Merci de venir devant notre mission. Je vous rappelle que nos échanges sont enregistrés et filmés et qu'ils seront consultables sur Internet et sur Public Sénat.
Question rituelle : avez-vous des liens, au sens de l'article 4113-13 du code de la santé publique, avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits ?
De 2002 à 2004, lorsque j'étais conseiller technique de M. Mattei, et auparavant, je n'ai eu aucun lien avec des entreprises de santé. Après avoir travaillé pour Pfizer entre 2007 et 2010, je suis devenu consultant. En tant que tel, j'interviens dans le domaine de la santé. Si vous le voulez, je peux vous transmettre une liste des laboratoires avec lesquels je travaille aujourd'hui ; les laboratoires Servier n'en font pas partie.
Cela ne semble pas utile. Cette vocation vous est-elle venue à la suite de votre expérience dans le cabinet de M. Mattei ?
Tout à fait, je ne connaissais pas ce secteur avant d'entrer au cabinet du ministre de la santé.
Nous vous auditionnons pour parler, non de vos fonctions actuelles, mais de la période où vous étiez auprès de M. Mattei. En tant que conseiller pour les industries de santé, vous étiez en relation constante avec les laboratoires. Voulez-vous faire une déclaration liminaire ?
Compte tenu de la modestie de mes fonctions à l'époque, une intervention liminaire me semble quelque peu déplacée. Mieux vaut que je réponde à vos questions.
L'année 1995 constitue une « occasion manquée », écrit l'inspection générale des affaires sociales (Igas) dans son rapport. De fait, si la direction générale de la santé interdit le benfluorex dans les préparations magistrales, l'utilisation de ce principe actif du Mediator reste, de manière inexplicable, possible dans les spécialités pharmaceutiques. Comment expliquez-vous cette incohérence ?
Cette période est antérieure à mon arrivée au cabinet de M. Mattei. Les suppositions que je pourrais faire sont dénuées d'intérêt, d'autant que je ne suis ni médecin, ni pharmacien...
Comment expliquer que le Mediator, jusqu'à son retrait du marché en novembre 2009, ait bénéficié d'un taux de remboursement de 65 % alors que la sécurité sociale vous avait demandé à trois reprises une réduction de ce taux ? « J'ai dû considérer qu'une baisse du taux de remboursement ne nous rapporterait pas grand-chose financièrement, alors qu'elle risquerait de nous coûter cher politiquement. », indiquez-vous dans un entretien récent. Faut-il en conclure que les considérations économiques, voire politiques, ont prévalu sur les impératifs de santé publique ou faut-il mettre sur le compte de « l'inertie administrative » le fait que ces demandes soient restées sans suite ?
Merci de me donner l'occasion de donner une réponse plus complète.
La sécurité du produit, angle sous lequel on envisage aujourd'hui le Mediator, relève de la compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), non de celle du ministre ou de son conseiller technique. La question posée par la direction de la sécurité sociale était économique : ne faudrait-il pas réduire le taux de remboursement du Mediator de 65 % à 35 % ? Il est d'ailleurs frappant de constater le faible degré d'information sur ce produit ; on s'inquiétait davantage des effets secondaires du Vastarel et de son utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Une baisse de taux s'inscrit dans une logique purement financière : il s'agit de transférer une partie de la charge de l'assurance maladie vers les complémentaires. Durant de nombreuses années, cette politique a été considérée comme l'un des moyens les plus sûrs de réduire les dépenses de la sécurité sociale sans porter préjudice aux patients puisque la plupart des Français sont assurés par une complémentaire.
Pourquoi n'ai-je pas donné suite aux trois notes que m'a adressées la direction de la sécurité sociale (DSS) ? Les faits remontant à neuf ans, j'ai dû me replonger dans les documents. Notre objectif était de réduire le taux de croissance du médicament de 3 % dans le PLFSS, le déficit de la sécurité sociale atteignant alors des sommets. Au regard d'une masse globale de 15 milliards d'euros, la réduction du taux de remboursement du Mediator représentait un enjeu financier mineur : 10 millions par an pour un chiffre d'affaires de 30 millions par an. Nous étions très loin du compte ! D'autres mesures étaient financièrement plus intéressantes. Dès septembre 2002, le ministre annonçait que le Mediator, comme l'ensemble des médicaments à service médical rendu (SMR) insuffisant, avait vocation à être déremboursé dans les trois ans. Ce fut chose faite en 2005. Autre point à souligner, la complexité administrative de la procédure de déremboursement, sujet que l'Igas, par manque de temps, n'a pas développé dans son rapport. Le 18 décembre 2002, le Conseil d'Etat, saisi par certains laboratoires, déclara que les avis de la commission de la transparence, parce qu'ils étaient insuffisamment motivés, ne pouvaient pas servir de base à une décision administrative de déremboursement, décision qu'il confirma officiellement le 20 juin 2003. Entre ces deux dates, l'ensemble des décisions de déremboursement prises sur ces bases étaient donc fragilisées. D'où la décision du ministre de demander à la commission de la transparence de réécrire les avis sur les six cents médicaments à SMR modéré ou faible ; dont le taux de remboursement fut réduit en avril 2003 pour une économie de 400 millions.
La commission de la transparence s'est-elle pliée facilement à cette demande ?
Elle était alors placée auprès du ministre, et non de la Haute Autorité de santé (HAS). Au vu de ses faibles moyens, que la Cour des comptes avait soulignés, nous avons dû hiérarchiser les priorités. Or le Mediator ne figurait pas dans la liste des médicaments dont le ministre avait annoncé le déremboursement dans des délais rapides.
Le 23 février 2003, me semble-t-il, trois médicaments seulement avaient échappé au déremboursement. De quoi alimenter les fantasmes sur d'éventuelles complicités ! Pourtant, venez-vous de montrer, les considérations étaient financières, et non de santé publique.
S'il y avait eu le moindre doute, le Mediator aurait été naturellement prioritaire ! Mais aucune indication n'allait en ce sens. Les services compétents n'ont même pas jugé bon d'inscrire le Mediator sur la liste des médicaments concernés par la première vague de déremboursement. Pourtant, nous les avions incités à y faire figurer le plus grand nombre de produits, car cette liste était la plus facile à faire accepter. Elle concernait les produits qui n'avaient plus leur place dans la stratégie thérapeutique, un concept qui n'était pas très clair pour moi. Je souhaitais protéger le ministre ; je savais que ces déremboursements ne seraient pas acceptés facilement par les patients et les médecins. Pour faciliter cette tâche, j'avais proposé à l'Afssaps de retirer l'AMM de ces produits. Pour ce faire, m'avait répondu l'Agence, il faudrait prouver le risque que présentaient ces produits pour la sécurité. Bref, ces produits, sans être réellement dangereux, n'étaient pas souhaitables pour les patients, soit parce qu'ils en existaient de meilleurs, soit parce qu'ils ressortaient « d'associations illogiques », pour reprendre l'expression du professeur Bouvenot, telles que celle d'un expectorant et d'un antitussif. Aucune indication de santé ou d'utilisation hors AMM du Mediator n'a été portée à ma connaissance entre 2002 et 2004.
Pourtant, il y a eu des publications dès 1999, puis l'importante étude du professeur Montastruc. L'Afssaps avait été alertée sur la dangerosité du benfluorex en 1999, qui avait abouti à son interdiction dans les préparations magistrales. Un cas avait été signalé à Marseille. Cela semble incompréhensible...
