament permettra à un patient d'aller mieux mais ce ne sera pas valable pour un autre patient. Cette impression n'a pas de valeur scientifique. Ce secteur souffre de l'absence d'outils de mesure d'efficacité... et de la crédulité des prescripteurs.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Ils sont coresponsables. En tant qu'enseignant, je tente de former les futurs médecins au bon usage du médicament, et à l'esprit critique. Mais, ensuite, intervient le rouleau compresseur des visiteurs médicaux, des porte-clés et autres « stylobilles ». C'est David contre Goliath ! Et le médecin français est ce que, en marketing, on appelle « un prescripteur rapide ». Il aime beaucoup le médicament moderne et, dans notre pays, la vitesse de pénétration d'un nouveau produit est beaucoup plus rapide qu'ailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je lis dans Le Monde : « Jean-François Bergmann met le doigt sur le cancer qui ronge l'hôpital public et, hélas, l'ensemble de la médecine française ». « Le soin aux malades est devenu une industrie qui doit faire du profit. D'où le déluge de scanners, d'IRM, d'appareils de plus en plus coûteux. Il faut les user, les amortir, les remplacer. Leurs fabricants sont à la porte dans l'attente fébrile de nouvelles commandes » etc., etc. Je suis tout à fait d'accord. Mais le médicament dans tout cela ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

C'est pareil.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous l'avez oublié ? On pourrait croire que vous n'avez pas de liens d'intérêts avec les fabricants de scanners mais que vous en avez avec l'industrie pharmaceutique.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

J'ai très souvent écrit sur le médicament et, là, dans cet article « Trois maladies de l'hôpital public », j'ai abordé d'autres aspects de la question. J'ai écrit dans Le Monde, une fois sur les évaluateurs et plusieurs fois sur le médicament et la FMC. Le scannographiste qui explique que son scanner précédent est démodé est exactement comme mes enfants qui réclament la Nintendo 4 pour remplacer la Nintendo 3 obsolète.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Oui, mais la Nintendo n'est pas remboursable par la sécurité sociale...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

Le visiteur médical incite le praticien à prescrire le médicament le plus moderne et non le générique. Je suis le premier à dénoncer ce système mais c'est notre système, celui que le législateur a voulu.

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

J'y écrivais qu'on n'avait pas tenu compte des hémorragies digestives. Aujourd'hui, en termes médiatiques, provoquer un infarctus, c'est un crime, mais provoquer une hémorragie digestive, c'est moins grave. C'est l'éternel problème du rapport bénéfice-risque. Il aurait fallu mesurer le nombre d'infarctus induits et celui des hémorragies digestives évitées. Merck a retiré le Vioxx du marché après avoir comparé le coût d'indemnisation d'un infarctus américain avec le profit qu'il retirait de ce produit. En AMM, il aurait fallu étudier les données de pharmacovigilance et celles de l'efficacité du produit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est sans doute pourquoi vous avez mis l'Arcoxia sur le marché...

Debut de section - Permalien
Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps

L'Arcoxia a été mis sur le marché par une AMM européenne à laquelle la France s'était opposée. L'Afssaps a utilisé toutes les arguties pour tenter d'empêcher cette mise sur le marché.

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

Elle l'a tenté pendant trois ans et n'a cédé qu'après une menace de sanction européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Beaucoup de médecins prescrivaient le Vioxx en même temps qu'un inhibiteur de la pompe à protons. C'était ceinture et bretelle...

Debut de section - Permalien
Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps

En dehors de l'étude Mucosa, aucune autre étude ne démontre que l'association IPP et anti-inflammatoire non stéroïdien diminue l'incidence des hémorragies digestives. Donc c'est une prescription un peu conjuratoire. Un échec de plus...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

J'espère que beaucoup de médecins vous entendront. Merci et peut-être à bientôt.