Tout à fait ! Mais le cabinet d'un ministre ne peut réagir que s'il est informé, ce qui n'a pas été le cas.
Le ministre actuel assume les conséquences de l'affaire Mediator aux yeux de l'opinion. Dans la loi relative à la bioéthique que nous allons bientôt examiner, la compétence éthique est entièrement dévolue à l'Agence de la biomédecine alors que, pour le citoyen, seul le ministre est responsable. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas réévaluer la charge des compétences ?
En outre, si vous découvrez dans la revue Prescrire, que vous lisez sans doute, qu'un lanceur d'alerte considère dangereux des médicaments et qu'il préconise leur retrait du marché, quelle démarche allez-vous entreprendre auprès des laboratoires et des autorités compétentes, en tant que consultant ?
Confier l'évaluation du risque à l'Afssaps a été une bonne évolution. L'idée de placer à la tête de cette agence un binôme constitué d'un administratif et d'un médecin, plus à même de juger de la sécurité sanitaire, apporterait une amélioration, pour peu que le binôme fonctionne harmonieusement. De surcroît, peut-être faut-il imaginer une soupape de sécurité pour les lanceurs d'alerte qui estiment ne pas avoir été entendus par l'Afssaps...
La pharmacovigilance est un sujet complexe. Pour un non-médecin comme moi, elle passe par la collection d'événements statistiques qui ne semblent pas toujours liés à la prise du médicament. Pour le Mediator, il y a eu pas moins de dix-sept alertes ; cela interpelle ! La direction générale de la santé (DGS), qui exerce une tutelle sur l'Afssaps, pourrait remplir ce rôle de soupape de sécurité. A partir des rapports que la commission de la pharmacovigilance lui remettrait directement, elle pourrait demander l'examen d'un produit.
En tant que non-médecin et ancien conseiller technique, je note d'ailleurs la conjonction entre un SMR insuffisant et les doutes sur la sécurité d'un produit. Dans l'affaire Mediator, c'étaient hélas plus que des doutes : on a compté dix-sept alertes !
Vous voulez dire que les commissions techniques de pharmacovigilance se sont réunies dix-sept fois à ce sujet...
C'est cela. Il serait tout à fait légitime que la commission de pharmacovigilance adresse chaque année un rapport sur les produits à SMR insuffisant ou faible à la commission de la transparence. En quelque sorte - et c'est toute la vertu du système français -, l'absence de remboursement constitue un « second rempart », après l'AMM. Grâce à ce système, des médicaments, qui ont posé problème dans de nombreux pays, ont été commercialisés de manière restreinte en France, tandis que nous avons le cas inverse avec le Mediator.
Le Mediator n'est pas le seul exemple. On peut penser à l'Arcoxia, un anti-inflammatoire de la famille du Vioxx, qui a été interdit aux Etats-Unis.
Certes ! Mais, grâce à notre système, l'Arcoxia a mis longtemps à arriver en France alors que la réglementation européenne impose le libre accès des produits, une fois l'AMM obtenue. Les autorités françaises n'ont pas eu une forte appétence pour rembourser l'Arcoxia, à en croire le prix dissuasif pour le laboratoire fixé au terme d'âpres négociations.
Soit ! Mais l'Arcoxia a été interdit aux Etats-Unis. Nous, nous l'avons mis sur le marché. Ce médicament est commercialisé par Pfizer, n'est-ce pas ?
Non, par les laboratoires Merck Sharp et Dohme-Chibret (MSD).
Pour répondre à la deuxième question de Mme le rapporteur, en tant que consultant, je travaille sur des problématiques générales telles que l'accès au remboursement, et non sur la sécurité des produits, que je connais mal.
Quelles autres réformes institutionnelles préconisez-vous pour renforcer la pharmacovigilance ? La surveillance doit-elle relever davantage de l'Union européenne, à la suite de la directive du 15 décembre 2010 ? Quels risques cette évolution nous ferait-elle courir ?
La pharmacovigilance n'est pas mon domaine. En revanche, permettez-moi une suggestion. L'évaluation étant au coeur du système français, ne faut-il pas construire une véritable filière de l'expertise ? Je m'explique : on peine à recruter des experts pour participer aux travaux de la commission de l'AMM et de la commission de la transparence. La tâche est extrêmement lourde : elle exige d'assimiler d'innombrables connaissances ; elle expose à de très fortes tensions, les laboratoires estimant toujours que votre évaluation est inférieure à la leur. Les contreparties sont extrêmement faibles. L'indemnisation de la participation aux commissions, décidée par le ministre Jean-François Mattei - c'était un premier pas -, reste très inférieure aux rémunérations auxquelles ces experts peuvent prétendre. Résultat, seuls les PUPH (professeurs des université-praticiens hospitaliers) estiment qu'ils peuvent, au terme de leur carrière, donner un peu de temps à la collectivité. Si nous voulons de l'expertise efficace, il faut y mettre les moyens. Tout le monde y perd dans le système actuel : l'hôpital, et les médecins qui ne peuvent pas publier, faute de travailler sur les produits. L'évaluation ne doit pas être déconnectée de la pratique. Pourquoi certains restent-ils si longtemps à l'Afssaps ? Parce qu'on ne leur propose pas d'autre débouché ! Il faut construire une véritable filière de l'expertise.
De quelles fonctions serait-elle dotée ?
De la déontologie de l'expertise, du recensement des lanceurs d'alerte... Elle servirait d'intermédiaire.
La France compte déjà de nombreuses institutions...
Cette suggestion a été faite en 2007 par la Fondation sciences citoyennes lors du Grenelle sur l'environnement.
Il existe déjà une commission de la déontologie. L'alerte est souvent l'un des points faibles, car l'information ne remonte pas jusqu'au ministre de la santé par les canaux officiels. Peut-être faut-il imaginer des canaux parallèles ?
La DGS, qui compte de nombreux médecins et professionnels de la santé, peut faire office de recours pour les lanceurs d'alerte.
Ironie de l'histoire, lorsque M. Mattei était ministre, le directeur général de la santé était M. Lucien Abenhaïm. Très sensible aux questions de sécurité sanitaire, il a joué un rôle central dans l'interdiction de l'Isoméride. Il aurait réagi, s'il avait eu l'information !
A en croire les auditions, personne ne savait rien...
Revenons-en à votre proposition. La DGS, normalement, est représentée à la commission de l'AMM et à la commission de la transparence. Le directeur général de la santé devrait donc être informé de tout ce qui s'y passe. L'expérience prouve, hélas !, que ce n'est pas toujours le cas. Vous proposez que la commission de la transparence retire éventuellement du marché ces médicaments à SMR insuffisant.
Ces produits ne sont pas totalement inutiles, sans être majeurs pour le traitement du patient.
Imaginons un médicament à SMR 5, selon la terminologie de la commission de la transparence. Une fois mis sur le marché, il est fort difficile d'obtenir son retrait.
Une des vertus des déremboursements massifs depuis 1999...
Il y a eu trois vagues : 1999, 2001 et 2003. En 2003, après la réduction du taux de remboursement, M. Mattei a annoncé le déremboursement total de certains médicaments.
Sauf le Mediator ! Ce qui est fort regrettable, car s'il fallait en dérembourser un seul, cela aurait dû être celui-là.
Je ne peux parler que de la période de 2002 à 2004...
Il est difficile d'obtenir le retrait d'un médicament, une fois qu'il a obtenu son AMM. Mieux vaut donc prévenir que guérir ! Or on continue de mettre sur le marché des médicaments qui feront bientôt l'objet de déremboursement pour SMR insuffisant.
Vous m'interrogez à la fois sur le flux et le stock. Concernant le stock, un rapport annuel de la commission de la pharmacovigilance me semble la bonne solution. Quant au flux, la réglementation sur le médicament a beaucoup évolué ces trente dernières années. Le corpus de preuves et d'informations demandées s'est incontestablement renforcé. La commission de la transparence classe très régulièrement des produits nouveaux dans la catégorie des produits à SMR insuffisant. Compte tenu de l'affaire Mediator et du climat actuel, elle sera, j'en suis persuadé, de plus en plus exigeante sur la qualité des produits.
La question est délicate. Certains patients ne répondent pas à des médicaments dont on considère, sur des bases statistiques, qu'ils fonctionnent. D'où tout l'intérêt de la médecine prédictive. Celle-ci permettra de tester l'efficacité du traitement sur le patient avant de le lui administrer. Ce sera une source d'économies considérable pour la sécurité sociale !
Rien n'est moins sûr, compte tenu du coût des examens... (Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, acquiesce.)
J'accepterais volontiers votre raisonnement si notre pharmacopée était restreinte. Hélas, on ne compte pas moins de 150 spécialités pour des maladies aussi courantes que l'hypertension ! Dans ces conditions, faut-il vraiment mettre sur le marché des médicaments qui ne représentent pas un réel progrès thérapeutique au motif que certains malades ne répondent pas aux médicaments existants ? Je ne le pense pas, d'autant que, plus notre pharmacopée sera fournie, plus il sera difficile de repérer les effets indésirables de tel ou tel produit.
Notre système est l'un des plus rassurants au monde. L'affaire Mediator montre pourtant qu'il comporte des failles. Un rapport annuel sur les médicaments à SMR faible me semble une excellente idée. Travaillons sur cette proposition dans notre rapport. Permettez-moi une autre réflexion : ce qui me frappe dans l'affaire Mediator, c'est l'utilisation détournée de ce produit. Nous devons faire un état des lieux pour débusquer les « Mediator cachés », tel le Glifanan dont on a découvert tout à coup, après plus d'une dizaine d'années d'utilisation qu'il pouvait provoquer en 24 heures de forts effets secondaires sur le foie.
L'utilisation hors AMM est une question délicate. Rien n'incite les laboratoires à demander une seconde autorisation. Il faudrait établir une liste de ces produits, d'autant qu'il existe une utilisation moderniste des produits, notamment chez les oncologues. Dans ce cas-là, la puissance publique devrait s'engager résolument dans le financement de l'AMM.
Dans mes fonctions à l'hôpital - mais la remarque vaut aussi pour la médecine de ville - j'ai toujours vu des médicaments prescrits en dehors de leur destination première, hors AMM, sans que l'on en mesurât les effets négatifs. Il y a sans doute, aujourd'hui encore, des « Mediator cachés ». Un dépistage systématique est indispensable.
Le laboratoire Pfizer, où vous avez travaillé, se demandait-il si certains de ses médicaments n'étaient pas de ces « Mediator cachés » ?
J'ai quitté Pfizer il y a un an, mais je me souviens qu'un médicament a été retiré du marché récemment pour une raison de ce genre.
Aux Etats-Unis, où les règles d'indemnisation des patients sont beaucoup plus contraignantes, les laboratoires sont forcés d'être très prudents. Un article de Libération sur le scandale du Fen-Phen, il y a quelques jours, montrait bien que les conséquences étaient beaucoup plus lourdes pour la firme commercialisant le médicament aux Etats-Unis que pour la firme française. Tout dépend aussi de la dynamique économique des laboratoires.
Les laboratoires français devraient faire preuve de la même prudence, sous peine d'entretenir la défiance des citoyens envers les médicaments.
Il est essentiel que nos concitoyens aient confiance dans les médicaments et l'affaire du Mediator n'y contribue pas. Mais j'observe un effarant déficit d'information, alors que la France est championne du monde de la consommation de médicaments. Beaucoup de personnes âgées, par exemple, ne sont pas averties des interactions entre les produits qui leur sont prescrits. Il serait d'utilité publique de lancer une campagne nationale pour informer chacun que, dès lors qu'un médicament est efficace, il peut avoir des effets secondaires, et qu'il convient d'être prudent.
Vous avez tout à fait raison.
Un fonctionnaire ayant exercé des responsabilités dans un domaine industriel ne peut rejoindre l'industrie privée avant deux ans. La même règle ne devrait-elle pas s'appliquer aux membres des cabinets ? Vous-même, n'avez-vous pas rejoint l'industrie pharmaceutique après votre passage au cabinet de M. Mattei ?
J'ai observé un délai de carence de trois ans. A mon sens, la même règle doit s'appliquer aux fonctionnaires et aux membres des cabinets - qui sont d'ailleurs pour la plupart des fonctionnaires. Mais si l'on veut éviter trop de consanguinité au sein des cabinets, il convient de réfléchir au sort des conseillers lorsque le ministre quitte ses fonctions : alors que les fonctionnaires peuvent réintégrer leur corps d'origine, les autres n'ont pas la même sécurité.
Monsieur le directeur général, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et que son enregistrement audiovisuel sera diffusé sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat. Je dois d'abord vous demander si vous avez des liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
Je travaille actuellement sur la sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, et je n'ai pas de lien avec l'industrie pharmaceutique, si ce n'est que j'ai aidé le laboratoire Novartis en 2008 à élaborer son plan de continuité d'activité face à la pandémie grippale.
Au-delà des responsabilités et des insuffisances pointées par le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), il faut insister sur le fait qu'il n'y a pas de politique du médicament en France, autrement dit que l'on considère le médicament comme un outil de soin des malades, non comme un outil de santé publique, d'amélioration de l'état de santé général de la population. Les instances publiques chargées d'intervenir dans ce domaine sont cloisonnées et manquent d'un pilotage : si l'on met à part la recherche, l'Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) intervient au moment de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), la commission de la transparence doit s'assurer de l'amélioration du service médical rendu, le comité économique des produits de santé (Ceps) fixe le prix et le niveau de remboursement, les instances de pharmacovigilance sont là pour surveiller les effets secondaires. A cela s'ajoutent la Haute Autorité de santé (HAS), la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et les directions du ministère - direction de la sécurité sociale (DSS), direction générale de l'offre de soins (DGOS), direction générale de la santé (DGS) - et les mutuelles. Cette nébuleuse n'est pas pilotée ; il n'y a pas d'articulation. Dès mon entrée en fonctions, en septembre 2003 j'ai dit devant l'association des cadres de l'industrie pharmaceutique mon inquiétude devant l'absence d'une vision d'ensemble des usages et mésusages des médicaments en termes de santé publique. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant qu'un drame comme celui du Mediator se soit produit.
D'importants progrès ont été réalisés depuis une vingtaine d'années pour ce qui est de la sécurité sanitaire de l'environnement, du travail, des aliments, mais le maillon faible est la sécurité sanitaire du système de soins. C'est paradoxal, car la notion de sécurité sanitaire a émergé lors des affaires du sang contaminé et de l'hormone de croissance. Nous n'avons pas d'agence d'expertise de sécurité sanitaire du système de soins. Il y avait autrefois l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé que je saisissais avec mon collègue Edouard Couty, directeur de l'hospitalisation puis directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, mais elle a été remplacée par la Haute Autorité de santé, indépendante, qui par définition ne peut pas être saisie par les directions des ministères. Outre le médicament, le risque iatrogénique et les infections nosocomiales sont en cause : bien que ces derniers aient été réduits, comme les indicateurs en témoignent, nous manquons d'une force d'expertise d'aide aux politiques de prévention.
Nous pouvons souscrire à vos critiques, mais il est plus difficile de faire des propositions. Vous dites qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion. Comment restaurer une unité de commandement, ce qui est vital pour la sécurité des patients ?
A mon sens, le pilotage du médicament ne peut pas être entièrement délégué à un établissement public : c'est une responsabilité politique, qui doit être assumée par le ministre et son administration. Aujourd'hui se juxtaposent la DGOS chargée des soins, la DGS chargée de la santé publique, et la DSS chargée du financement. Faut-il créer une quatrième direction du médicament et des produits de santé ? En pratique, un conseiller technique du ministre est le seul à assurer in fine la coordination, ce qui n'est pas satisfaisant.
Autrement dit, vous proposez de revenir en arrière et de remettre en cause la séparation entre l'évaluation et la gestion des risques ? Ou faut-il la maintenir tout en recentralisant les responsabilités ?
Il faut une tour de contrôle. Dans ma conception républicaine, c'est au ministre de porter la responsabilité. Sur la séparation de l'évaluation et de la gestion, j'ai évolué. Je ne crois pas que ce soit la bonne distinction. Par exemple, dans l'évaluation des risques des polluants de l'environnement, nous utilisons des modèles mathématiques et statistiques pour mettre en relation les doses reçues et les risques. S'agissant des rayonnements ionisants, nous nous servons d'un modèle linéaire sans seuil : c'est un choix de gestion, pas un choix scientifique ! C'est pourquoi il faut plutôt distinguer entre l'expertise, chargée de donner l'état des connaissances sur tel ou tel sujet, et la décision politique, l'arbitrage en fonction des incertitudes résiduelles et des moyens disponibles.
Remettez-vous en cause le fait que le directeur général de l'Afssaps puisse prendre une décision sur un médicament au nom de l'Etat, sans que le ministère ait les moyens de revenir dessus ?
La plupart des décisions sont prises au niveau européen.
Certes. J'estime que c'est au politique de dire de quels médicaments doivent bénéficier les Français, à quel coût, avec quelles indications et contre-indications, en fonction de quel rapport bénéfices-risques. Car, dans ce domaine, il y a des incertitudes que le politique doit assumer. En revanche, il peut y avoir une agence chargée d'instruire scientifiquement les dossiers. Et n'oublions pas que lorsque l'expertise défaille, ce sont les politiques qui sont interpellés.
Je partage votre analyse, qui ne vaut pas seulement pour le médicament ou l'environnement : en biologie cellulaire, le contrôle est défaillant, malgré l'Agence de biomédecine. Pensez-vous qu'il faille créer une direction d'expertise et d'alerte sur tous les produits de santé, à l'intérieur ou à l'extérieur du ministère, ou simplement une direction du médicament et des produits de santé ?
Avant tout, il faut une politique du médicament explicite : aujourd'hui, aucun texte ne l'exprime. Sur l'alerte, nous souffrons en France d'un problème culturel. L'expertise se concentre sur le service rendu aux personnes individuelles, et ne prend pas suffisamment en compte l'impact des produits de santé sur l'ensemble de la population. Or il est bien difficile d'établir un lien de causalité entre un médicament et une maladie à partir d'un cas individuel. Tout notre système de pharmacovigilance repose pourtant sur ce principe. Ce qui a manqué dans l'affaire du Mediator, c'est l'évaluation de la dimension « populationnelle » du risque.
En effet. J'ai le souci de ne pas multiplier les agences, déjà trop nombreuses, comme j'ai pu le constater lorsque j'étais au ministère. Mais il existe déjà un organisme de surveillance de l'état de santé de la population : c'est l'Institut de veille sanitaire (InVS). Il faudrait créer en son sein un département chargé de la surveillance des soins, y compris les médicaments. L'Institut n'évalue-t-il pas déjà le rapport bénéfices-risques des vaccins, comme celui contre l'hépatite B qui a suscité des inquiétudes ? Trois épidémiologistes de plus à l'Afssaps ne suffiront pas. L'InVS, quant à lui, compte une masse critique de trois cents spécialistes.
L'InVS est sous tutelle du ministère.
J'exprimerai cependant une réserve : à l'approche de la pandémie grippale, l'InVS a émis des signaux contradictoires. Car un institut, quel qu'il soit, a ses limites. Mais peut-être, en l'espèce, faut-il plutôt incriminer le politique, car les décisions à prendre étaient plus de nature politique que relevant d'une agence indépendante.
L'Institut est tout à fait conscient de n'avoir pas prévu le scénario de la pandémie. Je suis invité en mars à un séminaire de retour d'expérience : car ces scientifiques savent reconnaître leurs erreurs, et veulent en comprendre les raisons pour ne pas les reproduire à l'avenir.
Le politique doit prendre ses responsabilités. Mais lors de l'affaire du Vioxx, le Sénat avait formulé des propositions que les autorités et instituts n'ont pas prises en compte... N'y a-t-il pas une contradiction entre le modèle pasteurien qui préside à la mise sur le marché, et l'usage qui est fait des médicaments ? N'est-ce pas plutôt en fonction de modèles de gestion, et dans l'intérêt économique de l'entreprise, que certains médicaments sont diffusés ?
J'observe que l'Agence européenne du médicament relève au niveau européen de la direction générale des entreprises et de l'industrie...
Cela vient de changer : elle relève désormais de la direction générale de la santé et la protection des consommateurs.
Je m'en félicite. Le médicament est certes un outil de politique industrielle, mais aussi un outil de santé publique pour lequel il faut un pilotage.
Sinon, mes cadres de référence sont évidemment populationnels. On peut définir au sein de la population un groupe pour lequel les bénéfices d'un médicament l'emportent sur les risques, et un autre groupe qui suit le traitement. Tout notre effort doit être de faire coïncider ces deux groupes, et d'éviter que des malades ne soient pas traités - comme la moitié des déprimés en France - ou des gens sains traités - car alors ils subissent les risques sans les bénéfices. Le rapport de l'Igas est excellent, mais il ne met pas assez l'accent sur la responsabilité de l'assurance maladie pour conduire cette politique. Aucun assureur automobile n'accepte de payer une réparation sans avoir détaché un expert pour s'assurer que le dommage est réel et l'intervention du mécanicien appropriée ! De même, l'assurance maladie devrait vérifier le bien-fondé des traitements qu'elle rembourse. Est-il normal que les médecins puissent prescrire sans tenir compte de l'AMM, et sans que l'assureur ait son mot à dire ? Nous manquons d'un système de contrôle qualité.
D'autant que l'assurance maladie dispose des données, grâce au Système national d'informations interrégimes (Sniiram) : elle connaît les assurés, les prescriptions, les remboursements et les diagnostics. Lorsque j'étais directeur général de la santé, j'ai voulu faire en sorte que ces données servent à piloter la politique de soins par l'évaluation et le contrôle de gestion, mais je me suis heurté aux réticences de la Cnam. L'accord signé avec le directeur général, M. Daniel Lenoir, pour créer un groupement d'intérêt public, est resté lettre morte. Pourquoi l'assurance maladie rembourserait-elle des médicaments prescrits hors AMM, comme c'était souvent le cas pour le Mediator ?
Certes, on peut incriminer le marketing effréné des laboratoires Servier. Mais force est de constater que le chaînon manquant des politiques publiques, c'est le contrôle qualité. Dans de telles conditions, n'importe quel assureur ferait faillite !
En tant que directeur général de la santé, quand et comment avez-vous été informé de la nocivité du Mediator ? De quels dispositifs d'alerte disposiez-vous pour connaître et réagir aux décisions de retrait dans d'autres pays ?
Le seul dispositif d'alerte de la direction générale de la santé est sa présence à la commission de pharmacovigilance. J'ai quitté mes fonctions en avril 2005, et ce n'est qu'en novembre que la commission a évoqué les risques du Mediator, mais j'ai des observations à faire.
Il faudrait fournir au ministre une vision d'ensemble de l'usage des médicaments en tant qu'outils de santé publique, qui prenne en compte les risques, les bénéfices et les avantages comparatifs par rapport à d'autres traitements. Je ne suis pas favorable à ce que toutes les alertes sanitaires soient centralisées à la direction générale de la santé, ou alors il faudrait renforcer considérablement ses moyens - elle compte aujourd'hui trois cents agents. Mais ce n'est pas dans l'air du temps, avec la révision générale des politiques publiques...
Je crois aussi qu'il faut séparer l'expertise de la décision. Pourquoi donc l'Afssaps agrège-t-elle évaluation, gestion et décision ?
Qu'il n'y ait pas de politique du médicament, chacun peut s'en rendre compte. Mais n'est-ce pas en raison des pressions de l'industrie pharmaceutique, qui y a tout intérêt ? J'ai été étonné qu'un ancien ministre nous dise avoir découvert le danger du Mediator lorsqu'il a été de notoriété publique ! C'est le ministre que nos concitoyens interpellent en cas de problème, mais on le tient à l'écart, lui et son administration.
Le système du médicament a d'abord été vu sous l'angle de la politique industrielle. Pour le Ceps, beaucoup de décisions sont prises à Bercy et ne tiennent compte que du développement industriel, des emplois et de la dépense. Mais il ne faut pas croire que l'affaire du Mediator soit l'oeuvre d'un deus ex machina ou le fruit d'un complot. C'est le déficit culturel de santé publique dans notre pays qui explique en partie les problèmes rencontrés dans cette affaire.
J'ai travaillé avec Jean Marimbert : j'ai beaucoup d'estime pour lui et c'est un grand serviteur de l'Etat qui a tiré les conséquences de cet échec.
Il en a tiré les conséquences. Au sein de l'Afssaps, il y a eu déficit de compétence en matière populationnelle.
Oui, mais pas seulement. Je ne veux pas être corporatiste. Le raisonnement populationnel est propre à l'épidémiologie, mais il est aussi économique. Cette vision a fait défaut et a permis à un laboratoire astucieux d'utiliser les failles du système. Même si l'on modifie la manière dont le budget de l'Afssaps est alimenté, rien ne changera en matière de compétence et de culture. Ce n'est pas parce que l'Afssaps est financée par une taxe qu'elle est à la solde de l'industrie pharmaceutique.
Il faut quand même que l'Etat finance les missions régaliennes qui sont de sa responsabilité.
Dans tous les domaines, le producteur du risque doit internaliser les coûts du contrôle. C'est un peu trop facile de compter sur l'impôt pour financer la gestion de ses propres risques. Que l'industrie pharmaceutique paye la gestion du risque du médicament ne me choque pas, mais il faut que les ressources dégagées soient utilisées de manière honnête et indépendante. Appliquons dans ce domaine le principe « pollueur - payeur ».
L'Igas a dit que l'Afssaps était structurellement et culturellement en situation de conflits d'intérêts : son rapport va même jusqu'à dire que les décisions des experts sont une coproduction de l'Afssaps et de l'industrie pharmaceutique.
Pour moi, il s'agit d'une crise de compétence sur la dimension populationnelle.
Quand j'ai lu le rapport de l'Igas, les bras m'en sont tombés : dans le compte rendu de la commission de pharmacovigilance de juillet 2009, face à la multiplication des alertes sur le Mediator, elle estime qu'il faut faire une étude animale ! Il y a là un vrai problème de compétence en matière d'évaluation des risques ! Il y a un temps pour l'évaluation animale et un temps pour l'évaluation sur les patients.
La crise est également liée à l'absence de contrepouvoirs : il est normal que l'on entende la voix des industriels au sein des commissions de l'Afssaps, mais il est beaucoup moins acceptable que les associations de patients ne soient pas représentées.
Certes, mais pas à la commission d'AMM ni à la commission de la transparence. L'équilibre des points de vue n'est pas assuré.
Vous avez fait partie du conseil scientifique lors de l'étude International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS) de 1995. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Mediator ?
C'est bien ce que je pensais. Mais à l'occasion de cette étude, ni vous ni vos collègues n'ont entendu parler du Mediator. 1995 est le moment où le destin de l'Isoméride et du Mediator se sont croisés et tous ceux qui, à l'époque, étaient en responsabilité ne l'ont pas vu. Au moment même où vous exposiez les résultats de l'IPPHS à la commission nationale de pharmacovigilance, celle-ci décidait une enquête officielle sur le Mediator en raison de sa parenté avec les fenfluramines. On a là l'illustration des conséquences du cloisonnement.
Je veux rendre hommage à la DGS. Dans son domaine de compétence, qui était les préparations magistrales, à la suite de la publication de l'IPPHS, elle a pris les bonnes décisions et le Mediator a été exclu des préparations magistrales.
La DGS a agi dans son domaine de compétences.
Les décrets ont été pris à la demande instante de l'Agence du médicament.
Le benfluorex a été inscrit dans la liste des médicaments interdits par la DGS.
Bien sûr, au même titre que les anorexigènes de la liste du décret Talon de 1982.
Concernant ma contribution à l'étude IPPHS, j'avais déjà mené un certain nombre d'études sur des cas témoins comme épidémiologiste et je suis intervenu au début et à la fin du processus, à la demande du professeur Abenhaïm. Au début, nous avons eu une longue discussion sur la stratégie du choix des témoins, mais je ne suis pas un épidémiologiste du médicament. A la fin du processus, je suis intervenu quand, face aux résultats, il nous a fallu prendre position sur une éventuelle causalité de l'association observée. Après beaucoup de discussions, j'ai fait plutôt partie de ceux qui, au sein du conseil scientifique, estimaient que ces résultats révélaient un lien de nature causale. Mais mon rôle a été assez marginal et je ne suis pas signataire de l'article paru dans le New England Journal of Medicine. Je suis simplement mentionné comme membre du conseil scientifique.
Ceux qui ont été en charge d'évaluer les cas d'exposition et les cas témoins se sont interrogés sur les anorexigènes, mais à l'époque le Mediator était considéré comme un antidiabétique et donc il est passé au travers des mailles du filet, comme le dit très justement l'Igas.
Nous poursuivons nos auditions avec M. Hirsch que je n'ai pas besoin de présenter. Nous l'auditionnons non seulement en raison des fonctions qu'il a occupées mais aussi pour ses compétences et les propositions qu'il a faites à la suite de l'affaire du Mediator. Je pense bien sûr à son livre mais aussi aux interviews qu'il a données et qui sont susceptibles de nourrir notre réflexion.
Vous avez été directeur du cabinet du secrétaire d'Etat à la santé, Bernard Kouchner, et conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre chargé de l'emploi et de la solidarité, Mme Aubry, de 1997 à 1999.
Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et le site Internet du Sénat.
Pour la forme, je vous demanderai quels sont vos liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
Je n'en ai aucun et je n'en ai jamais eu. Quelques mots sur mes responsabilités. En 1992-1993, j'ai été conseiller juridique du ministère de la santé au moment de l'examen de la loi de sécurité sanitaire du 4 janvier 1993 qui a créé l'Agence du médicament. J'étais au Sénat lorsqu'avec le sénateur Huriet nous avons rédigé l'amendement prévoyant la création de cette agence alors que le projet de loi ne concernait à l'origine que la transfusion sanguine.
Ensuite, pendant deux ans, j'ai été directeur de la pharmacie centrale des hôpitaux de l'assistance publique de Paris ce qui m'a permis de prendre conscience des pressions qu'il peut y avoir dans le domaine du médicament. Puis, j'ai été directeur de cabinet de Bernard Kouchner au moment de la deuxième loi de sécurité sanitaire qui a transformé l'Agence du médicament en Afssaps. Je fus ensuite directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) entre 1999 et 2005. Je fais partie de ceux qui n'ont pas entendu parler du Mediator jusqu'à récemment. Pendant la période 1997-1999, où pourtant nous réunissions très régulièrement autour du secrétaire d'État et l'ensemble des responsables des autorités sanitaires pour faire des points réguliers sur d'éventuelles alertes, je n'ai jamais entendu parler du Mediator. Même chose lorsque nous nous sommes réunis très fréquemment au moment du vaccin sur l'hépatite B.
Ne nous focalisons pas sur les procédures administratives car le système d'abord est sous emprise économique et sous influence. Le responsable du médicament ne doit pas être le ministre et il doit avoir la responsabilité de la mise sur le marché et du retrait. Nous avons également besoin d'un organisme d'Etat spécialisé dans les questions de sécurité sanitaire avec des responsabilités bien identifiées. On peut revoir l'architecture des différentes commissions mais le problème se situe en amont.
La France est grande consommatrice de médicaments, et l'influence de l'industrie pharmaceutique s'exerce d'un bout à l'autre de la chaîne : sur les patients, avec certaines associations de patients financées par les laboratoires, sur la recherche publique, qui a été encouragée ces dernières années à multiplier les collaborations avec l'industrie pharmaceutique, sur les médecins eux-mêmes, avec la visite médicale, les congrès médicaux, les voyages. Les cercles d'expertise et les règles de sécurité sanitaire subissent également cette influence. Il est vraiment anormal que lorsqu'un problème est détecté, ce ne soit pas l'autorité sanitaire qui commandite, qui finance, qui pilote les études et que l'on soit contraint de se tourner vers les laboratoires pour financer ces études et le travail de ces chercheurs. Il doit être mis fin à ce système, sinon nous aurons encore beaucoup d'autres Mediator.
Si je reprenais mon livre sur les conflits d'intérêts, je récrirais divers chapitres : certes, nous avons fait des progrès depuis les années soixante-dix et quatre-vingt, mais nous sommes restés au milieu du gué : tout ce qui touche à la transparence sur les intérêts doit être revu. De nombreux experts externes gardent des liens forts avec l'industrie pharmaceutique et ce qui avait été conçu en matière d'expertise interne s'est révélé insuffisant pour jouer un rôle de garde-fou.
Quand nous avons créé l'Agence du médicament avec le sénateur Huriet, nous pensions qu'il fallait mobiliser sur l'expertise les meilleurs chercheurs ; il est illusoire de croire qu'il est possible de faire en sorte que ceux-ci n'aient pas de liens avec l'industrie pharmaceutique mais nous espérions rendre les liens transparents et écarter certains d'entre eux, et nous voulions contrebalancer ces études par des expertises internes financées par l'argent public. L'addition de ces deux expertises nous semblait garantir la qualité et l'impartialité des études. Mais l'expertise interne n'a pas pu contrebalancer l'influence des laboratoires.
En outre, les liens entre les mondes économique et politique font que l'on ne sait plus qui fait quoi, qui est responsable de quoi.
Je propose donc des solutions radicales : la formation initiale et la formation continue des médecins, ainsi que les congrès, ne doivent plus dépendre de l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'on lit l'excellent livre d'Irène Frachon, on se rend compte qu'elle continue à aller dans des congrès financés par des laboratoires concurrents de Servier.
Si l'industrie pharmaceutique n'était pas là, il n'y aurait pas de congrès ! Je me demande d'ailleurs comment les autres professions libérales s'y prennent pour financer les leurs.
Il peut y avoir le même genre de liens.
Il est néanmoins possible de mettre fin à ces financements. J'ai connu l'époque, où dans les maternités des hôpitaux de l'assistance publique, il y avait le « tour de lait » : les producteurs de lait fournissaient le lait gratuitement et ils s'entendaient avec les équipes médicales pour faire croire aux mamans qu'il ne fallait pas qu'elles changent de lait. Chaque marque avait sa semaine et, en contrepartie, on alimentait la caisse pour financer les voyages. Voilà un bel exemple de système sous influence. Nous y avons mis fin. Nous avons des témoignages de ce type dans les secteurs libéraux et publics très régulièrement.
Bien évidemment, les sociétés savantes ne doivent pas être financées par les laboratoires : il faudrait au moins qu'elles signalent quels sont leurs financeurs.
L'Igas a rendu en 2007 un excellent rapport sur la visite médicale, malheureusement trop peu connu. Les patrons des visiteurs médicaux qualifient certains médecins de « blaireaux », ce sont des médecins qui ne prescrivent pas assez et qui refusent d'ouvrir leur porte aux visiteurs médicaux. Ne vous trompez pas sur la baisse des effectifs de la visite médicale : elle est due au fait que les bons prescripteurs sont mieux identifiés. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment les laboratoires font pour connaître parfaitement les profils des prescripteurs. Quand j'étais à la pharmacie centrale des hôpitaux, une des entreprises est venue me présenter son logiciel sur lequel on pouvait, d'un médecin, connaître ses prescriptions, ses patients et les pharmacies avec lesquelles il travaillait. Le degré de sophistication de ce logiciel était bien supérieur à celui dont disposait l'assurance maladie.
Au-delà de la question de savoir si les taxes doivent financer l'Afssaps, faisons en sorte de reconquérir de l'argent public pour financer l'ensemble des actions à mener. Lorsque nous disions cela il y a quinze ans, on nous traitait d'idéalistes. Quand le Sénat l'a écrit il y a quelque temps, on l'a pris au sérieux.
Nous l'avons écrit, mais aucune des agences n'a relayé notre rapport de 2006.
Le Sénat ne s'est pas trompé de diagnostic.
J'ai été surpris par ce que vous avez dit dans le Journal du dimanche du 16 janvier : « Un laboratoire - il s'agit de Servier - adoptant de pareilles méthodes ne peut être considéré comme un acteur de santé publique responsable ». Est-ce à dire que les laboratoires, hormis Servier, sont des acteurs de santé publique responsables ? Le rôle des laboratoires n'est-il pas de fabriquer et de vendre des médicaments ? On ne peut leur demander autre chose. Mais vous semblez attendre de ces firmes un comportement responsable.
J'ai donné cette interview après avoir lu le rapport de l'Igas où il apparaît que la stratégie d'« enfumage » - pardonnez le terme - de Servier a été particulièrement marquée, sophistiquée, perverse et, malheureusement, efficace.
Nous avons besoin de nouveaux médicaments, sans doute pas trop, mais nous avons fait jouer aux laboratoires un rôle qui n'était pas le leur. Par exemple, l'industrie pharmaceutique n'a pas à donner d'information sur le médicament.
L'intégration de cette industrie dans la chaîne de pharmacovigilance, qui est une action de santé publique, n'a pas non plus lieu d'être. Nous avons également été trop loin en lui demandant de financer des recherches et des études sur la santé publique.
Dans l'ensemble du secteur de la santé, l'industrie pharmaceutique doit être respectée, mais il ne faut pas la mettre en situation de conflit d'intérêts.
Vous préconisez la suppression de la visite médicale, mais est-ce possible ? Peut-on interdire aux laboratoires de la pratiquer, dès lors qu'il ne s'agit pas d'information mais de publicité ?
Aux dires des laboratoires, la visite médicale n'est pas faite pour influencer les médecins. En outre, son impartialité serait garantie par la charte de la visite médicale.
J'ai reçu une lettre d'admonestation du directeur général des entreprises du médicament (Leem) m'expliquant que j'avais tort de dénigrer les visites médicales puisqu'il existe un code de déontologie.
La Haute Autorité de santé elle-même a conclu que la charte n'avait rien changé et qu'elle n'était pas respectée.
On nous dit aussi que ces visites sont indispensables aux médecins, mais 30 % à 40 % des médecins libéraux ne reçoivent pas les visiteurs, et leurs patients ne se portent pas plus mal. Il serait d'ailleurs intéressant de regarder quel est le profil de prescription des médecins qui reçoivent des visiteurs médicaux et celui des médecins qui n'en reçoivent pas.
Je ne la connais pas.
La visite médicale est financée par les cotisations d'assurance maladie que nous payons et par la cotisation sociale généralisée (CSG). L'Igas a chiffré le coût de ces visites à un montant évalué entre 3 et 10 milliards: on peut les rendre financièrement insupportables.
Le législateur peut parfaitement interdire à l'industrie pharmaceutique d'avoir des visiteurs médicaux, comme il a réglementé le démarchage ou le colportage. Il n'y a aucun obstacle juridique national ou européen à dire que les laboratoires n'ont plus le droit d'aller faire la promotion directe dans les cabinets médicaux.
Le professeur Dab nous a dit que la France n'avait pas de politique du médicament. Partagez-vous son avis ? Si oui, quelles devraient être les priorités d'une telle politique ?
Dans un article, Jacques Testart, directeur honoraire de recherche à l'Institut national scientifique d'études et de recherches médicales (Inserm), demande qui va expertiser les scientifiques ? « Sommé d'arbitrer les débats de plus en plus techniques, le monde politique se tourne vers des experts afin d'éclairer sa décision, mais ceux-ci, pour être compétents dans leur domaine, sont trop souvent liés aux intérêts du secteur. Une expertise publique pourrait aider à lever le soupçon ». Dans quelles conditions ?
Faut-il recentraliser, avoir une direction générale du médicament au ministère qui inclurait l'ensemble des produits de santé, les dispositifs médicaux et tout ce qui est issu de l'Agence de biomédecine ? En ce qui concerne la biomédecine, ne risquons-nous pas d'être confrontés à des problèmes un jour ou l'autre ?
Il y a plus une politique des médicaments qu'une politique du médicament. Le fonctionnement de l'AMM part du principe que, si le rapport bénéfice-risque est favorable, le médicament peut être autorisé. Mais nous n'avons pas le raisonnement inverse : il faudrait s'interroger sur le fait de savoir si ces médicaments, dont le rapport est favorable, sont utiles à la stratégie thérapeutique de notre pays.
Les médicaments comme le Mediator étaient traités par le mépris par les experts et les professeurs de médecine. On tolérait le fait que l'assurance maladie les rembourse un peu pour donner confiance aux patients
Il ne suffit pas de faire de l'évaluation au cas par cas, produit par produit, pour donner le feu vert à la mise sur le marché en se rattrapant ensuite sur les taux de remboursement. N'est-ce pas plus en amont qu'il faut définir une stratégie définissant l'arsenal thérapeutique dont doivent disposer les médecins ?
Quand on raisonne à la fois en matière sanitaire et économique, il y a un certain nombre de médicaments qui n'ont pas leur place dans une stratégie thérapeutique, mais qu'on ne peut plus retirer du marché.
Quand un médicament a un rapport bénéfice-risque présumé favorable, et quand il a été démontré qu'il apportait un progrès thérapeutique par rapport à ceux de la même famille déjà sur le marché, il n'y a aucune raison de ne pas le commercialiser. La distinction que vous apportez ne me semble pas claire. Il y a peut-être dix à vingt médicaments d'utiles sur les trois cents nouveaux qu'autorise la commission de la transparence.
Comme c'est l'industrie pharmaceutique qui a l'initiative, nous nous retrouvons dans une situation paradoxale : certains médicaments manquent, notamment les formules pédiatriques.
C'est vrai ! A l'inverse, il y a des innovations qui ne sont pas forcément d'une grande pertinence.
Faut-il recentraliser la politique du médicament ? Non. Ne nous leurrons pas : si nous décidions de retransférer les pouvoirs du directeur général de l'Afssaps au ministre, ce dernier les déléguerait automatiquement : vous le voyez signer toutes les AMM ? Et dans ce cas, il n'y aurait plus de responsable. Il vaut mieux avoir un directeur général responsable qu'un ministre responsable en apparence seulement. Il s'agit donc d'une fausse bonne idée, à mon sens, dangereuse.
Le système, même s'il a failli sur ce point, reste valable : les ministères et les administrations au niveau national et européen doivent être chargés des règlementations générales et des orientations et les opérateurs publics appliquent ce cadre général, prennent les décisions et réalisent des expertises.
Je ne pense pas que la séparation de la gestion et de l'évaluation soit une distinction pertinente. Autant, il faut séparer la gestion économique de la gestion sanitaire, autant il faut prendre garde à ne pas mettre en place deux entités : expertise d'un côté et décision de l'autre. Ce système génère de l'irresponsabilité. J'ai vu cela dans le domaine de la sécurité alimentaire : mon agence n'avait pas les pouvoirs de police. Nous devions garantir la responsabilité sanitaire, mais, quand nous avions un avis d'expert discutable et que nous pressentions que, dans les abattoirs, dans les arrière-cuisines, les règles n'étaient pas respectées, et donc que les bonnes recommandations scientifiques ne se traduisaient pas dans la réalité, nous ne pouvions intervenir car on m'expliquait que cela ne me regardait pas puisqu'il s'agissait de la gestion du risque.
Certes, le système n'a pas marché pour le Mediator, mais sans doute parce qu'il était sous influence. Il ne faut pas rompre cette chaîne de l'évaluation et de la gestion du risque, sinon chacun se renverra la balle. Je crois qu'il serait préférable de conserver les préceptes définis au moment où nous avons réorganisé la transfusion sanguine et qui séparent les responsabilités économiques des responsabilités sanitaires. Du côté des responsabilités sanitaires, ceux qui accordent l'autorisation de mise sur le marché des produits et qui, éventuellement, la retirent doivent être identifiés. Que ces règles soient rénovées, confortées, soit, mais ne les jetons pas à la poubelle.
Le drame, c'est qu'en 1997, on a retiré le Pondéral et l'Isoméride, et pas le Mediator.
Absolument ! Le moment où le Mediator a été placé dans un tiroir étanche reste mystérieux, même après la lecture du rapport de l'Igas.
Vous voulez revisiter le principe de la séparation de l'évaluation du risque et de sa gestion. Comment cela se traduirait-il pour les institutions ? Faut-il maintenir les agences en place, faut-il donner plus de compétences au directeur général de l'Afssaps ? Actuellement, il prend des décisions concernant les médicaments au nom du ministre et ce dernier n'a pas de droit d'appel.
Au lieu de se situer entre évaluation et gestion du risque, la ligne de démarcation doit-elle se trouver entre expertise et décision ?
Je ne pense pas qu'il faille bousculer le système institutionnel actuel. Il est assez logique que le ministre ne puisse pas revenir sur une décision, sinon cela déresponsabiliserait le directeur général. A la limite, il pourrait avoir un pouvoir conservatoire pour suspendre temporairement telle ou telle décision, mais plutôt d'autorisation sur le marché.
Quand on a évoqué en 1994 un pouvoir d'appel, ce n'était pas pour renforcer la sécurité sanitaire mais à la demande de l'industrie pharmaceutique qui craignait que le gendarme ne soit trop sévère. En revanche, il faut revoir juridiquement les conditions de retrait : il est extravagant de voir que les autorités sanitaires doivent apporter de multiples preuves pour sécuriser leurs décisions de suspension ou de retrait.
Il s'agit d'une décision administrative. On ne peut empêcher que celui qui se sente lésé puisse engager une action contre cette décision.
Si nous voulons faire de la prévention, le principe de précaution doit s'appliquer. L'autorité sanitaire ne doit pas payer le fait qu'elle veuille protéger les patients.
Je suis d'accord avec vous, mais le Conseil d'Etat, dont vous êtes d'ailleurs membre, a une autre jurisprudence. L'épisode du Kétoprofène est là pour nous le rappeler. Il est vrai que cette décision de l'Afssaps contredisait celle de l'Europe.
Je suis bien placé pour savoir qu'au-dessus de la jurisprudence du Conseil d'Etat, il y a la loi et les textes européens, et ils devraient simplifier les procédures de suspension des mises sur le marché.
Tous les pays européens peuvent être confrontés aux mêmes problèmes que nous.
Nous entendons des avis très contrastés sur la séparation ou non de l'expertise et de la décision. Je m'intéresse plus à la déontologie et à la fiabilité de l'expertise elle-même.
Il a été évoqué une Haute Autorité de l'expertise et de l'alerte chargée de se pencher sur les conflits d'intérêts, le respect des protocoles, la confrontation avec les études étrangères et l'écoute des lanceurs d'alerte. Or, dans la loi Grenelle de juillet 2009, à mon initiative, nous avons voté, à l'unanimité des deux chambres, la création d'une telle autorité. Pensez-vous que les firmes soient suffisamment puissantes pour dissuader les ministres de mettre en oeuvre de dispositions votées par le Parlement ?
La réponse est oui. Les meilleurs codes de déontologie ne résisteront pas si les médecins, les chercheurs, les experts ne peuvent travailler sans avoir recours aux financements de l'industrie pharmaceutique. Comment voulez-vous que de telles personnes, qui sont le plus souvent intègres, puissent se prononcer contre un médicament produit par la firme qui les rémunère ? Le vice est là ! L'agence que j'ai dirigée il y a quelques années a récemment publié un rapport sur les régimes amaigrissants : il n'y a pas eu un mot sur les pilules amaigrissantes ! Or, le président de ce comité d'expertS est payé par les quatre plus gros laboratoires pharmaceutiques : même s'il est honnête, comment voulez-vous qu'il dénigre ses employeurs ? Il ne peut y avoir de bonne déontologie si les conflits d'intérêts ne sont pas dénoués, qu'il s'agisse de conflits individuels ou institutionnels.
Sur la protection des lanceurs d'alerte, rappelez-vous de ce qui est arrivé à Pierre Meneton : les services secrets ont essayé de le déstabiliser en prétendant qu'il était payé par la CIA pour s'attaquer à l'industrie pharmaceutique française !
Et l'Inserm ne l'a pas défendu : il s'est retrouvé seul devant les tribunaux.
Je revendique de l'avoir défendu : nous avons organisé un colloque financé uniquement sur fonds publics.
Vous préconisez le retrait de l'industrie pharmaceutique de tous les secteurs de la santé. Comment financer les activités jusque là prises en charge par l'industrie pharmaceutique ?
Le surcoût de la consommation de médicaments en France par rapport à d'autres pays se monte à plusieurs milliards. Le coût direct des dépenses de promotion représente aussi quelques milliards.
En se privant d'un certain nombre de dépenses, on pourrait récupérer quelques centaines de millions pour financer des laboratoires de recherche qui travailleraient sur les risques, sur l'évaluation, qui pourraient reproduire de l'expertise publique indépendante des intérêts économiques. Il serait aussi possible de financer ainsi la formation continue des médecins.
Dans un deuxième temps, une politique du médicament plus restrictive permettrait de réaliser quelques économies : plutôt que d'augmenter les déremboursements, il serait préférable de diminuer la masse des médicaments remboursés.
Vous n'envisagez pas une baisse du prix des médicaments pour faire réaliser des économies à l'assurance maladie qui pourrait, en contrepartie, financer directement certaines activités ?
Aujourd'hui, la sécurité sociale paye les dépenses des laboratoires en congrès, en promotions de toute sorte et en papier glacé. Pourquoi ne pas les taxer de la somme équivalente ?
Une telle politique allégerait la pression économique supportée par le prescripteur et par le patient : par contrecoup, elle aurait une influence sur la consommation de médicaments dans notre pays. Le déficit de l'assurance maladie se réduirait donc encore.
Ce schéma serait vertueux, mais on peut avoir quelques doutes sur la mise en oeuvre de mesures aussi radicales. Il n'empêche que nous pouvons les proposer, même si un Gouvernement ne reprend que très rarement les propositions d'un rapport sénatorial.
Détrompez-vous ! L'Agence du médicament a été créée à l'initiative du Sénat. L'Afssaps vient d'une proposition de loi sénatoriale, tout comme l'Agence du service civique que je préside. Enfin, la paternité du revenu de solidarité active (RSA) est en partie due au rapport de Mme Létard. Je ne fais mon miel que du Sénat !
Reconnaissez que, dans le domaine du médicament, nous avons plus de difficultés. Merci pour votre contribution, nous essaierons d'en faire notre miel !